Ferdinand Lot De l’Institut



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Livres scolaires. — Tout d’abord ils n’ont pas dédaigné d’écrire des livres scolaires, comme nous disons, des grammaires avant tout. Ils ont remis en circulation les antiques traités grammaticaux et commentaires de Donat, et surtout de Priscien, ou les ont refaits. Le compendium du savoir humain est contenu dans le traité des « Sept arts » composé au Ve siècle par Martianus Capella. On le remet en honneur. Cette humble besogne est essentielle et ils s’y donnent.

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Ateliers de copie. – Bibliothèques. — Un problème angoissant, c’est de se procurer des modèles anciens. Ils se font rares, surtout ceux qui traitent de littérature profane. Avec quelle fièvre les réformateurs s’appliquent à se constituer des bibliothèques ! La découverte d’un manuscrit d’un auteur peu répandu est signalée de pays à pays. Le prêt d’un codex est un service apprécié.
Naturellement, on s’empresse de copier ces précieux textes. Innombrables sont maintenant les ateliers de copies (scriptoria) surtout- dans les monastères. Parfois l’amateur ne laisse pas à des scribes le soin de transcrire un texte précieux et s’acquitte lui-même de ce soin. Par ce côté, les gens du IXe siècle annoncent les grands humanistes des XIVe et XVe siècles.
C’est à leur curiosité diligente qu’est due la conservation de la littérature antique. Sans doute si l’on parcourt le catalogue de ces bibliothèques épiscopales et monastiques, si pauvres à nos yeux (200 à 300 volumes pour les mieux garnies ; 415 à Reichenau, selon un inventaire dressé sur l’ordre de Louis le Pieux en 882), on voit que la grande majorité des manuscrits est formée par les Livres Saints, les Livres liturgiques, les écrits des Pères de l’Eglise — comme il est naturel, ces bibliothèques étant destinées à des prêtres et à des moines. Les auteurs profanes dans chacune d’elles sont en très petit nombre. Il n’empêche que sans les copies qui furent exécutées dans ces scriptoria, la littérature latine eût péri tout entière. Il est même des auteurs dont la conservation est comme miraculeuse, car un seul manuscrit nous a transmis leur œuvre, Catulle, Tacite pour l’Agricola et les six premiers livres de ses Annales. Même des œuvres de la littérature chrétienne dues à Lactance, à Minucius Félix, à Arnobe, n’ont survécu, que grâce à une copie des temps carolingiens. Ce qui nous a été transmis par des manuscrits antérieurs est peu de chose et, des temps romains nous ne possédons que d’infimes et rarissimes manuscrits.
Au reste, les ateliers (scriptoria) épiscopaux et monastiques n’avaient pas attendu les réformes de Charlemagne pour se livrer à un travail intense de copies. A la fin de l’ère mérovingienne, la Gaule manquait de livres, même liturgiques. Les missionnaires et moines scots et anglo-saxons en amenèrent d’Irlande et d’Angleterre. On s’en procura aussi dans l’Espagne chrétienne et en Italie. Surtout on se mit à transcrire dans les cloîtres. Ce fut un devoir pénible, mais auquel les religieux se soumirent comme à une œuvre de piété. Tel monastère a sept, huit, dix copistes, tel autre, comme Saint-Martin de Tours, en entretient parfois vingt. De maison à maison, c’est une émulation surtout dans le Nord, car l’Aquitaine, là encore, brille par une carence presque complète, sauf à Saint-Martial de Limoges. Naturellement le débit varie beaucoup et dans un même atelier selon les circonstances. Il y a même des vicissitudes singulières. Saint-Martin de Tours qui se place au premier rang et qui achève de donner la perfection à l’écriture caroline, comme on a vu, produit peu, passé le milieu du IXe siècle, alors que Corbie, Saint-Benoît et, en Alemanie, Saint-Gall et Reichenau se soutiennent ou se développent.
N’eût-elle à son actif que ce grand travail de transcription, la période carolingienne eût bien mérité de la civilisation.

