Ferdinand Lot De l’Institut



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L’Église

Sa fortune


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L’Eglise des Gaules avait joué un rôle, somme toute, utile dans l’ère précédente, mais elle n’avait tenu qu’une place secondaire dans l’ensemble de la vie de l’Eglise universelle. Nulle initiative dogmatique n’était venue d’elle et, passé le premier tiers du VIe siècle, nulle preoccupation théologique ne semble l’avoir remuée. Dans l’œuvre de la propagation de la foi auprès des populations de Germanie, elle s’était montrée inférieure à sa tâche, qui dut être prise en mains par des Scots venus d’Irlande et des Anglais. Vis-à-vis du pouvoir séculier, son attitude avait manqué de dignité. Quand la monarchie tomba en décadence, par réaction, des prélats eurent une attitude arrogante et même rebelle.
L’Eglise avait songé surtout à s’enrichir et y avait réussi. Par l’obtention de diplômes d’immunité, elle échappait aux charges de l’Etat. Elle tentait de lui échapper également en s’attribuant une juridiction particulière sur ses innombrables clercs et suppôts et sur les misérables tenanciers serfs, colons, affranchis de ses domaines. Elle était parvenue à constituer un Etat dans l’Etat.
Sous le principat de Charles Martel le réveil fut brutal. Le maire du palais opéra des confiscations en masse et distribua les terres d’Eglise aux guerriers, mesure de salut public, indispensable pour restaurer l’autorité franque sur les Germains et les Aquitains et pour repousser l’invasion musulmane. Le mal fut que le prince, pour s’assurer des complaisances dans cette spoliation, imposa trop souvent aux évêchés et monastères des créatures indignes. A la mort (741) du restaurateur du « royaume des Francs » l’Eglise des Gaules apparaît ruinée et déconsidérée.
Dès le début de leur commun principat, ses fils, Carloman et Pépin, aux synodes d’Estinnes et de Soissons expriment l’intention d’opérer une restitution des biens d’Eglise dès que les circonstances le permettront. En attendant, on s’avise d’un expédient pour sauvegarder le principe de l’inaliénabilité des biens d’Eglise. Les détenteurs les tiendront à titre de « précaire » et verseront un cens aux évêchés et monastères spoliés. En dépit des réclamations réitérées de l’Eglise des Gaules et de la papauté, appelée par elle à la rescousse, il fut impossible aux souverains de restituer les biens d’Eglise dans leur ensemble. On opéra des restitutions partielles, annulées par des confiscations nouvelles, et ce jusqu’à la fin de la dynastie, sous l’empire de sollicitations impérieuses.
Une compensation apparaît à partir de 755 pour le moins. Le bénéficier détenteur de biens d’Eglise est tenu de verser à l’établissement ecclésiastique, outre le cens qu’il doit annuellement comme précariste, le dixième des produits de la terre concédée, la dîme, due par tout chrétien et rendue effective depuis le milieu du VIIIe siècle, une autre dîme, la none (la neuvième). Le fardeau eût été intolérable pour les cultivateurs, car la simple dîme est déjà un lourd tribut, et le compromis eût été désavantageux pour le bénéficier qui, après l’acquittement du cens et de la double dîme par les paysans, ses tenanciers, aurait eu peu de choses à en retirer pratiquement ou même rien, si des atténuations n’avaient été admises. Le cens est abaissé à un taux insignifiant (un sol pour 50 manses), puis dans la pratique disparaît, ou bien, s’il subsiste, c’est la none qui n’est plus perçue. En outre, cette none ne frappe que la portion de la terre dont le bénéficier a la concession, son « domaine seigneurial » (indominicatum), lequel pour les terres labourables et prés n’excédait pas le tiers ou le quart du total, ou moins encore.
Les bénéficiers mirent la plus grande mauvaise volonté à s’acquitter. Dès 813, le concile de Tours élève des plaintes à ce sujet. En 829, les conciles font observer que nombre de bénéficiers ne versent qu’irrégulièrement, partiellement ou même ne versent rien. Les plaintes ne cessent plus. Le récalcitrant devrait être privé de son bénéfice qu’il devrait restituer. Ni le roi, ni l’Eglise n’ont la force de l’y contraindre le plus souvent. Bien plus, certains bénéficiers en arrivent à s’approprier les fruits de la dîme, payés en nature. Cet abus s’étendra. Même la monarchie absolue d’ancien régime n’arrivera pas à déraciner une spoliation que les siècles ont consacrée.
