Ferdinand Lot De l’Institut


Les règnes de Robert Ier (923) et de Raoul de Bourgogne (923-936)



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Les règnes de Robert Ier (923)
et de Raoul de Bourgogne (923-936)

Robert Ier


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Charles le Simple eût pu continuer à vivre paisiblement sa vie, sinon de roi fainéant — car nul Carolingien n’a été « fainéant » — du moins de roi en tutelle, plus particulièrement sous celle du duc des Francs, Robert, sans une fantaisie qu’il se permit après plus de vingt ans de sujétion. Vers 920, il accorda sa confiance à un certain Haganon qui prit sur son esprit un empire exclusif. Cette conduite ne pouvait être acceptée ni du duc, ni de la haute aristocratie franque craignant d’être écartés du pouvoir. On fit passer le personnage pour un homme de petite condition, un simple vassal (miles). Ce n’était pas exact. Haganon était apparenté à des familles de bonne naissance, peut-être même à celle de la reine Frérone, et en 918 il est qualifié « comte ». Mais il est certain qu’il n’appartenait pas à la haute aristocratie et il était plus que probablement « lorrain » et non « franc » de l’Ouest. On a supposé que le mécontentement des grands se manifesta par leur refus de combattre les Hongrois qui, vers cette époque, envahirent la France, malgré les appels du roi. Mais on a trop vu de défections des grands, ces prétendus protecteurs du peuple, en des circonstances analogues, pour que leur refus de combattre puisse être la preuve d’une opposition politique.
Quoi qu’il en soit, le mécontentement éclata à l’assemblée générale de 920, tenue à Soissons. Le duc la quitta brusquement. Les grands supplièrent le roi de se séparer d’Haganon. Avec l’entêtement des faibles et des sots, Charles s’y refusa. La fureur de l’aristocratie fut telle qu’elle retint le roi prisonnier. L’intervention de l’archevêque de Reims tira Charles d’affaire. Hervé, qui seul avait fourni au roi des troupes contre les Hongrois, emmena Charles à Reims où il le retint sept mois, puis le réconcilia avec les grands.
A la fin de l’année, Charles sembla assez raffermi pour s’attaquer au roi d’Allemagne, Henri Ier, qui intriguait en Lotharingie. Peut-être même osa-t-il se poser en successeur légitime de Conrad, mort en 918. Mais il dut prendre la fuite après avoir envahi le diocèse de Worms. Il vit même une partie des seigneurs lotharingiens se révolter contre lui, tout en s’abstenant de reconnaître l’autorité du roi d’Allemagne. Charles et Henri se réconcilièrent à Bonn et se reconnurent comme légitimes souverains de leurs royaumes respectifs. Sous l’influence évidente des gens d’Eglise, les deux rois décidèrent ensuite (en 922) la tenue d’un concile à Coblence.
Le concile n’eut pas lieu. Au printemps de cette année, Charles vit se soulever contre lui la France occidentale. Il avait continué sa faveur à Haganon qui exerçait des fonctions comtales. Une maladresse acheva d’exaspérer la haute noblesse, ou servit de prétexte à la révolte. Charles fit don à son favori de l’abbatia, c’est-à-dire du temporel, de l’abbaye de Chelles près de Paris, faveur d’autant plus inconsidérée qu’il écartait l’abbesse régulière, Rothilde, sa propre tante, belle-mère de Hugues, fils du duc Robert.
Charles essaya de lutter avec des Lotharingiens fidèles, mais sa place de sûreté, Laon, fut emportée et il dut s’enfuir au delà de la Meuse avec Haganon.
Le malheureux Carolingien avait contre lui tout ce qui comptait en France. Le duc Robert fut couronné à Saint-Remi de Reims le 30 juin par l’archevêque de Sens, Gautier, le même qui, en 888, avait couronné son frère Eudes, se substituant à Hervé à l’agonie.
Le nouveau roi était décidé à en finir avec son ancien protégé. Il comprit fort bien que tant que le Carolingien trouverait des appuis en Lotharingie, il n’aurait pas partie gagnée. Aussi alla-t-il en ce pays s’aboucher avec Gilbert de Hainaut qui n’avait cessé, presque seul des Lotharingiens, de faire obstacle à Charles. Il effraya d’autres seigneurs, enfin il eut l’habileté de détacher le roi Henri d’Allemagne de son alliance avec Charles dans une entrevue tenue sur la Roër.
