Ferdinand Lot De l’Institut


Lothaire, Louis V et Hugues Capet (954-987)



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Lothaire, Louis V et Hugues Capet
(954-987)

Jusqu’à la mort de Hugues le Grand (954-956)


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La fin inopinée de Louis IV d’Outre-mer n’affectait en rien la situation de Hugues le Grand : qu’il fût l’arbitre de la situation, nul n’en doutait, et la veuve du défunt, Gerberge, moins que personne. Elle députa aussitôt au duc, lui demandant « aide et conseil ». En même temps, elle informait de la situation ses frères Otton et Brunon. Mais le roi d’Allemagne était occupé en Bavière à combattre son fils Liudolf, révolté, et l’archevêque de Cologne était aux prises avec le duc de Lorraine, Conrad, en pleine rébellion. La décision était de fait entre les mains de Hugues le Grand. Pour la troisième fois, l’occasion se présentait à lui de saisir la couronne. Il ne céda pas à la tentation. Il convoqua la reine veuve, lui fit un accueil honorable, la consola et lui promit d’aider son fils aîné à monter sur le trône. L’assemblée des grands et des évêques de France, de Bourgogne, d’Aquitaine, convoquée à Reims, élut roi le fils aîné du défunt roi, Lothaire, âgé de treize ans. L’enfant fut sacré à Saint-Remi par l’archevêque Artaud, le dimanche 12 novembre 954.
Si Hugues le Grand avait consenti à prolonger la dynastie carolingienne, il entendait se faire payer très cher ce service. Il se fit concéder sur-le-champ la Bourgogne et l’Aquitaine. Son autorité, son ducatus, ne s’étendait plus seulement sur la région plus spécialement française allant de l’Anjou à l’Escaut et à la Meuse, mais sur l’ensemble du royaume de France. Il coupait à la racine toute velléité pour le roi de s’appuyer éventuellement sur un duc de Bourgogne ou un duc d’Aquitaine pour lui faire opposition. Sous le titre de « duc des Francs » Hugues devenait de fait roi des Francs, réduisant le Carolingien au rôle de roi fainéant, rôle que ni Louis IV, ni même Charles le Simple n’avaient accepté.
Restait à Hugues à se rendre maître effectif des deux gros morceaux du royaume qu’il s’était fait attribuer. Du côté de la Bourgogne, il négocia habilement. La majeure partie de la contrée était sous l’autorité effective de Gilbert, gendre du fondateur du duché, Richard le Justicier, depuis l’accession au trône du fils de ce dernier, Raoul. Gilbert disposait des comtés de Dijon, de Beaune, de Chalon. Il n’avait pas de fils, mais des filles. Hugues fiança son second fils, Otton, à la fille aînée de Gilbert, Liegearde. Cette alliance était favorable aux deux familles et Gilbert, moyennant une reconnaissance de vassalité vis-à-vis du duc des Francs, conservait pour la durée de sa vie la direction de la Bourgogne. Aussi parut-il aux fêtes que donna Hugues à Paris, à l’occasion de Pâques (15 avril 955), en l’honneur du jeune roi. En même temps, le duc, affermissait sa situation par la politique des mariages : une de ses filles, Emma, était fiancée au duc de Normandie, Richard, une autre au puissant comte de Bar, en Lorraine, Ferry.
Mais du côté de l’Aquitaine, il fallut recourir à la force, Guillaume Tête-d’Etoupe n’étant pas disposé à se laisser dépouiller de sa dignité. Hugues leva l’armée, et, en juin, commença la campagne dans laquelle il entraîna le jeune roi, obligé de combattre l’allié de son père. Hugues leva aussi des contingents de Bourgogne. Le siège de Poitiers fut malheureux. L’armée ducale et royale dut se retirer. Guillaume, qui était allé rassembler des forces en Auvergne, eut le tort d’engager le combat avec l’armée de Hugues en retraite et eut le dessous. La campagne d’Aquitaine n’en était pas moins un échec pour l’ambition de Hugues.
Un dédommagement lui vint du côté de la Bourgogne. Gilbert s’était de nouveau rendu à Paris. Il mourut au moment où il participait aux fêtes de Pâques de l’année 956, le 8 avril. L’expectative du duché de Bourgogne était assurée ainsi au fils puîné de Hugues, Otton, encore jeune.
Mais le grand duc d’Occident ne devait pas jouir longtemps de sa haute fortune. Il mourut à Dourdan le 16 ou 17 juin de la même année, succombant peut-être à la peste qui désolait la France et l’Allemagne. II avait tenu une trop grande place depuis un tiers de siècle dans les événements du temps pour que sa mort passât inaperçue. Le bruit courut qu’elle avait été annoncée l’année précédente par l’apparition dans les airs d’un dragon sans tête.

La tutelle des Ottoniens
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Le fils aîné du grand duc, qui portait son nom, Hugues, fut surnommé Chapet ou Capet, à cause de la châsse (cappa), précieuse relique de saint Martin, conservée au monastère tourangeau dont il demeura abbé laïque. Il était mineur lors de la mort de son père. La tutelle des deux mineurs, le roi et le duc des Francs, fut assumée par leurs oncles allemands, Otton et Brunon, avec la participation des deux sœurs, Gergerge, veuve de Louis d’Outre-mer, Avoie, veuve de Hugues le Grand. La tutelle effective revint surtout à Brunon de Cologne et elle s’exerça dans le sens de la conciliation entre ses deux neveux, le roi Lothaire, le duc Hugues II. Elle ne réussit que pour peu de temps et l’histoire des rapports de Hugues Capet avec Lothaire rappela vite celle de son père avec Louis IV et on assiste à un insipide recommencement du passé.