La concession de précaires consentis sur ordre du roi (verbo regis) ne supprime pas la pratique ancienne des précaires concédés librement pat l’Eglise. Une catégorie considérable est constituée en faveur de grands personnages. En 813, les évêques objectent aux remontrances de l’aristocratie laïque, qui se plaint que la terre passe au clergé, que cette allégation n’est pas fondée : l’Eglise rend au double en précaire au donateur les terres reçues de lui. Il est vrai qu’à la mort du donataire, le tout doit légalement revenir à l’établissement ecclésiastique, ainsi qu’on a vu. Mais l’habitude se répand de plus en plus de n’exiger ce retour qu’au bout de deux, même de trois générations. On imagine le sort d’une revendication présentée après un si long intervalle de temps : les titres ont pu disparaître, ou être contestés. A la fin de l’ère carolingienne les précaristes puissants se sont rendus bel et bien, si l’on peut dire, propriétaires. L’Eglise s’est trouvée dupée finalement.
Ainsi, malgré ses réclamations réitérées, ses cris d’indignation, la bonne volonté incontestable de princes tous pieux, l’Eglise carolingienne est demeurée appauvrie par rapport à la fin de l’ère précédente. Il est douteux que, en France du moins, elle ait jamais pu par la suite acquérir la même fortune territoriale. Au reste, quand reprendront les donations véritables, les donations pleines et entières, elles iront à de nouveaux établissements, aux monastères, à Cluny à partir du Xe siècle, à ses filiales, Clairveaux, Cîteaux et autres grands ordres monastiques qui se constitueront depuis la fin du XIe siècle. Un grand changement s’opérera dans la nature du bien donné et la situation sociale du donateur. La fortune de 1’Eglise mérovingienne et carolingienne était faite de grands domaines concédés par de puissants personnages, rois, reines, maires du palais, grands laïques, riches évêques (par testament). Désormais le monastère s’enrichit de faibles domaines, de parcelles même, dons de petits seigneurs, de simples hommes libres aux ressources modestes.

La séparation des menses
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Un grand changement s’est accompli dans le régime de jouissance des biens d’Eglise par le double clergé séculier et régulier.
Tous deux pratiquaient le régime de l’indivision. La jouissance était confondue entre évêques et chanoines cathédraux, entre abbés et moines ou chanoines monastiques. C’était au prélat ou à l’abbé d’évaluer la part de chaque clerc ou de chaque religieux. Que cette économie ait provoqué des plaintes, des protestations, on l’imagine sans peine, surtout lorsque des intrus incapables et immoraux eurent mis la main sur évêchés et monastères. A partir du IXe siècle, on s’efforce de régulariser la situation par le système de la séparation du temporel en « menses » (mensa, « table ») : évêque et chanoines, abbé et religieux auront leur part respective du temporel.
La réforme de Chrodegang, évêque de Metz (742766), qui prescrit au clergé cathédral de son église de vivre à part, dans un cloître, n’institue nullement le régime des menses, mais, sans le vouloir, en donne l’idée, car ce cloître est considéré comme la propriété des chanoines. Quand la règle de Chrodegang s’étend, et elle s’étend vite, — Louis le Pieux l’impose, en 826, — une déduction naturelle veut qu’on détermine la part des fruits de la terre qui revient à cette communauté. Le concile d’Aix de 816 ordonne à l’évêque de lui concéder du pâturage et même une part des aumônes des fidèles. De là à la décision d’opérer un partage du temporel il n’y avait qu’un pas. Sans qu’aucune décision conciliaire intervînt, quelques évêques se préparèrent à la réforme. Ils furent poussés dans cette voie par Louis le Pieux. Mais le mode du partage doit émaner du prélat lui-même, le souverain ne faisant que le confirmer par un diplôme. Rien d’obligatoire et de fait, quelques partages ne s’opéreront qu’à la fin de l’ère carolingienne, même parfois au delà.
L’évêque y trouve des avantages, celui de n’être plus en butte à des récriminations incessantes et aussi de se décharger en partie des soucis de l’administration du temporel et du poids de quelques charges, tel le devoir d’hospitalité pour les pèlerins et malades. Quant aux parts respectives des menses épiscopale et conventuelle, elles varient selon les diocèses.
