Ferdinand Lot De l’Institut



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L’Ivoirerie. — L’art de la sculpture sur ivoire ou sur os change d’aspect. Non seulement il reproduit les ornements antiques, mais il sait traiter des thèmes iconographiques. Cet art nous est particulièrement connu grâce aux plaques de reliure de Psautiers et d’Evangéliaires. Le Psautier de Charles le Chauve figure l’âme comme un petit personnage sur les genoux d’un ange qui la préserve des lions. Un ivoire du musée de Cluny représente un Christ à longue robe ; dans deux médaillons sont figurées les têtes du Soleil et de la Lune et dans les quatre compartiments déterminés par la croix, Marie et Jean, les Saintes femmes au tombeau, Jésus enseignant, la Descente aux Enfers. Au revers de l’Evangéliaire de Gannat est figurée la Crucifixion avec l’Eglise et la Synagogue, la Vierge et saint Jean, le centurion et le porte-éponge. Très composites sont deux plaques d’ivoire à Saint-Gall, attribuées, à tort ou à raison, an moine Totilon qui fut à la fois orfèvre et ivoirier, à la fin du IXe siècle. On y voit d’un côté le Christ et l’Apocalypse au milieu des quatre symboles entre les Vertus figurées par deux anges à ailes sextuplées. D’autre part, sous le Soleil et la Lune, la Terre assise sur une corne d’abondance, l’Océan chevauchant un monstre marin, le tout alternant avec des anges musiciens et des prophètes écrivant sous la dictée divine. Au revers, l’Assomption, au registre inférieur deux miracles de saint Gall.
Il est évident que la vue d’ivoires antiques ou byzantins a inspiré ces artistes et produit ces curieuses combinaisons.
Naturellement la représentation du Christ par l’ivoire a dû être fréquente, mais il est difficile de dater les crucifix.
Le monde laïque a profité, lui aussi, de ce bel art de l’ivoirerie pour les hanaps, cors de guerre et de chasse (les olifants), coffrets à bijoux, parures et bien d’autres choses encore. Mais nul de ces produits ne peut être assigné avec certitude à l’ère carolingienne.
La renaissance de l’ivoirerie entraîne comme conséquence un commerce avec l’Orient et l’Afrique pour se procurer la matière première.

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La Glyptique. — Une dernière renaissance est à signaler. La glyptique et la sculpture sur intaille avaient disparu depuis de nombreux siècles. Et voici qu’on retrouve à Aix-la-Chapelle une intaille au nom de Lothaire II (855-869). Le même roi a fait exécuter une plaque de cristal de roche encore conservée (au British Museum), retraçant l’histoire de Suzanne et des vieillards ; elle ne comporte pas moins de quarante personnages.
Terre cuite et Stuc. — L’emploi de carreaux de terre cuite ornés de figures en relief est attesté pour la décoration en quelques régions de France, notamment en Poitou. Faits au moule, avec une décoration simple, ils aidaient à dissimuler la nudité d’églises rurales.
Le stuc servait à décorer d’ornements en relief, peut-être même de statues, non seulement les églises pauvres, mais les parties secondaires des sanctuaires riches. Ainsi, à Saint-Riquier, seuls les trois principaux autels pouvaient être vêtus d’or, d’argent, de gemmes ; les autres devaient se contenter de panneaux de stuc, peints, il est vrai, et enrichis de pierreries. Des bas-reliefs en stuc ornent aussi les sarcophages en gypse de personnages même importants, comme des évêques.
Le stuc servait aussi, faute de mosaïque, à dissimuler la nudité des murailles, des arcs, des absides. La facilité du stucage aurait dû, semble-t-il, favoriser l’emploi du plâtre pour multiplier les objets auxquels on voulait donner du relief, d’autant que le moyen de procurer au stuc la rigidité de la pierre, n’était pas inconnu. Mais en Gaule, non seulement les stucateurs n’ont rien fait de comparable aux stucateurs arabes qui, eux, ont usé et abusé de ce procédé, mais ils ont été de loin dépassés par ceux d’une région où la langue et la civilisation latines se poursuivaient au milieu des flots germains et slaves, le pays dit « ladin ». A Cividale en Frioul, l’église est décorée de représentations en stuc de vierges martyres vêtues en impératrices. A Méran (Tyrol), des personnages en stuc se mêlent au feuillage des chapiteaux. A Disentis (Grisons), des figures de stuc peintes atteignaient la grandeur naturelle.