Le jeune roi dut se porter au secours de l’Eglise de Reims, constamment dépouillée et pillée par ses voisins. Il lui fallut intervenir en Bourgogne à plus d’une reprise. Une des filles de Gilbert, surnommée « la Guerre » (Werra), avait épousé Robert, comte de Troyes, un des fils d’Herbert II de Vermandois, et elle n’avait, semble-t-il, rien recueilli de son père, ce qui ne manqua pas d’exciter son mari à se tailler de vive force une part dans l’héritage. Lothaire s’y opposa et le rebelle dut lui faire hommage. A cette occasion, le roi voulut se payer de son intervention en mettant la main sur Dijon, qui, dès cette époque, bien que n’étant pas une « cité » épiscopale, tendait à devenir le centre du duché de Bourgogne. Il s’attira ainsi l’hostilité, non seulement des princes de Vermandois, mais celle de ses cousins, Hugues Capet et Otton. Le dissentiment fut si grave que Brunon dut accourir avec une armée de Lorrains pour s’interposer entre ses neveux et leur faire conclure une trêve. Puis, il profita d’une visite à Cologne du jeune roi de France pour le faire renoncer à toute visée sur le royaume de Lorraine (3 avril 959). Il avait agi prudemment, car Lothaire rentré en France, une formidable révolte éclata en Lorraine, dirigée par Immon le propre conseiller de Brunon. En Lorraine, comme en Allemagne, comme en Italie, il était impossible de se fier à personne. L’insubordination n’y était pas moindre qu’en France. Pour contenir la sédition et s’assurer un appui à l’avenir, Brunon prit le parti de constituer en duché le sud de la Lorraine, en faveur de Ferry, comte de Bar, mari de sa nièce, Béatrice, fille de Hugues le Grand (959).
L’appui de Brunon était indispensable à Lothaire. Robert de Troyes ayant pris Dijon par trahison — mode habituel d’enlèvement des places en ce siècle — Brunon dut amener à l’aide du roi une armée composée de Lorrains et de Saxons. La campagne ne fut pas heureuse. Outre Dijon, il fallut assiéger Troyes dont l’évêque, Anséis, avait été expulsé par le comte Robert. Celui-ci trouva des secours que lui amenèrent son propre fils Archambaud, archevêque de Sens, et Rainard le Vieux, comte de la même ville. Selon un récit d’allure légendaire, les Saxons, qui ravageaient le Sénonais, furent battus à Villiers-Lorris, à onze kilomètres de Sens et leur chef, Helpon, fut tué. Il fallut lever le siège de Troyes et celui de Dijon.
L’année suivante le Carolingien fut plus heureux et Brunon crut bien faire en réconciliant ses neveux. Hugues et Otton vinrent trouver Lothaire et lui jurèrent fidélité. Otton reçut l’investiture de la Bourgogne — sauf Dijon que retint le roi — et Hugues, celle de la « France » à laquelle Lothaire joignit le Poitou, sous la pression évidente du duc.
En 961, le roi réunit une assemblée pour tenter d’accorder le duc de Normandie, Richard, et le très puissant vassal du duc Hugues, Thibaud le Tricheur, comte de Tours, Blois et Chartres. Le jeune duc venait d’épouser Emma, sœur de Hugues.
Ne se sentant pas soutenu par son seigneur, Thibaud se rapproche du roi qu’il avait jusqu’alors combattu. Inquiets de la puissance normande, Geoffroi Grisogenelle, comte d’Anjou, et Baudouin auquel son père, Arnoul le Vieux, abandonnait le gouvernement de la Flandre, firent de même. Battu, Richard s’enfuit à Rouen (7 avril 961). Thibaud réussit à s’emparer d’Evreux. Mais le duc de Normandie appela à l’aide des bandes de Normands de Danemark qui mirent en déroute à Hermentruville (Saint-Sever) Thibaud qui s’avançait pour s’emparer de Rouen. Pour comble de malheur, un incendie dévora sa ville de Chartres (5 août 962). Les Danois s’installèrent à Jeufosse, sur la Seine, comme avaient fait leurs ancêtres un siècle auparavant, et de là dirigèrent des raids dévastateurs sur les pays contigus à la Normandie.
Cependant le roi se rendit en Bourgogne où un certain nombre de grands et d’évêques d’Aquitaine vinrent conférer avec lui, sans doute pour le faire revenir sur la cession de ce pays au duc des Francs, ce que la présence de Guillaume Tête-d’Etoupe auprès du roi, à Vitry, en octobre 962, rend vraisemblable. En tout cas, Lothaire ne profita pas de sa présence pour revendiquer le Viennois, car l’on voit peu après sa sœur Mathilde épouser Conrad, roi de Provence-Bourgogne.
Lothaire fut rappelé par l’interminable affaire de la succession à l’archevêché de Reims. La mort d’Artaud (30 septembre 961) la faisait rebondir. Les Vermandisiens voyaient là l’occasion d’y replacer leur frère, Hugues, et, comme par le passé, le duc des Francs se joignait à eux. La décision fut remise au pape Jean XII. Sous l’influence de Brunon et du roi Otton, le pape confirma les décisions des conciles de Verdun, Mouzon, Ingelheim, Trèves. Hugues fut définitivement écarté et Brunon réussit à faire élire Oudry (Odelric), savant chanoine de l’église de Metz (automne de 962). Hugues se réfugia à Meaux auprès de son frère Robert et ne tarda pas à mourir, débarrassant la scène d’un motif de conflit qui durait depuis trente-sept ans.
Le prestige du jeune roi se trouvait alors remonté à tel point que le vieil Arnoul de Flandre, privé de son fils, Baudouin, mort le 1er janvier 962, vint lui faire remise de l’ensemble de ses domaines, à condition d’en garder la jouissance sa vie durant. Il survécut peu à cet accord, étant mort le 27 mars 965. Lothaire voulut alors prendre possession des Flandres, mais les Flamands ne l’entendirent pas ainsi. Ils se rallièrent autour du petit-fils du défunt, Arnoul II, en lui donnant comme tuteur, vu son jeune âge, un grand du nom de Bauces (Baltzo). Lothaire s’empara sans coup férir d’Arras, de Douai, de Saint-Amand ; ensuite il prit le sage parti de faire sa paix avec les Flamands, qui se soumirent. Le roi garda le pays jusqu’à la Lys.