Une fois constituée, la mense conventuelle est administrée par la communauté des chanoines. Elle est apte à recevoir des donations. Elle en reçoit et plus que la mense épiscopale, car ce sont les chanoines qui disent les prières et célèbrent les messes pour le repos de l’âme des bienfaiteurs.
Plus tard, à partir de la fin du XIe siècle, c’est au chapitre que sera dévolu le privilège d’élire l’évêque. Le chapitre en viendra à être plus riche et plus puissant que le prélat. Alors entre lui et eux s’engagera une âpre rivalité. L’évêque ne pourra recouvrer son autorité, et en partie, qu’avec l’appui de la papauté au cours de XIIIe et XIVe siècles.
Le partage des biens monastiques a un tout autre aspect et des conséquences très différentes.
Dérogation à la règle fondamentale qui voulait que tout fût commun au cloître, le partage était redouté des moines dans les établissements réguliers, c’est-à-dire ceux qui avaient à leur tête un abbé élu par les religieux. Mais quand l’abbé était un séculier, un laïque imposé, — et cette pratique abusive survivra à Charles Martel, se prolongeant jusqu’à la fin de la dynastie carolingienne, et au delà, — le danger était grand, d’autant plus, que le nombre des monastères réguliers ne cessait de décroître. Il fallut se résigner au partage. Les rois y poussent, les abbés séculiers aussi. Ceux-ci y voient l’avantage de pouvoir vivre désormais en bonne intelligence avec les religieux, moines ou chanoines monastiques, et souvent ils opèrent le partage à l’amiable. Il leur procure un soulagement de conscience. Pour le roi, la réforme offre un grand intérêt politique. La communauté monastique étant dédommagée, il peut disposer, sans trop de remords, de la part de l’abbé, l’abbatia, en faveur d’un comte ou d’un marquis indispensable. C’est ainsi que le marquis de Neustrie, luttant contre les Normands, est toujours abbé du riche monastère de Saint-Martin de Tours, dont les revenus augmentent ses ressources, autrement insuffisantes. Au Xe siècle, ce sera pire. Tous les ducs, marquis, comtes, fondateurs de nos dynasties féodales, sont abbés des meilleurs monastères de leur principauté. Le duc d’Aquitaine est abbé de Saint-Hilaire de Poitiers, le comte de Flandre de Saint-Pierre et de Saint-Bavon de Gand, etc. Quant aux ancêtres des Capétiens, ils se servent copieusement. Ils cumulent les abbatiae : Saint-Denis, Saint-Germain, Saint-Martin de Tours, etc. C’est seulement à la fin du Xe siècle que, sous l’influence de grands réformateurs, tel saint Gérard de Broigne, ils renoncent à l’abus et installent des abbés réguliers. A Saint-Martin de Tours cependant, il restera jusqu’à la Révolution un souvenir des temps anciens : la tête de la communauté ne portera que le titre de doyen, le roi de France en étant censé abbé.
Après bien des siècles quelque chose de semblable reparaîtra sous François Ier avec la pratique de la « commende » des « bénéfices » ecclésiastiques, procédé commode dont use le roi pour satisfaire l’avidité de l’aristocratie et se la soumettre. Le résultat sera « l’effroyable décadence de l’Eglise gallicane » du XVIe siècle, du haut en bas de la hiérarchie et dans les deux clergés.

La réforme morale, religieuse, intellectuelle
A – La propagation de la Foi
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Plus encore que le temporel, le spirituel était malade au début de l’ère carolingienne. Un immense effort fut nécessaire pour redresser l’Eglise de Gaule et de Germanie. La réforme ne pouvait venir de cette Eglise elle-même. Non pas qu’on soit en droit de déclarer que prélats et abbés étaient tous des êtres grossiers et pervers, mais nul d’entre eux n’avait le dynamisme et le prestige indispensables pour mener à bien une renaissance. Elle fut l’œuvre d’étrangers, d’apôtres venus d’Angleterre et d’Irlande.
