Ferdinand Lot De l’Institut



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L’Hagiographie. — La Vie de Saint est une variété du genre biographique. Contrairement à la biographie des princes, elle continue et continuera à fleurir. C’est l’honneur d’un sanctuaire que de faire connaître l’existence édifiante du saint ou des saints qui l’ont illustré. C’est aussi une source de profits. La lecture d’une vie de saint ou son résumé, lors de la fête du saint, c’est-à-dire à la date de sa mort, qui est son noël (natale), puisque c’est alors qu’il naît à la vie éternelle, est une réclame excellente. Elle peut provoquer des élans de ferveur qui ne se manifestent pas seulement par des oraisons, mais par des dons substantiels. Serait-ce faire preuve de mauvais esprit que de voir là l’explication du succès durable de cette forme de biographie ?
Comme à l’époque précédente, on écrit donc des vies de saints, mais en beaucoup moins grand nombre. Et cela parce que le nombre des saints a beaucoup diminué (environ 50 au lieu de 350). Le monde du clergé séculier et celui du régulier est cependant infiniment supérieur à ce qu’il était précédemment. Et c’est précisément pour cette raison qu’il ne laisse pas sanctifier par le public prélats, abbés, abbesses, prêtres, moines et ermites, à tort et à travers.
La grande majorité des « Vies de saints » de l’époque carolingienne n’intéresse pas ce qui devient la France. Elle est consacrée, comme il est, normal, aux apôtres qui ont évangélisé les Germains, Willibrord, Boniface, Sturm, Libuin, Emmereran, Corbinien, Liudger, Willihad, Raimbert, etc., à sainte Lioba, apparentée à saint Boniface. En Gaule, on ne peut guère signaler que les vies des abbés de Lobbes, Ursmer et Ermin, de Saint-Trond (Trudo) par Donat de Metz (avant 791) ; celle du réformateur Benoît d’Aniane, conseiller écouté de Louis le Pieux, par son successeur Ardon Smaragde en 822. Chose regrettable, la vie d’Alcuin, écrite vingt ans après sa mort, est une déception : son auteur ne voit en lui que l’homme d’Eglise édifiant. La Vie d’Adalard de Corbie, fondateur de la succursale du même nom (prononcé Corvey) en Saxe, mort en 826, par Paschase Radbert, lui-même Corbéien, est une apologie. On vient de dire que la Vie de Wala, frère et successeur d’Adalard à Corbie, par le même, est un pamphlet.
Un procédé commence et qui n’arrêtera plus, c’est de refaire une vie de saint déjà composée. On veut sincèrement rendre service au bienheureux en présentant sa vie dans une langue châtiée, moins rebutante que la vieille Vita pleine d’incorrections. Le malheur c’est qu’on se laisse aller, sous prétexte de retoucher le style à retoucher le fond ; la glissade sur cette pente est fatale. Alcuin n’a pas échappé au danger : on s’en rend compte quand on confère sa Vie de saint Riquier avec le texte antérieur, retrouvé de nos jours.
Il est rare que, même pour les saints contemporains, leur vie soit l’objet d’une composition au lendemain même de leur mort. Il faut le temps d’y coudre une addition relatant les miracles accomplis sur sa tombe après sa mort. D’où le genre des Miracula qui se détache de la Vita quand le saint est éloigné par les siècles. Les dons de thaumaturge du bienheureux se poursuivent en effet quand le temps n’existe plus pour lui. Les Miracles de saint Benoît par Airvaud (Adrevaldus) sont un exemple typique du genre.
Les vertus miraculeuses d’un saint ne se manifestent pas seulement en lieu fixe. Elles semblent, au contraire, reprendre vigueur, lors du déplacement de ses restes, soit qu’on les transfère dans une autre châsse, ou qu’on fuie avec eux la fureur des Normands. A cet égard les Translations sont au moins aussi précieuses pour l’historien que les Vies. Le IXe siècle nous en offre une série intéressante avec les translations des SS. Denis, Germain, Vast, Philibert, Wandrille.
