Ferdinand Lot De l’Institut


Louis IV d’Outre-mer et Hugues le Grand (936-954)



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Louis IV d’Outre-mer et Hugues le Grand
(936-954)

Les premières années




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Le règne si agité et si malheureux de Raoul, en dépit de sa vaillance et d’une activité inlassable, ne pouvait que confirmer Hugues dans son dessein de ne pas prendre la couronne et de régner de fait sous le couvert d’un souverain impuissant. Sous Raoul, il lui avait été impossible de jouer le rôle de son père au temps de Charles le Simple. Raoul était tout le contraire d’un roi faible et puis Hugues subissait la concurrence de son oncle maternel, Herbert de Vermandois, qui figure au premier plan pendant le règne du Bourguignon. A la fin seulement, on vient de le voir, Hugues osa se séparer de ce rival redoutable et s’en faire un ennemi. Raoul disparu, qui allait lui succéder ?
Il ne laissait pas de fils, mais il avait un frère, Hugues, surnommé le Noir. Mais ce personnage, malgré sa situation prééminente en Bourgogne, ne pouvait être mis sur le même plan que le duc Hugues, auquel on applique déjà le surnom de Grand. Hugues eût pu prendre la couronne, en dépit de la jalousie d’Herbert et d’Arnoul de Flandre. Il s’y refusa. Une restauration carolingienne parut aux grands la meilleure solution à la crise de gouvernement.
Charles le Simple avait laissé de nombreux enfants, légitimes ou non. Le seul qui pût entrer en ligne de compte, était Louis, alors âgé d’une quinzaine d’années. Sa mère, Ogive, fille du roi anglais Edouard l’Ancien, avait pu s’enfuir avec lui en Angleterre. L’enfant y fut élevé à la cour de son oncle, le roi Athelstan.
Ce dernier ne consentit à remettre son neveu aux envoyés de France que si les grands prenaient l’engagement de lui jurer fidélité. Débarqué à Boulogne, où il fut reçu par les grands ayant à leur tête le duc Hugues, l’adolescent fut sacré roi à Laon, le 19 juin 936, par l’archevêque Artaud de Reims en présence de vingt évêques. La cérémonie fut solennelle et le choix de la ville du sacre, Laon, également. Depuis quarante ans, cette place était considérée, sinon comme la capitale du royaume, du moins comme l’asile de la royauté. Un souvenir de cet état de choses est conservé dans quelques chansons de geste du XIIe siècle où un « roi Louis », qui unit en sa personne tous les souverains de ce nom, de Louis le Pieux jusqu’à Louis V, est appelé le « roi du Mont-Loon », c’est-à-dire de la montagne de Laon.
S’il renonçait à la couronne, Hugues le Grand entendait bien sortir du rôle de second plan qu’il avait joué sous le règne de son beau-frère Raoul et gouverner sous le nom du Carolingien. Il emmena avec lui le jeune souverain, qu’on surnommait l’Anglais ou « d’Outre-mer », reprendre l’importante place de Langres dont Hugues le Noir s’était emparé. Louis IV avait volontiers marché contre le frère de celui qui avait ravi la couronne à son père en 923. Hugues le Noir, intimidé, n’avait pas résisté. II accepta même un partage de la Bourgogne avec Hugues le Grand. Le duc des Francs consolidait sa situation en faisant alliance avec Herbert de Vermandois, puis en épousant une sœur du roi d’Allemagne, Otton Ier, nommée Avoye (Hathvidis).
Pendant ce temps, des bandes de Hongrois, venues par la Lorraine, parcouraient la Champagne, le Sénonais, le Berry, la Bourgogne, pillant et massacrant les populations, brûlant ceux des monastères qui demeuraient hors de l’enceinte des cités fortifiées. Les envahisseurs terminèrent ce raid en rentrant chez eux par l’Italie. On ne voit pas que le roi, ni les deux Hugues leur aient opposé la moindre résistance.
Le roi, sous l’influence de l’archevêque Artaud, dont il avait fait son chancelier, s’occupait à assiéger les châteaux des seigneurs qui ravissaient les biens de l’église de Reims et s’attirait ainsi leur hostilité. Il encourut tout de suite celle, redoutable entre toutes, d’Herbert de Vermandois, d’autant plus qu’il emporta de force le donjon construit par celui-ci à Laon même. Il mécontenta le duc, inquiet de tout acte d’indépendance de la part de l’adolescent dont il espérait faire un jouet. Dès la seconde année du règne, le roi et le duc ne s’entendaient plus.
