Ferdinand Lot De l’Institut


La succession de Charles le Chauve (877-887)



Download 2,59 Mb.
bet24/46
Sana26.02.2017
Hajmi2,59 Mb.
#3386
1   ...   20   21   22   23   24   25   26   27   ...   46


La succession de Charles le Chauve (877-887)

Louis II le Bègue


Retour à la Table des matières
Charles le Chauve, s’il fut le premier roi de France, fut aussi le dernier roi Carolingien qui ait véritablement régné. Après lui vient une longue période de plus d’un siècle au cours de laquelle ses descendants disputèrent le pouvoir aux descendants des grandes maisons qui s’étaient constituées, pour la plupart sous son règne, notamment celle des descendants de Robert le Fort, qui se substitueront définitivement aux Carolingiens en 987. Période confuse, funeste au pouvoir monarchique en raison même de son étendue. Si la dynastie carolingienne disparut, la dynastie robertienne qui monta sur le trône en la personne de Hugues Capet, devait sortir elle-même de cette lutte gravement affaiblie. Pendant qu’elle prenait, perdait, reprenait, perdait, finalement gardait le pouvoir, la montée du particularisme provincial, que les historiens appellent le « régime féodal », devenait irrésistible et le pouvoir royal s’effrita aussi bien quand les Robertiens portaient la couronne que lorsqu’ils y renonçaient.
Le Xe siècle est vraiment un siècle stérile ? Il est de ces périodes dont on peut dire qu’il eût mieux valu qu’elles n’eussent pas existé.
C’est pourquoi nous jugeons inutile, à partir de la mort de Charles le Chauve, d’entrer dans le détail des événements. Nous nous contenterons de noter les faits essentiels.
Avant son départ pour l’Italie, l’empereur Charles avait confié le gouvernement de la France à son fils Louis le Bègue. Mais, connaissant mieux que personne l’incapacité de son aîné, il l’avait mis sous la tutelle d’un directoire, ou plus exactement de plusieurs directoires, composés d’évêques, d’abbés, de comtes. Un conflit entre ces personnages était inévitable.
Dès qu’il apprit la mort de son père, Louis commit l’imprudence, pour concilier des appuis à sa royauté dès le début chancelante, de distribuer à tort et à travers abbayes, comtés, domaines royaux. Aussitôt il se forma une coalition, aussi bien ecclésiastique que laïque, de « grands », indignés de ce qu’il avait disposé des « honneurs » sans leur consentement. Ces « grands » étaient ceux qui avaient accompagné Charles et l’impératrice Richilde en Italie et qui en revenaient. Un accord se fit à Compiègne le 30 novembre entre l’entourage du feu empereur et ceux qui avaient refusé de le rejoindre en Italie. Richilde remit à Louis le Bègue le « précepte » par lequel son père mourant lui transmettait le royaume, l’épée dite de saint Pierre, pour l’investir par elle dudit royaume, le costume royal, la couronne, le bâton orné d’or et de gemmes. Louis II fut alors couronné par Hincmar de Reims (8 décembre). Mais préalablement, il avait dû prendre l’engagement formel de respecter les droits et privilèges des évêchés et abbayes, engagement consigné par écrit et signé par lui après qu’on en eût donné lecture. Alors les évêques firent leur profession de fidélité au « seigneur roi » sous une forme vassalique ne différant pas de celle des laïques.
Visiblement, la royauté est devenue constitutionnelle et l’on sent que déjà le principe de l’élection tend à prévaloir sur celui de l’hérédité.
