Ferdinand Lot De l’Institut


Vies de Saints et de Saintes



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Vies de Saints et de Saintes. — On comprend qu’on s’applique à glorifier des saints et des saintes en versifiant leurs Vitae. Mulon de Saint-Riquier versifie la Vie de saint Amand, Heiric d’Auxerre la Vie de saint Germain, Hubaud (Hucbaldus) celle de saint Amand, celle de Rictrude, fondatrice de l’abbaye de Marchiennes. Ces poèmes sont dédiés à Charles le Chauve, qui semble avoir eu du goût pour ce genre.

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Autres genres : Épithaphes, écrits de fantaisie, énigmes, acrostiches etc... — L’Épitaphe tient une place considérable.Tous les souverains, les reines, leurs enfants, les hauts personnages de l’Eglise, les grands du siècle ont une épitaphe soignée, c’est-à-dire prétentieuse et mensongère.
Bien des circonstances de la vie prêtent à une petite composition, puisque le vers semble rendre le mieux le sentiment.
On se permet des récréations : Hubaud de Saint-Amand compose l’Eloge de la calvitie (Ecloga de Calvis) et l’adresse — naturellement — à Charles le Chauve. Milon de Saint-Riquier entreprend, à l’invitation de l’Anglo-Saxon Aldhelm, un traité De la sobriété qu’il voulait présenter à Charles le Chauve, empereur (875-877) et qu’il ne put achever.
Un genre apprécié est celui de l’Énigme. Les lettrés anglo-saxons s’y étaient adonnés avec passion, prenant comme modèle le Liber epigrammatum du rhéteur Symphosius (Ve siècle). Ce genre épigrammatique fut introduit en Gaule par les Anglais Boniface et Alcuin.
Malheureusement, il est aussi un genre qui, considéré comme un tour de force incomparable, celui des Carmina figurata, jouit de l’admiration. Il s’agit d’une complication de l’acrostiche. La variété abécédaire, qui consiste à disposer dans leur ordre, les lettres de l’alphabet, comme première lettre de chaque vers ou de chaque strophe, avait été pratiquée même par un saint Augustin dans son psaume abécédaire : il y voyait un procédé mnémotechnique pour retenir sa réfutation du schisme donatiste.
A l’acrostiche, on peut joindre le téléstiche où les lettres finales lues de haut en bas, forment une phrase également. Le mésostiche applique le même procédé aux lettres du milieu. Mieux encore on peut lire de bas en haut : ou diagonalement, etc. L’Irlandais Joseph (mort en 795) adresse à Charlemagne, quatre poèmes pieux de cette facture. Alcuin s’était contenté de pratiquer l’acrostiche. Son disciple, Raban Maur, envoie à Louis le Pieux, en 831, un poème Louange de la Sainte Croix, qui n’a d’autre originalité que ses acrostiches et téléstiches. Il en est si content qu’il le renvoie en 833 à l’empereur Louis, emprisonné à Saint-Médard de Soissons, sans doute pour charmer sa captivité. Un autre traité, courageux vu les circonstances, De la révérence due aux pères et rois, lui fait honneur. Théodulf sacrifie à cette mode. De même Hincmar dans son Ferculum Salomonis. Milon se surpasse : en tête de sa Vie de saint Amand, en 1.818 hexamètres, il place une dédicace de 37 hexamètres, La combinaison de acrostiche, mésostiche, téléstiche et l’emploi de caractères plus grands permettent de figurer un carré avec une croix inscrite !

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Versification et poésie. — Evidemment, nous sommes hors de la littérature. Lettres et mots jonglent entre les mains du bateleur qui se croit poète et grand poète. Cette aberration du goût donne à penser. Ces lettrés sentaient-ils vraiment le latin ? La langue classique artificiellement restaurée ne représentait-elle pas pour eux la possibilité de se livrer, après une initiation difficile, à une sorte de jeu de charades ? C’est à craindre. Mais cette aberration du goût n’est pas seulement le fait de nos lettrés carolingiens. Elle existait très antérieurement, s’il est vrai que l’empereur Constantin fit grâce à un certain Porfyre Optatien, lointain précurseur de Théodulf et de Milon, qui lui avait adressé une supplique où l’on pouvait lire des phrases non seulement avec les premières et dernières lettres de chaque vers, mais en diagonale, en treillis, etc. Il ne faut jamais oublier que chaque fois que les lettrés du Moyen Age commettent une faute de goût, elle est un héritage de l’antiquité.