L’ouvre de conversion, délaissée par le clergé de Gaule fut reprise par des Anglais. A la fin du VIIe siècle, Wilfrid avait échoué en Frise. Son compatriote, Willibrord, reprend la tâche. Il a l’idée d’intéresser à ses efforts la papauté. Serge Ier lui confère l’épiscopat, un épiscopat qui doit créer son diocèse chez les païens de la Frise. L’appui de Rome lui vaut celui de Pépin de Herstall, au reste intéressé à la christianisation des redoutables Frisons. Mais à la mort de ce protecteur, Willibrord, chassé par le païen Radhod, se retire au monastère d’Echternach (716) ; à la disparition de son persécuteur, il reparaît et prend possession d’Utrecht qu’il annexe à la chrétienté (722). Il mourut en 739.
La tâche d’achever la conversion de l’Alemanie fut entreprise par les Irlandais. Après saint Fridolen, vint Pirmin qui fonda un monastère destiné à une grande célébrité, Reichenau, dans une île du lac de Constance, en Alsace, Murbach ou Marmoutier : il mourut en 753. L’ouvre d’évangélisation de la Bavière est terminée par Rupert et Emmeran. Ce dernier fonde un monastère à Ratisbonne avant de subir le martyre. Mais, c’est la papauté, avec Grégoire II, qui constitue des évêchés en ce pays, à l’instigation du duc Théoton. Quant à la Thuringe, elle avait été le théâtre du meurtre d’un apôtre irlandais, saint Kilian, à la fin du siècle précédent.
Le plus fameux parmi ces apôtres et martyrs est l’Anglo-Saxon Wynfrith, qui traduisit son nom en latin, Bonifacius, la plus forte personnalité religieuse du siècle. Né dans le Wessex, instruit au monastère d’Exeter, ordonné prêtre à trente ans, il passe sur le continent en 716, se fait l’auxiliaire en Frise de Willibrord, achève la conversion des Francs de Hesse (722), puis celle de la Thuringe (735). Entre temps, il a reçu à Rome, en 722, la consécration épiscopale sans diocèse déterminé, ce qui favorise son action puisqu’il apparaît en évêque partout où l’entraîne son zèle. Boniface a l’idée d’associer à son œuvre des compatriotes, hommes et femmes. Des Anglaises, Lioba, Tecla, Cunhild, etc... fondent des monastères en Germanie. Les succès et le prestige de Boniface s’accroissent au point que le pape Grégoire III le charge d’instituer lui-même des diocèses en Germanie et lui confère le titre nouveau d’archevêque, c’est-à-dire d’évêque supérieur, d’archiévêque (731). Des diocèses sont constitués en Hesse, en Thuringe, en Bavière. En 746 l’évêché de Mayence lui est attribué, mais son action n’est pas confinée dans ce seul diocèse. Il demeure archiévêque et vicaire pontifical.
Cette dignité exceptionnelle va lui permettre de tenter la réforme de l’Eglise des Gaules tombée au plus bas, comme il le déclare lui-même. Il faut tout d’abord rétablir la discipline. Le pouvoir disciplinaire est régulièrement exercé par les conciles généraux et par les métropolitains qui doivent surveiller les évêques suffragants, leurs subordonnés. Mais depuis 696, il ne s’est plus tenu de concile en Gaule et le souvenir même du pouvoir des métropolitains s’est effacé. Boniface use de son influence sur les fils de Charles Martel, notamment sur Carloman, pour les décider à reprendre la tradition de réunir des conciles. Il tente également de rétablir les métropoles dont les titulaires auront comme lui le titre et l’autorité archiépiscopale. Il veut aussi obtenir la restitution des biens enlevés aux églises. Sur ce dernier point il était, comme on a vu, impossible de lui donner satisfaction et l’on n’arriva en 743 et 744 qu’à un compromis. Boniface réussit à rétablir en Gaule deux ou trois provinces ecclésiastiques avec « archevêques » recevant le pallium du souverain pontife ; ce fut tout. Ce qui demeura ce fut la réunion quasi annuelle de conciles généraux coïncidant le plus souvent avec l’Assemblée générale du printemps ou de l’été, puis de conciles provinciaux et diocésains, et ce fut capital, le concile étant l’instrument indispensable de toute réforme. L’ascendant de Boniface sur Pépin le Bref ne fut pas diminué par le peu de succès- de plusieurs de ses réformes. C’est à lui que Pépin s’adressa pour donner un caractère sacré à sa prise du pouvoir à la fin de 751. Il est bien probable, d’ailleurs, que l’idée de l’onction venait de Boniface.
La direction d’un diocèse ne suffisait pas à l’activité de Boniface. Le missionnaire en lui dominait l’administrateur. Il prit soin d’installer à Mayence son disciple Lull et partit pour la Frise. Il y trouva la mort du martyr le 5 juin 754.