On le voit ensuite à Cologne, à la grande assemblée du 2 juin 965, accompagné de sa mère Gerberge, de l’archevêque de Reims, de quantité de grands personnages. Il vient faire sa cour à son oncle Otton, au faîte de sa grandeur. Le 2 février 962, le roi d’Allemagne et d’Italie avait été sacré empereur à Rome par le pape Jean XII. A Cologne, il apparaissait à la fois comme le plus puissant prince de l’Occident et comme l’arbitre et le conseiller de ses parents par alliance. Sans doute fut-il question du mariage de Lothaire, alors âgé de vingt-cinq ans, avec Emma, fille de l’impératrice Adélaïde et de son premier mari, Lothaire, roi d’Italie, mariage qui s’effectua quelques mois plus tard.
A peine Lothaire était-il de retour en France que le conflit reprit avec les Robertiens. Otton de Bourgogne, fils puîné de Hugues le Grand, venait de mourir. Un parti de seigneurs bourguignons, sans plus se soucier du roi, se choisit comme duc, le troisième fils de Hugues le Grand, Eudes dit aussi Henri, bien qu’il eût embrassé l’état ecclésiastique. La connivence de son frère Hugues Capet était évidente. Le conflit fut si violent que Brunon accourut (septembre). Malheureusement, il tomba malade à Reims et expira dans la nuit du 10 au 11 octobre.
Lothaire perdit en son oncle maternel un sage conseiller, soutien de sa jeunesse. La disparition de Brunon, suivie de celle de Gerberge, trois ans plus tard, devait desserrer les liens de parenté et de reconnaissance qui unissaient le roi de France à ses parents d’Allemagne.
La période qui suivit la mort de Brunon est mal connue. Les excellentes annales du religieux de Reims, Flodoard, nous font défaut passé 966 et nous en sommes réduits à des renseignements épars et succincts.
L’année 966 vit la fin de la période des dévastations des régions voisines de la Normandie par les mercenaires danois engagés par le duc Richard. Ces redoutables auxiliaires étaient encore païens. Le cri de réprobation des évêques finit par être entendu de Richard. Une assemblée fut convoquée au siège même des mécréants, à Jeufosse, le 15 mai. Les Danois refusèrent de partir. Ils ne s’y décidèrent que lorsque le duc de Normandie leur eut fourni des vivres, des vaisseaux, des pilotes du Cotentin, évidemment renommés. Ils cinglèrent alors pour l’Espagne et la dévastèrent.
La paix se fit à Gisors, en juin ou juillet, dans une grande assemblée où prirent part le roi, le duc des Francs, le duc de Normandie, Thibaud de Chartres, Josselin, abbé de Saint-Denis, et quantité de grands et évêques français et normands. Au moment de cette entrevue, le roi et le duc étaient déjà réconciliés, Lothaire ayant consenti à investir de la Bourgogne Henri, frère du duc, mais en se réservant toujours Dijon.
Un événement décisif pour la dynastie carolingienne se produisit à la fin de 969. Le roi donna pour successeur à Oudry sur le siège de Reims Auberon (Adalberon), chanoine de l’église de Metz, comme son prédécesseur. Impossible de faire un meilleur choix. Auberon n’était pas seulement instruit et pieux, mais son caractère était à la hauteur de son intelligence, et puis, ce qui ne gâtait rien, dans les idées du temps, il appartenait à une très noble famille, celle des comtes de Methingowe (Luxembourg). Aussitôt installé il se donna avec vigueur à la lutte sans trêve contre les spoliateurs de l’évêché de Reims, et entreprit une tâche encore plus difficile, la réforme de son clergé, tant régulier que séculier. Il reconstruisit aussi partiellement la cathédrale, l’embellit, orna les fenêtres de vitraux à personnages et installa dans les tours des cloches puissantes. Auberon était un prélat faisant honneur au royaume. Seulement ses idées politiques devaient se révéler désastreuses pour les derniers Carolingiens. Auberon était partisan de l’unité du monde chrétien sous une même autorité séculière. La maison de Saxe en la personne d’Otton le Grand et de sa descendance réalisait le rêve de Charlemagne, Louis le Pieux et Lothaire Ier. Sans doute, le pouvoir impérial pouvait s’accommoder de l’existence de rois, mas à condition qu’ils fussent subordonnés à son autorité. En cas de conflit l’« impérialiste » ne pouvait pas ne pas se ranger du côté de son idéal. Et pour comble d’infortune le hasard devait amener à Reims un savant et ambitieux clerc aquitain, Gerbert, qui professa les opinions politiques de l’archevêque, son bienfaiteur.
Otton le Grand mourut le 7 mimai 973. Sa disparition ne manqua pas de réveiller l’esprit d’insubordination des seigneurs lorrains avides de recommencer leurs interminables querelles. Lothaire se trouva entraîné à y participer et par suite à entrer en conflit avec son impérial cousin Otton II.

Lothaire contre Otton II
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Renier et Lambert, fils et petit-fils de ces comtes de Hainaut dont l’agitation et les rébellions avaient troublé la Lorraine depuis le début du siècle, réfugiés en France, assaillirent les comtes auxquels Otton Ier et Brunon avaient confié l’administration du Hainaut et les mirent à mort. L’empereur intervint. Renier et Lambert se réfugièrent de nouveau en France. Leurs intrigues au cours des années 974 à 976 aboutirent à la constitution d’une véritable entreprise sur la Lorraine, entreprise qui réunit le roi, son frère Charles, le duc Hugues Capet, les princes de Vermandois, des Lorrains du Cambrésis. Au printemps de 976, le 19 avril, sous Mons, chef-lieu du Hainaut, une furieuse bataille s’engagea. Les Lorrains fidèles à Otton II furent défaits ; parmi eux se trouvait Godefroid, comte de Methingowe et de Verdun, le propre frère de l’archevêque de Reims : il fut blessé.