L’événement marquant du règne de Louis II est le voyage du pape Jean VIII en France et le concile de Troyes. Les ducs de Bénévent et de Toscane avaient introduit dans Rome des ennemis du souverain pontife. Jean VIII avait riposté par l’excommunication, mais en vain. Sa situation n’était plus tenable. Il s’échappa, et, par mer, gagna Arles. Il prévint Louis II qu’il lui fallait avoir une entrevue avec lui. Le roi, alors à Tours et déjà très atteint, fixa Troyes comme lieu de rendez-vous. En août-septembre, il se tint en cette ville un grand concile. Le pape y renouvela ses plaintes contre ses ennemis, les fit excommunier et cette fois par le concile. Là, naturellement, n’était pas le but essentiel de son voyage. Il voulait obtenir le secours de l’ensemble des rois carolingiens, et non pas seulement celui, bien illusoire, du pauvre Louis le Bègue. Le pape eut une cruelle déception. Nul des fils de Louis le Germanique, nul des évêques de leurs royaumes ne parut. Les évêques des Gaules et de « Belgique », lui témoignèrent beaucoup de respect et obtinrent une condamnation de principe des ravisseurs des biens d’Eglise, mais que pouvaient-ils faire, eux et leur souverain, dans l’état présent du royaume et de l’Europe Occidentale ? Apres avoir payé l’hospitalité de Louis le Bègue en le couronnant roi de nouveau (7 septembre), le pape, déçu, reprit par les Alpes le chemin de l’Italie, accompagné par Boson jusqu’à Pavie (novembre).
L’acte le plus sage fut la conclusion de la paix entre Louis le Bègue et son cousin Louis de Saxe. Dans un colloque tenu à Fouron (sur la rive droite de la Meuse, entre Liége et Maestricht) les deux rois firent la paix, chacun d’eux se contentant de la part de la Lotharingie déterminée entre leurs pères en 870. Les deux souverains s’engagèrent à protéger réciproquement leurs enfants, à s’aider contre les Normands. Ils voulaient inviter pour le mois de février suivant les frères de Louis de Saxe, Charles d’Alemanie et Carloman, à un entretien destiné à rétablir l’accord entre princes chrétiens (10 novembre 878).
Au printemps de 879, Louis II dut se diriger vers l’Autunois pour faire face à une rébellion de Bernard de Gothie auquel le comté avait été donné sept ans auparavant. Il ne put aller plus loin que Troyes. Il était malade et confia le soin de mener la campagne à son fils aîné Louis, tout jeune encore, qu’il mit sous la garde de Bernard Plantevelue, comte d’Auvergne, de Hugues l’Abbé, de Boson, du chambrier Thierry. Par le monastère de Jouarre en Brie on regagna à grand-peine Compiègne. Le malade sentit qu’il était perdu. Par l’entremise d’Eudes, évêque de Beauvais, et du comte Auboin, il fit porter en Autunois à son aîné Louis, la couronne, l’épée et autres attributs de la royauté en mandant aux grands de l’entourage de son fils de le faire sacrer et couronner. Puis il mourut au soir, le vendredi saint 10 avril 879. Le lendemain il fut enseveli au monastère de Notre-Dame près Compiègne.

Louis II et Carloman
Retour à la Table des matières
A partir de ce jour, la double aristocratie laïque et ecclésiastique dispose de la couronne royale.
Deux partis se forment pour assurer la succession au trône. Boson, Bernard Plantevelue, Hugues l’Abbé, le chambrier Thierry entendent donner pour successeurs au défunt roi ses fils, Louis et Carloman. Une tout autre attitude est adoptée par Josselin, abbé de Saint-Germain-des-Prés, et Conrad, comte de Paris, un Welf cependant. Ils réunissent à la hâte des mécontents pour appeler Louis de Saxe qui leur concédera les « honneurs » qu’ils n’ont pu encore obtenir. Le fils du Germanique, séduit par la proposition, avança jusqu’à Verdun. Le parti fidèle aux dernières volontés de Louis le Bègue, para le coup en offrant à Louis de Saxe la moitié de la Lotharingie revenant à la France occidentale pour prix de sa renonciation à ce royaume. Louis accepta. Mais les reproches violents de sa femme, la reine Liutgarde, pouvaient provoquer chez lui un revirement. Le parti fidèle à la volonté de Louis le Bègue se hâta de faire couronner ses deux fils par l’archevêque de Sens, Anséis, à Ferrières-en-Gâtinais (septembre).