Alors commence une longue période où le roi et le duc font un chassé-croisé d’alliances, concluent des accords bien vite rompus. Quant aux grands, ils passent d’un parti à l’autre avec un parfait cynisme. L’historien se lasserait de suivre ces péripéties, s’il n’était tenu professionnellement, on l’a déjà dit, d’étudier les sociétés en décomposition. Il finit même par trouver une sorte d’intérêt à ce spectacle où le tragique et le bouffon se succèdent avec une rapidité déconcertante. Il est bien dommage qu’aucun contemporain de talent n’ait donné un tableau de ces temps. Nous ne retiendrons qu’un petit nombre de faits caractéristiques.
Louis, malgré sa jeunesse, semble avoir compris qu’il ne pourrait tenir qu’en opposant les grandes familles, déjà « féodales », les unes aux autres. Il commença par se rapprocher de Hugues le Noir et d’Arnoul de Flandre pour contre-balancer l’autorité du duc Hugues. Il accepta, après hésitation, la proposition de ce prince agité et versatile, le duc Gilbert, de se faire reconnaître roi de Lorraine. Gilbert venait de passer du côté de Henri, frère puîné du roi Otton, auquel il disputait l’Allemagne et qui cherchait une alliance du côté de l’Ouest.
Louis s’engageait dans une mauvaise affaire. Il n’avait aucune force militaire sérieuse à sa disposition en dehors des troupes des évêchés, c’est-à-dire de leurs vassaux. Les évêchés se tinrent sur la réserve, surtout en Lorraine, et les grands, même Arnoul de Flandre, firent alliance avec Otton. La situation de ce dernier n’en fut pas moins un instant précaire, par suite de la révolte de quantité de seigneurs lorrains. Un accident le tira d’affaire. Gilbert se noya en repassant le Rhin qu’il avait franchi. Sa mort découragea les Lorrains qui se rallièrent peu à peu au roi d’Allemagne.
Louis épousa Gerberge, veuve de Gilbert. Gerberge était sœur d’Otton (939), mais cette union n’eut pas tout d’abord d’influence sur la position du jeune roi. Elle était critique. Il demanda à Hugues une entrevue qui lui fut refusée. Louis n’avait d’autre ressource que les contingents des évêchés de Reims et de Laon. Pour reconnaître les services de l’archevêque Artaud et s’assurer son appui, il concéda à son église les droits comtaux, c’est-à-dire régaliens (monnaie, marché, justice). Artaud était considéré comme un dangereux prélat par les grands. Ils vinrent assiéger Reims. La garnison passa de leur côté et Artaud fut enfermé dans un cloître. Hugues, fils d’Herbert, fut remis en possession du siège archiépiscopal où son père l’avait installé en 925, alors qu’il avait cinq ans.
Hugues le Grand, Herbert, Guillaume Longue-Epée allèrent ensuite assiéger Laon. Mais Louis, qui s’était rendu en Bourgogne, en revint avec quelques hommes et fit lever le siège. Si le roi était faible, ses adversaires n’étaient pas forts, car on les voit, dans le célèbre palais carolingien d’Attigny, sur l’Aisne, lors d’une entrevue avec Otton, lui prêter hommage (été de 940). Cet acte de soumission à un souverain étranger constituait une félonie qui ne peut s’expliquer que par le sentiment d’une faiblesse qui surprendrait l’historien, s’il n’était averti de l’exiguïté des ressources des princes de ces temps tant en hommes qu’en argent. Otton avait amené des forces considérables pour l’époque. Hugues le Noir eut peur et pour préserver la Bourgogne « s’engagea à ne plus nuire à Hugues le Grand et à Herbert ». Otton regagna l’Allemagne.
Louis en profita pour pénétrer de nouveau en Lorraine. Otton accourut de Saxe. Les deux partis s’observèrent, mais ne livrèrent pas bataille et conclurent une trêve (fin de 940).