Lothaire, alors en Flandre, avait laissé la conduite de la campagne à son frère Charles, Une affaire désagréable surgit. Rorgon, évêque de Laon, vint à mourir (20 décembre 976). C’était un Carolingien : fils bâtard de Charles le Simple, il avait été pour son royal neveu un conseiller dévoué. Lothaire lui donna pour successeur (16 janvier 977), un Lorrain, Auberon, plus connu sous la dénomination hypocoristique d’Asselin (Adzolinus). Ce clerc était son chancelier et il était dans les traditions qu’un évêché récompensât un personnage ayant occupé ces fonctions. Cette nomination déplut à ceux qui désiraient la succession de Rorgon. On fit courir le bruit qu’Asselin entretenait des relations coupables avec la reine Emma. Ce bruit était mis en circulation par le frère même du roi qui détestait sa belle-sœur. L’archevêque de Reims, sans se soucier du scandale qui en rejaillirait sur la couronne, soumit le cas de son nouveau suffragant à un synode. Naturellement la reine se défendit et Asselin fut acquitté. Lothaire lui continua sa confiance et bannit son frère Charles. Asselin devait se venger de ce dernier d’une manière décisive quinze ans plus tard.
Le bannissement de Charles fournit à Otton II l’occasion d’un coup de maître. Non seulement il pardonna aux fils de Renier, mais il investit l’exilé du duché de Basse-Lorraine. Lothaire avait désormais en son propre frère un adversaire, résolu à servir son impérial cousin, d’autant plus que, en France, il n’avait pu obtenir de quoi subsister : on conçoit que Lothaire, avec les misérables ressources de son domaine propre fût incapable de constituer à son frère une sorte d’apanage.
Loin d’intimider Lothaire, cette mesure semble avoir précipité chez lui un dessein certainement caressé depuis longtemps. Pas plus que son père il n’avait pu se résigner à être frustré d’Aix-la-Chapelle et de la Lorraine. Ni la parenté avec les Ottoniens, ni le devoir de reconnaissance envers eux, ne pouvaient faire taire ce regret. Ne voyons là rien qui manifeste un patriotisme français. Le Carolingien, bien que pour les besoins de sa vie courante qui se passe dans les vallées de l’Aisne et de l’Oise, use du dialecte roman qui deviendra le « picard », n’a pas oublié la langue germanique de ses ancêtres, et pour lui, la Lorraine, l’Allemagne même, tout au moins la Franconie, sont des pays francs. Il revendique dans la Lorraine le berceau de sa race et, s’il le pouvait, il régnerait aussi bien sur l’Allemagne et sur l’Italie que sur la région occidentale à laquelle Lorrains et Allemands réservent depuis cette époque le nom de France, et quelquefois de Carolingie (Kerlingen) et, à ses habitants, le nom de François (Francisci) ou Charliens (Carolenses). Dans l’été de 978, Lothaire tenta une surprise. L’empereur Otton II se tenait à Aix-la-Chapelle en compagnie de l’impératrice Théophano, fille de l’empereur byzantin Romain II. Le roi de France imagina de les faire prisonniers. Il mit, on ne sait comment, les Robertiens, Hugues Capet et Henri de Bourgogne, dans son jeu. Pour surprendre son cousin et éviter les difficultés de la forêt des Ardennes, il prit par la rive gauche de la Sambre et de la Meuse, suivant la voie romaine (Cambrai, Bavai, Tongres, Cologne), traversa la Meuse, probablement à Liége ou à Visé, et apparut à Aix. Il manqua Otton et Théophano, qui purent fuir à Cologne, mais de justesse. Les tables de festin étaient encore dressées et les valets de l’armée française se jetèrent sur les mets tout préparés. Néanmoins, le coup était manqué. Lothaire n’était pas en mesure de résister aux forces que l’empereur n’allait pas manquer de rassembler. Il le comprit et, après trois jours seulement passes à Aix, décida la retraite. Avant son départ, il voulut manifester ses prétentions par un geste symbolique. Au faîte du palais d’Aix se dressait l’aigle impérial en bronze aux ailes éployées. Charlemagne, dit-on, l’avait fait ériger face à l’Est, sans doute menace pour les Saxons et les Slaves. Les empereurs ottoniens, l’avaient tourné face à l’Ouest. Lothaire lui fit reprendre sa face première. Ensuite il quitta Aix où nul roi de France ne devait plus remettre les pieds en vainqueur. Au retour, par l’Ardenne, il tenta de mettre la main sur Metz, l’antique capitale de l’Austrasie, mais la ville, défendue par son évêque, Thierry, résista.
Otton ne pouvait laisser impuni l’attentat de son cousin de France. Il proclama le ban et réunit une grosse armée dont le total, comme toujours, a été follement exagéré. Il était tellement sûr du succès que, dédaignant toute surprise, il avertit Lothaire qu’il envahirait son royaume le 10 octobre. Tout plia devant lui. Laon même fut livré grâce aux intrigues du propre frère de Lothaire, Charles de Lorraine, qui fut proclamé roi par l’évêque de Metz. Otton dans sa marche respectait, autant que possible, les églises, par pitié et pour se concilier le clergé, mais détruisait les exploitations rurales des Carolingiens, Attigny et Compiègne notamment, qui constituaient les seules ressources de cette pauvre royauté.
Lothaire, incapable de résister, s’était enfui à Etampes. Le duc lui-même n’osa risquer une bataille et s’enferma dans Paris. Otton vint l’y assiéger. Son armée campa entre Montmartre et la Seine. Enlever la cité enfermée dans son île était impossible si l’on ne se rendait maître des « châtelets » ou têtes de pont l’unissant aux deux rives. Mais l’empereur ne put franchir le fleuve. Il se contenta, dit-on, de darder sa lance contre le châtelet de la rive droite, qui occupait la place qui garde encore aujourd’hui ce nom. Les récits du siège de Paris par Otton II ont vite revêtu un caractère légendaire. Un guerrier allemand aurait défié en combat singulier les assiégés. Un des vassaux du duc Hugues, nommé Ives, aurait relevé le défi et tué l’Allemand.