Parfois le culte des reliques ne se satisfait pas de celles des bienheureux du pays. On aspire à posséder, ne fût-ce qu’un fragment, du corps de saints étrangers renommés, surtout s’ils ont vécu aux premiers temps de l’Eglise. Il est devenu difficile d’en faire venir d’Orient, mais Rome est une mine de reliques. Leur commerce constitue une des ressources de la Ville déchue, mine que la candeur des Francs fait inépuisable. Rien de plus significatif à ce sujet que de lire le récit de la Translation des SS. Pierre et Marcellin qu’Eginhard réussit, à sa grande joie, à amener à son monastère de Seligenstadt. Précieux pour l’histoire est le récit par Aimoin du transfert de saint Vincent d’Espagne à Castres en Rouergue, en 855, et surtout celui des martyrs contemporains, Georges, Aurèle et Nathalie, suppliciés à Cordoue et amenés à Saint-Germain-des-Prés en 858. Le corps de Georges transféré au domaine de Villeneuve, a modifié le nom de cette localité : Villeneuve Saint-Georges.
Avant de passer à un autre sujet, il n’est pas inutile de signaler la réfection des Martyrologes non pas, cela va de soi, qu’ils intéressent les « lettres », mais parce qu’ils sont le signe d’une activité. Le martyrologe est un calendrier des fêtes de l’année, dont le concile d’Aix de 817, impose la lecture aux moines à la fin de l’office de prime. Bède le Vénérable avait changé le caractère des recueils du martyrologe dit de saint Jérôme, consistant en une simple liste de noms. Il y avait ajouté de succinctes notes biographiques, conférant ainsi un caractère historique à ce livre liturgique. Raban Maur, vers 842, fit de même pour l’Allemagne et il sera plus tard imité.
En Gaule, l’Eglise de Lyon s’y intéresse particulièrement. On lui doit un martyrologe exécuté par un inconnu vers 806, un autre par le diacre Florus. Adon, futur archevêque de Vienne, voyage en Italie pour compléter son œuvre (vers 850). Il en rapporte — il le dit — un « très antique et vénérable martyrologe » dont il extrait des notices inconnues — et pour cause : il les a fabriquées (860). Enfin, Usuard, moine de Saint-Germain-des-Prés, achève avant 875, un autre martyrologe très répandu, malheureusement influencé par les précédents.
Un dernier mot touchant les Obituaires ou Nécrologes. En marge d’un calendrier, on porte pour chaque jour de l’année, les noms des personnages ecclésiastiques ou laïques pour lesquels l’établissement est tenu par des fondations de faire un service religieux. Nulle autre mention que ce nom, suivi parfois d’une courte phrase : « qui nous a donné telle chose ». Pas de date d’année. C’est inutile, puisque le défunt est entré dans l’éternité. Ces obituaires ont un réel intérêt historique parce qu’ils nous fournissent la date du jour de décès d’une foule de personnages historiques, date qui nous échapperait autrement. Cependant il peut arriver que le jour où est porté le nom du bienfaiteur ne soit pas exactement celui de son décès. Si le calendrier est trop chargé le jour réel du décès, on déplacera le service en le reportant au lendemain ou au surlendemain, ou à la veille. Même en ce cas, l’approximation est utile.

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Les Epistoliers. — Les lettres représentent une des sources historiques les plus précieuses. On en a conservé beaucoup de cette époque : lettres de papes aux souverains (Charles en fera exécuter un recueil en 791), aux évêques et abbés, aux grands laïques et réponses de ceux-ci, lettres d’ecclésiastiques aux rois, à leurs collègues, à bien d’autres encore.
Depuis les temps romains, les lettres officielles sont soumises à des règles étroites, dont il n’est pas permis de s’écarter. Il faut que le style en soit harmonieux, d’où une rythmique, un cursus. L’élégance, ou ce qu’on considère comme tel, passe avant la clarté : il suffit de lire quelques lois d’empereurs romains, sous forme de rescrits, pour s’en rendre compte : cette langue emphatique et obscure est tout le contraire de ce que nous appelons le style législatif. La chancellerie des papes, elle aussi, a sa phraséologie. Les diplômes des rois francs, qui sont rédigés sous forme épistolaire, ont leur rythme : ceux qui les ont pratiqués sont familiers avec leur ronron.