B – Rétablissement de la hiérarchie
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L’idée d’un archiévêque à la tête de l’Eglise des Gaules survécut à Boniface. Bien que son siège, Metz, n’ait jamais été métropole, Chrodegang reçoit du pape Etienne III le pallium avec ce titre d’archiévêque. Il consacre de nombreux évêques en diverses cités, preuve que la restauration des métropoles a échoué. Après lui (mort en mars 766), on voit l’évêque de Sens, Wilcharius (Guicher), exercer les mêmes attributions comme « envoyé de saint Pierre » (missus sancti Petri). Il apparaît en 769 qualifié « archevêque des Gaules ». Mais après sa mort, survenue à la fin du siècle (après 785), il n’a pas de successeur. C’est inutile.Le souverain lui-même a entrepris la réforme de l’Eglise.
Charlemagne considère, en effet, qu’à titre de roi, plus tard d’empereur, il est le chef de l’Eglise chrétienne. Il exprime son point de vue sans ambages dans la préface du Liber Carolinus, constitué vers 791 sur son ordre :

« Nous à qui la tâche a été confiée par Dieu de guider l’Eglise à travers les flots déchaînés du siècle ».


Son devoir est de la défendre contre les païens et les infidèles, de soutenir au dedans et au dehors la foi catholique. Il ne reconnaît au pape que le seul devoir d’élever les mains vers le Ciel, comme Moïse, pour assurer la victoire du peuple chrétien.
Il poursuit l’œuvre de reconstitution des conciles. Pas plus que sous les Mérovingiens, les évêques ne peuvent se réunir en assemblées synodales sans l’assentiment du pouvoir. Charlemagne prend même l’initiative de ces consultations. Quelques-unes comme le concile de Francfort en 794, où l’on traite des plus épineux problèmes dogmatiques, ont une importance que l’on peut qualifier de « mondiale » si l’on réserve cette appellation au monde occidental. Il transforme en textes législatifs séculiers celles des décisions ou canons conciliaires qui lui agréent. Ses successeurs feront de même.
Au cours du règne, il arrivera à rétablir presque entièrement la hiérarchie épiscopale, telle qu’elle était à la fin de l’empire romain en Occident, et Louis le Pieux achèvera la réforme. Son but, on l’a dit, n’est pas seulement de satisfaire un goût d’archaïsme, qui eût été sans portée, inadéquat aux circonstances qui avaient réclamé la création de métropoles nouvelles en Germanie, mais de constituer dans l’Empire un corps de grands prélats, peu nombreux, d’autant plus puissants, chargés de guider, de surveiller, de réprimander les simples évêques. Sur ce point, le Carolingien marche la main dans la main avec la papauté. Tous deux veulent que le métropolitain devienne, ou redevienne, un archiévêque.Pour lui conférer ce prestige et cette autorité, Rome envoie désormais l’insigne de délégation de son pouvoir suprême, le pallium, longue bande de laine blanche semée de croix noires ; échancrée, elle se passait autour du cou et deux retombées, l’une devant, l’autre derrière, descendaient au-dessous des genoux. Le métropolitain ainsi honoré pour la durée de sa vie, était en droit d’exercer sur une province ecclésiastique l’autorité que la papauté avait conférée un instant à saint Boniface, à Chrodegang, à Wilchaire, sur l’ensemble des Gaules et de la Germanie. Toutefois, si désormais tout métropolitain devient archevêque l’inverse n’est pas exact. Le Saint-Siège peut conférer le pallium à un évêque non métropolitain, même lui conférer sous l’appellation archiépiscopale une situation honorifique analogue à celle de Boniface et des autres grands archevêques. C’est ainsi que le pape Serge II fait de Drogon, fils naturel de Charlemagne, un archevêque et vicaire général de Gaule et Germanie, bien qu’il ne soit qu’évêque de Metz. C’est une mesure politique en faveur de l’unité de l’Empire sous Lothaire, manœuvre qui fut mal accueillie en France et en Allemagne.