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Théologie et philosophie. — Ce sont des hérésies ou des propositions téméraires nées hors de Gaule, sur la Nature du Christ, la Prédestination, l’Eucharistie, la Procession du Saint-Esprit, le Culte des Images, qui ont suscité en Gaule, pour les réfuter, une abondante littérature théologique. Nul enseignement théologique n’étant distribué, la discussion, de part et d’autre, se borne à enfiler des textes, pris de seconde main, puisés dans les écrits réputés du passé. On collige d’abord chez un auteur ancien réputé, saint Augustin surtout, tous les passages sur une question controversée, puis on multiplie le nombre d’auteurs auxquels on a recours. En somme cette exégèse, fondée sur l’autorité des docteurs du passé, est un recueil de pièces justificatives d’une doctrine. Mais les docteurs du passé ne sont pas toujours d’accord. Comment les concilier ? L’emploi de la dialectique s’impose alors et une scolastique fait son apparition. La nécessité de la polémique peut, chez tel ou tel des controversistes donner de l’âpreté à la controverse, mais le fond n’en demeure pas moins sans originalité aucune. Peut-être faut-il faire une exception pour les traités de Paschase Radbert sur « le corps et le sang du Christ » dont le point de vue, combattu par tous ses contemporains, finira par être celui de l’Eglise.
La seule tête vraiment pensante du siècle est celle de Jean Scot. Cet Irlandais, qui apparaît à la cour de Charles le Chauve vers 845 et dont on ne sait plus rien passé l’année 870, a sur ses contemporains de Gaule un avantage unique : il sait le grec. Seul il est en mesure d’entrer en contact direct avec les sources patristiques de l’Eglise d’Orient. Il a pris part aux controverses théologiques sur la prédestination notamment, ce qui lui a valu d’être houspillé. Il traduit, entre 860 et 862, les œuvres d’un néo-platonicien du Ve siècle, que le monde chrétien attribue à Denys 1’Aréopagite. L’œuvre du pseudo-Denys comprend la Hiérarchie céleste, la Hiérarchie ecclésiastique, la Théologie mystique et dix lettres. Le pape Paul Ier avait déjà envoyé un exemplaire des œuvres du pseudo-Denys à Pépin le Bref vers 758. L’empereur Michel le Bègue adressa à Louis le Pieux en 827, un autre exemplaire qui, le 8 octobre, entra dans la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Denis, dirigée alors par l’abbé Hilduin. C’est lui, très probablement, qui avait fait solliciter l’envoi de Constantinople en France du Corpus Dionysianum avec une arrière-pensée : identifier l’Aréopagite avec le premier évêque de Paris, Denys. Hilduin se mit en devoir de traduire le corpus d’après le manuscrit qui nous a été conservé (no 437 à la Bibi. Nat., in-4° de 216 feuillets en onciale). Il se fit traduire mot à mot par quelque moine de Saint-Denis d’origine grecque le texte du Pseudo-Denys, sans se préoccuper du sens général de chaque phrase. Il aboutit ainsi à une traduction illisible. Jean Scot reprit la tâche sur le même manuscrit et réussit mieux, bien qu’il accorde encore trop au système de la traduction littérale. Il dédia sa traduction à Charles le Chauve.
Le Pseudo-Denys fut une des sources d’inspiration du traité, terminé en 866, qui devait assurer sa renommée, De la division de la Nature, œuvre admirée jusqu’au XIIIe siècle, et qui devait fournir le vocabulaire de la langue philosophique jusqu’à ce siècle. Son esprit a souvent été méconnu. On y a vu une manifestation de ce panthéisme que 1’Eglise a toujours redouté, et c’est ce qui explique que le pape Honorius III, effrayé du succès d’Amaury le Beyne, partisan de cette doctrine, ait condamné, par ricochet, le De divisione naturae. Par la suite, Jean Scot a été exalté par des historiens de la philosophie qui ont fait de lui le premier en date des libres penseurs, ce qui est une absurde bévue. C’est de nos jours seulement que des études plus sérieuses ont montré que le De Divisione naturae est une synthèse théologique partant des données de la foi et les systématisant selon un schéma qui est emprunté en grande partie au néo-platonisme.