Les lettres de particuliers sont soumises au mêmes exigences stylistiques et elles doivent, au début et à la fin surtout, renfermer des formules de politesse et de modestie, des protestations d’amitié, des éloges, poussés jusqu’au grotesque (au sentiment moderne) des vertus et des talents des correspondants, et, par contraste, des protestations de l’indignité de l’auteur. Dans le corps de la lettre, il convient de pratiquer le jeu de l’antithèse, du contraste, du parallèle. Une lettre est une composition littéraire soignée. Aussi l’auteur conserve-t-il le double sur un cahier, où il insère aussi celles des réponses qui l’ont le plus charmé par l’étalage des mêmes qualités, conformément à la déformation du goût gagnée aux écoles du temps.
Ce sont ces cahiers de doubles qui nous ont transmis la correspondance des plus célèbres épistoliers du temps, car la recueillir chez les correspondants, après la mort de l’écrivain, eût été impossible ; cette tâche eût exigé de longs voyages à travers l’empire.
Chaque recueil, même copieux, est loin de représenter la totalité de la correspondance d’un auteur célèbre. Pour les besoins de la vie, l’administration du temporel, un évêque, un abbé, devait dicter quantité de missives rédigées rapidement et sans apprêt : précisément pour ce motif, il n’en gardait pas copie, si bien que nous sommes privés de ce qui eût été pour nous le plus intéressant.
Ces règles de la correspondance, Sidoine Apollinaire en est l’esclave soumis, au Ve siècle, ainsi qu’on a dit. Après la chute de l’Empire, elles continuent à s’imposer, par exemple à Avitus de Vienne, à Remi de Reims. Cependant la Renaissance carolingienne échappe en partie à la maladie. Frotier, évêque de Toul (813-849), donne un recueil de 32 lettres destinées à servir de modèle à un évêque pour ses rapports avec la cour impériale. Le sérieux Alcuin est encore trop poli dans l’exorde de ses lettres. Mais les autres conservent leur franc-parler. Un latiniste exercé peut saisir des différences de factures entre les lettres de Paulin d’Aquilée, d’Amalaire, d’Agobard, de Claude de Turin, de Loup de Ferrières, d’Hincmar et de bien d’autres, mais l’ensemble est très supérieur au bavardage d’un Sidoine Apollinaire.
Le prince des épistoliers est Loup de Ferrières, le plus grand humaniste de son siècle, infatigable collectionneur de textes classiques et homme de goût. Sa langue n’est pas faite de lambeaux arrachés à des œuvres antérieures. D’une élégante simplicité, elle n’emprunte à l’antiquité que l’inspiration.

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Les Traités politiques. — Au-dessus des lettres, qui sont en immense majorité des écrits de circonstance, on devrait placer les traités de politique où l’on trouverait des vues générales sur le gouvernement de l’Eglise et de l’Etat. Nous en possédons quatre rien que pour le IXe siècle : la Voie royale de Smaragde, abbé de Saint-Mihiel (mort vers 830), adressée à Charlemagne, l’Institution royale de Jonas, évêque d’Orléans, composée en 831 pour Pépin Ier d’Aquitaine, le Des recteurs chrétiens de l’Irlandais Sedulius, adressé au roi Lothaire II, le De la personne royale et du métier de roi, adressé par Hincmar à Charles le Chauve. A les lire quelle désillusion ! Ce ne sont que des homélies, des exhortations à fuir le péché, et non un programme de gouvernement, une vue ferme et précise des rapports de l’Eglise et de l’Etat. Ces clercs proposent-ils du moins un souverain chrétien comme modèle, Constantin ou Théodose, par exemple. Nullement ! C’est le roi des Juifs, c’est David qu’ils préconisent.
On ne s’étonnera pas que les lettres d’Alcuin aux rois anglo-saxons, à divers grands du siècle, dont Gui de Bretagne, auquel il adresse un Livre des vices et des vertus, le Liber exhortationis de Paulin adressé à Eric, duc de Frioul (mort en 799), le traité de l’Institution laïque de Jonas pour Matfrid, comte d’Orléans, soient d’une insipide banalité.