C – Réforme des mœurs et de l’instruction du clergé
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Le Carolingien ne se contente pas de poser des principes généraux, il entre dans le détail de la vie des clercs et des laïques. Aux laïques il recommande l’observation du repos dominical, l’assistance aux offices, la connaissance des dix commandements de la foi. A leur égard, les commissaires départis (missi) multiplient les sermons, les exhortations à fuir le péché, à se détourner de superstitions païennes. Les clercs ne sont pas moins morigénés, et même ils le sont davantage. On les avertit de ne pas cohabiter avec des femmes, hors les cas permis par les canons ; on leur interdit le cabaret, la chasse, les jeux grossiers. On leur prescrit l’administration régulière des sacrements, la pratique de l’enseignement, la charité.
Les prêtres, dans les campagnes notamment, sont très ignorants. Le souverain n’a pas de grandes exigences au sujet de leur savoir : qu’ils possèdent le Pater et le Credo, les formules liturgiques de la messe et des sacrements. Ils doivent commenter l’évangile du dimanche, appliquer les pénitences prescrites par l’Eglise. Sur ces points, on leur facilite la tâche : ils prêcheront dans la langue vulgaire du pays et des recueils, dits « pénitentiels », seront comme des barèmes pour l’infliction des peines. On voudrait bien qu’ils puissent lire la littérature latine profane. La connaissance du latin dans la grande majorité du clergé de Gaule est trop rare pour que ce désir puisse être autre chose qu’un pium votum.
Charlemagne et ses successeurs feront pour ressusciter les études un puissant effort dont on parlera au chapitre traitant de la Renaissance littéraire. Et pour assurer le recrutement d’un épiscopat instruit et régénéré, il n’hésite pas à violer les règles canoniques et à choisir les prélats parmi les meilleurs sujets « du Palais ».
Au cœur de la vie chrétienne est la messe. Son formulaire n’est pas constitué d’une façon identique dans les diocèses des Gaules. Même diversité pour les fêtes et cérémonies. Cette multiplicité doit cesser. Un nouveau sacramentaire, dit « gélasien » du pape Gélase (fin du Ve siècle), unifie le cérémonial et détruit les particularismes « gallicans ».
Les offices de jour et de nuit sont chantés. Pépin veut en remplacer la diversité par le « chant romain », dit « grégorien ». Charlemagne reprend et appuie cette prescription en 789.
Il s’inquiète de la manière dont sont administrés les sacrements et il envoie des circulaires pressantes pour en être informé.
Louis le Pieux, sous l’influence de saint Benoît d’Aniane, entreprend la réforme des monastères et impose l’observance de la règle due à saint Benoît de Norcia.

D – Les controverses théologiques sous Charlemagne
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Tant qu’il ne s’agit que de discipline, de liturgie même, passe encore. Mais voici que Charlemagne s’entremet de questions dogmatiques. Il se jette dans l’affaire du filioque qui devait peser d’un poids si lourd plus tard lors de la séparation, transitoire d’abord à la fin du IXe siècle, puis définitive au milieu du XIe siècle, de l’Eglise d’Orient et de 1’Eglise d’Occident. Ses envoyés à Léon III, en 809, pressent le pape de substituer au symbole : le Saint-Esprit procède du Père par le Fils, comme profession de foi, le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, formule jugée plus trinitaire par l’Eglise de Gaule depuis longtemps, sous l’influence des conciles de Tolède des VIe et VIIe siècles. Léon III, prudent, conscient du danger, s’y refusa.
Disciple sur ce point de l’Eglise d’Espagne, l’Eglise des Gaules lui fit, par contre, une opposition décidée dans l’affaire de l’Adoptianisme, interprétation d’un certain nombre de prélats d’Outre-Pyrénées soutenant que le Christ, en tant que « fils de l’homme » est fils adoptif de Dieu plus qu’il n’est fils de Dieu et Dieu par nature. Le concile de Francfort condamna formellement cette doctrine en 794 et Charlemagne agit vigoureusement contre ceux des docteurs d’Espagne qui étaient sous son autorité, dans la « Marche », la Catalogne. Pour les autres, ceux qui étaient dans les parties au pouvoir des Arabes, ce fut lui qui eut l’initiative de leur adresser une injonction de venir à résipiscence, faute de quoi ils n’avaient pas à s’attendre qu’il les délivrât du joug des Musulmans.