Ceux-là mêmes qui sont capables de se plaire à la composition, au style, à l’harmonie des vers classiques ont-ils vraiment le sentiment de ce que nous appelons « poésie » aujourd’hui ? Non, à coup sûr. La poésie, pour eux, c’est la versification, et l’on est d’autant meilleur poète, qu’on use d’une métrique plus compliquée. Mais bientôt va se développer une poésie fondée sur un principe nouveau, celui du rythme accentuel, qui va libérer une inspiration que la métrique artificielle, morte, de la quantité, enveloppait du suaire du passé.

Les derniers temps de la renaissance carolingienne dans les lettres
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État de l’Europe. — Le Xe siècle a mauvaise réputation et ce n’est pas d’aujourd’hui. Au XVe siècle, l’humaniste Lorenzo Valla, celui qui découvrit la supercherie de la Donation de Rome à Silvestre Ier par Constantin, au XVIIe siècle le cardinal Baronius en parlent comme d’un siècle de ténèbres, siècle « de fer et de plomb ». Le IXe, avec les épouvantables dévastations normandes et la dislocation de l’Empire était-il donc meilleur ?
En ce qui concerne la civilisation et la politique, cette condamnation est irrecevable. La France achève de prendre conscience d’elle-même et se donne une nouvelle dynastie.
En 911, au cœur de l’Europe, il se forme une nation nouvelle, l’Allemagne.Son souverain, en 962, rétablit l’Empire chrétien et donne l’impression qu’il est gouverné par un nouveau Charlemagne en la personne d’Otton Ier. L’Angleterre secoue le joug des Danois et des Norvégiens et offre l’apparence d’une nation unifiée. Jamais le khalifat de Cordoue ne se montre aussi fastueux et aussi puissant.
La reprise du courant d’affaires avec l’Orient se manifeste en Italie, grâce surtout aux négociants de ses ports, Venise, Amalfi, Pise, Gênes. Même en France, aux Pays-Bas, en Allemagne, des symptômes annoncent qu’il naît ou va naître une vie urbaine nouvelle. A l’autre bout de l’Europe, les princes russes se slavisent et se christianisent : il naît un grand peuple, la Russie.
Tout cela peut nous consoler des fautes de latin qui motivaient la sévère condamnation des humanistes, fanatiques bornés qui méprisaient en bloc les temps où l’on n’usait pas, ou mal, de la langue cicéronienne.
Même sur le terrain simplement littéraire le Xe siècle ne mérite pas cet excès de rigueur. Sa production, il est vrai, est infiniment moins abondante, — pas même le quart du IXe, — mais aucun genre n’est délassé. Plus rares, les foyers de culture persistent, quelques-uns renommés. Il y a rétrécissement de leur portée, non extinction.
Nul rapprochement à opérer entre le Xe siècle et la période d’infécondité de la fin de l’ère mérovingienne, pas plus qu’il n’y a à rapprocher les derniers Carolingiens, si actifs, des rois fainéants.
Cependant un problème se pose devant nous. Quelle est la raison de cette diminution de la production littéraire plus surprenante encore qu’on ne pense, car, si pénible que fût la situation des établissements ecclésiastiques, elle l’était beaucoup moins qu’au siècle précédent. L’apogée littéraire se place au moment même où les Normands se répandent partout, pillant, incendiant, massacrant.
Tout de suite, une réponse vient à l’esprit : la dissolution de l’Empire carolingien, l’émiettement du territoire en principautés. Mauvaise explication ! C’est précisément la multiplicité des principautés qui, en Italie et en Allemagne, en France aussi, favorisera plus tard l’existence de centres littéraires ou artistiques, passagers ou permanents.