La forme de l’exposé est celle d’un dialogue entre le Maître et le Disciple, comme dans le Timée de Platon. « C’est bien au croyant que Jean s’adresse ; c’est en croyant qu’il traite sa matière et voici comment : l’Ecriture, l’enseignement ecclésiastique fournissent sur l’ensemble des choses, de leur origine, de leur destinée, de leur devenir, un certain nombre de données auxquelles il faut absolument se tenir. Ces données, le croyant les admet sans discussion ; au penseur de les organiser. Empruntant son schéma général à la philosophie néo-platonicienne, qui avait si profondément imprégné quelques-uns des esprits auxquels il fait le plus de confiance, Augustin, Grégoire de Nysse, Pseudo-Denys, Maxime le Confesseur (dont il traduit en latin les Ambigua), notre théologien va présenter aux méditations du penseur chrétien le mouvement général, qui, partant de Dieu, fait venir à l’être l’ensemble de l’univers, puis le fait revenir à Celui qui en est la source. Ainsi se réalisera le mot de saint Paul ut sis Deus omnia in omnibus. Telle est l’idée maîtresse d’une œuvre où l’appareil dialectique et parfois, il faut le dire, l’inattendu de certaines formules, ont pu donner le change sur la pensée véritable de l’auteur. Au sommet des choses Dieu en sa parfaite unité, nature incréée et créante ; puis la création commençant par la production —éternelle comme Dieu — des idées, exemplaires et forme de tout ce qui viendra à l’existence : nature créée et créante. Vient ensuite la réalisation de ces idées, où il n’est pas difficile de retrouver l’influence platonicienne et surtout plotinisante, et c’est donc une description de la nature tout entière, théophanie, manifestation de Dieu, une étude surtout de l’homme, microcosme où convergent le corporel et le spirituel : nature créée et non créante. Mais tout ce créé revient finalement à Dieu par la médiation du Christ, et c’est la consommation finale, après laquelle règne seule la nature qui ne crée ni n’est créée, Dieu seul en qui tout est revenu, non par absorption en son être. — rien ne paraît plus étranger à la pensée de Scot que le panthéisme, — mais par la contemplation et l’amour, exception faite d’ailleurs pour les créatures intelligentes qui se sont volontairement exclues de cette fin.
« Idée grandiose, malheureusement réalisée par des moyens qui n’étaient pas parfaitement adéquats. Malgré les efforts visibles de l’auteur pour serrer son exposé, la composition est encore loin d’être parfaite : trop de digressions, de récurrences, de répétitions ; beaucoup d’inhabilité encore à dominer l’érudition considérable qui est mise en œuvre ; une confiance en soi un peu naïve, l’illusion aussi que des formules toutes faites — nous pensons surtout à la via affirmationis et à la via negationis — fournissent à coup sûr et en toute hypothèse des solutions. Tout cela explique les contresens puissants qui ont été faits sur le De Divisione naturae depuis le jour où l’on a commencé à l’étudier jusqu’à notre époque. Mais tout cela ne peut pas, ne doit pas faire oublier le mérite d’une œuvre vraiment unique dans toute la littérature médiévale 1. »
Jean Scot est un isolé. Les sources de sa culture demeurent inconnues. Il est en dehors de son temps. Il méprise ses contemporains qui, incapables de penser par eux-mêmes, se bornent à enfiler des citations. Sa fin est aussi mystérieuse que sa naissance, car, bien qu’il n’ait cessé de le consulter, le roi Charles, son protecteur, ne lui a conféré ni évêché, ni abbaye et cela aussi est une énigme.

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Le Droit. — Le droit canonique ne compte qu’une œuvre, mais c’est une œuvre maîtresse, un faux magistral qui a trompé l’Eglise pendant six à sept siècles, le recueil des Décrétales et des actes conciliaires mis en circulation vers 852 sous le nom d’Isidore Mercator. On a parlé plus haut de cet énorme travail. Il n’y a pas lieu d’y revenir. Observons seulement que, en ce domaine aussi l’esprit de compilation du temps se manifeste plus que l’esprit d’invention : les fausses décrétales des papes des six premiers siècles sont calquées pour le style sur les décrétales authentiques des siècles subséquents.

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L’Historiographie. — Le genre historique proprement dit était oublié depuis un grand nombre de siècles, à dire vrai depuis Tacite. On lui préférait le genre biographique qui entre dans quelques détails intimes, flatte la curiosité et a l’avantage de ne pas fatiguer l’intelligence du lecteur. Suétone dans ses vies des Césars a satisfait le public. L’auteur ou les auteurs de la louche Histoire Auguste, qui a la prétention de nous retracer la vie des empereurs de la fin du IIe à la fin du IIIe siècle, est insipide. On assiste dans la seconde moitié du IVe siècle à une tentative de reprise du genre historique avec Ammien Marcellin. Mais cette œuvre, au reste assez médiocre, est demeurée à l’ombre et peu s’en fallut qu’elle ne disparût entièrement. Elle s’arrête à l’année 378. Passé cette date, rien ne nous est parvenu jusqu’à l’Histoire ecclésiastique des Francs de Grégoire de Tours. Nul n’a malheureusement tenté d’imiter sa manière. On préféra l’Abrégé qu’en fit vers 660, le soi-disant Frédégaire, qui lui donne une maigre continuation en style barbare. C’est cette œuvre si pauvre que les Carolingiens entendirent poursuivre. Hildebrand, frère de Charles Martel, et son fils Nivelon (Nibelung) la continuèrent jusqu’à 768. Puis ce genre s’arrête et la suite des événements ne nous est plus connue que par une série d’Annales.