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Sculpture en marbre et en pierre. — On a vu que le travail du marbre n’a pas dépassé le VIIIe siècle, qu’il était concentré dans les régions voisines des Pyrénées d’où ses produits étaient exportés. On a dit aussi les raisons de cet arrêt. Au Xe siècle, même à la fin du IXe, le Roussillon retrouve quelque activité et fabrique des tables d’autel.
La sculpture en pierre nous intéresse bien davantage. Il n’y a pas lieu d’insister sur ceux des monuments (chapiteaux, chancels, tables d’autel, etc...) qui continuent la technique mérovingienne avec sa décoration stylisée en méplat évidé à la pointe et à l’archet, avec ses combinaisons de nattes, entrelacs, rouelles, losanges, spirales, rubans en torsade. Cet art se poursuivra jusqu’au début de l’ère romane. Ce qu’il importe de chercher c’est la représentation du relief par la pierre taillée au ciseau. Or les monuments en sont rarissimes. Nul texte ne parle même de façon claire de travail de la pierre avant un capitulaire de 806. Les quelques témoignages de bas-reliefs à des tombeaux, tel celui d’Hincmar de Reims (mort en 882), sont de date incertaine. Les débris de sculpture de pierre qui nous sont parvenus appartiennent à ces clôtures d’autels et de tombeaux qu’on appelle des chancels. Lors de la restauration de la cathédrale de Reims on a retrouvé sous les dalles du chœur des débris du tombeau de l’archevêque Auberon (mort en 989), dont deux bustes en bas-relief.
Chapiteaux et crucifix témoignent d’une extrême barbarie dans l’exécution. Il semblerait que la taille de la pierre soit un art perdu et qu’on soit revenu aux premières tentatives de l’homme pour sculpter la pierre. Il y a là certainement une illusion produite par la destruction de quantité de monuments, car la sculpture carolingienne constitue forcément le chaînon entre les beaux monuments du VIIe siècle (tels les tombeaux de la crypte de Jouarre) et les premières sculptures de l’art roman. On sait, d’ailleurs, que celles-ci sont très inférieures à l’architecture de cette période. Il faudra descendre jusqu’au XIIIe siècle pour trouver des statues d’une si belle facture que certaines ont pu, quoique exécutées dans un tout autre esprit, soutenir la comparaison avec l’antique et prouver que, traitée par un artiste, la pierre soutient victorieusement la comparaison avec le marbre, le bronze et les métaux précieux.

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Les Etoffes.Les tissus de lin, de laine, de soie, étaient d’un usage indispensable pour la décoration des églises, comme à l’époque mérovingienne. Si les plus précieuses étoffes, parfois tissées d’or et rehaussées de perles, étaient sorties aux jours de fête, d’autres couvraient les murs ou étaient étendues sur les autels et sur les tombeaux des saints d’une manière permanente. Aussi toute église tenait à honneur de posséder le plus grand nombre possible de « pailes » (pallia) et de « courtines » (cortinae). Au IXe siècle, la cathédrale de Clermont en possédait 25, Saint-Wandrille 20, Flavigny 40 et la très riche abbaye de Saint-Riquier jusqu’à 80.
Quelques débris et des descriptions nous apprennent que ces étoffes étaient le plus souvent décorées : on y représentait en couleurs variées des animaux, des oiseaux, des lions, des éléphants, des bêtes fantastiques comme les griffons, témoignage assuré de l’origine iranienne de ces pièces, dont les motifs remontent au moins à l’ère de la Perse sassanide. On peut donc se demander si les tissus décorés n’étaient pas des produits d’importation, étrangers à l’art de la Gaule. Il en a certainement été ainsi comme dans le passé, ce qui implique un commerce avec l’Orient, soit par mer, soit par la vallée du Danube, au moins pour les étoffes de soie et les tapisseries. Mais il n’est pas douteux non plus que les artisans indigènes se sont appliqués à imiter ces tissus étrangers avec leur décoration exotique.