Il n’en va pas ainsi du De ordine palatii, c’est-à-dire « De l’organisation de l’administration centrale », adressé par Hincmar au jeune roi Carloman en 882. L’archevêque donne comme source un traité du même titre du sénéchal Adalard qu’il a connu, dit-il, en sa prime jeunesse. Nous aurions donc là un précieux manuel d’institutions nous donnant le tableau de l’organisation de la cour sous Charlemagne, à son apogée. Mais, à l’examen, il se révèle des erreurs ou des grossissements et, comme on a des preuves multiples de l’insincérité de l’archevêque de Reims, son De ordine palatii, bien qu’intéressant, ne peut être utilisé, comme on dit, qu’avec précaution. C’est un écrit tendancieux, destiné à enfoncer dans l’esprit du jeune roi l’idée que le pouvoir ecclésiastique est au-dessus même de l’institution royale. Ce qu’il y est dit de 1’« apocrysiaire », personnage inconnu par ailleurs, doit cacher un dessein personnel. C’est la dernière œuvre d’Hincmar qui mourut la même année, fuyant les Normands.

Les œuvres en vers
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Renaissance du vers classique. — Le monde de la Renaissance carolingienne aime écrire en vers et abondamment. Et la chose est d’autant plus surprenante que ces vers sont conformes au système de la métrique classique fondée sur le jeu des brèves et des longues. Cette métrique quantitative, si difficile que l’Italien Fortunat n’osait se hasarder qu’à composer des hexamètres et des pentamètres et commettait parfois des impairs, ressuscite triomphante au IXe siècle, alors qu’il semblait qu’elle fût depuis longtemps au tombeau. L’explication est facile à trouver. On fait des vers métriques parce que l’on se donne la peine d’apprendre la métrique et la prosodie anciennes. Puisque l’oreille ne permet plus de distinguer les longues des brèves, on apprend la quantité à l’école, en expliquant des textes, en se pénétrant de l’enseignement des anciens grammairiens latins, Donat, Servius, Pompée, Priscien, longue et pénible initiation ; d’autant plus qu’il n’y a pas de Gradus ad parnassum, soutien des écoliers, il n’y a pas si longtemps, pour distinguer les longues des brèves dans chaque mot latin, pour composer les vers latins requis en classe de rhétorique et à la licence d’hier. Une fois cette connaissance acquise, on peut se lancer dans l’océan des rythmes antiques, mer périlleuse où même Fortunat n’osait s’engager. Naturellement Virgile et Ovide, avant tout, pour les lettres profanes, Prudence, pour les sacrées, offrent des modèles de métrique. Fiers de cette connaissance dure à acquérir, nos écoliers carolingiens, jeunes ou vieux, brûlent de déployer leur virtuosité. Ils versifient sur tout, absolument tout, particulièrement sur les petites choses, d’où une exubérance redoutable.

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Les meilleurs poètes. — Dans la masse des « poètes » carolingiens il y a lieu de retenir Théodulf, Walahfrid Strabo, Sedulius, Gotteschalk. Ils ont été admirés de leurs contemporains et sont encore appréciés des bons latinistes de l’époque moderne. Ils ont brillé à la fois dans tous les genres dits poétiques. Le mieux doué est Théodulf. Il connaît fort bien la poésie antique, s’en inspire, mais n’en est pas accablé. On vante la correction, la facilité, la souplesse, les belles rencontres d’expressions de sa plume. La source de cet ensemble de qualités demeure mystérieuse. Théodulf n’est pas élève des écoles de Gaule. L’Espagne est sa patrie. Mais où pouvait-il y puiser ces vertus littéraires ? Le Sud (Cordoue, Séville), le Centre (Tolède) étaient occupés par les Musulmans. Des chrétiens y demeuraient et en grand nombre, mais nous savons par Alvar, au même siècle, que la jeunesse studieuse y était privée de livres en latin et que, au reste, elle préférait la poésie arabe. Restait l’Espagne chrétienne. Les maîtres et les bibliothèques devaient y être rarissimes. Quand Pélage reconstitua un royaume chrétien dans les Asturies, vers 718, il ne restait debout, ni un évêché, ni un monastère. Le Navarre demeurait barbare et préférait le Maure au Franc : Charles en avait fait l’expérience en 778. Restait l’étroite bande acquise le long des côtes de la Méditerranée, la future Catalogne ; mais ce pays avait été cruellement ravagé lors de la conquête franque. Pouvait-il subsister beaucoup d’établissements avec livres et professeurs ? Il est donc plus que probable que Théodulf devait son savoir-faire avant tout à lui-même. Son cas n’en serait que plus intéressant.