Sous ce nom on entend d’abord l’ensemble des consignations succinctes et espacées, relatant un événement qui a paru intéressant à un religieux qui le porte en marge du cycle de 532 ans, calendrier que possède tout établissement ecclésiastique. Mais aussi et surtout on désigne ainsi un journal dont le teneur consigne, an par an, au fur et à mesure que la connaissance lui en parvient, les événements d’ordre religieux, politique, militaire, les phénomènes célestes, etc... qui méritent d’être transmis. Un journal de cet ordre a été tenu dans nombre de monastères ou d’évêchés, mais il est certain que le plus complet et le plus intéressant a été rédigé à la cour même, par un clerc de la chapelle palatine. Ces annales s’arrêtent à l’année 829, au moment où l’Empire se déchire. Nul clerc de la chapelle n’ayant osé prendre parti, soit pour Louis le Pieux, soit pour ses fils, l’œuvre s’est arrêtée, du moins au « palais ». Elle a été reprise de deux côtés. En France orientale, dans la grande abbaye de Fulda où l’écho du siècle parvenait aisément : ses auteurs, tout dévoués à Louis le Germanique et à ses fils, poursuivent jusqu’à 887. Dans la France occidentale un inconnu a repris jusqu’à l’année 835, puis l’évêque de Troyes, Prudence, a continué jusqu’à 861. La rédaction du journal passe alors à Hincmar, archevêque de Reims, qui le poursuit jusqu’à la veille de sa mort (882). La plus ancienne copie ayant été retrouvée au monastère de Saint-Bertin, on a pris l’habitude d’appeler l’ensemble allant de 830 à 882, Annales de Saint-Bertin, habitude fâcheuse qui donne le change, puisque ces annales sont l’œuvre de trois auteurs étrangers à ce monastère.
Hincmar les écrivait ou les dictait en son palais épiscopal de Reims. Sous la plume de ce personnage orgueilleux, passionné, vindicatif, très « grand prélat », le caractère du journal annalistique change. Prudence est bref, sec, terne, impersonnel. Hincmar apprécie les hommes et les événements et sans bienveillance, surtout lorsqu’il se persuade que l’intérêt de l’Eglise en général, de celle de Reims en particulier, est menacé. Le roi est loué ou critiqué selon les périodes de faveur ou de disgrâce où il tient l’auteur. On a dit (p. 473) le danger qu’il y a à utiliser en pleine confiance des annales aussi passionnées.
Le genre de l’annale est cependant infiniment utile pour l’histoire de ces temps. Il en est, à vrai dire, le fondement. Un inconnu nous donnera, à la fin du IXe siècle, notamment sur les invasions normandes, de précieux renseignements. Il écrit à Saint-Vast d’Arras.Pour le Xe siècle que saurions-nous sans les annales de l’honnête prêtre rémois Flodoard ? Il meurt en 966. Le genre de l’annale-journal s’arrête en France, on ne sait pourquoi.
Quant à la France du Midi, elle ne le connaît plus, passé 818, date où s’arrête ce qu’on appelle la Chronique de Moissac. Aussi l’histoire du Midi nous demeure-t-elle comme inconnue dès cette époque. Même celle du Nord souffre cruellement de l’arrêt du genre après Flodoard — et c’est ce qui explique que les règnes des premiers Capétiens soient si mal connus.
Il semble, pour nous consoler, que le genre de l’« Histoire » proprement dite, va renaître. Un petit-fils de Charlemagne, né de sa fille Berthe et d’Angilbert, Nithard, entreprend, à la requête de son jeune cousin, Charles, de tracer le récit des luttes fratricides qui s’engagent sous et après le règne de Louis le Pieux. Il y participe lui-même et son ouvrage intitulé Quatre livres d’histoire est aussi un journal de campagnes. Après une brève et pénétrante introduction sur le règne de l’empereur Louis, il retrace les événements jusqu’au 20 mars 843. Sa mort, survenue au service du jeune Charles, l’année suivante, nous prive malheureusement de la suite. Nithard, quoique abbé de Saint-Riquier, est un laïque. Il est cultivé, mais pas autant que les clercs et c’est tant mieux, il n’a pas leurs défauts : il écrit simplement. C’est le seul homme qui manifeste, discrètement, l’intelligence de ce qu’est l’histoire, sans entrer cependant dans des considérations générales qui ne sont pas de ces temps. Son cas nous fait regretter que les laïques n’aient pas écrit plus souvent. Vainement chercherait-on un autre exemple de ce genre dans le haut moyen âge. L’ouvre de Nithard est, du reste, demeurée comme inconnue. Nous n’en avons qu’un seul manuscrit, copie du Xe siècle. Il y a lieu de croire que l’original était resté entre les mains de Charles le Chauve, puis de ses descendants qui le gardèrent dans leurs archives de famille.