Cependant, une armée, de secours s’organisait sous la direction de Geoffroi Grisegonelle, comte d’Anjou, et d’Henri, duc de Bourgogne. L’hiver approchait. Otton décida la retraite le 30 novembre, après deux mois de campagne. Au dire d’un texte composé bien plus tard, vers 1042, les Gestes des évêques de Cambrai dont l’auteur est tout dévoué à l’Empire, avant son départ, Otton fit monter ses clercs tout en haut de Montmartre et leur fit entonner l’Alleluia te martyrum « de façon à étourdir les oreilles de Hugues et du peuple de Paris et à les stupéfier ». Il en faudrait conclure que le peuple de Paris avait l’ouïe fine pour entendre de la « Cité » un chant d’Eglise entonné à Montmartre, à plus de trois kilomètres de là.
Au retour, l’armée impériale fut un instant en danger, n’osant, près de Soissons, franchir l’Aisne. Sur le conseil du comte Godefroid, frère d’Auberon de Reims, et de l’évêque de Ratisbonne, on passa coûte que coûte, ce qui évita le désastre. Seule l’arrière-garde, arrêtée par la nuit, ne put franchir la rivière subitement gonflée par les pluies. Elle fut exterminée par les Français. Pour dissimuler cette fin d’opérations assez malheureuse, les Gestes des évêques de Cambrai ont inventé tout un scénario. Otton aurait proposé la bataille à Lothaire, que l’une ou l’autre armée passât le fleuve. Geoffroy d’Anjou se serait alors écrié :

« Pourquoi sacrifier tant de monde de part et d’autre ? Que les deux souverains luttent en combat singulier. On se soumettra au vainqueur. » Godefroid aurait répliqué avec indignation : « On prétendait que vous n’aimiez pas votre roi : en voilà l’aveu. Nous, nous ne resterons jamais les bras croisés à regarder se battre notre empereur, bien que nous ne doutions pas de sa victoire en ce cas. »


Ce n’est même pas un emprunt au folklore, mais une simple fabrication de clerc pour pallier l’insuccès impérial. Par contre, l’Histoire des Francs, rédigée à Sens, grossit la victoire des Francs et y mêle des éléments légendaires.
Des deux côtés on s’attribua la victoire. Chose curieuse, la campagne d’Otton, réplique à une agression cependant, suscita certaines critiques en Lorraine. Au dire d’Alpert, moine de Metz, un ermite prédit que ceux qui avaient participé à la campagne de France mourraient dans les sept ans. La défaite d’Otton, dans l’Italie du Sud, à Basentello, suivie peu après de sa mort, cinq ans après, aurait été le châtiment d’une lutte impie contre les chrétiens. N’eût-il pas mieux valu combattre avec zèle les païens que de lutter contre les Français (Franci Carolini), sans égard à la fraternité chrétienne ? écrit Brunon, auteur de la Vie de saint Adalbert.
Charles avait naturellement suivi Otton dans sa retraite. Redoutant ses menées, Lothaire crut prudent d’associer au trône son fils Louis, âgé seulement de treize ans. Toujours fidèle à sa ligne de conduite, Hugues Capet ne fit pas d’opposition. Reconnu par les grands à Compiègne, l’enfant fut sacré par l’archevêque de Reims en une fête solennelle, la Pentecôte (8 juin 979).
Le domaine royal était trop exigu pour que le jeune associé au trône pût avoir une dotation, si faible fût-elle. Une occasion inespérée se produisit de le pourvoir. Le comte d’Anjou, Geoffroy, persuada la reine Emma de marier son fils à Alaïs (Adélaïdis), veuve d’Etienne, comte de Gévaudan. Installé à Brioude, le jeune roi ferait sentir plus aisément l’action royale sur l’Aquitaine et la Gothie. On contre-balancerait ainsi la puissance du duc Hugues. Geoffroy allait contre les intérêts du duc, son seigneur, mais Alaïs était sa sœur et il cédait à l’ambition d’en faire une reine. A Brioude, Alaïs fut couronnée reine par les évêques, parmi lesquels son propre frère Guy, évêque de Puy-en-Velay.
Cette combinaison ne pouvait qu’inquiéter Hugues Capet, qui dissimula son dépit, et aussi le comte d’Auvergne, Guy Ier, et également le comte de Poitiers, Guillaume-Fièrebrace, se considérant duc d’Aquitaine, enfin le comte de Toulouse et marquis de Gothie, Guillaume-Taillefer. Le résultat devait être pitoyable.
Dès la fin de 979, la bonne intelligence entre le roi et le duc avait cessé, sans qu’on en sache les causes précises. Mais, la raison permanente, c’était qu’aucun accord durable n’était possible dans un même pays entre deux souverains dont aucun n’entendait être soumis à l’autre.
Le jeu de bascule recommença. Lothaire engagea des négociations secrètes avec Otton II, peut-être par l’entremise de l’archevêque de Reims. L’empereur, qui préparait une expédition en Italie, était bien aise d’être assuré contre tout retour offensif derrière son dos. Une entrevue eut lieu à Margut sur la Chiers (Ardennes, arr. de Sedan), à la frontière des deux Etats, au début de juillet 980. Lothaire, accompagné de son fils, fit des présents et renonça certainement à ses visées. On s’embrassa. On se jura une amitié éternelle. Puis les deux cousins se séparèrent pour ne plus se revoir. Le Carolingien retourna à Laon. L’Ottonien gagna l’Italie où il devait trouver sa fin.
Le traité de Margut « contrista fort le cœur des principaux des Francs », selon 1’Histoire sénonaise des Francs, qui ne dit pas la raison de cette désapprobation. Ce qui est certain, c’est qu’il inquiéta Hugues Capet au point de le pousser à aller trouver Otton en Italie pour s’expliquer avec lui. Que se passa-t-il dans le colloque qui eut lieu entre eux à Rome, en mars 981 ? On l’ignore. Un détail que l’historien Richer a dû recueillir de la bouche de l’évêque d’Orléans, Arnoul, c’est que celui-ci, qui avait accompagné le duc des Francs, servit d’interprète entre Hugues et Otton. L’empereur s’exprimait en latin et, comme le duc ne comprenait pas, Arnoul traduisait en français. L’anecdote prouve aussi qu’Otton II ne savait pas le français et que Hugues Capet ne savait pas l’allemand. On se rappelle qu’à Ingelheim en 948, si le roi Lothaire, pas plus qu’Otton Ier, ne comprenait le latin, tous deux s’entendaient en allemand.
