Ferdinand Lot De l’Institut


E – Le sacerdoce contre la royauté



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E – Le sacerdoce contre la royauté
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Sous le principat de Louis le Pieux on assiste, au contraire, à un renversement de la position respective du pouvoir laïque et du pouvoir ecclésiastique. Le changement est particulièrement saisissant chez l’épiscopat. A voir l’empereur si pieux, si docile, l’épiscopat hausse ses prétentions. Il se persuade que le sacerdotium, la fonction épiscopale, est supérieur à la fonction impériale elle-même. Il traduit ce sentiment en déposant l’empereur. Il est vrai que les instigateurs de la cérémonie de Saint-Médard de Soissons sont les partisans de l’unité territoriale de l’Empire et qu’ils croient la sauvegarder en sacrant Lothaire. La faute n’en est pas moins énorme, car leur élu est un homme fourbe et médiocre, et surtout parce que l’affaiblissement du prestige de la monarchie, affaiblit l’Eglise en butte à l’assaut incessant de la cupidité de l’aristocratie laïque que seul un prince fort et respecté peut contenir.
Les troubles qui déchirent aussitôt l’Empire, puis le disloquent, assagissent les évêques, ou les rendent impuissants. Ils redeviennent les serviteurs dociles, trop dociles, sous Lothaire Ier, même sous le misérable roi de Lotharingie, Lothaire II. Sous le premier roi de France, Charles le Chauve, l’épiscopat est fidèle, à la seule exception de l’archevêque de Sens Wénilon, mais il sera considéré comme le type du traître dans l’opinion : transfiguré, laïcisé, il deviendra le Ganelon de la Chanson de Roland. Malgré son orgueil, ses rancunes, l’impérieux archevêque de Reims, Hincmar, ne manquera jamais à ses devoirs envers son souverain. Ses successeurs seront même les soutiens, presque uniques, de la dynastie agonisante au Xe siècle. S’il n’en a pas été ainsi jusqu’au bout, cela tient an choix malheureux que fit l’avant-dernier Carolingien, Lothaire, en la personne du Lotharingien Auberon, partisan d’un Empire chrétien régi par la dynastie saxonne des Ottons.
Quant à la nouvelle dynastie elle n’éprouvera jamais de difficultés sérieuses de la part du clergé de France. Il sera, au contraire, son plus ferme appui dans les âges difficiles.
Le clergé d’Occident, épuré dans son recrutement, transformé dans son instruction, commence à jouer un rôle de premier plan dans l’histoire universelle de l’Eglise. Longtemps l’Occident avait été l’élève de l’Orient. On a dit, justement, « l’Orient parle, l’Occident écoute ». Cela est vrai jusqu’à la fin de l’ère mérovingienne. Mais dès le principat de Carloman et de Pépin, il en va différemment. Que son rôle politique aille grandissant, cela se conçoit sans peine. C’est son rôle dogmatique qui importe avant tout.Alors que passé le VIIe concile œcuménique (le 2e concile de Nicée de 787) et la fin de la querelle iconoclastique, à la « fête de l’orthodoxie » (11 mars 843), l’Eglise d’Orient, l’« Eglise des sept conciles », semble considérer son rôle dogmatique comme terminé, l’Occident est réveillé et ne se rendormira plus. Les controverses théologiques le passionnent. Il s’y mêle sans doute aussi, consciemment ou non, le désir de s’affirmer, de s’affranchir des « Grecs », de les contredire au besoin.

F – Les controverses théologiques sous Charles le Chauve
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Après Charlemagne, des controverses, nouvelles ou renouvelées, agitent au milieu du siècle la Germanie, plus encore la Gaule.
La présence du corps du Christ dans l’Eucharistie trouble d’abord les esprits. Sous Louis le Pieux, Amalaire donne une explication que le diacre de Lyon, Florus, fait condamner en 838. Le problème est repris par l’abbé de Corbie, Paschase Radbert, qui dédie un traité au roi Charles le Chauve, soucieux de théologie. Son interprétation soulève les critiques du célèbre abbé de Fulda, Raban Maur, du moine saxon Gottschalck, de Ratrand de Corbie : Radbert réplique vigoureusement, puis le débat s’éteint ; il reprendra au XIe siècle avec Bérenger de Tours.