Malgré tout, le Carolingien conserva assez de dévouements dans le pays de ses aïeux pour oser présenter la bataille à son rival, sous Soissons, le 15 juin 923. Il faillit le surprendre, mais il fut vaincu et mis en fuite. Il crut, tout de même, avoir gagné la partie, Robert ayant péri dans l’action. Il tenta de ramener à son parti le nouvel archevêque de Reims, Sioux (Seuif) et Herbert de Vermandois ; inutilement il était perdu dans l’esprit des grands de France.
Mais qui porter au trône ? Le fils de Robert, Hugues, qui venait de se distinguer en Lotharingie et avait rallié les Francs à Soissons, était tout indiqué. Ce ne fut pourtant pas lui qui fut choisi. On peut supposer que Hugues eut la prudence de ne pas vouloir recommencer l’expérience de son oncle Eudes et qu’il comprit que le pouvoir véritable était attaché désormais aux fonctions de duc des Francs et non au titre royal. Son père avait pratiqué cette sagesse vingt ans et ne s’était départi de cette attitude que poussé à bout par la sottise du malheureux Charles III. Sans l’incident de la bataille de Soissons, il eût continué à régner, la dynastie robertienne se serait enracinée et deux tiers de siècle de compétitions stériles auraient été épargnés au royaume de France. On aimerait à les passer sous silence, mais l’historien est tenu d’étudier les périodes de décomposition politique autant que celles de grandeur.

Raoul de Bourgogne
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A défaut de Hugues, vers qui se tourner ? Les personnages en vue n’étaient pas nombreux. En dehors du duc des Francs, maître de toute la Neustrie et du Parisis, qui se récuse, qui choisir ? Ecartons le duc d’Aquitaine Guillaume II, qui avait succédé à son oncle Guillaume Ier, mort en 918, le marquis de Toulouse et Gothie Raimond-Pons, Miron, comte de Barcelone et marquis d’Espagne, Sanche, duc de Gascogne. Tous sont impossibles, vu leur éloignement de la « France » véritable. Ne parlons pas du duc des Normands Rollon, à peine francisé. Ces personnages écartés, on ne voit que trois noms possibles : Arnoul, comte de Flandre, Herbert II, comte de Vermandois, Raoul, duc de Bourgogne. Les deux premiers avaient l’avantage, ou le désavantage, d’être des Carolingiens : Arnoul était arrière-petit-fils de Charles le Chauve par sa grand-mère Judith. Herbert descendait de Bernard d’Italie, petit-fils de Charlemagne. Mais ces deux maisons étaient depuis trente ans divisées par des conflits violents, inexpiables ; elles se disputaient le nord du royaume. Elire le représentant de l’une d’elles c’était s’attirer une guerre civile perpétuelle. Restait Raoul. Il avait depuis peu (921) succédé à son père Richard le Justicier, le personnage le plus marquant du royaume avec Eudes et Robert pendant quarante ans. Raoul, il est vrai, était de « Bourgogne ». On attachait alors beaucoup d’importance pour le choix d’un prince, non à sa race, car la plupart des grands ducs et comtes qu’ils fussent établis en « France », en Aquitaine, en Bourgogne, en Italie, en Lotharingie, en Transjurane, au delà du Rhin, étaient par leurs ascendants d’origine austrasienne, mais au pays où ils s’étaient enracinés. C’est ainsi qu’un contemporain, Abbon, note comme une chose digne d’être signalée que le comte de Paris, Eudes, fut acclamé comme roi et couronné à Compiègne, bien que « Neustrien ». Or, le grand-père d’Eudes était d’origine saxonne ou peut-être de France « moyenne », mais son père avait été marquis de Neustrie. Au reste, cette distinction de Neustrie (de la Seine à la Loire) et de « France » (de la Seine à l’Escaut et à la Meuse) commençait à s’effacer et, au cours du Xe siècle elle disparaîtra entièrement. La distinction de « France » et de Bourgogne, elle, persistera, mais depuis le VIIe siècle, il était admis que ces deux régions étaient beaucoup plus proches l’une de l’autre qu’elles ne l’étaient chacune de l’Aquitaine et de la Gothie. Une dernière raison qui militait en faveur de Raoul, c’est qu’il avait épousé Emma, sœur de Hugues. A défaut du fils, le gendre succédait ainsi à Robert Ier.