Une autre anecdote mérite d’être recueillie. Au moment où l’entrevue finissait et où Otton se levait, il fit signe à Hugues de lui passer son épée qu’il avait déposée sur un siège : étourdiment le duc des Francs se baissait pour la prendre. Les portes s’ouvraient et il allait apparaître en posture de porte-épée, donc de vassal de l’empereur. Arnoul comprit le danger, s’élança, arracha 1’épée des mains du duc des Francs et la porta lui-même à la suite de l’empereur, qui admira la présence d’esprit de l’évêque d’Orléans. Il semblerait donc qu’il y eût là un coup prémédité, mais nous n’avons d’autre garant que Richer, ou plutôt son informateur, Arnoul. Cependant ce qui ressort de l’anecdote c’est que, à cette époque où tout mouvement de la tête, des mains, des jambes, a un caractère symbolique pouvant entraîner de graves conséquences, il importe de surveiller ses gestes.
Selon Richer, Lothaire, inquiet du voyage de Hugues, aurait écrit au roi de Bourgogne, Conrad, d’arrêter le duc au passage des Alpes, et la reine Emma aurait, de son côté, écrit à sa mère l’impératrice Adélaïde, à Rome, de se saisir de la personne du duc qui cherchait à détacher Otton II de son mari. Elle lui aurait donné le signalement détaillé du duc, relevant les particularités de ses yeux, de ses lèvres, de ses dents, de son nez, des autres parties du corps, même de sa façon de parler. Se doutant qu’il était guetté, Hugues, sur le chemin du retour se déguisa en domestique et s’acquitta même de son emploi, soignant les chevaux, portant des fardeaux, ce qui ne l’empêcha pas de faillir être reconnu dans une hôtellerie. Il échappa également aux embûches du roi Conrad et put rentrer en France.
Que peut-on retenir de cette narration ? Richer a-t-il tout inventé ou simplement brodé un récit de l’évêque d’Orléans ? Les deux lettres de Lothaire et d’Emma qu’il reproduit, au moins en partie, les a-t-il copiées — et chez qui ? — ou les a-t-il simplement fabriquées ? Il est permis de se le demander.
Cependant, la combinaison du mariage du prince Louis avait échoué. Le marié avait quinze ans, la mariée était une femme mûre. Ils en vinrent très vite à une séparation de fait. Le trop jeune roi, sans direction, dissipa ses faibles ressources et tomba dans la misère. Sa présence à Brioude compromettait la dignité royale. Son père alla le chercher, en compagnie de Hugues, semble-t-il, et le ramena dans le Nord (982). Alaïs s’enfuit en Provence. Abandonnée, elle épousa, du vivant même de son jeune mari, Guillaume, comte d’Arles. Si elle manqua d’être reine, pendant la courte durée du règne de Louis V, la fille qu’elle eut du comte d’Arles, Constance, le sera : elle épousera Robert II, fils de Hugues Capet.

Lothaire et la Lorraine – Sa mort
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Un événement imprévu, la mort d’Otton II, lança les Carolingiens dans une direction qui devait leur être fatale. Après deux ans de campagnes malheureuses en Italie pour entrer en possession de la Pouille et de la Calabre, promises par Byzance comme dot de Théophano, le jeune empereur fut victime d’une fièvre pernicieuse et expira à Rome le 7 décembre 983, à l’âge de vingt-huit ans.
Son fils, Otton, n’avait que trois ans. L’enfant fut couronné à Aix-la-Chapelle le 25 décembre, avant même qu’on fût assuré de la mort de son père.
Cette précaution s’avéra inutile. Henri de Bavière, plus connu sous la forme hypocoristique d’Hezilon, fils de Henri le Querelleur, frère d’Otton Ier, se fit livrer l’enfant, sous prétexte de parenté et de tutelle. Les mécontents et les timorés se groupèrent autour de lui : parmi eux, de grands personnages ecclésiastiques. Ses partisans le saluèrent même du titre de roi à Quedlinbourg, aux fêtes de Pâques (23 mars 984). Ils provoquèrent ainsi une réaction. La cause d’Otton III fut relevée par les dues de Saxe, de Souabe, de Bavière, par l’archevêque de Mayence, en Lorraine par le fidèle Godefroid, comte de Verdun et de Hainaut, en France enfin par le frère de ce dernier, Auberon, archevêque de Reims. L’action d’Auberon fut décisive. Il persuada Lothaire de se donner un beau rôle en prenant la défense de l’enfant qui était fils de son cousin germain. Le roi de France se proposa comme tuteur et, comme Charles de Lorraine était partisan d’Otton III, les deux frères se réconcilièrent. Les Carolingiens n’eurent pas à intervenir. Hezilon remit Otton aux mains de sa mère et de sa grand-mère (29 juin 984). Cependant, l’accord entre les deux partis ne se fit qu’en octobre.
Il ne dura pas. Hezilon n’y avait pas même gagné la restitution de la Bavière. D’autre part, Lothaire se voyait frustré des avantages considérables que procurait dans le droit de ces temps la fonction de tuteur, de « baillistre ». Leur double mécontentement aboutit à un projet d’entrevue à Brisach, sur le Rhin, pour le 1er février 985. Auberon, qui entretenait des intelligences partout, en fut informé et alerta le parti ottonien. Pour plus de sûreté, il se décida à opposer les Robertiens aux Carolingiens. Il alla trouver Hugues Capet et l’assura que l’empereur Otton II mourant voulait que la cour impériale renouvelât avec lui et son fils Robert l’alliance conclue trois ans auparavant.
L’entrevue de Brisach n’eut pas lieu. Si Lothaire fut fidèle au rendez-vous, Hezilon y manqua. Au retour, les Français se virent fermer les défilés des Vosges et eurent peine à enfoncer leurs défenseurs.