Une anecdote de l’extrême fin du Xe siècle nous montre une équipe d’artisans tissant des étoffes à sujets orientaux pour l’abbaye de Saint-Florent de Saumur. Mais aussi d’autres motifs, plus conformes à leur destination, étaient représentés sur ces tissus. Ainsi, au milieu du IXe siècle, une nappe d’autel, donnée à Saint-Etienne de Lyon, représentait l’Agneau divin. Elle était sans doute l’œuvre de la donatrice elle-même, nommée Berthe. Pour les tissus, la participation à leur confection des femmes, de toutes conditions, dames de haut rang, religieuses, serves, était des plus naturelles.

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La Calligraphie. — L’écriture soignée, la calligraphie, appartient, elle aussi, à l’histoire de l’art. A cet égard, l’aspect de la majeure partie des manuscrits de la fin de l’ère mérovingienne offrait un spectacle affligeant. La matière sur laquelle on écrivait avant la fin du VIIe siècle les contrats et même les actes royaux, le papyrus, poussait à l’emploi d’une cursive, suite des temps romains, surchargée de traits inutiles, de ligatures, séparant mal les mots ou unissant ceux qui devaient être séparés. Par négligence, pour aller plus vite, cette cursive était employée trop souvent pour la transcription des textes profanes, ou même sacrés. L’aspect repoussant de cette écriture, la difficulté qu’elle présente à la lecture la font qualifier, bien à tort, de « mérovingienne », car les spécimens antérieurs à cette époque sont aussi odieux. L’emploi du papyrus cessa à la fin du VIIe siècle en Gaule, soit que le commerce avec l’Egypte qui le produisait eût disparu, soit que la supériorité de la peau d’agneau ou parchemin, usitée également, eût supplanté le papyrus. Malheureusement, à côté de quelques manuscrits où l’on continua à user de lettres en capitales, en capitales dites « rustiques », et en onciales, comme au Bas-Empire, on employa la cursive pour des textes qui réclamaient mieux.
L’introduction dans la Gaule, qui manquait de livres, de textes amenés par les missionnaires irlandais et anglo-saxons pendant la première partie du VIIIe siècle, et aussi les copies exécutées par ces immigrés dans les nombreux monastères de Gaule et de Germanie où ils s’établirent, ne put qu’aggraver le mal. En effet, la minuscule romaine transportée en Irlande et en Grande-Bretagne n’avait pu remédier au mal. Elle avait pris un aspect pointu et s’était chargée d’abréviations.
Le besoin d’une réforme de l’écriture fut ressenti de divers côtés. Ainsi dans le nord de la Gaule, et bien avant le règne de Charlemagne. Au monastère de Corbie, vers 750, ou peu après, on s’efforce de diminuer le nombre des ligatures, mais les abréviations portent toujours la marque anglo-saxonne et l’ensemble continue la cursive dite mérovingienne. L’avenir n’est pas de ce côté. Et pas davantage dans d’autres essais tentés à Saint-Denis, à Saint-Benoît-sur-Loire, à Cambrai, à Reims, à Lyon.
La véritable réforme consista dans la combinaison d’une cursive purifiée, débarrassée d’un excès de ligatures et d’abréviations, avec cette minuscule dérivée de l’onciale qu’on appelle la demi-onciale. Cette réforme ne s’est pas opérée d’un coup, mais par étapes. La première apparaît vers 765 à Corbie même dont l’atelier, le scriptorium, très fourni de scribes, tente presque simultanément des essais dans plusieurs directions. Nouveau progrès dans une Bible en plusieurs volumes exécutée sur l’ordre de l’abbé Maurdran (Maurdramnus) qui régit le monastère de 772 à 780.