Pendant que le jeune roi perd son temps à poursuivre des desseins audacieux avec des moyens insuffisants, ses adversaires s’acharnent à lui enlever Laon. Dans une tentative pour dégager la place, Louis fut surpris en Porcien et eut peine à échapper au désastre de son armée. Il s’enfuit en Bourgogne. Sa situation parut tellement compromise que l’archevêque Artaud eut la faiblesse de l’abandonner et de se réconcilier avec Herbert, moyennant la concession des revenus d’un monastère. Errant, Louis gagna Vienne où il fut bien accueilli par Charles-Constantin. Des grands d’Aquitaine vinrent se rallier à sa cause. En janvier 942, le roi est à Poitiers où il est reçu par le comte Guillaume Tête-d’Etoupe. Il rentre ensuite à Laon que ses ennemis n’ont pu enlever, puis il se réfugie en Bourgogne de nouveau. Vainement il tente un accord avec le duc, avec Herbert, avec leurs partisans. Il semble que Hugues et le comte de Vermandois veulent recommencer le coup de 923 et détrôner le fils de Charles le Simple, fût-ce au profit d’Otton d’Allemagne.
Une intervention inattendue tira Louis de sa situation critique. Le pape Etienne VIII se prononça en sa faveur et alla même jusqu’à menacer de l’excommunication les princes rebelles, s’ils ne s’accordaient pas avec « leur roi ». En même temps, pour apaiser Herbert, le pape envoyait à son fils, Hugues, le pallium, ce qui était la reconnaissance de la légitimité de son épiscopat à Reims. Les princes résistèrent. Alors un secours puissant vint au jeune roi, celui du duc et marquis des Normands, Guillaume Longue-Epée. Il tint à Rouen une grande assemblée à laquelle participèrent les princes bretons, ayant à leur tête le duc Alain Barbe-torte, et aussi Guillaume Tête-d’Etoupe, comte de Poitou, beau-frère du duc de Normandie. Tous s’engagèrent à soutenir la cause du Carolingien.
Hugues le Grand et Herbert, auxquels s’était joint le nouveau duc de Lorraine, Otton, fils de Ricouin, s’attendaient à être attaqués. Ils gardaient le passage de l’Oise. On hésita de part et d’autre à engager un conflit armé. On conclut une trêve de deux mois avec échange d’otages (mi-septembre à mi-novembre). Il restait à s’entendre avec le roi d’Allemagne. Une entrevue fut ménagée entre les deux souverains, à Visé sur la Meuse (au nord de Liége). Hugues, Herbert y prirent part. La paix entre les deux rois ne fit pas de difficulté. Il n’en fut pas de même entre le roi de France et les deux princes rebelles. Le roi d’Allemagne eut beaucoup de peine à leur persuader de se réconcilier avec leur souverain (novembre 942).
Deux événements imprévus qui suivirent de près cette paix générale entraînèrent les conséquences les plus dramatiques et les plus inattendues, l’assassinat de Guillaume Longue-Epée, le 17 décembre 942, la mort d’Herbert de Vermandois quelques semaines après.
Le duc de Normandie et le comte de Flandre s’entendaient mal, chacun convoitant une extension sur le même territoire, le Ponthieu. Cependant, un an auparavant, les deux princes avaient eu une entrevue de conciliation. Un colloque entre eux devait sans doute sceller la paix. Il eut lieu dans une île de la Somme, sous Picquigny. Il avait pris fin et Guillaume regagnait la rive gauche du fleuve quand il fut rappelé par des vassaux du comte de Flandre qui l’assassinèrent. Autant qu’on peut entrevoir la vérité dans les récits empreints de légendes, de partialité et, d’ailleurs, très postérieurs à l’événement, les meurtriers accomplissaient une vendetta et agissaient à l’insu d’Arnoul. Le comte de Flandre n’en fut pas moins tenu pour responsable du crime qui révolta l’opinion, d’autant plus que le fils du pirate et païen Rollon passait pour un homme pieux, même dévot, presque un saint, pour ses sujets chrétiens.
La fin d’Herbert (janvier 943) fut naturelle : il mourut d’apoplexie, semble-t-il. Sa mort suscita naturellement des légendes. Au siècle suivant, on imagina que, au cours d’une longue maladie, il ne cessait de répéter : « Nous étions douze qui avions juré de trahir Charles. » Une autre version, de la fin du Xe siècle, est tragi-comique. Un jour que le roi Louis chassait avec Herbert, il aperçut une corde pendant à la selle du comte. Le pressant de questions à ce sujet, il finit par lui arracher l’aveu du crime qu’il projetait. Le roi le fit pendre. Comme Herbert était gros, il aurait crevé au moment où l’on coupait la corde. Invention suscitée par l’histoire de Judas, mais le rapprochement est significatif pour la réputation que laissa Herbert II.