Quant à incriminer les rois du Xe siècle pour leur indifférence, c’est oublier que partout, surtout en France, ils sont pauvres. On ne pratique pas le mécénat quand, ayant presque tout distribué en « bénéfice », il vous reste quelques domaines ruraux à peine suffisants pour vous entretenir, vous, votre famille et une modeste cour. Au reste, les souverains du IXe siècle étaient-ils tous gens à attirer autour d’eux les meilleurs lettrés de leur temps. En dehors de Charlemagne et de Charles le Chauve, il n’apparaît pas. Même Louis le Pieux est indifférent à tout ce qui n’est pas strictement piété. Il laisse tomber même l’académie palatine dont Eginhard et Walahfrid déplorent déjà la décadence. Lothaire et ses fils font comme mécènes triste figure auprès de Charles le Chauve. De même Louis le Germanique et sa descendance. Otton Ier reprendra la tradition des meilleurs temps, mais les savants sont fort rares autour de lui.
Tout compte fait, il semble que les ducs et comtes, maîtres de principautés territoriales étendues, n’aient pas eu encore le désir de se constituer une cour littéraire, ainsi qu’ils feront plus tard. Les Robertiens, puis leurs descendants, les Capétiens, sont à peu près étrangers aux arts ou aux lettres. Le fondateur, Hugues Capet, ne sait même pas le latin. Il est vrai que certains, tels Robert II, Louis VI, Louis VII, Louis IX et d’autres reçoivent une bonne instruction sous un maître renommé. Mais elle ne leur donne ni les moyens, ni le goût de pratiquer le mécénat. S’ils protègent un écrit, par hasard, c’est dans un dessein de propagande politique, surtout pour leur profit personnel, tel Charles V. Les rois de France sont étonnamment rebelles à ce que nous appelons arts et lettres, cela à travers les siècles, jusqu’à la fin, à l’exception de François Ier à qui l’on peut accorder un goût sincère pour les belles choses, et aussi de Louis XIV, affreusement ignorant, mais qui se donnera le rôle du mécène, par devoir, et pour sa gloire, plutôt que pour satisfaire à une passion véritable pour le beau.
Il a dû se produire du découragement chez les lettrés. Un indice probant, c’est qu’un homme comme Gerbert ne trouve pas de longtemps à faire son chemin en France et gagne la cour d’Otton II. Le même phénomène d’appauvrissement des centres et de diminution numérique des lettrés se retrouve, du reste, partout, en Lotharingie, en Provence, en Allemagne, en Italie. Même dans la période ottonienne, la floraison de l’Allemagne ne saurait se comparer à celle du siècle précédent.
Quant à l’Aquitaine et au Toulousain, le bilan se solde par zéro comme antérieurement. Les clercs de cette grande région n’ont pas éprouvé le besoin même de consigner simplement les échos des événements, proches ou lointains. Contraste saisissant entre le présent et le passé ! Au Ve siècle cette région était le refuge des lettres expirantes. Maintenant le Midi est un pays plongé dans l’obscurité et la barbarie. C’est qu’il était trop loin pour être pénétré du mouvement réformiste. Constatation décisive en faveur du rôle d’initiateur et de soutien des premiers Carolingiens dans la rénovation intellectuelle.
L’indication de quelques centres, de quelques noms, de quelques œuvres suffira pour montrer que le Xe siècle continue en raccourci, le précédent.

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Ce qu’on enseignait. — Les centres d’enseignement étaient certainement nombreux. Tout évêque, tout abbé, toute abbesse était tenu d’entretenir une école, quelquefois deux, une pour les oblats, une pour les enfants venant du dehors. Mais cet enseignement était d’ordre primaire : lecture, écriture, chant des psaumes. On ne montait plus haut que lorsqu’on trouvait un maître, un écolâtre (scholasticus) capable d’enseigner le trivium et le quadrivium. Encore l’ensemble de ces connaissances, constituant l’encyclopédie du savoir humain, se rencontrait-il très rarement chez le même maître. La plupart ne possédaient que le trivium (grammaire, rhétorique, logique) ou même simplement la grammaire. L’écolier, qui se confond avec l’étudiant, comme aux temps romains, désireux de se perfectionner est obligé d’aller d’école en école. La théologie, qui sera la gloire des futures universités, n’est pas enseignée, et pas davantage la philosophie, qui lui est alors consubstantielle. Le droit, comme sous l’Empire, ne l’est pas davantage et n’a pas besoin de l’être, puisqu’il se confond avec la « coutume » dont les tribunaux échevinaux, puis féodaux, conservent la tradition. La médecine non plus ne fait pas partie du programme, pas plus que sous l’Empire romain. Il est possible qu’on s’adresse encore à des médecins juifs, comme au siècle précédent. Cependant dans quelques monastères on donne un enseignement fondé sur la traduction des écrits des anciens médecins grecs.