Ce n’est pourtant pas à Corbie que la réforme arrive à sa perfection, mais à Saint-Martin de Tours. L’atelier de ce monastère, quoique sensible à l’influence corbéienne, restait cependant sous l’influence archaïque de la vieille cursive, même pendant l’abbatiat d’Alcuin (mort en 804). Mais à la fin de l’abbatiat de son successeur, Fridugise, un Anglais cependant, lui aussi, tout lien avec le passé est rompu. Vers 825 à Corbie également l’évolution est achevée. La caroline a atteint sa perfection. Elle supplante pour l’écriture des manuscrits, sinon pour celle des chartes et diplômes, toutes les vieilles formes attardées du passé. Elle tend à remplacer aux siècles suivants les écritures dites visigothique, lombarde, anglo-saxonne, qui ne sont que des transformations régionales de la minuscule romaine. La caroline commence à s’altérer dès le XIIe siècle : ses pleins un peu trop accentués invitent à les décomposer en traits anguleux, d’où la transformation de la caroline en gothique, pour employer une dénomination inepte, mais « consacrée ». La gothique, à son tour, rebutera par ses excès mêmes ; ses majuscules notamment en arriveront (XVe, XVIe siècle) à n’être qu’une juxtaposition de carrés et de losanges. Mais les humanistes de la Renaissance italienne, obligés d’avoir recours pour leurs études aux copies de l’ère carolingienne, séduits par la facilité de lecture et la beauté de la caroline, la remettront en honneur dans leurs propres copies. La typographie, en Allemagne, en France, dans le reste de l’Europe du Nord, après avoir imprimé en gothique, osera comme en Italie, à Venise notamment, s’inspirer de l’écriture caroline. La caroline supplantera la gothique, sauf en Allemagne où elle persiste partiellement, en Russie et en Grèce. Son triomphe n’est pas terminé. Il lui reste à conquérir les régions où l’on use encore des caractères slavons, arabes, hindous, japonais, etc... Les conquêtes de Charlemagne ont été éphémères. Les conquêtes de l’écriture à qui l’on a donné son nom, produit de l’effort patient de scribes obscurs, se poursuivent toujours.

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L’Enluminure. — Toute véritable réforme artistique est une mise au tombeau du passé proche. Cette vue se vérifie pour la peinture des manuscrits. L’ère mérovingienne finissante ne connaissait quasi plus l’enluminure. Celle-ci se distinguait à peine de la calligraphie, tant la décoration était sommaire. Seules quelques teintes plates faisaient valoir les lettres initiales. Et voici que dans le dernier tiers du VIIIe siècle un art nouveau apparaît, un art nouveau qui veut être un retour à l’Antique. On s’inspire de modèles venus d’Italie ou de Byzance, eux-mêmes influencés par des prototypes de Syrie, pour la décoration des Bibles, Evangiles, Evangéliaires, Apocalypses, Psautiers, Sacramentaires. La caractéristique, c’est le style monumental. Les tables et concordances des livres saints s’inscrivent sur des colonnes et arcades avec emploi d’or et d’argent pour les lettres. Dans l’ornementation l’initiale passe décidément au premier plan. Elle n’a plus les formes contournées et fantastiques des manuscrits irlandais ou anglo-saxons. C’est une initiale romaine, soit en capitale, soit en onciale, exécutée en couleur, occupant parfois toute la hauteur de la page. Cette initiale est ornée d’entrelacs, de rinceaux, de feuillages, d’animaux. Mais le feuillage est traité à l’antique et les animaux que l’art irlandais étirait et contournait tentent de revenir à leurs formes réelles. Enfin la représentation de la forme humaine reparaît dans des tableaux à pleine page où sont représentés les quatre Evangélistes avec leurs symboles, le Christ de majesté, la Crucifixion en tête du canon de la messe, le roi David dans les Psautiers. On trouve même des scènes telles que la Genèse, l’Exode, l’Apocalypse. On donne le portrait des saints protecteurs du sanctuaire, du souverain qui a ordonné l’exécution du manuscrit ou à qui il est offert. Les personnages sont drapés à l’antique, les souverains portent la chlamyde.
Ce serait toutefois une grave erreur que d’imaginer que l’enluminure carolingienne offre un caractère d’uniformité. Loin de là. On distingue des écoles, au nombre de cinq pour le moins, preuve que la réforme n’a nullement été imposée, mais qu’elle représente des recherches régionales quoique tendant dans une même direction.