Raoul fut couronné roi à Soissons le 13 juillet 923, par Gautier, métropolitain de Sens, le seul prélat probablement qui au cours de son épiscopat ait trois fois procédé à cette cérémonie. Un mois après, un concile réuni à Reims décide une pénitence rigoureuse de trois années pour tous ceux qui ont pris part à la bataille de Soissons de quelque parti qu’ils fussent, répétition de ce qui avait été décidé, mais pour trois jours seulement, au lendemain de la bataille de Fontenoy, en 841. Le haut clergé assimilait donc à une guerre fratricide, impie et condamnable ces compétitions au trône. Ce qui diminue la portée de cette manifestation, qui demeura platonique, on peut le croire, c’est qu’elle émane de quelques évêques de la province de Reims dont l’archevêque, bien qu’ayant abandonné Charles, ne pouvait voir favorablement l’intrusion répétée de son rival de Sens dans la consécration royale.
Charles, ou plutôt son parti, ne perdit pas courage. On fit appel aux Normands, on invoqua le secours du roi d’Allemagne. Ce dernier semblait indécis. Le dénouement fut brusqué par une traîtrise d’Herbert de Vermandois. Sous prétexte de ralliement à sa cause, il attira Charles, le fit. prisonnier et l’enferma successivement dans ses donjons de Saint-Quentin, de Château-Thierry, de Péronne. S’il épargna la vie du captif, ce fut parce qu’il projetait de se servir de sa personne comme moyen de chantage contre le roi Raoul.
Le règne du Bourguignon rappelle par ses difficultés et ses malheurs celui d’Eudes. Tout d’abord, il ne put empêcher les incursions des Normands. Ils reparurent sur la basse Loire, sous le Viking Roengvald, et, sous prétexte de venir au secours de Charles, s’avancèrent jusqu’à la vallée de la Seine. Rejoints par nombre de Normands de « Normandie », ils dévastèrent Artois et Beauvaisis. Le roi et les grands achetèrent la paix à prix d’argent, comme au siècle précédent.
Le roi Raoul voulait avoir les mains libres du côté de la Lotharingie. Il y comptait des partisans, bien qu’à Metz, à Verdun, et ailleurs on préférât se rallier à Henri Ier d’Allemagne. Il lui fallait aussi s’assurer de l’Aquitaine. Le neveu de Guillaume le Pieux (mort en 918) y régnait en maître. Une entrevue sur la Loire fut décidée entre le roi et ce puissant personnage. Tout une journée, on s’observa de part et d’autre du fleuve. A la nuit tombante, Guillaume II passa la Loire, se présenta à Raoul qui demeura à cheval, pendant que lui-même mettait pied à terre. Le roi lui donna l’accolade et, huit jours après, Guillaume II faisait hommage et se voyait restituer Bourges et le Berry. A cette même assemblée Herbert de Vermandois reçut Péronne et Hugues le Maine.
Peu après, le règne du jeune roi faillit se terminer à peine commencé. Il tomba si gravement malade qu’il se fit transporter à Saint-Remi de Reims et y fit son testament par lequel il conférait sa fortune propre au monastère ou plutôt à l’apôtre des Francs. De son côté, le jeune roi d’Allemagne tombait malade. Guéri, mais encore faible, Raoul gagna la Bourgogne, laissant à Hugues et à Herbert le soin de traiter avec les Normands. Ceux-ci exigèrent le Bessin et le Maine dont Hugues venait d’être gratifié.