Louis IV et a crise normande
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Guillaume Longue-Epée avait un fils, né d’une concubine bretonne, nommé Richard. L’illégitimité de la naissance de l’enfant ne pouvait empêcher les grands de Normandie de se rallier à sa cause. Richard était trop jeune pour se conduire et pour prêter hommage. Les grands devaient prendre des engagements en son nom. Engagements envers qui ? Envers le roi ou envers le duc des Francs ? Les avis se partagèrent. Les uns jurèrent fidélité à Louis, qui se rendit à Rouen et investit l’enfant de la Normandie. D’autres considérèrent que le duc était leur seigneur immédiat et lui firent hommage. Le conflit entre le roi et le duc devait renaître fatalement, conflit qui devenait celui de deux principes.
Mais un péril plus pressant surgit, une résurrection du paganisme scandinave. Hugues combattit et mit en fuite des Normands païens et put entrer dans Evreux que lui livra la population chrétienne. De son côté, Louis revint à Rouen mettre fin aux agissements d’un certain Turmod qui voulait faire revenir au paganisme l’enfant Richard et était soutenu par Setric que l’annaliste Flodoard qualifie « roi », ce qui donne lieu de croire qu’un roi de la mer, un Viking, avait débarqué et renforçait le parti païen. Ce parti n’en fut pas moins écrasé par le roi. Emmenant Richard et confiant la garde de Rouen au comte de Ponthieu, Heudoin, qui lui était dévoué, Louis se rendit à Compiègne où l’attendait le duc Hugues. Il s’agissait de régler la succession d’Herbert ou, pour mieux dire, de poser les bases de l’accord de ses fils avec le roi. Or ces fils étaient au nombre de cinq. Le roi reconnut l’un d’eux, Hugues, comme archevêque de Reims, à condition qu’il restituât à son concurrent Artaud, les monastères dont il l’avait dépouillé. Les quatre autres, Eudes, Albert, Herbert, Robert, furent « accueillis par le roi », c’est-à-dire admis à l’hommage. Louis se rendit ensuite à Rouen et reçut Evreux des mains du duc. Il semblait que la Normandie entière allait passer sous l’autorité royale jusqu’à la majorité de Richard. Au retour, le roi tomba malade à Paris, cité du duc, et y demeura tout l’été. Il y fut certainement traité avec égard et le rapprochement avec le duc, pour la première fois, prit un caractère de cordialité. Hugues fut le parrain d’une fille qui naquit au roi. Louis, à cette occasion, lui donna ou lui confirma, plutôt, le ducatus Franciae, c’est-à-dire le titre de duc en France, autrement dit de vice-roi en « France », et il lui soumit la Bourgogne. Les raisons de ce revirement du roi, qui s’était longtemps appuyé sur Hugues le Noir, nous échappent. Peut-être la maladie avait-elle affaibli sa force de résistance aux exigences du duc.
Louis entreprit alors une tournée en Aquitaine, région où il n’avait paru qu’en fugitif dépossédé. Cette fois, il était accompagné de la reine Gerberge et semblait bien affermi sur son trône. Il eut des entretiens avec les plus puissants des princes aquitains, dont Raimond-Pons, marquis de Toulouse et de Gothie, qui s’intitulait duc d’Aquitaine sans une formelle concession du roi.
Rentré à Laon, Louis eut affaire aux fils d’Herbert II. Ils n’avaient pas restitué la totalité des biens d’Eglise dont leur père s’était emparé. Le roi se mit à les leur reprendre de force château par château. L’évêque d’Amiens lui livra cette cité dont Eudes, fils d’Herbert II, s’était rendu maître. La coalition de la maison de Vermandois et du duc des Francs se reforma. Les mécontents recommencèrent à vouloir mettre dans leur jeu le roi d’Allemagne. Otton vint de nouveau en Lorraine où persistait un parti favorable au roi de France et fit mauvais accueil aux envoyés de Louis (944).