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La versification rythmique. — Il serait fastidieux de passer en revue tous les genres cultivés en ce siècle. Ce qu’il offre de plus intéressant en poésie c’est le développement de la versification rythmique.
On a dit que, dès le IIIe siècle, la distinction des longues et des brèves avait cessé d’être perçue par l’oreille. Les longues tendaient à un son fermé, les brèves à un son ouvert. Autrement dit, à la durée se substituait le timbre. Mais le timbre ne peut soutenir une rythmique.
Cette transformation laisse alors le champ libre à un élément du mot latin dont jusqu’alors il n’y avait pas lieu de tenir compte en poésie, puisque les vers étaient chantés, tout au moins psalmodiés, c’est l’accent, la montée de la voix sur une syllabe dans tout mot composé de deux syllabes et davantage. Cet accent était-il d’ordre musical dans le passé, autrement dit la syllabe accentuée était-elle chantée sur une note plus élevée que les autres, ou d’ordre intensif, c’est-à-dire était-elle criée plus fort, c’est là un problème dont on dispute, mais, au fond, secondaire. Chantée ou criée, une syllabe dominait le mot. Par un jeu de syllabes accentuées et de syllabes atones (en état de dépression), n’était-il pas possible d’imaginer un rythme ? Incontestablement oui, mais un rythme élémentaire, infiniment éloigné de la riche complication de la rythmique antérieure qui est comparable au jeu musical des blanches, des noires et des croches. La rythmique nouvelle est réduite à un double jeu seulement, la succession de deux syllabes une accentuée et une atone (mouvement trochaïque), ou, au contraire, à la succession, dès le début du vers, d’une atone et d’une accentuée (mouvement iambique). Une difficulté se présente : la rythmique accentuelle est essentiellement binaire (longue puis brève ou brève plus longue). Or la langue latine renferme quantité de mots de trois et quatre syllabes, lesquels n’ont qu’une syllabe vraiment accentuée. Dans ces conditions comment donner à l’oreille, sans la déconcerter, une impression vraiment rythmique ? La solution, la seule, c’est d’introduire dans le mot un deuxième accent, moins prononcé que le principal, d’où sa qualification de secondaire, perceptible cependant. Ainsi dans un mot comme dominus, composé de trois brèves et dont l’accent porte sur do, on introduira un accent « secondaire » sur la finale us.
Mais aussitôt une objection saute aux yeux : le latin ne connaît aucun oxyton. Si haut qu’on remonte il n’admet aucun accent, même « secondaire », sur les finales des mots. Comment faire violence à cette règle absolue, qui tient au génie même de la langue ? C’est même cette règle qui explique la chute des finales justement à l’époque où la rythmique accentuelle peut remplacer la rythmique de durée. Pour reprendre l’exemple de dominus, la finale et même la médiane avaient disparu dans le langage et le mot était réduit à dom, don. Mais le système rythmique imperturbablement met un accent « secondaire », très secondaire en effet, sur une syllabe qui n’existe plus. Il est donc de toute évidence, quoi qu’on soutienne, que la rythmique accentuelle n’est pas d’origine populaire. C’est une rythmique artificielle, conventionnelle, qui opère sur une langue morte.