Mais c’est dans l’affaire iconoclastique qu’il déploya un zèle plus qu’indiscret. La querelle des « Images » qui déchirait l’Empire d’Orient depuis 727, depuis l’avènement de Léon l’Isaurien, avait fini par avoir un écho en Occident. L’opposition au culte des représentations figurées des saints, culte qui tournait chez les simples à l’idolâtrie, s’était transformée en une réaction contre les saints : certains voulaient interdire la révérence à leurs reliques, même d’invoquer dans les prières leur intercession auprès de la Divinité. Dans un dessein d’apaisement l’Impératrice Irène, qui gouvernait sous le nom de son fils Constantin, un mineur, eut l’idée de convoquer un grand concile, un concile œcuménique, auquel prendraient part des représentants de l’Occident, notamment de la papauté. Après bien des difficultés, le concile se tint à Nicée, le 24 septembre 787. Il comprenait 318 Pères. Le pape y était représenté, mais nul évêque franc n’y assistait.
Le concile prit (7 octobre) des décisions anti-iconoclastiques. Il déclara légitimes les représentations du Christ, de la Vierge, des anges, des saints, mais en réservant à Dieu seul l’« adoration » (latrie) et la foi (pistis). Le culte rendu à tout autre ne pouvait être que « relatif » (schetikos).L’intercession des saints était recommandée, non moins que les hommages rendus à leurs reliques. Le concile justifiait la représentation de la Croix, celle des apôtres, des saints, soit par image (statue) soit par peinture, par une observation d’ordre psychologique, comme nous dirions. Contempler ces figures et longuement, pieusement, c’est se pénétrer des vertus des vénérés personnages représentés et s’exciter à imiter leurs vertus. C’est ce que nous appellerions la suggestion provoquée par l’image.
Ces décisions qui ont sauvé l’art, en Occident du moins, car, par la suite, l’Orient proscrivit la Statuaire, furent interprétées à tort et à travers par Charlemagne. Il se posa en défenseur de la Foi maltraitée par ce pseudo-concile. Il en critiqua âprement les décisions et les preuves à l’appui. Pourquoi ne pas s’en tenir à la sage doctrine du pape Grégoire le Grand dans sa lettre à Serenus, évêque de Marseille : « il ne faut ni adorer les « images », ni les briser » ? Sans doute Charles n’a pas écrit lui-même les Livres Carolins, dont la rédaction est due peut-être à Alcuin, mais il les a approuvés. Leur vrai litre est même capitulare de imaginibus : c’est donc en sa pensée un capitulaire, une décision législative, une injonction de sa part. Ses critiques étaient mal fondées : la traduction latine des actes du concile de Nicée qui lui fut présentée, est un tissu de contresens, plus ou moins involontaires. Mais le fait même qu’il a voulu condamner, sans plus ample informé, est un témoignage irrécusable d’un zèle intempestif ; trop vite alarmé, échauffé aussi par l’animosité politique conçue contre Byzance à la suite de la rupture du mariage de sa fille Rotrude avec Constantin VI, fils d’Irène. Il ne lui vient pas à l’esprit que l’affaire regarde avant tout son ami, le pape Hadrien.Il fait condamner, en même temps que l’adoptianisme, le concile œcuménique de Nicée à Francfort, en 794. Nulle opposition de ses évêques à l’attitude du maître : nommés par lui, considérés par lui et se considérant comme des sortes de fonctionnaires, ils n’oseraient résister, d’autant plus qu’ils se persuadent que son bras puissant est la meilleure sauvegarde de l’orthodoxie. Seule la papauté est réticente. Hadrien tente de lui faire comprendre qu’il s’en prend à tort au patriarche Tarasios, président du concile de Nicée. Léon III lui-même, qui doit tout à l’Empereur, étouffe le filioque. Rien n’y fait. Charlemagne pratique en pleine conscience, sans l’ombre d’un doute sur la légitimité de ses interventions, le césaro-papisme, à la manière d’un Justinien et de tant d’autres empereurs byzantins. La future théorie des « deux glaives » l’eût scandalisé. Il n’y a qu’un glaive et c’est à lui de le manier, puisque Dieu le lui a confié. Principe qui eût asservi i’Eglise en Occident, comme elle devait le faire en Orient, si à Rome il n’eût rencontré l’obstacle de pontifes de la trempe de Nicolas Ier, plus tard de Léon IX, de Grégoire VII et de leurs successeurs, et aussi s’il avait pu s’enraciner chez le successeur de Charlemagne. Mais avec Louis le Pieux, rien de pareil ne fut à craindre pour l’Eglise.


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