1° L’Ecole palatine. — La plus ancienne manifestation de la nouvelle enluminure se produit dans le dernier quart du VIIIe siècle dans un recueil des Evangiles dédié à Ada, sœur de Charlemagne. Le fait que le manuscrit a été conservé à Saint-Maximin de Trèves ne préjuge en rien son origine : c’est un cadeau fait à cette église par la princesse. Le fait que le même style se retrouve dans un manuscrit commandé par Charles et la reine Hildegarde à l’enlumineur Godescalc, entre 781 et 782, et dans un psautier commandé à Dagulf par Charles pour être offert au pape Hadrien Ier (mort en 795) donnerait à croire que l’atelier était à la cour ou près des résidences habituelles du roi dans le nord-est de la Gaule. L’ordonnance des manuscrits de ce type est classique. Beau décor architectural, feuilles d’acanthe à l’antique dans les encadrements, évangélistes bien drapés, figure du Christ idéalisée, tout révèle une influence nouvelle. Mais il y a de l’incorrection dans la facture et on ne sait quoi d’encore archaïque, de barbare, dans la somptuosité même.
2° L’Ecole tourangelle. — Dans sa première manière, elle réserve sa décoration aux arcades et colonnes des canons des Evangiles. Ses initiales sont de petites dimensions. Dans sa décoration, elle conserve les bêtes stylisées et les demi-palmettes de l’art irlandais et anglo-saxon, mais elle emploie d’autres motifs venus, on ne sait comment, d’Italie. Le produit le plus célèbre, exécuté à Saint-Martin de Tours, est la Bible offerte à Charles le Chauve, vers 850, par l’abbé laïque de ce monastère, Vivien.
De l’atelier de l’Eglise d’Orléans sont sortis des Bibles et Psautiers où l’évêque Théodulf se vante d’avoir mis la main, au moins pour la couverture. Leur style, comme leur calligraphie et leur orthographe, se ressent de l’origine espagnole de l’évêque. Malgré la finesse de l’exécution ces manuscrits n’ont pas fait école.
3° Au contraire, nombreux sont les manuscrits à peinture de l’école dite franco-saxonne dont les sièges sont à chercher dans les grandes abbayes du Nord : Saint-Vaast d’Arras, Saint-Amand et aussi Saint-Denis. Bien que plus tardive que les précédentes, cette école ne rompt pas avec l’illustration des manuscrits irlandais et anglo-saxons, d’où le nom d’école franco-saxonne que lui ont donné récemment les érudits qui eussent mieux fait de la qualifier franco-insulaire. On y trouve donc dans la décoration des formes géométriques, des contours pointillés à l’intérieur des bandes, des animaux fantastiques. Mais l’encadrement, les belles initiales, souvent traitées en or et en argent, appartiennent à l’art nouveau. Le chef-d’œuvre de cette école est la seconde Bible de Charles le Chauve exécutée à Saint-Denis pour être offerte au roi, terminée par une dédicace d’octobre 870.
4° L’Ecole rémoise. — Les produits des scriptoria rémois (Reims, l’abbaye de Hautvilliers) accusent deux manières ; l’une, la plus ancienne, se rattache à l’école palatine, l’autre, dont le spécimen le plus connu est le Psautier dit d’Utrecht (probablement sorti de Hautvilliers), use d’une ornementation plus simple, d’un décor à la plume. Les spécialistes dans l’étude des manuscrits à peinture voient dans les exécutants des artistes qu’ils qualifient de réalistes.
5° Un style « éclectique » a été réalisé dans un atelier qu’on tend à placer aujourd’hui à Saint-Denis plutôt qu’à Corbie. Après 867, Saint-Denis, directement administré par Charles le Chauve, délaisse le style franco-insulaire et opère une synthèse des styles. On la trouve dans le Psautier décoré par Liuthard pour le roi Charles et la reine Ermentrude (morte en 869), dans son Livre d’heures (conservé à Munich), dans une troisième Bible du roi (à Saint-Paul de Rome), dans un Evangile (passé à Saint-Emmeran de Ratisbonne), exécuté sur son ordre par les deux frères Liuthard et Bérenger, sur un Sacramentaire, en partie conservé, exécuté à Saint-Denis en commémoration de son sacre à Metz, en septembre 869, comme roi de Lotharingie.