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La Biographie. — Le chef-d’œuvre du genre biographique est dû également à un laïque, Eginhard. C’est un Franc de Hesse. L’abbé de Fulda, Baugulf, l’envoie à la cour (vers 791). Il y acquiert la réputation d’un maître. Au moment où il prend sa retraite à Saint-Martin de Tours, Alcuin le recommande à Charlemagne pour diriger ses études littéraires et mathématiques. La considération dont il jouit auprès du maître se manifeste d’une manière éclatante en 806 : c’est lui que Charlemagne désigne pour porter au pape Léon III, le double du texte du partage de l’Empire. En 813, les grands, inquiets du sort de l’Empire et conscients de la fin prochaine de l’empereur, chargent Eginhard de l’amener à l’idée d’associer son fils à l’Empire de son vivant. La considération dont il jouit aussi sous le règne de Louis le Pieux, se manifeste par l’octroi du temporel, de l’abbatia de cinq ou six monastères bien qu’il soit laïque et marié. Précepteur de Lothaire, il se garde de se compromettre dans les affreuses querelles du père et du fils. Il se retire dans le monastère qu’il a fondé à Seligenstadt, et meurt en 840. Sa carrière prédisposait donc admirablement Eginhard à écrire son chef-d’œuvre, La Vie de Charlemagne (Vita Caroli). Mais il s’y est pris tard, quinze à vingt ans après la mort de son héros. Pour les événements politiques et militaires, conscient que, à distance, sa mémoire serait en défaut, il a eu l’idée louable d’avoir recours à un appui chronologique, celui des Annales royales. Malheureusement, il a commis des erreurs en s’en inspirant, ou plutôt a déformé les faits en les concentrant pour obéir aux lois du genre, qui considère la concision comme une élégance. Mais là n’est pas l’intérêt de l’œuvre d’Eginhard. Il réside pour nous, dans ce qu’il nous dit de la personnalité de Charlemagne, de ses goûts, de sa politique, de sa vie journalière. Même sur ce terrain, la valeur de la Vita Caroli a été attaquée. Il y a longtemps qu’on s’est aperçu qu’Eginhard imitait Suétone, notamment la Vie d’Auguste. L’écrivain franc emprunte au biographe latin des expressions textuelles. Alors, quand nous croyons avoir un portrait de Charles, n’avons-nous pas celui d’Auguste, camouflé en empereur franc ? Pas nécessairement. Eginhard se croit autorisé à reproduire tels quels, les traits de caractère, les usages où son héros rencontre le Romain, mais il suffit de confronter les deux biographies pour se rendre compte que le climat où vivent les deux grands hommes est différent. Au fond Eginhard, comme tous les gens de ces temps, même les plus instruits, était incapable de comprendre, de sentir le monde antique. On a dit plus haut qu’il ne pouvait se représenter Auguste que sous l’aspect de Charlemagne.
Très admirée, très répandue, la Vita Caroli n’a pas eu d’imitations dignes d’elle. Louis le Pieux a bien été l’objet de deux biographies, mais fort médiocres, l’une due à un inconnu qu’on désigne par le surnom d’Astronome parce qu’il s’intéresse particulièrement aux phénomènes astronomiques et météorologiques, l’autre à Thégan, chorévêque de Trèves. Ces deux biographies, la dernière surtout, ont un caractère plutôt apologétique.