Beaucoup plus longue, beaucoup plus âpre, riche de conséquences désastreuses pour l’avenir, fut la controverse sur la prédestination. Partisan des thèses de saint Augustin, le moine saxon Gottschalck les présente vers 848 dans toute leur force et en tire des conclusions rigoureuses : celui que Dieu a prédestiné à la vie ne peut tomber dans la nuit éternelle ; par une conséquence évidente, celui qui est prédestiné à la damnation ne peut acquérir la vie éternelle. On en déduit que Christ ne s’est pas sacrifié pour l’ensemble de l’humanité, mais pour ceux-là seuls qu’il a élus à l’avance. Chassé de Vérone, du Frioul, réfugié à Fulda en Hesse, Gottschalck est expulsé de Germanie par l’abbé Raban Maur. Il entre à Orbais en Champagne. L’archevêque de Reims, Hincmar, le fait condamner au concile de Quierzy-sur-Oise (849) et l’enferme au monastère de Hautvillers, près d’Epernay : le condamné y peut néanmoins lire et composer. Hincmar écrit pour le réfuter, mais son traité sur la prédestination lui attire des critiques de tous côtés, de Prudence, évêque de Troyes, de Loup, abbé de Ferrières. A la demande du roi Charles, Ratrand de Corbie entre en lice et son traité le range aux côtés de Gottschalck. Puis l’Eglise de Lyon s’en mêle à partir de 852, avec le diacre Florus et l’archevêque Remy, et elle condamne Hincmar et aussi Jean Scot, l’Irlandais qui a prétendu esquiver le problème, même en nier l’existence. Inquiet, Hincmar n’ose porter l’affaire au concile de Saint-Médard de Soissons (853) où siègent des adversaires, mais le roi Charles, après la séparation du concile, l’amène à Quierzy et fait adopter des capitula où sa doctrine est exposée devant une poignée d’évêques et d’abbés dévoués. A l’instigation de l’Eglise de Lyon, un concile tenu à Valence, réunissant (en janvier 855) les provinces de Lyon, Vienne, Arles, traite d’« erreur considérable » l’article du capitulaire de Quierzy, affirmant que le Christ a répandu son sang pour tous. La présence de l’empereur Lothaire Ier au concile accentue une opposition, qui n’est pas seulement religieuse, à Hincmar et à son royal protecteur. Les polémiques reprennent, mais les années suivantes le roi Charles est aux abois, menacé par les révoltes des Aquitains, des Neustriens, par les pirates normands, les intrigues de son frère Louis le Germanique.
Le concile de Savonnières en Lotharingie (859) décide, sur la proposition de Remy de Lyon, de renvoyer l’affaire à un nouveau concile. Hincmar s’y prépare en écrivant sur la prédestination son troisième traité, le meilleur. Le concile, réuni en octobre 860 à Thusey, non loin de Toul, en présence des rois Charles et Lothaire II, est le plus imposant qu’on ait vu en Gaule depuis longtemps : quatorze (sur dix-sept) des provinces ecclésiastiques y figurent. La lettre synodale finale représente plutôt une confrontation des deux thèses qu’un arrêt tranchant dans un sens ou dans l’autre.
Après Savonnières, la polémique languit en Gaule, chacun restant sur ses positions. Rome eut quelques velléités de reprendre la question et parla de faire venir Gottschalck. La mort du pape Nicolas Ier (867) détourna les esprits de l’affaire. An reste Gottschalck était mort ou mourut peu après, sans avoir consenti à renier sa doctrine.
Episode suggestif, précurseur, Gottschalck préfigure déjà par certains côtés Luther. Les controverses du IXe siècle usent d’arguments que reprendront aux XVIe et XVIIe siècles protestants et jansénistes.