Mais avec les Normands de la Loire rien n’était terminé. On avait bien cédé à leur chef Roegnvald le Nantais et la Bretagne en 921, mais c’était de la part des Francs une renonciation à des contrées sur lesquelles ils avaient cessé d’exercer une autorité réelle, et puis ces régions dévastées ne suffisaient plus à étancher la soif de pillage des brigands. Roegnvald résolut d’aller dépouiller une province relativement indemne, la Bourgogne. Parti de la basse Loire, il arriva aux confins de cette région. Moyennant l’engagement pris par le Viking de ne pas dévaster leurs terres, Hugues et Guillaume II d’Aquitaine l’avaient laissé passer. Mais, le 6 décembre 924, en une localité nommée Calaus mons (peut-être Chalmont en Gâtinais, dans la région de Fontainebleau, ou plutôt Chalaux, Nièvre, arr. Clamecy, cant. Lormes), il se heurta à des adversaires résolus.
Toute la Bourgogne septentrionale était en armes sous les ordres de Garnier, vicomte de Sens et comte de Troyes, de Manassès le Jeune, avoué de l’Eglise de Langres, de Josselin, évêque de Langres, d’Anséis, évêque de Troyes. Les Normands auraient perdu plus de 800 hommes. La victoire des Francs fut payée cher : le comte Garnier fut capturé et mis à mort, l’évêque Anséis blessé.
Ce succès fut sans lendemain puisque Raoul dut accourir en Bourgogne. Trait caractéristique, il ne put réunir que fort peu de monde de France, en dehors des vassaux des Eglises de Reims, de Soissons C’est de Bourgogne qu’il tira le gros de ses forces. Accompagné d’Herbert, il vint assiéger les Normands cantonnés sur la Seine en un lieu inconnu. Hugues, avec ses forces sur une rive du fleuve, compléta l’investissement. Les Normands parvinrent néanmoins à s’échapper. Selon une légende monastique, Roegnvald serait entré dans l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire. Le saint lui apparut la nuit et lui prédit sa fin prochaine, laquelle ne manqua pas d’arriver. A l’heure de sa mort éclata une horrible tempête : les liens des captifs furent brisés, les chevaux paissant à douze milles de Rouen rompirent leurs attaches et s’enfuirent, ce qui laisse croire que Roengvald mourut près de cette ville. L’hagiographe ajoute ce détail intéressant pour l’archéologue :

« La mémoire de cet homme néfaste eût péri si les religieux de Saint-Benoît n’avaient, en vue de l’avenir, fait exécuter sa tête en marbre : on la voit encastrée dans le mur au fond de l’église, au Nord ».


Vers la même date, à l’autre extrémité du royaume, le duc de Gothie dispersait les débris d’une bande de Hongrois qui, après avoir dévasté l’Italie du Nord, et brûlé Pavie (mars), avait passé les Alpes, puis le Rhône.
Du côté des Normands de la Seine, nulle sécurité. Ils se jettent, en 925, sur le Beauvaisis, l’Amiénois. Amiens et Arras sont victimes d’incendies. Cependant, les Normands ne réussissent pas à s’emparer de Noyon, cité minuscule. Le comte Herbert se tient sur l’Oise, sans oser rien tenter : il a peu de monde avec lui, car l’herbe pour les chevaux est rare. Mais les populations ripostent. Des forces, venues du Parisis vont dévaster le Roumois, ce qui contraint les agresseurs à rentrer défendre leurs foyers. De son côté, Helgaud, comte de Ponthieu, et les « Francs maritimes » pénètrent au nord-est de la Normandie et la dévastent.
Néanmoins la situation est assez sérieuse pour que Raoul revienne de Bourgogne et lève le ban. Herbert commence la lutte avec les contingents de l’Eglise de Reims, ainsi qu’Arnoul de Flandre. Ils enlèvent le château d’Eu en dépit d’un secours de mille hommes envoyé de Rouen par Rollon, pendant que le roi se tient en Beauvaisis avec Hugues et les Bourguignons. Mais chacun des grands ne songe qu’à ses intérêts personnels. Hugues s’accorde avec les Normands en laissant en dehors du pacte de sécurité Arnoul de Flandre, Raoul de Gouy, et même son propre vassal, Helgaud de Ponthieu. Herbert, lui, demeure à côté du roi et, au début de 926, de concert avec lui, bloque en Artois, peut-être à Fauquembergue, les Normands resserrés dans une position difficile. Soudain, ceux-ci font une sortie : sans Herbert, le roi eût été capturé. Il fut blessé et le comte Helgaud tué. Les Normands repoussés finalement auraient perdu 1.100 hommes ( ?). Après quoi le roi rentra à Laon, laissant les Normands poursuivre leurs ravages jusqu’en Porcien, laissant aussi les Hongrois, venus par l’Allemagne, arriver jusqu’à Voncq, non loin de l’antique domaine royal d’Attigny. Les religieux de Reims s’enfuirent avec les reliques de leurs saints.
Finalement, il fallut se résoudre à acheter la paix aux Normands, pour la seconde fois en trois ans de règne : « Une levée d’argent se fit pour obtenir la paix en France et en Bourgogne. »
Pour comble d’infortune, Raoul vit le duc d’Aquitaine se détacher de lui. Raoul avait un frère, Boson, dont le nom rappelait celui de l’oncle, le célèbre fondateur du royaume de Vienne en 879. Ce personnage, remuant et ambitieux, dut néanmoins, comme propriétaire de grands biens en Lotharingie, reconnaître la suzeraineté d’Henri d’Allemagne. Enfin un péril très grave menace Raoul, l’hostilité désormais implacable d’Herbert II.
Le comte de Vermandois avait jusqu’alors marché avec lui et avait même été son principal appui, son beau-frère Hugues, lui montrant peu de fidélité et de constance. La mort de l’archevêque de Reims, Sioux (1er septembre 925) fut l’origine de la brouille. L’ambition d’Herbert II était insatiable. L’étendue de son comté de Vermandois était loin de la satisfaire. Mais de quel côté s’arrondir ? Du côté du Nord, il se heurtait à la puissante maison de Flandre, à l’Ouest aux Normands, au Sud-Ouest aux possessions du duc des Francs, du côté de la Lorraine, à l’Est, à Henri Ier roi d’Allemagne et à ses partisans. L’issue, sinon facile, du moins la plus tentante était à chercher au Midi, en Champagne. Herbert ne convoitait rien moins que la ville du sacre, Reims. Ce qui était le plus profitable était moins le comté, le Raincien, que le temporel de l’archevêché. Herbert résolut de remplacer Sioux par son propre fils, Hugues. Mais Hugues avait cinq ans (sic). Qu’importe ! Avec l’agrément des vassaux de l’église et des clercs, auxquels il fit naturellement les plus belles promesses, et aussi des évêques de Soissons et de Châlons-sur-Marne, il proposa la combinaison suivante : lui-même administrerait le temporel et l’évêque de Soissons se chargerait de distribuer les sacrements jusqu’à ce que l’enfant Hugues eût atteint l’âge d’être ordonné canoniquement. Cette belle combinaison eut l’agrément du roi, qui devait trop à Herbert pour oser refuser, malgré ses répugnances, et, chose plus curieuse, elle eut celle du pape Jean X. Herbert II gagna sur tous les terrains. Sa réputation était telle qu’il fut accusé d’avoir empoisonné l’archevêque Sioux pour parvenir à ses fins.
Entre Saint-Quentin et Reims s’interposait la cité de Laon, bâtie sur une hauteur qui en faisait la place la plus forte de la région. Naturellement, Herbert la convoitait. A la fin de 926, le comte de Laon, Roger, mourut. Herbert demanda au roi la ville pour un de ses enfants, bien que le défunt eût laissé un fils. Cette fois, Raoul refusa. Laon était une place trop précieuse pour qu’il l’abandonnât à cet homme dangereux. Le dépit du comte de Vermandois fut tel qu’il se rendit auprès du roi d’Allemagne, Henri Ier, et qu’il réussit à entraîner dans ce colloque suspect Hugues le Grand lui-même. Puis il tenta un coup de main sur Laon. Il échoua. Il imagina alors, pour se venger de Raoul, un moyen tragi-comique. Il tira Charles le Simple de prison, l’installa à Saint-Quentin et feignit de le reconnaître comme le souverain légitime. Il sut intéresser à son sort les Normands. Rollon envoya son fils Guillaume rendre hommage au Carolingien au château d’Eu, à la frontière de la Normandie, et faire amitié avec Herbert (927). Enfin, Herbert eut l’impudence de députer auprès du pape Jean X en se posant en champion de la légitimité.
Cependant Raoul revenait de la Bourgogne, seule région où il puisait ses ressources en hommes. Hugues s’interposa entre son royal beau-frère et son oncle maternel. Le roi céda et livra Laon que la reine Emma avait courageusement défendu (928). Herbert et Hugues ne s’en rendirent pas moins auprès de Henri Ier d’Allemagne, pour l’intéresser à la cause de Charles le Simple probablement. Ils furent déçus. Alors Herbert fit cyniquement volte-face. Il se retourna vers Raoul, lui fit hommage et remit le pauvre Charles en prison. Plus exactement, ce fut une retraite surveillée, car, nous dit l’annaliste, Raoul se rendit à Reims, fit sa paix avec Charles, lui remit le domaine d’Attigny et lui fit des « présents » (fin 928). Le Carolingien ne devait pas en jouir longtemps. Il finit sa triste destinée, à l’âge de cinquante ans, le 7 octobre de l’année suivante, à Péronne, ce qui donna à croire que son bourreau avait jugé prudent de le transférer dans cette place.
Cette fin privait Herbert d’un moyen de chantage. La mésintelligence commença entre lui et Hugues ; ils se mirent à se débaucher leurs vassaux respectifs. Par contre, le prestige de Raoul se raffermissait. Les Normands de la Loire ayant envahi et dévasté l’Aquitaine, le roi accourut, leur livra bataille à Estresses (Corrèze, arr. Brive) en Limousin et leur infligea une si cuisante défaite que l’Aquitaine put enfin respirer (début de 930). Comme le second neveu de Guillaume Ier, Effroi, venait de mourir sans enfant (octobre 927) peu après son frère Guillaume II (16 décembre 926), le titre ducal échappa à la maison de Bernard Plantevelue. Il fut revendiqué par le comte de Toulouse Raimond-Pons, qui, du reste, viendra deux ans après prêter hommage à Raoul, ainsi qu’un comte gascon, Loup-Aznar.
Du côté du royaume de Provence, Raoul avait des visées, comme neveu de Boson, fondateur de cet Etat (929). Le fils de Boson, Louis l’Aveugle étant mort sans fils légitime (928), Raoul, son cousin germain, pouvait se croire des droits sur le royaume. Mais Louis l’Aveugle laissait un fils illégitime, Charles-Constantin, qui s’était installé dans la capitale, Vienne. Au début de 931, Raoul se rendit en cette ville et obtint de son cousin, issu de germain, une promesse de soumission.
C’était déchirer une convention passée dix-huit mois auparavant. Au lendemain de la mort de Louis l’Aveugle, Raoul s’était rendu en Bourgogne, en compagnie d’Herbert et là avait eu une conférence avec Hugues d’Arles qui venait de prendre la couronne d’Italie, mais conservait une situation prépondérante en deçà des Alpes. Le roi Hugues avait investi du Viennois Eudes, fils d’Herbert de Vermandois, chargeant le père de l’administration du comté, en raison de la jeunesse de son fils. Mais Raoul était décidé à ne plus garder de ménagements avec le comte de Vermandois. De retour dans le Nord, il résolut de lui enlever Reims et Laon. Herbert, une fois de plus, alla trouver le roi d’Allemagne en Lorraine et lui fit hommage. Mais les deux rois de France occidentale et orientale s’entendaient bien et Herbert fut évincé de Reims en la personne de son fils, remplacé par un moine de Saint-Remi, Artaud. Il avait confié la défense de Laon à sa femme, la comtesse de Vermandois, à l’exemple de Raoul y plaçant la reine Emma quatre ans auparavant. Mais la comtesse fut forcée de rendre la citadelle que son mari y avait construite (931).
Après quoi, Raoul dut se rendre en Bourgogne pour soumettre les comtes Gilbert de Dijon et Garnier de Sens, car même en cette région, il devait lutter contre l’inconstance de ses « fidèles ». Mais pendant son absence les opérations contre Herbert furent poursuivies par le duc Hugues, qui lui enleva Amiens et Saint-Quentin, sa capitale, cependant que le comte de Flandre, Arnoul, mettait la main sur Arras. Il ne restait plus à Herbert que Péronne et Château-Thierry. Une fois de plus, il essaya de gagner le roi d’Allemagne, une fois de plus il fut rebuté par Henri, qui avait à tenir tête aux Hongrois.
L’attention de Raoul se portait du côté de la vallée du Rhône. Le comte d’Arles, Hugues, pour ne pas être inquiété dans son royaume d’Italie cédait le royaume de Provence au roi de Bourgogne Transjurane, Rodolphe II (vers 933). Raoul descendit mettre la main sur Vienne. De plus son frère Boson, non content de ses possessions en France et en Lorraine, dominait les comtés d’Arles et d’Avignon, comme époux de Berthe, nièce du roi Hugues d’Italie. Le roi de France occidentale pouvait donc envisager encore à cette date (933) l’espoir de ne pas laisser échapper la vallée du Rhône.
D’autre part, la même année, il recevait l’hommage de Guillaume Longue-Epée, qui avait succédé à son père Rollon. Le roi l’en récompensa par un cadeau qui lui coûtait peu, « la terre des Bretons le long de la mer », c’est-à-dire, suppose-t-on, le Cotentin et l’Avranchin, cédés aux Bretons, rappelons-le, par Charles le Chauve en 867.
Le roi poursuivit la perte d’Herbert. Il vint assiéger Château-Thierry avec des contingents fournis par des évêchés de France et de Bourgogne. Au bout de six semaines de siège, le défenseur, le comte Galon, se rendit, mais, trait à relever — à la reine Emma. Mais Herbert, grâce aux intelligences qu’il avait dans la place, la reprit. Il fallut au roi et à Hugues quatre mois de siège pour récupérer Château-Thierry.
L’intervention du roi d’Allemagne sauva de la ruine le comte de Vermandois. Henri Ier voulait le rétablissement de la paix dans les royaumes voisins du sien. De belles victoires sur les Hongrois et les Slaves donnaient de l’autorité à cette intervention.
On décida dune trêve, puis, le 8 juin 935, sur les bords de la Chiers, à la limite de la France et de la Lorraine, trois rois se rencontrèrent, Henri, Raoul, Rodolphe de Bourgogne. Raoul se réconcilia avec Herbert et lui rendit une bonne partie de ses « honneurs ». Boson fit sa soumission à Henri. La question du Viennois, par contre, ne semble pas avoir été réglée.
Raoul n’eut pas le temps de respirer. Il fut rappelé en Bourgogne par une incursion des Hongrois qui brûlèrent plusieurs abbayes, dont celle de Bèze. A l’approche du roi, ils s’enfuirent en Italie. Raoul profita de l’occasion pour récupérer Dijon dont un comte infidèle s’était emparé, exemple entre mille des difficultés inextricables auxquelles se heurtait le pouvoir royal. Il n’est obéi, et à peu près, que si le souverain est présent. Lui parti, tout s’en va en pièces.
Une pareille existence usait ces souverains. Raoul ne tarda pas à rejoindre dans l’autre monde sa femme et son frère qui venaient de disparaître. Il tomba malade à l’automne de 935 et expira à Auxerre le 14 ou 15 janvier 936. Il fut enseveli à Sainte-Colombe de Sens, comme son père Richard le Justicier, comme son prédécesseur, Robert Ier.
Est-il utile et possible de porter un jugement sur son règne ? Visiblement, Raoul de Bourgogne a fait tout ce qu’il était possible de faire à un souverain de son temps pour régner. Il n’a réussi que par intermittences, pour une faible durée, et il était impossible qu’il en fût autrement. Le royaume était partagé entre quelques puissantes dynasties, dont les titulaires agissaient en princes indépendants. Sur quelles forces compter pour les soumettre ? Le roi ne percevait plus d’impôts lui permettant l’entretien d’une armée permanente. Personne n’obéissait plus aux convocations, à l’ost des Francs, sauf un petit nombre d’évêchés qui envoyaient leurs vassaux. Dans ces conditions le roi, qu’il fût un Robertien ou un Carolingien, ne pouvait tenir debout qu’en s’alliant aux grandes dynasties de son royaume, tantôt à l’une, tantôt à l’autre, jeu de bascule épuisant et d’un effet fugitif.
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CHAPITRE XIV
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