Mais comme cette langue morte, le latin écrit est encore le seul véhicule de la pensée dans l’Europe occidentale et centrale, comme il est nécessaire de faire des vers, ne fût-ce que pour la liturgie de l’Eglise, cette rythmique accentuelle a été un bienfait. Un double bienfait. D’abord en délivrant l’auteur de la chaîne pesante de la prosodie antique qui entrave son allure, puis en le détournant de la hantise d’imiter les modèles classiques. Ce n’est pas seulement sa plume, c’est la pensée et son expression qui sont libérées.
L’alternance des syllabes accentuées et atones, avec une césure marquée, aurait suffi à bien rythmer le nouveau vers, dont nous avons des exemples, mais rarissimes, pour les Ve et VIe siècles. Vers le VIIe siècle il achève sa forme en y adaptant la rime.
L’homéotéleutie, l’identité de son de la dernière syllabe accentuée du vers était inconnue à la versification rythmique accentuelle, aussi bien qu’à la versification antique. La rime, comme nous disons, a d’abord été employée par les Romains pour la prose. Les théoriciens de la langue, dès le haut Empire, recommandent pour une prose soignée des phrases de dimensions sensiblement égales, avec de temps à autre, en finale, le même son.
Des phrases d’un même nombre de syllabes, de seize par exemple, aisément sécables en deux hémistiches de huit, soumises à un cursus et rimant, en arrivent, sans qu’on le veuille, à constituer une versification. On s’y est même trompé : le fameux psaume de saint Augustin n’est pas en vers, mais en prose.Vers le VIIe siècle, semble-t-il, la rime s’impose et achève de donner à la versification nouvelle son rythme vigoureux.
Cette rythmique fut supplantée par le retour à la rythmique antique lors de la Renaissance carolingienne. Les champions de la latinité classique ressuscitée, loin de rejeter ses difficultés, se faisaient gloire d’en triompher et d’étaler leur virtuosité d’athlètes en vers latins. Cependant, dès le IXe siècle, des recueils de poésies rythmiques accentuelles sont formés et un peu partout, à Saint-Gall, à Fulda en Germanie, à Vérone en Italie, à Saint-Martial de Limoges en Aquitaine —preuve d’estime.
Au siècle suivant, c’est l’inverse : la métrique antique le cède à la métrique nouvelle. Alors commence une prodigieuse floraison d’hymnes dans l’Europe chrétienne latine : on en connaît environ 30.000 ; un petit nombre (75 au plus) a passé dans le bréviaire.De même dans la chrétienté d’Orient la distinction des longues et des brèves s’étant effacée, on commence à écrire des vers rythmiques dits politiques (populaires) : la différence entre le parler et l’écrit est, du reste, moins considérable, semble-t-il, que chez les Latins. Ce sont ces pièces, belles ou banales, qui reflètent le mieux l’âme du moyen âge tant en Occident qu’en Orient.
L’aspect religieux de cette poésie n’est pas le seul. Vers le XIe siècle, un genre que les lettrés carolingiens s’étaient refusé à pratiquer, la poésie érotique, se développe. Ces pièces licencieuses sont dues aux clercs des écoles qui, ne l’oublions pas, sont des étudiants. Des chants bachiques et satiriques deviendront le partage de la bohème cléricale. Leurs maîtres eux-mêmes ne se feront pas scrupule de cultiver ce genre à la mode, par une sorte de « snobisme ».
Le rythme nouveau est le véhicule naturel de deux genres nés déjà vers la fin du IXe siècle, en plein développement au Xe, la Séquence et le Trope.

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La Séquence. — Dans les messes où se chante l’alleluia on avait pris l’habitude d’exécuter à la suite (d’où sequence) une jubilation, consistant en vocalises longues et compliquées. Nul procédé mnémotechnique n’était usité. La notation musicale soit par lettres, soit par signes (les neumes), ne comportait ni barres de mesure, ni lignes d’appui. Vers la fin du IXe siècle, on eut l’idée en France d’adapter, après coup, des mots à ces notes, pour soulager la mémoire. Bien que cette addition soit qualifiée prosa, elle est en vers. Le système d’étager les neumes plus ou moins haut en indiquant par un signe spécial les fioritures à exécuter sur telle ou telle voyelle fut aussi perfectionné. L’innovation eut un grand succès et l’on multiplia les séquences : par ce terme on désigne désormais l’ensemble, prosa et mélodie. Le succès fut considérable et aussi bien dans l’Eglise grecque que dans la latine. Il ne serait même pas impossible que le procédé vînt de Constantinople. On a relevé dans le monde occidental 5.000 séquences. Le plus belles appartiennent au XIIe siècle, tel le Veni Sancte Spiritus, au XIIIe le Dies irae et, plus tard, le Stabat mater.