G – Faux capitulaires et fausses décrétales
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Ces controverses s’agitent au milieu des inquiétudes de tout genre qui harcèlent l’Eglise des Gaules. Les Normands brûlent et massacrent partout, n’épargnant ni églises, ni clercs. Les révoltes des grands se succèdent. La guerre civile entre les rois frères se rallume. L’envahissement des biens d’Eglise se poursuit et, depuis l’assemblée d’Epernay de 846 où les grands laïques ont pris une attitude menaçante contre le haut clergé, le roi, qui craint d’être abandonné par ses « fidèles », n’ose sévir. L’autorité conférée aux archevêques pèse lourdement sur les évêques suffragants en qui certains métropolitains, tel Hincmar, voient des subordonnés qu’on peut morigéner, même révoquer. Enfin l’indiscipline sévit dans le monde des prêtres, des diacres, des religieux. Où chercher un remède à ce désordre ? Un inconnu, ou plutôt un petit groupe d’inconnus, pensa le trouver en ayant recours à des textes imposants, capitulaires de souverains francs, décrétales pontificales et actes conciliaires d’un passé révéré. On crut que leur production agirait puissamment sur les pouvoirs publics et sur les tyrans métropolitains. Les textes authentiques condamnant les abus ne manquaient pas, mais ils étaient dispersés, parfois peu explicites. Un recueil de capitulaires avait été composé par Ansegise, abbé de Saint-Wandrille, mais il n’allait que jusqu’à 827 et il était extrêmement incomplet ; cependant il fut considéré tout de suite comme un texte officiel.
La chancellerie impériale n’avait pas pris la précaution de conserver un duplicata des édits dans ses archives. C’est ce dont s’avisa un faussaire qui fabriqua quantité de capitulaires et introduisit adroitement des passages de son invention dans les pièces authentiques de son recueil. Il se donna le nom de Benoît le diacre (Benedictus levita). Il dédia son œuvre à la mémoire d’Otgar II, archevêque de Mayence, mort en 847, et mit en circulation sa collection peu après. Dans le même esprit fut composé un bref traité des procédures à suivre dans toute affaire où est impliqué un évêque. L’auteur le donne comme remis par le pape Hadrien Ier à l’évêque de Metz Angilramne, lors d’un voyage de celui-ci à Rome en 785, d’où le titre de Capitula Angilramni. Cet auteur est certainement un clerc de Metz, ennemi de l’évêque Drogon. Celui-ci étant mort en 855, l’auteur a dû répandre son opuscule peu après.
Les faux capitulaires, au reste infiniment moins répandus, le cèdent beaucoup en intérêt aux Fausses Décrétales fabriquées par un auteur sous le nom d’Isidorus Mercator, personnage naturellement fictif. L’Occident possédait déjà deux recueils de décrétales des papes et des actes conciliaires, composés, l’un en Italie au VIe siècle par Denys (Dionysius), et reconnu comme officiel en Gaule en 802, l’autre, compose en Espagne (au VIIe siècle), d’où son nom d’Hispana. Le faussaire les prit comme base de sa compilation. Il interpola copieusement ces textes. Il eut l’idée géniale de leur faire une tête. On n’avait pas conservé de décrétales antérieures au IVe siècle. Il fabriqua une série de soixante décrétales allant du successeur de saint Pierre, saint Clément, au pape Melchiade (mort en 314).Il en inséra trente-cinq autres dans la série allant de Silvestre Ier (315) à Grégoire II (731). Le tout est du même style, donc du même auteur, d’un auteur parfaitement informé, habile et qui a dû employer bien des années à cette composition.
Eue apparaît connue et utilisée en 852 pour la première fois et, chose piquante, par Hincmar, lui-même faussaire, qui donna dans le panneau et ne s’aperçut pas tout d’abord que la collection pseudo-Isidorienne renfermait des armes contre lui. Nul en Gaule, en Germanie, en Italie même, ne soupçonna l’imposture qui ne fut décelée que par les humanistes du XVIe siècle.
Le but de l’auteur est la réforme générale de l’Eglise. Pour l’atteindre, il faut une autorité incontestée. Celle de l’Eglise des Gaules et de Germanie n’existait pas. Incapable de résister au roi, aux exigences des grands, elle était impuissante à redresser la situation. Ses remontrances étaient vaines. Ses canons fulminaient dans le vide. Une seule autorité subsiste capable de lutter contre le siècle, de réveiller l’épiscopat de sa torpeur, la papauté. Elle n’est pas sans armes, mais combien leur efficacité sera plus grande si les textes qu’elle peut agiter contre les coupables remontent jusqu’au successeur même de saint Pierre et s’ils se présentent en série compacte, continue, au cours de sept siècles.