Mais brusquement une défaillance, ou plutôt une grave trahison, se produit dans ce parti. La personnalité la plus en vue, Boson, osa se faire proclamer roi à Mantaille, près de Vienne, le 15 octobre, Coup de tête, en vérité, extraordinaire, énigmatique. Boson n’appartenait pas à la race carolingienne, comme d’autres grands personnages, tels le comte de Flandre, le comte de Poitou, le comte de Vermandois, le comte d’Auvergne. Il ne s’y rattachait que par son mariage avec Ermengarde, fille de Louis II, le pseudo-empereur. Cette femme ambitieuse l’a certainement poussé à prendre une couronne. Mais quelle couronne ? Celle d’Italie paraissait toute indiquée, l’empereur Louis II n’ayant vraiment régné que dans ce pays et, Boson en ayant été nommé vice-roi en 876, par Charles le Chauve ; qui plus est, Boson était vu d’un bon œil par le pape Jean VIII. Mais le trône d’Italie n’était plus libre. Boson, qui avait accompagné le pape regagnant l’Italie en novembre 878, après avoir tâté le terrain, s’était rendu compte qu’il existait contre lui une forte opposition, et Jean VIII, de son côté, renonçant à ses premières vues, avait incité Charles le Gros, le dernier fils du Germanique, à prendre la couronne de Pavie. En France occidentale il ne semblait pas non plus qu’il y eût place pour Boson, un Lotharingien, étranger au royaume.Il avait eu en 872, la tutelle de Louis le Bègue, envoyé à Bourges comme roi d’Aquitaine, mais en cette région, il rencontrait, la toute-puissante rivalité de Bernard Plantevelue. II avait reçu un instant, vers 870, l’administration du Viennois et du sud-est de la Gaule. Mais il avait peu résidé en ce pays, étant le plus souvent aux côtés de son royal beau-frère. Il ne semblait donc pas avoir eu le temps de s’y créer des intelligences.
C’est cependant sur cette région que Boson jeta son dévolu. Ce qui est surprenant, c’est son succès immédiat. Six métropolitains (Vienne, Lyon, Besançon, Aix, Arles, Tarentaise) et dix-sept évêques suffragants se rallièrent aussitôt à lui, ainsi que les grands laïques de ces diocèses, et s’accordèrent pour le couronner à Mantaille, domaine royal, non loin de Vienne, « pour le bien de I’Eglise et du peuple privés du secours d’un souverain, et sous l’inspiration de Dieu ». A quel mobile ont pu obéir ces prélats et ces comtes pour opérer ainsi la rupture avec la sainte dynastie des Carolingiens ? Pour tenter de le deviner, on doit se rappeler que cette région, si hétérogène fût-elle, ne s’était jamais sentie de « France » dans le passé. En outre, depuis la mort de l’empereur Lothaire (855), elle avait formé le lot d’un prince faible d’esprit et de corps, Charles de Provence, et avait été gouvernée en fait par le comte Girard, sorte de précurseur de Boson. Charles le Chauve s’en était débarrassé en 870. Mais le sentiment avait pu persister que ce pays, éloigné du souverain qui n’y paraissait qu’en le traversant pour se rendre en Italie, délaissé de fait, ne pouvait être administré que par un homme qui y résiderait. Boson apparut sans doute comme ce sauveur. Enfin, il y a dans son succès un de ces éléments de prestige personnel qu’on a peine à apprécier à distance. Boson fut donc roi (15 octobre 879).
Mais roi de quel royaume ? Lui-même ne le savait pas. Roi de tout pays qui voudrait le reconnaître. Un instant, il fut accepté par Mâcon, par Besançon, au Sud par Uzès. Il espérait certainement davantage, rallier à lui au moins le reste de la Bourgogne, Chalon, Autun, Langres, la Champagne même. Ce lui fut impossible.