6° On est en droit de se demander s’il n’y a pas eu une école de Metz. Le sacramentaire exécuté entre 826 et 855, sur l’ordre de l’évêque Drogon, pour la cathédrale, est d’une telle perfection d’exécution qu’on a peine à croire qu’il soit l’unique produit de ce scriptorium. L’ornement le plus caractéristique de ce sacramentaire est représenté par des miniatures très fines, où l’on reconnaît un art « réaliste », encadrées de rinceaux de feuillages.
Brusquement, après Charles le Chauve, les beaux manuscrits à enluminures disparaissent. La lumière se porte vers les ateliers d’Alemanie, à Saint-Gall, à Reichenau. Elle ne recommencera à briller en France que dans la seconde moitié du XIe siècle. Autre signe de l’affaiblissement de la royauté.

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La musique. — Ce que le Moyen Age, à la suite de l’antiquité, appelle Musica n’a aucun rapport avec ce qui est pour nous la Musique.Ce n’est pas un art, c’est une science mathématique : c’est la connaissance des lois qui régissent la mélodie. A l’expresse condition de rejeter ce qui est bas et vil dans son attrait artistique, elle mérite de faire partie de la philosophie. Telle est l’attitude de saint Augustin dans son énorme traité en six livres de musica où le grand lettré trouve moyen d’être à la fois bavard, diffus, creux et incomplet. Son mépris pour les praticiens de la musique vocale et instrumentale, qu’il se reproche d’aimer, vient aussi de ce que ni lui ni aucun autre aristocrate des lettres ne distingue dans les Arts, les Arts libéraux des Arts mécaniques, de même que l’antiquité n’arrivait pas à distinguer l’artiste de l’artisan.
L’attitude de saint Augustin est adoptée sans changement par la suite. L’héritier du savoir antique au VIe siècle, Boèce, se croit tenu de parler de la Musica dans son traité en cinq livres. Pour lui elle est basée sur le nombre ; c’est une mathématique. Il ne porte nul intérêt à la pratique musicale, même religieuse. Il en allait de même, un peu auparavant, de Martianus Capella dans un passage de ses « Noces de Mercure et de la Philologie ».
A l’époque carolingienne les grands lettrés et professeurs Alcuin, Notker le Bègue à Saint-Gall, Hubaud à Saint-Amand, puis Remy à Auxerre, Odon à Cluny, se gardent bien de s’écarter de la distinction antique entre la musique scientifique, quatrième branche du Quadrivium, et la musique exécutée.
Cependant la notation musicale marque quelque progrès. Deux systèmes avaient été employés, la notation alphabétique, la notation neumatique, la première, d’origine grecque, surtout par les théoriciens de la musique on mettait des lettres sur la caisse de résonance du monocorde servant à l’enseignement élémentaire du chant depuis l’antiquité : c’était une corde tendue sur une caisse oblongue ; un chevalet mobile permettait de diviser la corde pour mesurer les rapports des sons obtenus par son pincement. Un perfectionnement visuel consista à disposer des lettres en hauteur selon l’ascension ou la descente de la mélodie, ce qui amena à tracer des lignes parallèles entre lesquelles on fixa des lettres-sons. On a soin, à l’entrée de la portée, de spécifier le ton, t (totus) pour le ton entier, s (semis) pour le demi-ton.