Un des abus qui exaspère le plus l’auteur, c’est la situation humiliée faite à l’épiscopat, dépouillé de ses biens, dépouillé de son autorité, attaqué et par le bas et par le haut.
Par le bas. L’ennemi dangereux est le chorévêque. Cet auxiliaire de l’évêque, venait d’Orient. La configuration du sol le rendait utile au pasteur qui, résidant en ville, avait besoin d’auxiliaires parcourant les campagnes, évêques champêtres (chorepiscopoï), pour administrer les sacrements. Cette institution s’était propagée en Occident vers la fin de l’ère mérovingienne. En certains diocèses de Gaule, les chorévêques tendaient, on le craignait du moins, à supplanter l’évêque véritable. Pour les abattre, les Fausses Décrétales imaginent une suite de textes leur refusant le droit de conférer les sacrements et de dédier des églises. Le succès de l’attaque fut rapide en France, non en Allemagne où les chorévêques se maintinrent encore longtemps.
Contre les métropolitains, bien plus dangereux, les Fausses Décrétales forgent une arme, la Primatie. Au-dessus de ces tyrans, il y aurait eu dans l’Eglise, aux temps passés, un supérieur, le Primat.
Mais cette arme ne pourrait-elle se retourner contre l’épiscopat ? L’auteur l’a peut-être senti confusément. Il met avant tout l’accent sur la papauté. A elle seule appartient le droit de trancher dans toute action introduite contre un évêque par ses collègues, par les métropolitains, par le roi. Aussi l’appel à Rome dès le début de l’action est chose sacrée. Pour donner plus d’efficacité à l’intervention pontificale, l’auteur veut renforcer encore, si possible, ses prérogatives. Pour lui, nulle décision d’assemblée laïque ou ecclésiastique n’est recevable sans l’assentiment du pape et nul concile valable sans sa présence ou celle d’un délégué. Il manifeste son sentiment par la disposition matérielle de son recueil : les décrétales pontificales sont placées avant les canons synodaux.
Les réformes préconisées par Pseudo-Isidore dans le domaine temporel, car il condamne naturellement l’usurpation des biens d’Eglise, furent sans résultat. Si le pouvoir des métropolitains s’affaiblit, ce fut par l’affaiblissement même de l’Eglise d’Occident au Xe siècle.
Quant aux rapports de l’Eglise de Gaule et de Germanie avec Rome, les Fausses Décrétales n’avaient pas à en modifier l’aspect. A l’époque mérovingienne les relations entre Rome et la Gaule n’étaient pas continues. Rome jouissait d’un prestige moral plutôt que d’un pouvoir, parce que ce pouvoir elle n’avait l’occasion ou la possibilité de l’exercer, qu’en des cas rarissimes. En Italie seulement, la papauté intervenait d’une manière permanente dans les affaires ecclésiastiques.
L’idée du recours à Rome, d’un recours constant, avec comme conséquence l’acceptation sans réserve de l’autorité pontificale, fut introduite en Gaule et en Germanie par les missionnaires anglais Willibrord, Boniface et leurs disciples. Elle y était déjà profondément implantée quand parurent les Fausses Décrétales. Les expéditions de Pépin et de Charlemagne en Italie au secours du pape, la ruine du royaume lombard, les incessantes ambassades des rois francs à Rome, le couronnement impérial, tout avait contribué à rehausser le prestige du souverain pontife auprès du clergé et des populations.
Pseudo-Isidore n’eut donc pas à changer l’attitude de l’épiscopat vis-à-vis de Rome, mais il l’accentua, la justifia par la production de textes dont l’antiquité ne pouvait que provoquer une obéissance sans réserve.
La papauté, elle, n’avait que faire des Fausses Décrétales. Les vraies lui suffisaient quand elles étaient maniées par un pape tel que Nicolas Ier (856-867). Lui n’avait pas besoin du secours de Pseudo-Isidore pour plier sous sa volonté clergé et souverains. C’est par un évêque de Soissons, de passage à Rome, qu’il apprit l’existence du recueil. Ni lui ni ses successeurs ne s’en servirent, bien qu’ils n’aient pas suspecté leur authenticité. Il faut descendre jusqu’au pontificat de Grégoire VII pour que Rome manie la compilation de Pseudo-Isidore, arme plus compacte, plus lourde, plus efficace aussi que des textes authentiques mais épars.