Walahfrid, surnommé Strabo, est très différent. Souabe, il a fait de bonnes études à l’abbaye de Reichenau, située dans une île du lac de Constance, puis à Fulda, sous Raban Maur. En 829, l’abbé de Saint-Denis, Hilduin, le recommande à l’impératrice Judith, comme précepteur de l’enfant Charles. Arrivé à Aix, Walahfrid contemple la statue équestre de Théodoric que Charlemagne y avait fait transférer de Ravenne. Cette vue lui inspire son poème « Sur la statue de Théodoric » (De imagine Tetrici). La forme du dialogue qu’il adopte, lui permet d’opposer le Goth arien et le Franc chrétien qu’il magnifie, cela va de soi. Ce qu’il y a d’original, c’est que ce dialogue n’est pas engagé entre deux personnages fictifs : c’est Walahfrid lui-même qui dialogue avec sa muse, qu’il appelle son étoile (scintilla). Naturellement, il compose des vers en l’honneur de l’empereur, de Judith, de la famille impériale. Comme ses contemporains, il n’est pas avare d’éloges et les distribue copieusement. En 841, il semble que Lothaire va triompher. Walahfrid célèbre en lui le « père de la patrie », ce qui ne l’empêchera pas, par la suite, d’être au mieux avec son ancien élève, le jeune roi Charles, jusqu’à sa mort, survenue en 849.
Il met en vers la Vision de Wettin, composée par Haiton, évêque de Bâle (mort en 836). Le visionnaire parcourt l’Enfer, le Purgatoire, le Paradis et y fait des rencontres intéressantes, édifiantes et terrifiantes à la fois pour le lecteur. Hélas ! Wettin a vu Charlemagne, puni de sa lubricité, mais qui, finalement, se tirera d’affaire. Ce genre littéraire de la vision est très répandu, notamment en Irlande. Par un côté, il appartient au genre satirique. Son dernier représentant sera la trilogie de Dante. La Vie de saint Mammès évoque avec tendresse l’enfant ermite, prêchant l’Evangile aux bêtes de la forêt. Mais l’œuvre qui a persisté à travers les siècles et — dont les humanistes du XVIe siècle ont raffolé, c’est le poème du « Petit Jardin » (Hortulus) dédié à Grimaud, abbé de Saint-Gall, où Walahfrid décrit les « herbes potagères » et d’agrément du jardin de son ancien monastère. Il s’en est donné quantité d’éditions.
Walahfrid s’inspira, lui aussi, de modèles antiques, mais ce qui donne encore un certain charme à la lecture de ses vers, c’est qu’il a mêlé des fleurs et des feuilles fraîches aux fleurs de papier et aux feuilles mortes qu’il ramassait dans le tas des œuvres antiques.
Les amateurs de bon latin apprécient un Irlandais peu connu qui vivait en Gaule au IXe siècle, à la cour de France et à celle des Lothaires. Il a pris le nom d’un poète chrétien du Ve siècle, Sedulius, dont le Carmen paschale était toujours admiré. Nulle grande œuvre cependant n’est sortie de sa plume, mais il a de la facilité et possède mieux que quiconque les ressources de la métrique classique. Sa vie est quasi inconnue. Il a été un instant écolâtre à Liége, mais il semble que, à l’exemple de Fortunat, il ne vive que du mécénat des princes et des princesses. De tout temps, cette protection s’est révélée pécuniairement modeste et capricieuse. Sedulius se plaint, et c’est précisément sa position de poète exilé et famélique, qui donne de la verve à quelques-unes de ses pièces. Il rappelle par sa situation, celle de Fortunat. Sa détresse fait présager Rutebœuf. Outre ses innombrables éloges de Lothaire, de l’impératrice Ermengarde, de Louis le Germanique, de Charles le Chauve, d’évêques, d’abbés, d’abbesses — qui n’a-t-il pas flatté ? — il a composé un miroir des princes, comme on dira (Liber de rectoribus christianis), appréciée plus haut, une ode saphique « de la déroute des Normands » (De strage Nortmannarum). Ce qu’il y a peut-être de plus intéressant en lui, c’est qu’il a, sinon créé du moins donné le modèle d’un genre dans son« Conflit du lis et de la rose » (certamen rosae liliaeque) : C’est l’origine de l’altercation des poèmes latins subséquents, du « jeu-parti » des troubadours et trouvères.