La notation alphabétique semble s’être perdue de bonne heure en Occident. Isidore de Séville, au VIIe siècle, déclare qu’il n’existe aucun moyen de figurer le chant. Au IXe siècle apparaît en Occident le procédé neumatique, peut-être apporté à la cour pontificale par des chantres grecs. Les neumes-accents consistaient simplement au début en trois signes, l’un pour l’accent aigu, figuré par un signe en forme de virgule renversée au-dessus de la syllabe ascendante, la virga recta, l’autre, l’accent grave, par une barre, la virga jacens ; enfin un gros point représente un son grave, mais bref. Puis d’autres signes spécifiaient deux sons ascendants, deux descendants, trois sons dont celui du milieu supérieur aux deux autres, etc. Ce n’était pas assez. Des signes dits neumes d’ornement (notae liquescentes, repercussae, volubiles) avertissent d’éviter l’hiatus, de faire de brèves appogiatures de bas en haut, de rouler la voix par trois tons.
Grâce à ces signes, on parvenait à noter des finesses, on n’arrivait pas à déterminer rigoureusement l’intervalle entre deux tons et mal la marche de la mélodie. Les regrets d’Hubaud de Saint-Amand montrent que le système neumatique n’avait pas encore franchi le pas décisif à la fin du IXe siècle. Mais cent ans plus tard on avait fait des progrès, puisqu’une chronique du monastère de Corbie prétend qu’on commençait (986) à y chanter d’après des signes placés sur et entre des lignes. Au XIe siècle, Guy d’Arezzo ne fera donc que perfectionner un procédé antérieur imaginé on ne sait par qui.
Ainsi, même en ce domaine si obscur, l’histoire de la musique, l’ère carolingienne vers sa fin, accuse un progrès qu’elle transmet au siècle suivant.
Le dédain des théoriciens pour la pratique ou plutôt pour les praticiens de la musique chantée et instrumentale — alors qu’eux-mêmes étaient sensibles à la musique — n’a eu aucune influence sur le succès et les changements de l’art musical. Et pour la raison péremptoire que le monde antique tout entier adore la musique. Un chant très simple, soutenu par la lyre ou la cithare les jette dans des transports d’enthousiasme. Même de grands personnages, même des empereurs, se font gloire de bien chanter ou de jouer de la cithare. Il se fonde des sociétés de musique, il y a des théâtres de musique, à Rome, bruyants, car on y fait entendre des instruments variés, dont l’orgue hydraulique. Dans le monde barbare, même enthousiasme, chez les Celtes d’Irlande, d’Ecosse, de Grande-Bretagne, chez les Germains, chez les Scandinaves. Le guerrier accompli est bon harpiste. Le roi des Vandales, Gélimer, vaincu, console sa douleur avec une cithare.
Même spectacle dans la Gaule mérovingienne. Ces chants accompagnés de danses indisposent l’Eglise. Les paroles surtout, évidemment lascives, lui font horreur. Elle voudrait substituer à ces chants profanes des poésies pieuses tout en y adaptant les mélodies populaires indéracinables.
En ce temps, la versification latine classique, fondée sur la durée des syllabes, étant devenue incompréhensible, on met en musique une versification nouvelle. Comportant en chaque vers ou en chaque distique un nombre fixe de syllabes, un nombre déterminé de syllabes accentuées, cette versification va avoir une répercussion sur la mélodie.
Ce procédé était né hors du monde romain, en Syrie. Saint Ephrem (306-373) l’avait illustré en langue syriaque. Il a été imité dans le monde romain d’Orient. L’Occident l’a connu, mais ne l’a pas pratiqué. Les vers des hymnes de saint Hilaire de Poitiers et de saint Ambroise de Milan sont retardataires, fondés sur une métrique compliquée et périmée.
En ce qui concerne la partie musicale, il faut descendre jusqu’au pontificat de Grégoire le Grand (mort en 604) pour en avoir une connaissance satisfaisante. Sans entrer dans le détail, signalons deux groupes de chants, l’un, sorte de récitatif, oraisons, leçons, préfaces, tout proche de la psalmodie primitive, empruntée par l’Eglise à la Synagogue ; l’autre, de forme libre, chant fondé sur un texte en prose, ainsi les antiennes de l’office, destiné au chœur et simple jusqu’au IXe siècle, où l’introduction de nouveaux offices le compliquera. Les chants réservés aux solistes sont aussi plus compliqués. Pour les hymnes en vers, la musique achève la déroute de la métrique classique.