H – Séparation des églises de Gaule et de Germanie
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Même après la dissolution de l’Empire carolingien, il n’y eut pas de séparation absolue entre l’Eglise de France et l’Eglise de l’Allemagne naissante. Les conciles du Xe siècle, réunis pour des litiges concernant une déposition d’évêque ou de roi, renferment des prélats de France Occidentale, de Lotharingie, d’Allemagne. Mais, fatalement, la séparation, puis l’opposition de la France Occidentale, devenue la vraie France, et de l’ancienne France Orientale, devenue l’Allemagne, amenèrent la séparation des Eglises des deux pays, et elles tendront à devenir nationales.
En même temps, la profonde déchéance de la papauté, à partir de la fin du IXe siècle, son assujettissement, soit à l’aristocratie romaine, soit à des roitelets d’Italie, soit à la dynastie ottonienne, rejettent l’Eglise de France, vers la royauté. Quand la disparition des Carolingiens, en supprimant un des deux souverains, le roi et le duc des Francs, qui se disputent l’Etat depuis un siècle, affermit l’unité du pouvoir, et par suite, du royaume, le clergé de France se serra autour de son roi, Hugues Capet, en butte à la double hostilité politique et religieuse de la papauté et du parti impérial allemand. Désormais entre Rome et Paris, le clergé de France optera le plus souvent pour Paris. Il tendra à devenir « gallican ».

I – Réapparition du manichéisme
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A la fin du Xe siècle, paraît ou plutôt reparaît l’antique hérésie du « manichéisme ». Le terme d’hérésie lui convient à peine. C’est plutôt l’offensive d’une religion rivale du christianisme et d’autant plus dangereuse qu’elle en imite quelques aspects et prétend donner la véritable interprétation des livres saints. La doctrine dans son essence se rattache à un passé très ancien, à la croyance en la lutte des deux principes, celui du Bien, celui du Mal, née dans l’Iran antique. Le prêtre persan Manès, au IIIe siècle, assimile le Mal à la Nature et condamne la chair. Le masque vaguement chrétien dont il affuble sa doctrine ne trompe personne. Lui-même est supplicié en Perse et ses adeptes condamnés par les empereurs romains et byzantins.
Comment cette sombre doctrine, qui semblait morte à jamais, a-t-elle pu reprendre vie, c’est ce qu’on s’expliquerait difficilement, s’il n’y avait des exemples d’autres spéculations d’ordre religieux, politique ou social qui poursuivent pendant des siècles une vie souterraine, attendant le moment de reparaître au grand jour. Par quels canaux le manichéisme a-t-il pu se répandre d’Orient en Occident, c’est ce qu’il est impossible de savoir. La chose certaine c’est que, brusquement, à l’extrême fin du Xe siècle, il fait une apparition en Champagne. Manifestation isolée, étouffée aisément. Mais, à partir des environs de 1010, le mal reparaît dans la France du Nord, sur le Rhin aussi. Le péril est si grand que le roi Robert II, un débonnaire cependant, fera brûler treize hérétiques à Orléans, en décembre 1022. Date fatidique, c’est le premier exemple en France d’une exécution sur le bûcher. Elle n’empêchera pas la doctrine de se répandre. Au siècle suivant, elle gagnera le Languedoc et provoquera la terrible répression dite « Guerre des Albigeois ».
Il faut dire que nulle société moderne ne tolérerait cette doctrine. Condamnant la procréation comme un acte horrible à éviter, elle vise à faire disparaître l’homme de la terre. En attendant le succès, la doctrine accepte la procréation, mais en condamnant le mariage comme outrageant le principe du Bien. Conséquence inéluctable, si les apôtres du dogme, qui se disent les « Parfaits », mènent une vie d’un ascétisme rigoureux, le commun des hommes peut s’abandonner à tous les vices sans exception, aucune différence n’étant faite entre les excès, au regard du principe du Bien réprouvant toute chair. La pureté de vie des « Parfaits » put séduire des âmes affligées par le spectacle des vices du clergé. La masse des adeptes fut attirée par l’impunité accordée à ses pires instincts. La condamnation des biens de la terre que la doctrine refuse au clergé plut à la fois à deux catégories sociales antagonistes, celle des petits et celle des grands seigneurs. Les uns et les autres y virent la justification de la mainmise sur le temporel des églises. Quant aux paysans, il est plus que probable qu’ils furent entraînés par la perspective de ne plus payer la dîme au clergé. De nos jours, les manichéens seraient relégués dans un camp de concentration ou fusillés et cela dans n’importe quel Etat, quelle que soit sa structure politique.