Le faible empereur était, par contre, l’objet de très vives critiques de la part du haut clergé qui ne le voyait pas sans appréhension, porter atteinte à l’unité de l’Empire. Agobard, évêque métropolitain de Lyon, est sans pitié pour Louis. Il donne raison aux fils révoltés contre un père mal entouré, dont les partages perpétuels de l’Empire obligent les fidèles à prêter des serments réitérés, contradictoires, dangereux pour leur âme. Paschase Radbert, abbé de Corbie, sous prétexte de faire l’éloge et de présenter la justification de son maître et prédécesseur, Wala, abbé de Corbie, mort en 836, dirige un pamphlet virulent contre l’impératrice Judith et Bernard de Septimanie. Bien qu’il n’ait osé faire paraître sa diatribe qu’après la mort de l’impératrice (841), il juge prudent de désigner les personnages sous des pseudonymes : Justinien est Louis le Pieux, Justine Judith, Honorius Lothaire, Melanius Pépin d’Aquitaine, Gratien Louis le Germanique. Si Bernard d’Aquitaine est dit Naso, c’est pour le rapprocher d’Ovide (Ovidius Naso), amant de Julie, fille d’Auguste. Et si Wala est dit Arsenius (d’où Epitaphium Arsenii, titre de l’ouvrage), c’est par un rapprochement avec le diacre de ce nom, précepteur d’Arcadius, lequel fut victime de l’ingratitude de l’empereur de ce nom, au Ve siècle.
Il est regrettable que nulle biographie n’ait été consacrée aux fils de Louis le Pieux, et pas davantage aux rois successifs de la France jusqu’à celle que donnera Suger sur Louis VI, au XIIe siècle, à l’exception de quelques pages d’Helgaud sur Robert II, de valeur presque nulle. Les motifs de cette carence nous échappent. Le profit d’un opuscule de ce genre aurait dû inciter à l’entreprendre. Peut-être les clercs de ces âges ont-ils été stérilisés par la perfection de la Vita Caroli d’Eginhard, qui leur a semblé inégalable, ou l’absence chez Suétone, d’un personnage rappelant les souverains de leur temps, d’où l’impossibilité de trouver un magasin d’expressions toutes faites.
Dans le genre historique, rentrent les Chroniques universelles qui ont la prétention de raconter l’histoire du monde depuis la Création. Ce type n’est plus usité, à deux exceptions près. Fréculf, évêque de Lisieux, rédige une chronique en deux livres arrêtée en 607, sans la moindre valeur (le fond est emprunté à Orose) et l’offre, vers 829, à l’impératrice Judith, « la plus belle des reines, sans flatterie », pour l’instruction de son jeune fils, le futur Charles le Chauve, dont il vante le physique, la bonne conduite, un goût de l’étude au-dessus de son âge (il peut avoir six ans). Adson, archevêque de Vienne, pousse son abrégé en six livres (Breviarium chronicorum) jusqu’à 869. Il va sans dire que son œuvre n’a quelque valeur originale que pour les dernières années. Le seul intérêt de ces productions, c’est d’être des sortes de manuels d’histoire, d’histoire de l’Eglise avant tout.
A défaut d’histoire régionale, à défaut de biographies des souverains, on a, du moins, un genre nouveau, l’histoire d’un évêché ou d’un monastère. On adopte comme plan, le Liber pontificalis, histoire de l’Eglise romaine sous forme de biographies de souverains pontifes, rédigées au lendemain de leur mort. Outre les faits religieux ou politiques du pontificat, on a soin de signaler les fondations ou réfections d’édifices religieux, l’enrichissement du trésor épiscopal, le nombre des consécrations épiscopales et presbytérales opérées par le défunt. On tentera, pour les histoires d’évêchés surtout, d’imiter ce modèle révéré.
C’est le Lombard Paul Diacre qui, au cours de son séjour en France, inaugure le genre dans ses Gestes des évêques de Metz (vers 784) sous une double forme, en prose et en vers. Vers 835, Aldric, ancien écolâtre à Metz, est récompensé de sa fidélité à l’empereur, par le don de l’évêché du Mans. Il fait composer les Actes des évêques manceaux, auxquels s’ajouteront les Gestes d’Aldric lui-même. Vers le milieu du siècle, on écrira les Gestes des abbés de Fontenelle (Saint-Wandrille). En Italie, Agnelli (mort vers 854) avait déjà eu la même idée et l’avait exécutée d’une façon supérieure pour Ravenne.
Ce genre ne se perdra plus. Il est précieux historiquement, notamment parce que les auteurs ont recours à des pièces d’archives qu’ils transcrivent ou analysent, pièces disparues depuis lors. Il est vrai que la critique en doit être attentive ; il peut se glisser chez ces « gestes », des textes douteux ou même vraiment falsifiés. Néanmoins, il est regrettable que dans l’ensemble, les évêchés et les abbayes de première importance n’aient pas cru devoir composer leur histoire. Nous aurions là une documentation incomparable. Il est vrai que les pillages et incendies ont pu en faire disparaître bon nombre.

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