Mais l’attention de Louis se détournait dans une tout autre direction. Les Bretons avaient à peine délivré (939) leur pays de la domination danoise, qui durait depuis 918, que la discorde se mit entre Alain Barbe-torte et Juhel-Bérenger, comte de Rennes. Ces dissentiments permirent aux bandes normandes arrivées en Normandie au lendemain de la mort de Guillaume Longue-Epée de se jeter sur la frontière de la Normandie et de la Bretagne, d’emporter Dol et de ravager le pays. Vaincus, les pirates revinrent à la charge et, cette fois, furent victorieux. Le roi ne voulut pas laisser cette agression impunie. Ces Normands étaient des nouveaux venus, des païens. Pour les dompter, Louis venait de s’adjoindre un auxiliaire précieux en la personne d’Arnoul de Flandre qu’il avait su réconcilier avec son fidèle Heudouin de Ponthieu. Arnoul mit en fuite quelques adversaires à Arques (près de Dieppe). Le roi entra à Rouen, bien accueilli par la population chrétienne, cependant que le parti païen s’enfuyait par mer. De son côté, Hugues assiégeait Bayeux, tenu sans doute par les Normands païens. Le roi lui en avait promis la possession s’il participait à la répression. La facilité avec laquelle il avait expulsé les Normands rebelles fit croire à Louis qu’il n’avait pas besoin de l’aide de Hugues. Il lui enjoignit de lever le siège de Bayeux. Le duc, qui l’avait entrepris, sans qu’on sache pourquoi, avec des vassaux de Bourgogne et non de « France », s’éloigna et Louis fut reçu à sa place dans la cité. Le dissentiment se trouva aggravé du fait que le roi accepta des otages de la part des habitants d’Evreux et se refusa à les repasser au duc.
Au début de l’année 945, Louis se trouva ainsi maître de la Normandie. Après un court séjour à Laon, accompagné d’Arnoul de Flandre, le roi retourna à Rouen. Il y leva des troupes pour en finir avec les fils d’Herbert, qui dévastaient ses villas, et avec leur parent Bernard de Senlis, qui avait pillé le domaine royal de Compiègne. Il s’en prit tout d’abord à l’archevêque Hugues et alla assiéger Reims (6 mai). Le duc intervint, fort de l’autorité que lui donnait une récente victoire sur des Normands ayant envahi son territoire. Louis accepta une trêve jusqu’au 15 août et retourna à Rouen.
Il semblait que la Normandie devenait pour le roi la base de son pouvoir retrouvé. Elle faillit amener sa perte. Le Normand Harald, qui se tenait à Bayeux, demanda au roi une entrevue, probablement sur les bords de la Dives. Le roi, sans rien soupçonner, s’y rendit peu accompagné et tomba dans un guet-apens (13 juillet). Le comte Herlouin périt avec l’escorte et le roi, accompagné d’un seul Normand fidèle, eut peine à gagner Rouen. La trahison l’y attendait. Un certain Bernard le Danois le fit prisonnier.
Le duc intervint. Les traîtres ne consentirent à relâcher le roi que si la reine leur donnait comme otage son second fils, Charles. L’évêque de Soissons s’offrit aussi comme otage. Louis fut livré à Hugues le Grand. Laissant la garde du captif à son vassal, le comte de Chartres, Thibaud, au surnom significatif de « Tricheur », le duc se rendit en Lorraine et demanda une entrevue au roi d’Allemagne. Il se doutait que la reine Gerberge cherchait à intéresser Otton, qui était son frère, au roi de France. La capture d’un souverain était d’un mauvais exemple. Otton refusa l’entrevue que lui demandait Hugues.
Rentré en France, le duc manifesta sa toute-puissance en accordant les fils d’Herbert II, qui se partagèrent l’héritage de leur père. Albert eut le Vermandois, Robert Troyes et Meaux, fondement du futur comté de Champagne et de Brie, Herbert l’abbaye de Saint-Médard de Soissons.
Cependant, la captivité de Louis avait ému l’opinion à l’étranger. Le roi d’Angleterre, Edmond, sollicité, au reste, par Gerberge, demanda à Hugues de relâcher Louis, qui était son cousin. Il rappela l’engagement pris par les Francs envers Athelstan lorsqu’ils avaient appelé le jeune Carolingien, en 936. Mais l’intervention d’Edmond fut arrêtée par sa fin tragique : il fut assassiné le 26 mai 946.

Rétablissement de Louis IV
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Qu’allait faire le duc des Francs ? Il tâta l’opinion dans une série d’assemblées où il réunit ses grands vassaux auxquels se joignit même le Bourguignon Hugues le Noir. Finalement, il fut décidé qu’on rétablirait Louis sur son trône. Il fut tiré de la prison où le retenait Thibaud depuis près d’une année. Après quoi, les grands, le duc en tête, lui renouvelèrent leur hommage (juin 946). « Ils lui rendirent le nom de roi », dit l’annaliste Flodoard. En effet, pour prix de sa délivrance, Louis avait dû céder à Hugues sa place de refuge, Laon. Le malheureux Carolingien, dépouillé, était comme un misérable exilé eu son propre royaume. La reine Gerberge n’eut pas de peine à le persuader qu’il ne lui restait plus d’autre moyen de salut que le recours au roi d’Allemagne. Otton prit tellement l’affaire à cœur qu’il pénétra en France à la tête de forces considérables levées tant en Allemagne qu’en Lorraine. Il était accompagné d’un autre roi, Conrad, roi de Bourgogne Transjurane et de Vienne. Les trois souverains et Arnoul de Flandre, après une vaine tentative sur Laon, allèrent assiéger Reims. Ils y entrèrent après trois jours de siège, l’archevêque Hugues ayant pris la fuite, de peur d’avoir les yeux crevés si la ville était emportée d’assaut. Le partisan du Carolingien, Artaud, fut rétabli solennellement comme archevêque.