Déchéance de l’Église
A – Les Causes
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Après la dissolution de l’Empire (888), l’Eglise d’Occident, dont l’Eglise de France, entre dans une longue période de déchéance à la fois morale, politique et sociale dont elle commence à peine à sortir péniblement, au prix de déchirements cruels, deux siècles plus tard.
Les causes de cette déchéance résident moins dans l’Eglise elle-même que dans l’anarchie qui succède à l’unité politique du monde chrétien d’Occident et dans l’envahissement irrésistible de l’esprit vassalique. L’Eglise est une victime plutôt qu’une coupable.
Déchéance de mœurs. L’Eglise n’admet pas le mariage des clercs à partir du sous-diaconat. Cette prescription a toujours été mal observée. Mais le mal s’étend : diacres et prêtres entretiennent une concubine. Certains, plus scrupuleux, épousent leur compagne, s’autorisant du texte de saint Paul qui, dans son Epître aux Corinthiens, admet le mariage pour éviter la fornication et invoquant aussi la nécessité d’une femme pour tenir le ménage. Conciles et publicistes tonnent contre l’incontinence des clercs. Vaines menaces ! L’autorité même d’un Grégoire VII, au XIe siècle, n’arrivera pas à extirper le mal. Il l’aggravera même : les clercs ne chercheront même plus à légitimer leur union.
Dans l’épiscopat, le mal semble moindre, surtout depuis qu’il se recrute parmi des clercs. Longtemps l’évêque avait été un laïque marié, père de famille qui, volontairement ou sollicité par son entourage, par l’acclamation des fidèles, entrait dans les ordres sacrés. Il se séparait alors de l’épouse ou vivait avec elle comme frère avec sœur. A partir de la réforme de 1’Eglise entreprise par Charlemagne l’épiscopat n’est plus ou fort rarement une fin de carrière pour un riche et grand personnage. Les évêques, formés au Palais, sont clercs depuis l’adolescence, et la régularité de leur vie privée est de rigueur.
Mais, au Xe siècle, les princes territoriaux, ducs et comtes, mettent la main sur l’épiscopat dont ils convoitent les richesses. Ils tentent d’y introduire leurs enfants, même en bas âge, tel Herbert de Vermandois, qui installe à Reims un de ses fils, Hugues, un petit enfant. La même pratique est suivie par les ducs de Normandie, de Bretagne, de Gascogne, les comtes de Languedoc, de moindres seigneurs même. On ne peut s’attendre à ce que ces intrus mènent une conduite édifiante. Certains continuent dans l’épiscopat leur vie de guerriers et de chasseurs. Tel cet Archambaud, archevêque de Sens, qui bat une armée saxonne ayant envahi la Champagne (959), expulse les religieux de Sainte-Colombe de Sens et loge dans l’église ses chiens et ses éperviers. Avejod, évêque du Mans, aime trop la chasse et s’y casse le nez. Un autre évêque du Mans, Sifroi, a une episcopissa ; il dépouille les chanoines de Saint-Vincent pour doter son fils. Sans doute serait-il imprudent de généraliser, mais les exemples de ces étranges prélats sont trop nombreux pour n’être pas significatifs des désordres du siècle.
Non moins grave est la simonie. C’est le trafic des choses saintes pour de l’argent. Saint Grégoire le Grand, vers 600, étend même la définition de la simonie : pour lui elle s’entend non seulement des présents en argent ou en cadeaux pour l’obtention des grades sacrés, mais de l’adulation ou des services d’inférieur à supérieur.