Adam de Saint-Victor de Paris donne les plus beaux modèles du genre au XIIe siècle. Puis le genre pâlit. La liturgie latine en admettait encore 150 au début du XVIe siècle. La sévérité pontificale (1572) n’en admit plus que quatre dans le Missel romain et aucune ne remonte à l’ère carolingienne.

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Le Trope. — Un autre genre, le trope, consiste à introduire une pièce musicale avant, après ou au milieu d’un texte liturgique, tel que l’Introït, le Kyrie, le Gloria, l’Offertoire ou la Communion, alors que la prose ou séquence était un alleluia étiré.
Plus indépendant, le trope aurait dû avoir une fortune au moins égale à celle de la séquence. Il n’en fut rien. Nul trope n’a été admis dans la liturgie romaine. Le trope n’en devait pas moins être à l’origine d’un genre disparu depuis le haut Empire romain, le théâtre. L’intérêt de la pièce de vers est relevé par le procédé de la demande et de la réponse, présage du genre dramatique, puisqu’il y a dialogue. Ainsi dans le Mystère de l’époux, inspiré de l’Evangile de saint Matthieu (xxv), qui peut être du XIe siècle ou même du Xe. Après le chœur latin (adeat sponsus qui est Christus), l’archange Gabriel interpelle les Vierges en langue vulgaire un peu latinisée dans les finales (oiez virgines que vos dirom) ; les Vierges folles prient, en latin, les Sages de partager l’huile qu’elles ont laissé couler en dormant et terminent par la phrase dolenlas chaitivas, trop i avem dormit. Les Sages répondent en latin et reprennent en français. Les marchands auxquels les Folles veulent acheter de l’huile refusent (domnas gentils no vos covent ester, etc.). A la fin le Christ apparaît et les maudit : alet chaitivas, alet maleureias. A tot jors mais vos son peinas livreias E. en enfern ora seret meneias. Arrivent les démons qui se saisissent des Folles.
Le drame liturgique, sans se détacher longtemps de l’intérieur de l’église, s’avance vers le porche et, passage décisif, la réponse se fait en langue vulgaire.
Les premiers linéaments du trope se manifestent en France, au Xe siècle. L’abbaye de Saint-Martial de Limoges est riche en manuscrits tropés, et aussi Saint-Gall en Alemanie.
Ce qui intéressait dans le trope c’était moins le vers que la musique, le terme trope n’est même que le grec tropos « mélodie ». Composer un air nouveau, c’était tropare, d’où trobar en aquitain, trouver en français. L’inventeur du « son » était dit tropator, tropatorem, d’où troubadour en aquitain, en français trouveur (et non trouvère, forme inventée par les modernes). Ces qualifications passèrent aux princes laïques quand ils composèrent des pièces en langue vulgaire, car ils étaient obligés de « trouver » pour chacune un air nouveau. Est-ce un hasard si le premier troubadour, Guillaume IX, est un duc d’Aquitaine, écrivant dans un dialecte qui pourrait être le limousin ?
Même à la fin de l’ère carolingienne rien ne faisait présager la vogue de ces grandes innovations, mais on s’y préparait. Au reste, tous les genres littéraires se continuent en France, en Lotharingie, en Allemagne, en Angleterre, en Italie.
Même le vers antique gardera des fanatiques, tels Baudry de Bourgueil, Marbeuf de Rennes, Hildebert de Lavardin, Gautier de Châtillon. Ces pieux évêques déploient même une maîtrise véritable en des pièces de faible intérêt, qui sont comparables à celles de l’antiquité par leur facture.

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