Cette attitude hostile était-elle inspirée par Godefroid de Verdun ? C’est probable, car ce comte était, comme son frère de Remis, tout dévoué à l’Empire. Toujours est-il que Lothaire s’en prit à Verdun. Ses propres forces étaient insuffisantes. Il n’y avait pas à compter sur les Robertiens, détachés de lui par Auberon. Mais le roi trouva des auxiliaires en la personne des comtes Eudes et Herbert qu’il venait d’investir des comtés de Meaux et de Troyes. Verdun se rendit au bout de huit jours il n’était défendu que par des vassaux du nouvel évêque, Auberon, neveu et homonyme de l’archevêque de Reims, et fils du comte Godefroid. Lothaire laissa la reine Emma dans la place et revint à Laon.
A la nouvelle de la prise de Verdun, les princes lorrains du parti ottonien prirent les armes : le comte Godefroid, dépossédé, son fils Ferry, Sigefroid, comte de Luxembourg, Thierry, duc de Haute-Lorraine. Ils reprirent la ville en s’y introduisant par surprise par le quartier des marchands, situé sur la rive droite de la Meuse. Lothaire rentra en campagne. Cette fois il fallut faire un siège en règle et user de machines. Néanmoins le roi enleva la place et fit prisonniers les princes lorrains, ses adversaires (fin mars 985).
Le coup fut dur pour l’archevêque de Reims, atteint à la fois dans ses sentiments de famille et dans son idéal impérialiste. Mais il ne perdit pas courage. Il obtint d’abord la faveur de visiter les prisonniers, ce qui lui permit de dresser un plan de campagne. Puis, par la plume élégante de Gerbert, redevenu écolâtre de l’église cathédrale de Reims, il engagea une correspondance avec ceux de ses parents qui avaient échappé à la captivité et leur donna des instructions dont le thème était :
« Gardez votre foi à l’impératrice Théophano et à son fils ; point d’accord avec les Français ennemis, écartez leurs rois, fortifiez les châteaux. » Et encore « Faites-vous un ami de Hugues (Capet) et vous braverez facilement les attaques des Français. »
Rien de plus caractéristique que la lettre suivante, où, par prudence, ne figure pas le nom du destinataire :
« Nous écrivons rapidement ; le roi de France Lothaire n’est roi que de nom. Sans titre royal, Hugues le gouverne de fait. Si vous aviez avec nous recherché son amitié et si vous aviez rapproché son fils (Robert) du fils de C. (César, c’est-à-dire Otton II) vous n’éprouveriez pas l’hostilité des rois des Français. »
Malgré toutes les précautions de l’archevêque, sa trahison fut connue de Lothaire. Il obligea par les menaces Auberon à écrire aux archevêques de Trèves, Mayence et Cologne, des lettres dont le texte ne nous est pas parvenu. Cependant l’archevêque de Reims était inquiet. Il écrit à son confrère de Trèves pour protester de sa fidélité au roi Lothaire « auquel il doit tant ». L’archevêque de Trèves, partisan d’Hezilon, répondit en reprochant à Auberon d’être ennemi de ce grand personnage. Auberon se défendit : il avait des raisons de l’aimer. Cette correspondance pleine de compliments et de protestations de fidélité, établit l’affolement de l’archevêque qui veut ménager tout le monde. Il se sentait en danger et Gerbert ne cachait pas la situation de son bienfaiteur dans une lettre à l’impératrice Théophano, où il ajoute qu’il est lui-même en butte à la haine du roi dont le joug devient pesant. Mais s’il s’ouvre un chemin à travers les « ennemis », l’archevêque et Gerbert s’échapperont pour rejoindre l’impératrice.
Auberon commit la maladresse de mettre de la mauvaise volonté à exécuter un ordre du roi. Ses vassaux avaient dû participer à la prise, puis à la garde de Verdun. Le roi voulut faire raser un monastère trop voisin de la cité et pouvant servir à un assiégeant. Après avoir tergiversé, sous prétexte qu’il ne reconnaissait pas sur le mandement royal le cachet et l’écriture en usage, il protesta qu’une besogne de ce genre ne convenait pas à son caractère ecclésiastique, et répugnerait même à un « tyran ». Il notifiait enfin que la garnison, fatiguée et affamée, en avait assez.
L’orage éclata en mai. Le roi traduisit l’archevêque de Reims sous l’inculpation de haute trahison devant une assemblée qui se tint le 11, à Compiègne. Nous avons conservé la justification d’Auberon. Elle porte uniquement sur un fait secondaire : avait-il manqué à la fidélité due à son roi en conférant les ordres sacrés à son neveu, afin qu’il pût être élevé au siège épiscopal de Verdun ? L’assemblée n’eut pas à se prononcer. Elle se dissipa à la nouvelle de l’approche du duc Hugues à la tête de forces armées importantes.
Auberon était sauvé et l’accusation ne fut pas reprise jusqu’à la fin du règne de Lothaire. Mais l’attitude de Hugues changea. Le 18 juin suivant, il embrassait le roi et la reine, à la grande inquiétude du parti impérialiste. Lothaire paya cette réconciliation de la mise en liberté du jeune duc de Haute-Lorraine, Thierry, fils de Béatrice, sœur du duc. Il relâcha aussi Sigefroid. Godefroid eût obtenu la liberté à condition de restituer le Hainaut au fils de Renier au Long-Col et aussi d’abandonner, lui et son fils, le comté et l’évêché de Verdun, enfin de jurer fidélité au roi de France. Courageux et fidèle, Godefroid refusa et demeura prisonnier.
Lothaire songea-t-il à se rapprocher d’Hezilon ? Nous ignorons la réponse qu’il fit à une invite de celui-ci dont l’envoyé, passant par Reims le 15 mai, se laissa circonvenir par Gerbert. Au reste, le Bavarois fit sa paix, et définitive, avec les partisans d’Otton III, à Metz, vers juillet.