Nier que des cas de ce genre se soient produits au cours des siècles serait se faire une idée trop optimiste de la nature humaine. Toutefois, ces cas ont dû être exceptionnels, ces pratiques secrètes, car on n’en parle abondamment qu’à partir du Xe siècle. On se plaint alors que les grands de ce monde, qui usurpent le droit de désigner les évêques, se fassent offrir un présent ; quelques-uns vont jusqu’à mettre la dignité épiscopale à l’encan. Le reproche n’atteint pas les rois de France, du moins pas avant le règne de Henri Ier (1031-1060), le premier à tomber dans ce péché, à ce qu’il semble.
A plus forte raison, l’abus fleurit pour la prêtrise. Comme l’église du domaine, devenu le village, a été construite aux frais du propriétaire et seigneur, celui-ci légalement conserve le droit héréditaire de désigner le desservant, l’évêque ne faisant que conférer les sacrements postérieurement à cette désignation. Le seigneur choisit parmi ses sujets, même s’ils sont serfs. Il va sans dire que ces malheureux sont à sa merci. Ils paient, sauf à récupérer la somme versée sur leurs ouailles par toutes sortes de procédés.
Quant aux monastères, inutile de les vendre ? Rois et Grands s’approprient, on l’a vu, la mense abbatiale, la plus forte des deux menses, en laissant l’autre, vraie portion congrue, aux moines, chanoines ou simples clercs.
Cette pratique paraît toute naturelle à ceux qui exigent et même à ceux qui paient. Leur conscience est en repos. C’est le temporel qu’on vend ou qu’on achète, nullement le sacerdotium. Justification insoutenable, car la vente ou l’achat du temporel entraîne par nécessité, quoique indirectement, celle du spirituel. L’Eglise est victime, ici encore, de son désintéressement des charges publiques, si l’on peut qualifier ainsi les services qu’on attend d’elle.
Il y a plus grave encore. L’Eglise, sinon en corps, du moins par les individus qui la composent, s’insère dans le système vassalique qui tourne à la féodalité proprement dite. De même que ducs et comtes ne sont plus seulement les sujets du roi, mais deviennent ses « vassaux », assimilés par la cérémonie de l’hommage et le serment de fidélité aux dévoués domestiques de l’ère mérovingienne, évêques et abbés sont contraints d’être dans la même situation par rapport aux rois et aux grands laïques.
Ce concept n’a peut-être pas semblé dangereux de longtemps à ceux qui en étaient victimes. Evêques, abbés, abbesses, dès le VIIe siècle, pour le moins, entretenaient auprès d’eux des serviteurs armés, des nourris, c’est-à-dire déjà des vassaux, au nom près. Qu’eux-mêmes, à l’exemple des ducs, des comtes, aient dû resserrer sur ce modèle les liens qui les unissaient au pouvoir laïque, c’est chose qui n’a pas dû leur paraître extraordinaire. Il s’est même trouvé de nombreux cas où l’évêque, au lieu d’être subordonné à un seigneur devenait lui-même seigneur. Depuis la fin du règne de Charles le Chauve, le roi s’avise de conférer à quelques évêques, non pas le pagus, le comté territorial, mais tout ou partie des droits comtaux (comitatus), c’est-à-dire des prérogatives régaliennes consistant en droits de justice, de marché, monnaie, tonlieu, possession des remparts d’une cité épiscopale, ainsi à Langres, à la fin du IXe siècle, à Reims, à Laon, etc... au Xe siècle. Les souverains allemands en Italie et en Allemagne feront de même et avec plus de largesse à la même époque. Jouant le rôle de duc ou de comte dans sa cité et sa banlieue, l’évêque ne trouve rien que de louable dans ce que nous appelons la Féodalité.
Le danger cependant était très grave. En contrepartie de l’hommage et fidélité du vassal ecclésiastique, le seigneur conférait par l’investiture l’episcopatus tout entier. Les esprits conciliants et superficiels ont pu prétendre que le seigneur n’avait pas la prétention de conférer le pouvoir sacramentel, mais seulement la tenure temporelle, mais l’un et l’autre étaient inséparables. Qui plus est, la vente de la fonction épiscopale en prenant l’apparence de ce droit de relief que le vassal inféodé, « chasé », devait au seigneur, donnait à la pratique simoniaque une fausse couleur de légitimité.
Personne, pas plus en France qu’ailleurs, ne vit clair ou n’osa voir clair, jusqu’à ce que Grégoire VII entamât la lutte dans laquelle il succomba, mais qui triompha après lui.


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