Le chant romain sera imposé au clergé du nord des Alpes par Pépin et Charlemagne. Metz sera le centre de la réforme. Son Eglise sera la pépinière des bons chantres de l’Occident.
On commence à entendre parler de la tonalité au IXe siècle seulement. Alcuin, Hubaud de Saint-Amand, le traité anonyme alia musica distinguent 8 tons et cette distinction se poursuivra. Les théoriciens du ton n’ont certainement pas inventé ce système. Ils le tiennent de traités perdus de l’antiquité. Ils le transmettront à Guy d’Arezzo qui cherche à déterminer le caractère de chaque tonalité. On se persuade que chaque ton a une destination propre. Le 1er (ré-ré), grand, noble, convient à l’épopée. Le 2e, triste et plaintif, convient aux prières, les 5e, 7e et 8e à une aimable gaieté ; le 6e est à la fois plaintif et voluptueux ; le 8e, d’allure modérée, doit exprimer la tranquillité de la vieillesse et la sérénité des sages. Il va sans dire que la pratique bouscule ces recommandations. Elles sont d’ailleurs caractéristiques de l’esprit de ces clercs, de leur besoin d’attacher une interprétation à chaque phrase, à chaque vers, à chaque ton. Il leur est impossible d’avoir une vision ou une audition directe de la nature, des plantes, des bêtes, des lettres, de l’art. La folie de l’interprétation, gâte tout. Mais, en cela encore, ils sont les fils de l’antiquité.
Le chant populaire, en partie capté par l’Eglise, s’est-il continué ? Il n’en faut pas douter. On se transmettait par la voix les chansons. Nulle ne nous est parvenue. Mais il est une catégorie musicale et poétique à la fois qui va naître, celle des troubadours, dont on parlera bientôt. On a pu au début du présent siècle, restituer le chant de quelques pièces. Il est difficile et exige pour son exécution un chanteur expérimenté. Ce n’est pas du peuple que peut sortir cette musique, savante dès sa première manifestation. Sa complication s’explique aisément : elle sort de l’Eglise. La noblesse n’a cessé de fréquenter, plus ou moins assidûment, les écoles épiscopales et monastiques. Or, la musique est la seule discipline qui n’y ait jamais chômé, pour une raison évidente, la nécessité d’apprendre le chant pour la messe et les offices, aux prêtres, diacres, moines, et de former des chantres et des enfants dits de « chœur ». Si donc l’Eglise a dû beaucoup pour sa musique an monde laïque, au début, elle lui a largement rendu ses services.
Mille témoignages attestent que seigneurs et dames sont aussi épris de chansons, qu’aux époques antérieures. On se doit de bien chanter. C’est une preuve de belle éducation, de noblesse. On aime aussi à bien jouer de la harpe. Le troubadour, le trouvère, doivent composer aussi bien la musique que les vers de leurs poèmes alambiqués. Parmi eux se trouve plus d’un grand seigneur. La race immortelle des jongleurs, venue du fond des temps, ne se borne pas à faire des tours, à dire des facéties, elle chante ou psalmodie les « chansons de geste » et chante avec ardeur les poèmes lyriques qui vont naître à la vie, ou plutôt à notre connaissance, après une existence comme souterraine.

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o'zingizning asarlaringizni
Iltimos faqat
faqat o'zingizning
steierm rkischen
landesregierung fachabteilung
rkischen landesregierung
hamshira loyihasi
loyihasi mavsum
faolyatining oqibatlari
asosiy adabiyotlar
fakulteti ahborot
ahborot havfsizligi
havfsizligi kafedrasi
fanidan bo’yicha
fakulteti iqtisodiyot
boshqaruv fakulteti
chiqarishda boshqaruv
ishlab chiqarishda
iqtisodiyot fakultet
multiservis tarmoqlari
fanidan asosiy
Uzbek fanidan
mavzulari potok
asosidagi multiservis
'aliyyil a'ziym
billahil 'aliyyil
illaa billahil
quvvata illaa
falah' deganida
Kompyuter savodxonligi
bo’yicha mustaqil
'alal falah'
Hayya 'alal
'alas soloh
Hayya 'alas
mavsum boyicha


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