L’hérésiarque, ou prétendu tel, Gotteschalk, connaît à fond les ressources de la métrique classique. Il est familier avec le mètre saphique, le mètre adonique. Dans ses hexamètres il use un des premiers de la rime léonine. L’emploi fréquent de la rime, une composition en rythmique accentuelle, montrent qu’il n’est pas figé dans l’imitation des mètres anciens, mais qu’il ose innover. Il a été instruit à Fulda qu’il a quitté en 829, à la grande indignation de Raban Maur. Il prétend cependant s’être formé lui-même : « Personne ne m’a guidé » (memo fuit mihi dux). Il dit vrai, du moins en ce qui touche sa facture et son inspiration : ses prières au Christ sont pleines de sentiment religieux et exprimées en vers bien frappés. Peut-être faut-il lui attribuer aussi l’Ecloga Theoduli : c’est un dialogue entre Alithia (Alice), nom grec de la Vérité et Pseustis (le Mensonge), qui oppose les miracles de l’Evangile aux fables des païens. A travers les siècles, cette composition devait jouir d’un immense succès : on l’expliquait dans les classes, et, dès que l’imprimerie apparut, ce fut un des livres les plus répandus : 50 éditions rien que dans les vingt dernières années du XVe siècle, en attestent la vogue.L’auteur, par prudence, a pu se dissimuler sous l’appellation de Theodulus Italus, car Théodulus est la traduction grecque exacte de son nom Godes-Scalk « serviteur de Dieu », et Italus éloigne l’idée qu’il est Saxon.
Quelques genres
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L’Épopée. — On pourrait croire que l’exemple de Virgile et de Lucain, inclinerait les lettres vers le poème historique. Il n’en fut rien. Ce genre fut peu cultivé.
L’Aquitain Ermold le Noiraud (Nigellus), exilé on ne sait pour quelle faute, à Strasbourg, y compose en 827, un poème de 2.649 vers, où il célèbre les hauts faits de Louis le Pieux. Ermold ne saurait compter parmi les bons écrivains de son siècle. Sa connaissance des auteurs antiques est peu sérieuse ; il commet des incorrections, dans l’interprétation des textes qu’il pille. Son style est à la fois boursouflé, sec et monotone ; l’abus des discours et l’emploi de la mythologie sont insupportables. C’est à croire qu’Ermold était un laïque, ce qui expliquerait les incorrections de sa langue, et que son poème est un écrit improvisé, pour rentrer en grâce. Néanmoins cet écrit n’est pas sans quelque mérite dans la présentation des grandes cérémonies, dans les scènes dramatiques ou pittoresques, tels le sacre de l’Empereur, le siège de Barcelone, le duel d’un chrétien et d’un Maure dans les Pyrénées, le duel des Goths Bera et Sanila, l’ambassade adressée au prince breton Morvan, enfin dans le baptême du Viking Harold en l’oratoire du palais d’Ingelheim, situé dans une île du Rhin, dans le banquet qui suit, enfin le récit de la chasse. Ermold n’eut aucun succès avec son poème, pas plus qu’avec son éloge emphatique des vertus de l’empereur et ne rentra pas en grâce. Il disparaît après 838. Son poème est demeuré quasi inconnu ; nous n’en possédons qu’une copie ancienne. C’est à croire que Louis le Pieux avait gardé le manuscrit original, sans le communiquer à personne.
C’est aussi un poème épique que le Siège de Paris par les Normands (885-886) que nous donne le moine de Saint-Germain-des-Prés, Abbon. Œuvre précieuse, bien que rédigée dans une langue si bizarre que l’auteur éprouve le besoin de se gloser lui-même, en intercalant entre lignes, des termes explicatifs.
Il y a aussi le genre de la complainte, par exemple celle qui pleure la lutte fratricide des fils de Louis le Pieux à Fontenoy-en-Puisaye en 842. L’épitaphe que Florus de Lyon consacre à la mort de Louis le Pieux, dont il déteste cependant la politique, appartient à ce même genre. Son auteur pressent et déplore la dissolution de 1’Empire qui va suivre. Un Irlandais, Dungal, rédige un planctus sur la mort de Lothaire en 855.
Un souffle épique anime le récit de la soumission de Tassillon, duc de Bavière en 796. L’auteur est un Irlandais qui signe 1’« Exilé d’Irlande » (Hibernicus exul). On pense que c’est Dungal.

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