Cette défection ne changea rien aux plans de conquête de Lothaire sur la Lorraine. S’il ne pouvait compter, comme en 978, sur l’appui du duc Hugues, il avait cette fois pour lui son frère Charles et Renier, les sympathies de l’archevêque de Trèves et le concours des comtes de Troyes, de Chartres, d’Anjou. Deux cités devaient être particulièrement visées, Cambrai et Liége, parce que la cour impériale y plaçait des évêques particulièrement dévoués à sa cause : l’évêque de Cambrai, effrayé, promit sa soumission éventuelle.L’expédition ne pouvait commencer qu’à la fin du printemps de 986. Mais, au début de l’année, le roi fut sollicité dans une tout autre direction. Il reçut à Compiègne une ambassade désespéré du marquis d’Espagne (Catalogne), Borrel. Sa capitale, Barcelone, avait été prise et incendiée le 6 juillet 986 par le célèbre Almanzor, vizir du khalife de Cordoue, Hescham II. Borrel, naturellement, implorait des secours contre les Sarrasins. Lothaire n’eut pas longtemps à réfléchir.Dans les derniers jours de février, il prit froid entre Compiègne et Laon. Le 2 mars 986, il expirait. Il commençait à peine sa quarante-cinquième année 1. Il fut enseveli à Saint-Remi de Reims à côté de ses père et mère.
Physiquement, Lothaire ne nous a pas été décrit, pas plus que les autres princes de ces temps. Une pierre peinte provenant de l’ancienne sacristie de Saint-Louis de Reims, prêtée par le Trésor de Reims, au musée de l’Orangerie à Paris, en avril 1938, offre la tête d’un homme jeune, au visage maigre, portant toute sa barbe, selon la mode qui persista du Xe siècle au XIIe. Sur sa tête, une couronne en forme de calotte. Ce petit buste est mis sous le nom de Lothaire. Ce pourrait être son portrait.
L’homme privé est, comme toujours, ignoré. On connaît Lothaire par ses actes et c’est l’essentiel. Un tableau même rapide de son règne nous montre en lui le plus intéressant des derniers Carolingiens. Son activité, sa ténacité ne sont que trop visibles. L’erreur fondamentale, c’est d’avoir fermé les yeux sur l’insuffisance de ses moyens d’action, bien qu’il ait pratiqué, autant que faire se pouvait, le jeu de bascule en s’appuyant tantôt sur une grande maison féodale, tantôt sur une autre. A la fin du règne, on le voit se réconcilier avec les princes de Vermandois et même attirer à lui des grands vassaux du duc, tels le comte de Chartres, le comte d’Anjou. Mais ces secours étaient difficiles à obtenir et instables. La seule politique efficace eût été de s’appuyer résolument sur ses parents, les Ottoniens, protecteurs de sa jeunesse. Pour cela, il eût fallu renoncer définitivement à toute visée sur la Lotharingie. Le Carolingien ne put se résigner à être privé à tout jamais de ce berceau de sa race. L’élément sentimental l’emporta sur la nécessité politique.
La position du Robertien était beaucoup plus nette. Neustrien longtemps, puis Parisien et Orléanais, la région d’Outre-Meuse ne pouvait lui tenir à cour. Chaque fois qu’il se sentait ébranlé dans sa situation, il se tournait vers l’Allemagne et réduisait à néant les efforts du descendant de Charlemagne pour secouer son joug. On peut affirmer Que les derniers Carolingiens ont péri victimes de leur lotharingisme et que les Capétiens sont montés au trône grâce à une attitude opposée. C’est ce que la suite des événements va démontrer surabondamment.

Louis V et Hugues Capet
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A la mort de son père, Louis V était roi, ayant été associé au trône par la prudence de Lothaire. Il n’y eut donc pas lieu de procéder à une transmission des pouvoirs. La conduite passée du nouveau roi, en Aquitaine, n’inspirait pas confiance en son caractère. Il fut tiraillé entre diverses influences. Sa mère, Emma, voulait le rapprocher de l’Empire. Le parti impérialiste envisageait un consortium des royaumes chrétiens sous la direction morale de la vieille impératrice Adélaïde, la veuve d’Otton Ier, mère d’Emma, grand-mère d’Otton III. Une entrevue fut décidée pour le 18 mai, entre ces personnages auxquels devait se joindre Conrad, roi de Bourgogne-Provence, à Remiremont, près de la limite des royaumes de Lorraine et de Bourgogne. On ignore si elle eut lieu. Un autre parti conseillait au jeune roi de séjourner auprès du duc Hugues Capet et de suivre en tout ses conseils pour l’administration du royaume.
Louis ne se rangea ni à l’un ni à l’autre parti. Il tomba sous l’influence de son oncle, Charles de Lorraine, qui le détacha de sa mère et de sa grand-mère, et reprit les imputations infamantes contre Emma et Asselin. Louis persécuta sa mère et chassa l’évêque de Laon qui trouvèrent asile auprès du duc. Surtout son animosité s’attachait à la personne de l’archevêque Auberon qu’il déclarait, s’il en faut croire Richer, « le plus scélérat des hommes, favorisant en tout, sous mon père, à Otton, l’ennemi des Français ». Le fait est que la correspondance de l’archevêque de Reims avec Théophano continue à nous révéler en lui un prélat tout dévoué à l’Empire et entièrement détaché du royaume de France. Louis parut devant Reims et lui envoya un ultimatum le sommant de livrer la cité. L’archevêque donna des otages et offrit d’aller se justifier dans une assemblée qui se tiendrait le 27 mars 987.L’affaire fut renvoyée au 18 mai. Le jour fixé, l’assemblée se réunit à Compiègne. Elle n’eut pas à s’occuper du cas d’Auberon. Louis V, chassant dans les forêts qui s’étendaient entre Senlis et Compiègne, avait fait une chute et si malheureuse qu’il expira le 21 ou le 22 mai. Il avait vingt ans. Il fut enseveli à Saint-Corneille de Compiègne, fondé par son aïeul Charles le Chauve. Il avait élu Saint-Remi de Reims. Mais c’était trop loin. Il n’y avait pas de temps à perdre. Le tournant décisif était en vue.
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CHAPITRE XVI
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