Les identités ne sont pas figées
Une carrière ne ressemble plus à un parcours rectiligne. Elle se
compose de mille et un détours qu’il faut relier « de manière à
ce que le caractère épisodique et ponctuel des événements
puisse apparaître en termes de signification rétrospective » et
participer de la reconstruction d’une trajectoire sur laquelle
l’individu va pouvoir s’appuyer « en tant qu’outil pour orienter
son propre avenir. »
20
Françoise Bidgrain, directrice de Cap emploi 75, souligne
combien cette dimension est essentielle chez des personnes
en situation de handicap qui, du jour au lendemain ou de fa-
çon plus progressive, ne peuvent plus exercer le métier qu’elles
ont toujours occupé ; celles-ci n’ont d’autres choix que de revi-
siter leur histoire pour y puiser la légitimité indispensable à la
nouvelle activité qu’elles embrassent.
Deux types de cas emblématiques illustrent cette « crise » à
dépasser par un travail de reconstruction : la reconversion des
militaires et celle des sportifs de haut niveau.
Chaque année, 30 000 militaires reviennent à la vie civile. Ils
passent alors brutalement d’une organisation pyramidale,
hiérarchisée et communautaire à une société mouvante et
d’un système de valeurs (agressivité, héroïsme, courage, au-
torité, etc.) à un autre (négociation, conciliation, ouverture,
etc.)
21
. Pour passer de l’un à l’autre, ils doivent faire plus que
s’ajuster, ils doivent renoncer à une partie de ce qu’ils étaient.
Tout en ayant besoin, pour consolider leur nouvelle identi-
té (pour rester « fidèles à eux-mêmes »), de la puiser dans ce
qu’ils étaient. Comment font-ils ? « Les militaires en reconver-
sion sélectionnent des événements biographiques antérieurs
qui leur permettent de conserver un sentiment de cohérence
avec eux-mêmes et de continuité existentielle. » Ces événe-
ments antérieurs peuvent remonter à une période précédant
leur engagement ; ce pont entre deux « mondes » permet aux
militaires de se convaincre qu’ils étaient déjà « faits pour ça » ;
ils réécrivent ainsi leur histoire, leur mythe personnel et re-
tissent l’unité biographique tant recherchée.
Les sportifs de haut niveau doivent quant à eux passer « d’un
monde extraordinaire à un monde ordinaire dans lequel ils ne
sont plus ce qu’ils ont été »
22
. Il leur faut pour cela faire le deuil
de leur vie passée et accepter de ne plus bénéficier de tous
les avantages associés à leur statut de champion. Comment
y parviennent-ils ? En trouvant des moyens de « continuer à
20 -
Di Fabio Annamaria, Bernaud Jean-Luc (2010), « Un nouveau paradigme
pour la construction de la carrière au 21e siècle : bienvenu ! »,
L’orientation
scolaire et professionnelle, n° 39/1.
21 -
Solti Richard (2016), « Du héros au quidam : reconversion professionnelle,
ajustement biographique et (contre)vocation »,
Céreq échanges.
22 -
Javerlhiac Sophie, Bodin Dominique (2016), « Changer de vie ou quelques
éléments pour mieux comprendre le processus de bifurcation biographique
des sportifs de haut niveau »,
Céreq échanges.
Do'stlaringiz bilan baham: