Ferdinand Lot De l’Institut


Dissolution de l’Empire carolingien



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Dissolution de l’Empire carolingien

Le règne d’Eudes (888-898)



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En 888, des descendants mâles de Charlemagne il ne restait plus que deux représentants, Arnulf, fils naturel de Carloman de Bavière et le fils posthume de Louis le Bègue, l’enfant Charles. Si Allemands et Lotharingiens se groupèrent autour du premier qui, avant même la mort de son oncle Charles le Gros, s’était saisi du pouvoir, nul dans la France occidentale ne pensa trouver dans le second, enfant de huit ans dont la légitimité, au surplus, était contestée, le soutien d’un royaume en décomposition.
Dans la lignée féminine, par contre, les descendants de Charlemagne, voire de Pépin et de Charles Martel, ne manquaient pas, mais eux-mêmes ne semblent pas avoir songé à faire valoir des droits ou des prétentions au trône. On dirait que dans la France occidentale, aussi bien qu’en Bourgogne et Provence, on se soit dépris des Carolingiens. Tout au moins, on voulait un bras fort ne fût-ce que pour un temps. Parmi les grands personnages de l’époque, Bernard Plantevelue, comte d’Auvergne, de Berry, de Mâconnais, duc de Gothie, Hugues l’Abbé, marquis de Neustrie, Thierry le chambrier, comte d’Autun, venaient de disparaître. Le premier laissait, il est vrai, un fils héritier de ses « honneurs », les plus considérables du royaume, Guillaume le Pieux. Mais ces « honneurs » situés en Aquitaine et en Septimanie, faisaient leur titulaire étranger à la « France » proprement dite, cour du royaume. La partie occidentale de la France, au sens large, la Neustrie, ne pouvait encourir cette sorte de réprobation. Le personnage le plus en vue des pays au nord de la Loire se trouva être au tournant des années 887-888 le défenseur de Paris, le comte Eudes, fils aîné de Robert le Fort. C’est sa conduite au cours de ce siège qui le mit en évidence, car jusqu’alors on n’entend pas parler de lui.
Cependant, il rencontra une concurrence et fort inattendue. Un parti appela au trône Guy II, marquis de Spolète au cœur de l’Italie. Ce parti était dirigé par Foulques, archevêque de Reims, et Geilon, évêque de Langres. Pourquoi cet appel à un étranger ? C’est que pour certains il n’était pas un étranger. Il était petit-fils de ce Lambert, de ce comte de Nantes qui n’avait cessé de se rebeller contre Charles le Chauve jusqu’en 846 et dont le fils, Guy Ier, passé en Italie, acquit le duché de Spolète et fut père de Guy II. Or Foulques et Geilon étaient apparentés à Lambert : Geilon, d’abord abbé de Saint-Philibert de Grandlieu, était fils d’un grand du Poitou dont il portait le nom. Guy II, accouru d’Italie, fut sacré roi à Langres par Geilon (janvier ou février 888). Mais, si faible que fût le sentiment national dans l’aristocratie franque, Guy n’en était pas moins pour elle un intrus. Son couronnement ne lui rallia aucun suffrage et il repassa les Alpes. Il devait prendre la couronne d’Italie à Pavie en février 889, se faire sacrer « empereur » par le pape Etienne V (21 février 891), puis associer son fils Lambert à cet empire chimérique (30 avril 892) et mourir en 894.
La majorité des Francs de « France » se rallia à Eudes et l’élit roi. Pour le sacre, qui eut lieu à Compiègne, le 29 février 888, les insignes de la royauté furent conférés non par l’archevêque de Reims, compromis avec Guy de Spolète, mais par l’archevêque de Sens, Gautier. Le caractère de la royauté ne fut changé en quoi que ce fût. La « promesse » du fils de Robert le Fort au clergé et au monde laïque, ne différa pas de celles de ses prédécesseurs carolingiens.
La tâche du nouveau roi était triple. Il lui fallait :
1° se faire reconnaître par les autres royaumes issus de la décomposition de l’Empire ;
2° se faire accepter dans son propre royaume ;
3° protéger ce royaume contre les Normands.
Un seul personnage était dangereux pour Eudes, Arnulf de Germanie. L’irrégularité de sa naissance était effacée aux yeux des contemporains par le prestige que lui conférait sa position d’unique rejeton de la race carolingienne. A défaut de Guy, l’archevêque de Reims, Foulques, le comte de Flandre Baudouin, pressaient Arnulf de mettre la main sur la France occidentale. Eudes para le danger en allant trouver Arnulf à Worms et en lui reconnaissant un seniorat mal défini qui le laissait entièrement libre de ses actes (août 888).
Une sorte d’unité idéale du monde chrétien se maintenait ainsi sous l’autorité nominale du bâtard de Carloman de Bavière. A Worms également, la prééminence d’Arnulf fut reconnue par Rodolphe qui venait de se faire roi, de la portion de Bourgogne comprise entre la Saône et l’Aar. Ce roi était un Welf, fils de Conrad, comte d’Auxerre, passé en Transjurane en 866.
De même, Bérenger, marquis de Frioul, un Carolingien par sa mère Gisèle, sœur de Charles le Chauve, reconnut la suzeraineté d’Arnulf pour se le concilier dans sa lutte contre Guy II de Spolète. Enfin le fils de Boson, Louis, recouvra 1’Etat paternel, moyennant hommage à Charles III, puis à Arnulf.
La chimère impériale troublera l’esprit d’Arnulf. Il descendra en Italie, à la mort du prétendu empereur Guy II de Spolète, et se fera couronner par le pape Formose, le 22 février 896. Puis il tombera malade à son retour en Allemagne et traînera sa vie jusqu’en 899.