Les Alliés s’en prirent ensuite à Senlis, mais sans résultat. Ils passèrent la Seine près de Paris, mais sans s’attaquer à la cité, ravagèrent le territoire ducal, puis la Normandie jusqu’à Rouen où ils n’entrèrent pas. L’approche de l’hiver les décida à retourner en Lorraine. Somme toute, en dehors de la prise de Reims, l’expédition qui avait duré trois mois avait échoué sans que le duc eût opposé en rase campagne aucune résistance, tactique fort sage.
Louis retourna à Reims où était demeurée sa famille, puis il se rendit en Lorraine où il célébra la fête de Pâques 947 à Aix-la-Chapelle, avec son royal beau-frère (11 avril). Pendant ce temps, Hugues tentait, mais vainement, d’enlever Reims. Il ne restait au roi en France qu’un allié puissant, le comte de Flandre. Il l’alla trouver à Arras et, pour s’assurer son appui, n’hésita pas à se joindre à lui pour enlever Montreuil-sur-mer à Roger, fils de ce comte Herlouin qui avait péri pour lui trois ans auparavant. L’attaque, d’ailleurs, échoua.
Rentré à Reims, Louis se trouva en présence des difficultés que soulevait la compétition de Hugues et d’Artaud au siège archiépiscopal de Reims. Les esprits étaient divisés sur la légitimité de l’un et de l’autre. La politique, si l’on peut user alors de ce terme, était intimement mêlée à ce problème. Elle prend à partir de ce moment une face ou une façade ecclésiastique. Seul un synode pouvait trancher la question et tout le monde s’y employa. D’abord les évêques entourant Otton et Louis réunis sur la Chiers, à la frontière de la France et de la Lorraine. Otton y négocia une trêve entre le roi de France et le duc jusqu’au 17 novembre. Le synode se tient à Verdun, présidé par l’archevêque de Trèves. L’archevêque Hugues, cité, ne comparut pas. Il fit l’objet d’une condamnation, mais provisoire. Hugues s’était réfugié à Mouzon, dernière possession de l’Eglise de Reims du côté lorrain. Un nouveau concile, réuni en janvier 948, se tint sous Mouzon même, en l’église Saint-Pierre, pour ne laisser à l’accusé aucun prétexte dilatoire. Il se refusa cependant à pénétrer dans l’église et fut excommunié. Cependant, on remit à un concile général la décision définitive. Ce concile se tint le 7 juin 948 à Ingelheim, en l’église Saint-Remi, sous la présidence du légat pontifical, Marin : le pape Agapit s’était enfin décidé à prendre cette grave affaire en mains. Le concile ne réunissait pas moins de trente-deux évêques, mais, sauf Artaud et deux de ses suffragants, tous étaient Lorrains et Allemands. Ce fut une assemblée à la fois ecclésiastique et politique. Les deux rois d’Allemagne et de France y siégeaient côte à côte. Dès le début, Louis se leva et exposa ses plaintes contre Hugues le Grand : son réquisitoire nous est parvenu, grâce à Flodoard qui a eu en mains les actes du synode et y a assisté. Le roi termina en s’engageant, au cas où il serait accusé d’avoir été par ses méfaits l’auteur des maux affligeant la chrétienté, à se justifier, conformément au jugement du synode et du roi Otton, ou encore par le combat singulier.
Très émus, les Pères promulguèrent le canon suivant, qui ne put que plaire à Otton aussi bien qu’à Louis :
« Que nul n’ose à l’avenir porter atteinte au pouvoir royal ni le déshonorer traîtreusement par un perfide attentat. Nous décidons en conséquence, selon l’arrêt du concile de Tolède (4e concile, canon 74), que Hugues, envahisseur et ravisseur du royaume de Louis, sera frappé du glaive de l’excommunication, à moins qu’il ne s’amende en donnant satisfaction pour son insigne perfidie. »
Artaud exposa ensuite sa défense. Sous forme d’une lettre au légat elle était fort longue. On la traduisit de latin en allemand (teutisca lingua) « à cause des rois ». Ce détail, donné en passant, nous prouve que les rois n’entendaient pas le latin ou mal et que Louis comprenait toujours la langue de ses ancêtres, l’allemand, dit « moyen », usité chez les descendants des Ripuaires, dialecte dont Otton, bien que Saxon, usait, lui aussi, comme successeur des rois Francs.