Bien plus difficile était la tâche de se faire reconnaître dans le royaume occidental. Les descendants des Carolingiens par les femmes, Baudouin II de Flandre, petit-fils de Charles le Chauve, par sa mère Judith, et Herbert Ier de Vermandois descendant de Bernard, roi d’Italie, aveuglé par Louis le Pieux en 818, firent bien leur soumission, mais demeurèrent sourdement ou ouvertement hostiles au chef de la nouvelle dynastie.
Mais c’est en Aquitaine et en Bourgogne que l’opposition pouvait s’enraciner. Le comte Rannou II de Poitiers, jouissait d’un pouvoir si étendu qu’on le qualifiait de duc et qu’on le soupçonnait d’aspirer plus haut encore. Il avait recueilli, on ne sait pourquoi ni comment, le jeune fils de Louis le Bègue, Charles. Eudes n’eut pas à diriger d’expédition contre lui. Rannou vint le trouver en Aquitaine, accompagné de l’enfant et de ses partisans, lui jura fidélité et persuada Eudes qu’il n’avait rien à craindre au sujet de Charles (début de 889),. Mais Rannou mourut l’année suivante et l’Aquitaine tomba en entier au pouvoir du fils de Bernard Plantevelue, Guillaume le Pieux, déjà comte d’Auvergne, comte de Mâcon en Bourgogne et marquis ou duc de Gothie. Le roi Eudes eût bien voulu conférer le Poitou à son frère Robert, mais il ne put y parvenir, ses troupes ayant été battues par un certain Adémar qui mit la main sur Poitiers. Pas davantage Eudes ne put déposséder Guillaume au profit de Hugues, comte de Berry. Celui-ci fut tué (893).
Dans ce qui restait de Bourgogne au royaume de France occidentale, après les prélèvements opérés par Boson, puis son fils et par Rodolphe Ier, dont le royaume correspondait à la Suisse romande et à la Franche-Comté, le comte Richard, propre frère de Boson, exerçait une influence prédominante, bien qu’il ne fût titulaire que du comté d’Autun. Ce puissant personnage, qui ne prendra le titre de marquis qu’en 900, et celui de duc que vers la fin de sa vie (terminée en 921), prêta serment de fidélité à Eudes, bien que secrètement demeuré « carolingien » de sentiment.
Eudes fut-il reconnu par Guifred, comte de Barcelone et marquis d’Espagne ? C’est plus que probable, car on voit autour de lui, à Orléans, en juin 889, des abbés et un comte de la Marche qui n’auraient pas fait ce lointain voyage sans l’assentiment de leur seigneur. Il est douteux, par contre, qu’il y ait eu des relations entre Eudes et Alain, duc ou roi de Bretagne, et Sanche-Mitarra ( ?), duc de Gascogne.
Eudes avait été imprudent de laisser l’enfant Charles aux mains de Rannou. A mesure qu’il grandissait, les partisans de la dynastie carolingienne, d’abord comme paralysés, reprenaient courage. Le parti était dirigé par Foulques, archevêque de Reims, des évêques et, parmi les laïques, par Baudouin de Flandre, Pépin de Senlis, frère d’Herbert de Vermandois, etc... En 893, Charles était dans sa quatorzième année. Les conjurés décidèrent de brusquer les choses. Profitant de l’absence d’Eudes, retenu en Aquitaine, ils firent couronner Charles par l’archevêque Foulques à Saint-Remi-de-Reims, le 28 janvier.
Les grands d’Aquitaine et de Bourgogne, Guillaume, Adémar, Richard, ne demandaient qu’à passer au Carolingien. Cependant, Eudes réussit à les contenir en leur rappelant le serment de fraîche date qu’ils lui avaient prêté et, dès qu’il reparut dans le Nord, Charles prit la fuite on ne sait trop où, et l’église de Reims pâtit des intrigues de son pasteur. Néanmoins Eudes ne put enlever Reims. Foulques multiplia les démarches en faveur de son protégé, auprès du pape Formose, auprès d’Arnulf de Germanie. Ce dernier se posa en arbitre du conflit et cita les prétendants à Worms. Charles à qui cet appui était précieux s’y rendit et obtint d’Arnulf dont le revirement est difficile à comprendre, la concession du royaume occidental, moyennant la reconnaissance de sa suzeraineté (juin 894). Arnulf fournit même des secours armés au jeune Carolingien, ce qui n’empêcha pas celui-ci d’être abandonné sur les bords de l’Aisne et d’être obligé de s’enfuir en Bourgogne et de s’y cacher.
Alors s’engagea pendant trois années une suite de conflits armés, mêlés d’interminables négociations, de palinodies de tout ordre, les grands passant et repassant d’un parti à l’autre. Finalement, Eudes eut le dessus. En 897, Charles renonce au titre royal et ne reçoit de son rival que la place forte de Laon comme « lieu de refuge ». Mais Eudes expire peu après, le 1e janvier 898.
Somme toute, Eudes a passé les dix ans de son règne à lutter contre un faible compétiteur et contre la jalousie des grands, ses rivaux, ses égaux, et parfois ses supérieurs en puissance territoriale.
Le tragique de ce règne épuisant est encore accru par l’insuccès final de sa résistance aux Normands.
Le début avait semblé encourageant. Au lendemain de son sacre, il avait remporté sur les Danois un succès qui avait valu du prestige à sa récente royauté. Rencontrant à l’improviste un parti de ces Normands à Montfaucon en Argonne, il n’hésita pas à attaquer, bien qu’il n’eût qu’un millier (?) de cavaliers et mit l’adversaire en fuite (24 juin 888). Mais une autre bande, profitant de l’éloignement d’Eudes, en conférence avec Arnulf à Worms, assiège Meaux. La place se rend. L’évêque et les habitants n’en sont pas moins massacrés (14 juin). Puis les Danois descendent la Marne espérant surprendre Paris. Mais on y fait bonne garde et, d’ailleurs, Eudes, de retour, campe près de la ville avec une armée. Les Normands s’éloignent et établissent leurs quartiers d’hiver sur le Loing.
L’année suivante, ils en sortent et ravagent tout, Neustrie, Bourgogne, France, sans que personne puisse les arrêter, puis ils retournent assiéger Paris. Eudes se montre alors aussi impuissant que Charles le Gros et Charles le Chauve : il achète leur départ (juillet 889).
Les Normands se portent alors sur la Bretagne déchirée par les compétitions entre Alain et Juquel (Judicaél). Juquel périt en luttant contre eux, mais Alain les rejette. Ils regagnent alors la Seine et la vallée de l’Oise et établissent à Noyon leurs quartiers pour l’hiver de 890-891. Eudes ne peut que s’installer en observation à Senlis.
Cependant une autre bande, sous les ordres d’un redoutable Viking, Hasting, qui laissera une renommée légendaire, campait à Argoeuves, à 7 kilomètres en aval d’Amiens. Le 27 décembre 890, il tenta d’enlever l’abbaye de Saint-Bertin (à Saint-Omer), la plus riche du Nord, mais l’abbé Rodolphe, un Welf, fut averti et le coup échoua. Au milieu de l’année 891, Eudes tente de surprendre une bande à Wallers, près de Valenciennes, mais elle lui échappe et c’est lui qui se laisse surprendre en Vermandois et est mis en fuite. Néanmoins, Hasting se décida à quitter la France et à embarquer pour l’Angleterre (892). Avec lui disparaissent les derniers contingents de cette « Grande armée » qui avait mis à feu et à sang le royaume de France occidentale et la Lotharingie pendant douze années.
Une partie repassa la Manche en 896. Faible débris ; leur chef, Huncdée (Hulc) ne commandait que cinq vaisseaux, soit environ deux cent cinquante hommes. Cette petite bande, entrée dans la Seine à l’automne, se grossit en décembre et s’installe à Choisy-au-Bac, près du confluent de l’Aisne et de l’Oise, sans trouver de résistance. De là, les pirates dirigèrent des expéditions de brigandage jusqu’à la Meuse. A leur retour, ils se heurtèrent à l’armée du roi, mais lui passèrent sur le corps et regagnèrent Choisy-au-Bac. Ne s’y sentant pas en forces, ils préférèrent s’installer sur la Seine, probablement dans une île.
Le jeune prétendant Charles eut l’idée de les prendre à son service et s’attira les reproches foudroyants de l’archevêque de Reims. Reproches exagérés, car Charles entendait convertir ses auxiliaires païens. Il fut le parrain de Huncdée qui accepta le baptême, à Denain, à la limite de la France et de la Lotharingie, où le jeune prince s’était réfugié (Pâques, 27 mars 897). L’accord se fit ensuite avec Eudes, ou plutôt Charles renonça à ses prétentions à la royauté.
Pendant ce temps, les Normands grossis en nombre, dévastaient tout par le fer et le feu. Aussi le roi députa auprès d’eux : un traité fut conclu. Ils se dirigent sur la Loire pour y hiverner, nous dit l’annaliste d’Arras. Faut-il entendre par là qu’Eudes leur livra la Neustrie à piller ? En ce cas, il terminerait son règne, qui finit le 1er janvier suivant, par une mesure ignominieuse rappelant celle de Charles le Gros traitant avec les assiégeants de Paris en octobre 886. Mais la phrase de l’annaliste est trop succincte pour que ce rapprochement puisse être pleinement justifié, bien que, au printemps suivant, les Normands « ayant regagné leurs navires dévastent une partie de l’Aquitaine, la Neustrie, renversent des places fortes et tuent les habitants.
En tout cas, Eudes roi se montra aussi impuissant que les Carolingiens à venir à bout de ces terribles hôtes, preuve que l’impuissance des Francs ne tenait pas à l’incapacité de tel ou tel prince, mais à des causes d’ordre général.
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CHAPITRE XII

Le Règne de Charles III le Simple (898-923)

Les premières années


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Eudes ne laissait pas d’enfant. Le trône allait-il passer à son frère, Robert ? Non. L’exercice du pouvoir ou plutôt l’expérience de la carence du pouvoir, n’en donnait pas l’appétit au second fils de Robert le Fort. Et puis Eudes avait sagement recommandé, peu avant sa mort, à son frère et à ses partisans de reporter leurs suffrages sur le Carolingien. Il avait compris que l’on exerçait plus d’autorité en se tenant à côté du trône que sur le trône, à condition qu’on eût des « honneurs » et des domaines étendus et, par suite, beaucoup de vassaux. Et il avait pris soin qu’il en fût ainsi pour sa famille. Ne gardant pour lui-même aucun comté dès son avènement, ainsi qu’il convenait alors à un roi, il avait conféré à Robert, son frère, les comtés d’Anjou, de Tours, de Blois, de Paris, le temporel des abbayes de Saint-Martin de Tours et de Saint-Aignan d’Orléans, de Saint-Denis « en France ». Si l’on y ajoute des domaines épars possédés en toute propriété (en alleu) ou en bénéfice, la maison des « Robertiens » apparaît comme la plus riche et, par suite, la plus puissante au nord de la Loire, particulièrement en Neustrie. Les titres et qualités qu’on donne à son chef dans les actes dressés par la chancellerie témoignent qu’on se rend parfaitement compte de la situation prépondérante qu’il occupe. Le roi l’appelle « illustre comte et marquis », « vénérable marquis »,enfin « duc des Francs ».C’est une sorte de maire du palais, mais pour la « France » seulement, car son ducatus (autorité) ne s’étend pas sur l’Aquitaine et la Bourgogne.
Les recommandations du feu roi furent suivies et sans opposition. Charles, alors dans sa vingtième année, fut reconnu roi par les grands, dont les plus puissants, en dehors de Robert, étaient Guillaume le Pieux, duc d’Aquitaine et marquis de Gothie, et Richard le Justicier qui, en Bourgogne, finira par prendre le titre ducal.
Le nouveau souverain rappelait son père Louis le Bègue par sa débilité intellectuelle et le surnom de Sot (simple) lui a certainement été appliqué de son vivant. Jusqu’au moment tardif où il se permettra une initiative dans le choix de son conseil, il vivra sous l’autorité de Robert qu’il déclare justement dans un diplôme (918) être le « conseil et l’appui du royaume » (regni et consilium et juvamen). Après Robert, il semble que Richard ait eu le plus d’influence sur le jeune roi.
Il serait sans intérêt de s’arrêter sur le détail de son règne, sur les insipides querelles des grandes maisons qu’on peut déjà qualifier « féodales », celles des comtes de Flandre et de Vermandois, par exemple, querelles que le soi-disant souverain est hors d’état d’apaiser ; pas plus qu’il ne peut punir l’assassinat du protecteur de sa jeunesse, l’archevêque Foulques, tué par Guinemer, vassal de Baudouin II, comte de Flandre (juin 900). Deux grands faits sont à retenir, l’installation définitive des Normands sur la basse Seine, l’acquisition de la Lotharingie.

La fondation de la Normandie
et l’apport scandinave en France

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Le changement de dynastie n’influe en rien, cela va sans dire, sur le cours des dévastations normandes. A peine était-il reconnu que Charles dut se porter sur une bande qui revenait chargée du fruit de ses pillages. Il l’attaqua en Vîmeu, mais, peu accompagné, ne put l’empêcher de regagner ses vaisseaux (sur la Canche apparemment).
En même temps, une autre bande, venant on ne sait d’où, apparaissait en Bourgogne et brûlait le monastère de Saint-Florentin (Yonne). Mais, rattrapés par le comte Richard, à Argenteuil, en Tonnerrois, les Danois subirent une défaite qui les força à évacuer la Bourgogne (28 décembre 898).
Ils passèrent le reste de l’hiver sur la Seine et, en novembre 899, de l’Oise à la Meuse et au delà recommencèrent leurs dévastations sans rencontrer de résistance. Enfin, dans l’été de 900, « le roi Charles réunit Robert, Richard et Herbert (de Vermandois) pour qu’on discutât de ce qu’il convenait de faire touchant les Normands. Un jour, Manassès (comte de Dijon), fidèle de Richard, s’entretenant avec le roi, tint des propos malsonnants sur Robert. Celui-ci en fut informé. Aussitôt, il monta à cheval et rentra chez lui. Les autres, n’étant pas d’accord, se séparèrent et reprirent le chemin du retour, sans qu’on eût rien décidé ». C’est par cette phrase qui dépeint l’époque et aide à comprendre le succès des Normands que le moine de Saint-Vast d’Arras termine ses précieuses annales.
Privés de son secours, nous ne savons plus rien des Normands de la Seine et de l’Oise pendant une dizaine d’années. Cependant des donations de domaines sur la Seine inférieure et le fait que la succession des évêques se continue à Rouen sont des indices que les pirates étaient moins menaçants.
Par contre, le danger se réveille brusquement sur la Loire.
Les îles de l’Océan avaient été visitées par les pirates dès la fin du VIIIe siècle.Les moines de Saint-Philibert à Noirmoutier, sans cesse exposés à des incursions, durent se réfugier à Deas (Saint-Philibert de Grandlieu) en 836, puis à Cunaud (en Saumurois) en 845, puis à Bussogilum (Saint-Jean-sur-Mayenne, canton de Laval) en 856, à Marsay-en-Poitou (arrond. Loudun, canton de Moncontour), enfin à Tournus en Bourgogne en 870, pérégrinations significatives.
A partir de 845, Nantes, les villes de la Loire jusqu’à Orléans, sur la Garonne Bordeaux, Toulouse ; même, à l’intérieur des terres, Limoges, Clermont, avaient reçu la visite de ces terribles brigands. En 853, ils s’étaient installés à demeure dans un camp établi près des ruines du monastère de Glonne, c’est-à-dire Saint-Florent-le-Viel (Maine-et-Loire, arrond. Cholet). Nantes, ou plutôt l’île de Biesse contiguë à la cité, constituait pour eux un autre repaire. De là, ils s’élançaient dans toutes les directions ne rencontrant que peu ou pas de résistance.
Cependant, en 865, le Viking Siegfried, opérant sur la Charente, éprouva un échec en suite duquel les Normands n’apparaissent plus, que l’on sache, en Aquitaine, du moins au sud de cette rivière. Ils se concentrent sur la basse Loire. On a dit que les marquis de Neustrie, Vivien, Robert le Fort, Hugues l’Abbé ont lutté successivement contre eux avec un résultat faible, pour ne pas dire nul. Après l’année 886, date de la mort de Hugues l’Abbé, le Viking Hasting ne rencontre pas de résistance sérieuse. En 888 les Normands s’en prennent à la Bretagne et subissent une grosse défaite que leur inflige le duc Alain. Ils se dirigent alors sur les vallées de l’Oise et de l’Escaut où nous les avons rencontrés, puis gagnent l’Angleterre.
La vallée de la Loire et la Bretagne purent enfin respirer. Pas pour longtemps : en 903, venant on ne sait trop d’où, d’Irlande peut-être, apparaît sur la Loire une flotte commandée par Baret (Bardhr) et Heric (Eiriks). Elle remonte jusqu’à Tours et, le 28 juin, la basilique de Saint-Martin, hors les murs, fut brûlée de nouveau avec le « bourg » que les religieux avaient recommencé à reconstruire en 878. Le corps du saint avait été mis à l’abri dans la vieille cité romaine qui résista.
Ces « tard venus » durent s’installer eux aussi sur la basse Loire et reprendre la suite des déprédations de leurs prédécesseurs. En 910, Maubert (Madalbert), archevêque de Bourges, est leur victime. Cependant les religieux de Saint-Martin et leur abbé, le duc Robert, eurent la possibilité de reconstruire le bourg né près du monastère et de le défendre en l’entourant de remparts. L’œuvre était achevée en 918 et le 13 mai le corps de saint Martin y était solennellement reporté. La ville nouvelle fut appelée Châteauneuf ; elle vécut, d’une vie indépendante de celle de la Cité, jusqu’au milieu du XIVe siècle.
Nantes fut-elle visitée en 903 ? La chose ne paraît pas douteuse bien qu’Alain le Grand fût encore vivant. En tout cas, elle tomba au pouvoir de Normands en 919, ainsi que la Bretagne. Pendant dix-huit ans la péninsule fut une province danoise : le duc et les grands s’étaient enfuis outre Manche. Nantes et la Bretagne ne seront délivrées qu’en 937 par Alain Barbetorte de retour d’Angleterre.
II semblait donc que c’était sur la basse Loire et en Bretagne que devait se constituer une Normandie. Tel fut bien le sentiment des Robertiens. En l’année 921, après avoir vainement bloqué les Normands pendant cinq mois, le duc Robert leur concéda le pays de Nantes et la Bretagne qu’ils avaient dévastés, « après quoi ils commencèrent à accueillir la foi dans le Christ ». La concession du Nantais sera renouvelée en 927, après un nouveau blocus inutile d’un mois par Hugues le Grand, fils de Robert, et par Herbert de Vermandois.
Cependant, c’est ailleurs, sur la Seine, que devait naître la véritable Normandie.
Passé l’année 900, nous perdons de vue les Normands de la Seine. Où se tenaient-ils ? Probablement à l’embouchure du fleuve, car l’évêque continuait à habiter Rouen. Cependant, la Bourgogne du Nord redoutait leur attaque. En mai 910, Richard autorise l’abbaye de Sainte-Colombe de Sens à se fortifier et la même année l’évêque d’Auxerre inflige à une bande une sévère leçon. Selon Dudon de Saint-Quentin, écrivant un siècle après, la troupe qui avait dévasté la Bourgogne et l’Auvergne ( ?), regagnant la Seine par Saint-Benoît-sur-Loire et Etampes, aurait aperçu à Villemeux (près de Dreux) un nuage de poussière obscurcissant l’air il était soulevé par une foule en marche de « vilains » (paysans) de la Beauce. Ces malheureux, voyant l’impuissance de leurs seigneurs, s’imaginaient, eux sans armes véritables, qu’ils pourraient abattre les Normands. Le chef de l’armée normande, Rollon, dissipa cette illusion en tombant sur ces piétons avec sa cavalerie et en les massacrant.
L’année suivante (911) fut une année décisive. Rollon s’avisa d’enlever la capitale de cette région naturelle, la Beauce. Mais, depuis sa capture, en 858, Chartres avait relevé ses murailles. L’évêque Ganteaume appela au secours les trois plus puissants personnages du royaume, le duc Robert, Richard de Bourgogne, Ebles, comte de Poitou. Le 20 juillet 911, pendant que le combat faisait rage sous la cité, l’évêque fit une sortie, déployant comme talisman une relique insigne de son église, la tunique de la Sainte Vierge. Comment Rollon eût-il pu résister ? Il fut repoussé, laissant un monceau de cadavres sur le terrain, tenta vainement de se ressaisir sur la colline de Lèves, à deux lieues de Chartres, mais dut battre en retraite.
Episode banal, comme on en avait vu plus d’un. Les Normands étaient battus, mais non vaincus, car leurs vainqueurs n’avaient pas fait de poursuite et avaient regagné leurs foyers respectifs. Et cependant, c’est alors que l’occasion d’un accord entre Francs et Normands fut saisie et menée à bonne fin.
Les Normands pouvaient, comme par le passé, mener des expéditions de pillage, mais devant des villes fortifiées ils échouaient régulièrement. Même en rase campagne, ils éprouvaient parfois des revers.
D’autre part, les Francs, aguerris, familiarisés avec la tactique ennemie, se sentaient capables de tenir tête aux Normands, mais à condition d’unir les forces des trois parties du royaume. Cependant ils étaient incapables de les traquer dans leurs camps de refuge et de les expulser, et, en outre, faute de marine, d’empêcher leur retour.
Après tant d’années d’épreuves on ne répugnait plus à faire la part du feu et à leur concéder une portion plus ou moins étendue du royaume. Au reste, il y avait des précédents. A la belle époque où l’Empire paraissait en pleine force, Louis le Pieux avait concédé la Frise (orientale) au Danois Harald (83G), puis le port le plus important de la région, Duurstede, à ses fils, Harald II et Rorik. Ainsi avait fait également son successeur, Lothaire Ier.
Mais une condition préalable était absolument nécessaire, il fallait que le chef, au moins, reçût le baptême. Les Vikings danois n’y répugnaient pas trop. Harald, Godfried, Weland, Huncdée, d’autres encore, l’avaient accepté.
Des efforts en ce sens étaient déjà en bonne voie. Hervé, archevêque de Reims, y travaillait, ainsi que Gutton, archevêque de Rouen. Une entrevue fut décidée entre le roi et Rollon. Elle se tint sur l’Epte, à Saint-Clair, dans la seconde moitié de 911. Que se passa-t-il exactement dans ce colloque d’une importance capitale ? Nous sommes très mal informés à ce sujet. Ce qui demeure certain, c’est que Rollon (en danois Hrolf) reçut le baptême à Rouen et que le duc des Francs fut son parrain, d’où le nom de Robert que prit le néophyte, nom qu’il transmettra à sa descendance. Entrant dans le cadre de la société franque, Rollon fit hommage et jura fidélité au roi. Une anecdote veut que le Normand, qui avait à baiser le pied du roi, selon le rite du temps, se refusa à le faire en personne et se fit remplacer par un vassal, lequel saisit si brutalement le pied du souverain qu’il le renversa en arrière, à la grande hilarité de l’assistance. Mais cette anecdote a été inventée cent ans plus tard, par Dudon de Saint-Quentin aux gages des ducs normands, à une époque où leur vassalité à l’égard du roi de France leur était devenue à charge.
Vassal, le Normand devait participer à la défense du royaume, fût-ce contre d’autres envahisseurs. Et cette condition est rappelée dans un diplôme un peu postérieur (918) de Charles III.
Quelle fut l’étendue de la concession ? Elle ne comprit pas tout d’abord l’ensemble de ce qui sera la Normandie. On concéda à Rollon et à ses compagnons, Rouen et quelques pagi. Ceux-ci sont le Bonmois, le pays de Caux, l’Evrecin, le Lieuvin (Lisieux). Plus tard, le successeur de Charles le Simple y ajoutera le Bessin (924), le Cotentin avec l’Avranchin (933). Hugues, fils de Robert Ier, leur cédera même (924) pour avoir la paix, le Maine qu’il tenait probablement de son père.
En dépit de ces concessions, Rollon et ses compagnons ne se tinrent nullement tranquilles et leur avidité ne connaîtra guère de trêve au cours du siècle. A chaque instant, sous un prétexte ou sans prétexte, ils se jettent sur les territoires contigus à la Normandie et les dévastent. On verra même leurs ducs, en 958 et 1014, en contestation avec un rival ou avec le roi, appeler à l’aide des Normands de Danemark. Malgré tout, ducs et grands se mêlent à la société franque, en adoptent les usages, la langue même, et cela avec une rapidité surprenante. Les ducs prennent femme chez les Francs et les Bretons. Le deuxième duc, Guillaume Longue-Epée, est fils de Poupe, dont le père est un comte franc de Bayeux. Lui-même a d’une Bretonne, Sporta, Richard Ier. Richard II épouse Judith, fille de Conan, comte de Rennes. Parfois même les ducs prennent comme compagne, légitime ou non, une femme de condition sociale moyenne ou basse : Richard II (996-1026) a pour mère Gonnor ; fille d’un forestier de Sacqueville. Robert le Magnifique, dit aussi le Diable, a Guillaume, le futur conquérant de l’Angleterre, d’Harlette fille d’un pelletier de Falaise.
La langue paternelle s’oublie si vite que Guillaume Longue-Epée, le second duc, voulant que son fils, Richard, connaisse l’idiome de ses ancêtres, au lieu de l’élever à Rouen, l’envoie à Bayeux où le danois, nous apprend Dudon, était plus usité que le roman.
Cependant l’apport des mots scandinaves en Normandie est considérable. La terminologie de la marine est toute « noroise ».
Les parties constitutives des navires ont des noms danois : la quille (kjoll), les côtes ou varengues (vrengr), les bords (bordhi), tribord, anciennement « stribord » (stjorn-bordhi, côté de droite), bâbord (back-bordhi, côté de gauche). Le timonier est dit esturman (stjormadhr). L’étambord est tiré de stambordhi, la proue ou étrave vient de strafn, le pont ou tillac de thilja, le mât de mast, la hune de hunn (tête). Sur le mât glissent les haubans, terme formé de hœfudh (tête) et de band (lien). La vergue soutient la voile ou sigle (segl) dont la partie inférieure est toujours dite lof. Pour relever des voiles à une des cordes ou gardinges (garding) ; pour les déployer on raidit les écoutes (skot). Outre la grande voile il y a une petite voile auxiliaire, le foc (fok) triangulaire.
Une fois terminé le bateau, débarrassé de ses étais ou escores (skordha), attend la marée, la tide (tidh) pour être lancé. Bien lesté (lest), il quitte la crique (kriki), protégée par une digue (dik) et cingle (sigla) en tanguant (tangi) à travers les vagues (vâgr). Bateau de pêche il attrape des flondres (flendr), des orphies (horn-fiskr), des marsouins (marsvin). Il se lance à la poursuite de la baleine (hvalr).
Quant à la toponymie elle fourmille : 1° de terminaisons danoises fleur (anciennement fleu), crique, havre, vic, nez, hève, mielle, esnèques, quette, grumes, hoc, hoy, etc., 2° de substantifs : bec (ruisseau), vat (eau), dal (vallée), diep (profondeur), houle (le creux), mare (étang), haule (éminence), clif (rocher), falise (passé en français : falaise).
L’exploitation rurale aussi est riche en termes scandinaves : torf (village), bœuf (conservé en composition : Elbœuf, Marbeuf, etc.), tot (métairie), tiut (défrichement), gard (enclos), hague (pâturage), hus (maison), cotte (chaumière), bu (maison), brique (conservé en composition : Briquebec, Briquebosc). Notons même querque (église).
Naturellement, l’onomastique reflète l’influence scandinave : Anger (Ans-geire), Angot (Ansi-gut), Anquetil (Anseketill), Auzouf (Asulf), Ase (Azi) ; Burnouf (Bjornulfr), Hamon (Hamondr), Havard (Havardr), Herould (Haraldr), Heuzey (Hosa), Omont (Osmondr), Theroulde (Torold), Toustain, Toutain (Thorstein), Turgis (Thorgils), Turquetil (Torketill), Vermond (Vermundr), Vimont (Vimundr), Ingouf (Ingulf), Yver (Ivar). Dans les noms où Ase, Anse est le premier terme, ce terme est celui des dieux scandinaves, les Ases ou Anses. Les noms en Tor-, Ton- se réfèrent au dieu Thor. Il va sans dire que les Gallo-Francs demeurés en Normandie, — et ils constituaient l’immense majorité de la population, — prirent souvent ces noms scandinaves.
L’influence d’un renouvellement ethnique ne saurait être contestée. De nos jours encore, nombre de nos compatriotes trahissent leur origine par leur aspect « norois », taille élevée, teint clair, cheveux blonds. Mais il convient de remarquer que cet apport danois se manifeste le long des côtes maritimes ou peut-être le long des cours d’eau.A l’intérieur des terres, le Normand ne diffère pas essentiellement de ses voisins de Picardie, du Maine ou de l’Ile-de-France.
Religieusement, les ducs et les grands d’origine danoise changent du tout au tout. Ces descendants de païens brûleurs d’églises, se montrent fort dévots, grands constructeurs d’édifices sacrés. Ils aiment sincèrement l’Eglise chrétienne, à la condition, il est vrai, de la dominer et de jouir de son temporel. Aussi placent-ils à la tête des évêchés et des abbayes leurs parents. Leur moralité ne semble pas sérieusement améliorée par leur conversion au christianisme, mais il en va de même partout.
Nouveaux venus dans la société franque, les ducs ont mieux su gouverner le territoire qu’ils s’étaient acquis que ne faisaient les autres grands feudataires. C’est qu’ils opéraient sur table rase ou à peu près. La Normandie, repeuplée par des immigrants des provinces voisines, à peu près débarrassée du servage, vivant en paix, apparaîtra bientôt comme la province la plus riche de France. L’esprit d’entreprise normand, sans jamais se détourner des aventures guerrières, s’emploiera aussi au développement de la vie économique du pays. L’ironie des choses voulut que ce morceau de Neustrie et de France qu’on appela Normandie ait dû sa prospérité au fait d’être abandonné aux descendants des terribles Vikings qui l’avaient dévasté. Quelque mérite en revient au pauvre Charles le Sot, qui ne prévoyait, à coup sûr, rien de tel, mais qui eut une lueur de bon sens dont il convient de lui savoir gré.

L’acquisition de la Lotharingie
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Bien qu’elle n’ait eu qu’un intérêt épisodique, l’acquisition de la Lotharingie par Charles le Simple mérite de retenir un instant notre attention.
La Lotharingie, cette ancienne Austrasie qui avait dominé la Gaule et la Germanie pendant près de deux siècles, coupée en deux au traité de Meerssen de 870, avait recouvré son unité quand Louis de Saxe en 879-880, arracha à la faiblesse des rois enfants de France occidentale, Louis III et Carloman, la part qu’ils tenaient de l’héritage de leur aïeul, Charles le Chauve.
Ressoudée, la Lotharingie ne reprit nullement son ancienne importance. Elle fut considérée comme une annexe du royaume germanique de Louis de Saxe et de ses frères. Le fils de Lothaire II et de Waldrade, Hugues, eût pu lui redonner son autonomie s’il avait eu pour lui un fort parti de Lotharingiens. Mais il n’en fut jamais ainsi. Sa naissance adultérine écarta de lui le clergé et nombre de grands laïques. Déserté, il commit la folie de s’allier au Normand Godfried. Finalement, après une existence agitée, il fut capturé et aveuglé sur l’ordre de Charles le Gros (885).
La Lotharingie, dévastée par les Normands, en proie aux excès des seigneurs laïques et ecclésiastiques, vivait d’une existence misérable, à l’écart des régions d’Outre-Rhin. Elle ne participa ni à la déposition de Charles le Gros, ni à l’élection d’Arnulf. Cette situation donna à Rodolphe de Transjurane l’idée de joindre à sa couronne « bourguignonne » la couronne de Lotharingie. Par sa grand-mère Adélaïde, il se rattachait à la famille des comtes d’Alsace. Son père, le Welf Conrad, comte d’Auxerre, était passé du service de Charles le Chauve à celui de Lothaire II, en 866. Il se croyait assuré de rencontrer des intelligences dans le pays. L’évêque de Toul, Arnaud, consentit à le couronner, mais le reste du haut clergé et les grands se dérobèrent. Rodolphe dut abandonner l’Alsace, renoncer à la Lotharingie et même reconnaître l’autorité d’Arnulf sur son royaume de Transjurane (automne de 888).
En dépit d’une victoire du roi allemand sur les Normands à Louvain (891), la situation de la Lotharingie demeurait profondément troublée. Arnulf sentait que seul un prince y résidant constamment pourrait gouverner ce pays. Il songea à y installer son fils bâtard, Zventibold, qui tenait ce nom slave (Sviatopolk) d’un prince morave, son parrain. Une proposition aux seigneurs lotharingiens se heurta à un refus. Son insistance triompha en 895.
Zventibold avait été accepté comme successeur éventuel de son père, malgré sa bâtardise, en 889. En juillet 893, Arnulf eut un fils, Louis, de sa femme légitime, Uta. Zventibold perdait l’espoir de succéder à son père en Germanie, mais le royaume de Lotharingie se trouva pour lui comme une compensation. Il fut doté de prérogatives étendues. Il battit monnaie en son nom, eut sa propre chancellerie, rendit la justice, disposa du domaine royal. Aussi agit-il en prince souverain. Il poussa l’indépendance jusqu’à s’allier, aussitôt roi, au prétendant Charles, alors que son père soutenait le roi Eudes. Mais celui-ci fit des propositions d’accord à Charles et Zventibold dut rentrer en Lotharingie (895).
Sa situation n’était pas solide. Son père l’avait imposé. Il crut raffermir sa position en révoquant quatre grands personnages, des comtes, et accrut l’hostilité. Aussi, en 899, dut-il se réconcilier avec eux. Puis, sans qu’on sache pourquoi, c’est son conseiller préféré, Renier, comte du Hainaut et de la Hesbaye, qui tombe en disgrâce. Le roi de Lotharingie le prive non seulement de ses honneurs (fonctions publiques), mais confisque ses biens patrimoniaux et le bannit du royaume. Naturellement Renier se réfugia en France occidentale et excita Charles le Simple contre Zventibold. Charles entra à Aix-la-Chapelle, à Nimègue ; puis l’accord se fit, les deux armées ayant refusé le combat (898). Le 8 décembre 899, l’empereur Arnulf, malade depuis plusieurs années, mourut. Zventibold était tellement détesté que les grands de Lotharingie offrirent la couronne au fils légitime du défunt, Louis, âgé de six ans. L’enfant fut amené à Aix-la-Chapelle et reconnu roi de Lotharingie en avril 900, puis les comtes insurgés livrèrent, le 13 août, un combat victorieux, près de l’abbaye de Süsteren, à Zventibold, qui périt. Il ne laissait pas de fils.
La tranquillité ne renaît pas. Les comtes lotharingiens se virent supplantés par deux frères, des Franconiens, Conrad et Gebhard, ce dernier prenant le titre de duc. Après la disparition de Gebhard, tué dans une rencontre avec les Hongrois (910), le comte Renier de Hainaut reprit la première place parmi les grands de Lotharingie. Le 24 septembre 911 mourut Louis l’Enfant. Il ne laissait pas de descendant. En sa personne s’éteignait la branche orientale des Carolingiens.
Si l’on avait suivi la tradition, la « France orientale » aurait dû reconnaître Charles III comme souverain et le fils de Louis le Bègue eût régné des Pyrénées jusqu’à l’Elbe. Mais l’impossibilité pour un seul homme de gouverner cet ensemble avait été rendue trop manifeste par le règne de Charles le Gros, et puis la réputation de Charles III n’était pas de nature à inspirer confiance. Enfin, et surtout, le temps avait fait son œuvre. Depuis près d’un siècle, Bavarois, Souabes, Francs de l’Est, Saxons, Thuringiens avaient pris l’habitude de vivre sous l’autorité d’un prince appartenant à la même branche dynastique. Ils se sentaient devenus différents des Francs de l’Ouest et la branche occidentale des Carolingiens leur apparaissait comme étrangère. Cette répugnance à accepter pour souverain un prince de France est d’autant plus manifeste que le choix d’un roi pris en dehors de la race carolingienne n’était pas facile. Les princes d’Outre-Rhin portèrent leur suffrage sur Conrad le Jeune, fils de Conrad envoyé en Lorraine en 900.Il était, semble-t-il, duc de Franconie et le choix d’un Franc de l’Est est la seule concession qui fut faite au passé franc. Conrad le Jeune fut sacré roi à Forchheim en Franconie, le 10 novembre 911. Date fatidique, dont les contemporains n’aperçurent pas tout d’abord l’immense portée : c’était celle de la naissance de l’Allemagne.
Les sentiments particularistes qui avaient détourné les Francs de l’Est d’accepter pour roi un Franc de l’Ouest, ne pouvaient être partagés par les Francs Moyens, autrement dit les Lotharingiens. Leur pays, l’Austrasie, était le berceau de la glorieuse dynastie des Carolingiens. Le corps de Charlemagne reposait chez eux, à Aix-la-Chapelle. La Lotharingie reconnut aussitôt Charles III. Ce fut une grande joie pour le Carolingien. Sa chancellerie a soin de rappeler dans ses diplômes qu’il a recouvré « une plus large hérédité ». Il se plut en Lotharingie. Il aima y résider dans les antiques palais de ses ancêtres, à Herstall, à Aix-la-Chapelle, à Metz, à Gondreville (près Toul). Le pays dans l’ensemble lui demeura fidèle jusqu’au bout.
Mais le rapprochement du royaume lotharingien et du royaume de France tenait à la personne même du Carolingien. Quand, après la capture de Charles III, les Francs de l’Ouest élirent comme roi Raoul, qui n’est même pas un Franc, mais un Bourguignon, les seigneurs de Lotharingie préfèrent se rallier au nouveau roi d’Allemagne, le Saxon Henri Ier (924). Ce ne fut pas, d’ailleurs, sans quelques velléités de retour à la France occidentale. Mais l’heure était passée.
La Lotharingie, au sein de l’Etat allemand, subsistait théoriquement comme royaume. Mais, en 959, Brunon, archevêque de Cologne, auquel son frère, le roi Otton, avait confié une sorte de vice-royauté sur la Lotharingie, trouvant que la surveillance d’un pays aussi agité était trop lourde pour un seul homme, le coupa en deux duchés. A celui du Sud, dans le bassin de la Moselle, s’attacha le nom de Lorraine (Lothringen en allemand). Celui du Nord, ou basse Lorraine, garda longtemps le même nom sous la forme de Lothier (Lotharium), mais, à partir de ce moment, l’antique Austrasie cessa d’exister.
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CHAPITRE XIII
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