Hugues, une fois de plus, fit défaut, mais se fit représenter par un diacre dévoué qui invoqua en sa faveur une bulle du pape Agapit le déclarant archevêque légitime. Cette bulle avait été extorquée au pontife à qui l’on avait mis sous les yeux une lettre à lui adressée par les évêques suffragants de Reims le suppliant d’écarter Artaud et de restaurer Hugues. Cette lettre fut reconnue comme un faux et le diacre fut chassé. Naturellement, le concile condamna Hugues et, déclara nulles les ordinations épiscopales faites par lui. Les Pères du concile tinrent même à ce que l’armée qui fut envoyée à Mouzon pour mettre la main sur le condamné fût commandée par plusieurs d’entre eux, ce qui n’empêcha pas Hugues d’échapper.
Restait à restaurer le roi Louis. Une armée de Lorrains sous le duc Conrad le Roux s’y employa. Elle vint assiéger Laon, mais, comme toujours, la place résista. Tout ce qu’on put faire fut de réunir un petit synode sur la montagne, en l’abbaye de Saint-Vincent, à la corne opposée à la cité imprenable. Les évêques excommunièrent Thibaud le Tricheur qui défendait la place, envoyèrent une lettre au duc pour le prier de s’amender. Après quoi l’armée lorraine, ayant fini son temps de service, se sépara et le roi Louis regagna Reims.
Hugues le Grand répondit à cette invite en assiégeant Soissons. S’il ne put emporter la ville, ses machines incendiaires mirent le feu à la cathédrale et à une partie de la cité. Après quoi il alla dévaster les possessions de l’Eglise de Reims. Il ne se laissa pas davantage impressionner par l’excommunication lancée contre lui par un nouveau concile réuni à Trèves, en septembre, concile où ne prirent part que sept évêques, dont l’archevêque de cette cité, et le légat Marin.
Les années qui suivirent sont la monotone répétition du passé. Le roi reprend Laon, Hugues l’assiège en vain. Le roi demande de nouveau le secours d’Otton et à plusieurs reprises. Lui et le duc attaquent des places, échouent presque toujours. Louis se rencontre avec Hugues le Noir et va en Bourgogne. Il y eut des trêves. Il y eut même une réconciliation, entre le duc et le roi. La sentence d’excommunication des conciles d’Ingelheim et de Trèves fut confirmée dans un concile tenu à Rome : le pape Agapit y déclara exclu de l’Eglise Hugues le Grand jusqu’à ce qu’il eût donné satisfaction au roi Louis, « son très cher fils », dit le souverain pontife. Cette sentence fit impression sur les évêques de France, même sur les vassaux du duc. Le roi Otton et le duc Conrad le Roux ménagèrent une entrevue entre les deux princes sur les bords de la Marne. Le duc fit sa soumission et même céda la tour forte qu’il conservait à Laon. Mais le roi étant tombé malade à Laon, Hugues en profita pour se faire remettre une tour dans la cité d’Amiens, ce qui était violer les conventions passées avec Arnoul de Flandre, allié du roi (fin 950). Il n’y eut pas rupture déclarée, mais retour de mésintelligence.
Le roi crut cependant sa situation suffisamment affermie pour se faire reconnaître à nouveau en Aquitaine. Il n’eut pas besoin de passer la Loire. A Pouilly-sur-Loire, Guillaume Tête-d’Etoupe vint lui faire hommage au début de 951. Raymond-Pons venait de mourir. Il est plus que probable que Guillaume reçut du roi le titre de duc d’Aquitaine, titre qui échappa désormais à la maison de Toulouse pour passer à celle de Poitiers. L’évêque de Clermont, Etienne, lui aussi, fit hommage et apporta au roi de riches présents. Chose plus surprenante, Charles-Constantin, comte de Vienne, rejeta la souveraineté du roi de Provence, Conrad, et reconnut celle du roi de France. Le comte de Mâcon, Liétaud, fit, lui aussi, hommage et, Louis étant tombé malade, lui prodigua des soins dévoués.
Pendant ce temps, Hugues le Grand se rapprochait d’Otton et se faisait inviter à célébrer Pâques (30 mars) à Aix-la-Chapelle. En même temps, le roi d’Allemagne faisait bon accueil à des réclamations de Louis touchant des empiétements de vassaux d’Otton sur la frontière de France. La politique d’Otton était toute de conciliation. Les deux rivaux, le roi et le duc des Francs, étaient également ses beaux-frères, et puis, déjà absorbé par ses desseins sur la couronne d’Italie, il tenait à ne pas laisser s’envenimer des sujets de conflits derrière lui.
Néanmoins l’attitude de Hugues demeurait inquiétante envers le roi et ses partisans, tel Arnoul de Flandre. D’autre part, l’hostilité des princes de Vermandois faiblissait. Albert se rapprochait du roi. La reine mère, Ogive, de son côté, se rapprochait de cette famille, mais d’une manière tragi-comique. Elle s’enfuit de la cour royale pour rejoindre Herbert le Jeune et épousa ce fils du bourreau de son mari, Charles le Simple. Exaspéré, Louis confisqua le douaire de sa mère, formé du domaine royal d’Attigny et de l’abbaye de Notre-Dame-de-Laon. Hugues prit le parti d’Herbert et, aidé de Conrad, duc de Lorraine, qui se détachait du roi Otton, alla attaquer et détruire un château fort de l’église de Reims, grâce à l’emploi de puissantes machines de guerre. Naturellement le roi, l’archevêque Artaud, avec l’aide du comte de Roucy, Roegnold, sans doute d’origine normande, rendirent la pareille à Hugues et aux Vermandisiens. Les folies recommençaient. On en était excédé. Hugues eut l’initiative d’un effort pour y mettre fin. Il demanda que la reine Gerberge, sa belle-sœur, s’entremît. La réconciliation eut lieu à Soissons, le 13 mars 953. Peu après, la reine donna le jour, à Reims, à deux jumeaux, qu’on dénomma Henri et Charles. Celui-ci, sous le nom de Charles de Lorraine, devait être le dernier des Carolingiens.
La paix entre les deux rivaux ne devait plus être troublée jusqu’à la fin du règne qui était proche. Sa dernière année témoigna de l’impuissance tragique du souverain et aussi du duc et des autres grands contre le péril ennemi, celui des Hongrois. Ce péril fut provoqué par des événements étrangers à la France, mais elle en subit les répercussions.
Il ne faudrait pas s’imaginer que l’instabilité mentale et morale de l’aristocratie fût particulière à la France. Elle se manifestait tout autant en Lorraine et en Allemagne, cela même sous le règne du grand Otton. Celui-ci vit se révolter contre lui son fils aîné, Liudolf. Le duc de Lorraine, Conrad le Roux, se joignit au fils rebelle, ainsi que l’archevêque de Mayence. Il s’ensuivit des luttes sanglantes. Conrad, exaspéré de voir son souverain confier le gouvernement de la Lorraine à son frère Brunon, archevêque de Cologne, appela à son aide les Hongrois. Après avoir dévasté l’Allemagne, les païens passèrent le Rhin et ravagèrent en Lorraine les terres des ennemis de Conrad. Ensuite ils entrèrent en France au printemps de 954. Ils parurent en Vermandois, en Laonnais, en Raincien, en Châlonnais, gagnèrent la Bourgogne, puis rentrèrent par l’Italie. On ne voit pas qu’aucune résistance organisée leur ait été opposée. Seules des escarmouches et les maladies diminuèrent le nombre des pillards.
Un des fils du roi, son homonyme, mourut à Laon. Quittant cette ville pour regagner Reims, Louis n’avait pas atteint l’Aisne qu’il crut voir un loup. Il pressa son cheval, tomba et si malencontreusement que, transporté à Reims, il y expira le 10 septembre 954, à l’âge de trente-trois ans. Il fut enseveli en l’abbaye de Saint-Remi.
Peut-on dire que le jeune Carolingien ait vraiment régné ? Il n’a été obéi, toléré plutôt, qu’à de rares intervalles et jamais par l’ensemble des grands. A plus d’une reprise même il a été abandonné, trahi et a failli subir le sort de son père. Cependant, ni la vaillance ni la ténacité ne lui ont manqué. Il nageait contre le courant qui emportait la société, dominée par la double aristocratie laïque et ecclésiastique, vers ce particularisme anarchique qu’on est convenu d’appeler « Féodalité ».
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CHAPITRE XV
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