Alertés, inquiets, les princes carolingiens, faisant trêve un instant à leurs dissentiments, s’unirent contre l’usurpateur. Mâcon fut enlevé, mais Vienne ne put être emportée (juillet 880). Ce ne sera que deux ans plus tard que Carloman, le second fils de Louis le Bègue, reprendra le siège de la ville qu’enlèvera le comte Richard, le propre frère de Boson, demeuré fidèle à la maison carolingienne. Mais Boson, un instant réduit à une situation précaire, reprendra Vienne, s’y maintiendra jusqu’à sa mort (11 janvier 887) et léguera son Etat, pour la majeure partie reconstitué, à son fils Louis l’Aveugle.
On ne saurait exagérer l’importance du coup de tête de Boson pour l’histoire territoriale de la France. Les circonstances feront que les souverains de la France occidentale ne pourront pas trouver par la suite l’occasion de recouvrer le sud-est de la Gaule, le royaume de Vienne, dit plus tard d’Arles. Cette grande région entre les Cévennes et les Alpes, la vallée du Rhône, restera étrangère aux destinées de notre pays presque jusqu’à la fin du Moyen Age et même, pour une partie, la Savoie, jusqu’au XIXe siècle.
Des soucis pressants, angoissants, avaient empêché les Carolingiens de porter à temps à l’usurpateur le coup décisif. Le péril normand s’avérait de plus en plus formidable et pour l’ensemble des Etats francs. A la suite du traité conclu par le roi anglo-saxon Alfred avec les Normands (879), un grand nombre de pirates refluèrent sur le continent. Assemblés à Fulham, à l’embouchure de la Tamise, sous la conduite d’un Viking célèbre, Siegfried, ils abordèrent en Flandre. Cette contrée, puis le Brabant, furent tout de suite affreusement dévastés. Au même moment l’Allemagne, jusqu’alors relativement épargnée, était violemment attaquée par les Danois. Près de Hambourg une armée saxonne, commandée par le duc Brunon, subissait une grosse défaite où douze comtes et deux évêques périrent (février 880).
Dans le royaume de l’Ouest, la région située entre l’Escaut et la Somme fut la proie des pirates dont le repaire était établi à Courtrai. Les cités de Cambrai, d’Arras, d’Amiens, les célèbres abbayes de Saint-Bertin et de Corbie furent pillées et brûlées (fin 880 et 881). Mais, au mois d’août 881, les envahisseurs subirent un échec sérieux.
Les deux fils de Louis II, très différents de leur père, apparaissent comme des princes actifs et vaillants, malgré leur extrême jeunesse. Au printemps de 880, ils s’étaient partagé le royaume ; Louis III, l’aîné, avait pris Neustrie et « France », Carloman, le puîné, Bourgogne et Aquitaine. Si, par conséquent, à ce dernier revenait plus particulièrement le soin de poursuivre la lutte contre Boson, c’était à Louis III à lutter contre les Normands. Il ne se déroba pas à ce devoir et le 3 août 881 il rencontra l’ennemi à Saucourt-en-Vimeu et lui infligea une grosse défaite. Naturellement le chiffre de 8.000 tués est inadmissible, dix fois trop élevé, pour le moins. Le retentissement de la victoire fut considérable, même en Allemagne et en Angleterre. En « France » elle donna lieu dans la partie où se parlait le moyen haut-allemand à un poème en ce dialecte composé par un clerc, poème conservé dans un manuscrit de l’abbaye de Saint-Amand. Dans la région même où s’était passé l’événement, le souvenir s’en conserva, quoique déformé au cours des temps, dans la chanson de geste de Gormond et Isembart, qu’on ferait mieux d’appeler Le roi Louis, chanson qu’Hariulf, moine de Saint-Riquier-en-Ponthieu, nous rapporte, à la date de 1088, comme chantée dans le pays.
La victoire de Louis III eut comme résultat de rejeter les Normands sur le royaume voisin de Lotharingie. Leur base d’opération fut transférée à Asseit en Limbourg. Bientôt les villes de Maestricht, Liége, Cologne, Bonn, Aix-la-Chapelle, les abbayes de Stavelot, Malmédy, Prüm reçoivent leurs terribles visites. Louis de Saxe dépêcha des forces contre eux, mais, à la nouvelle de sa mort (20 janvier 882), ses troupes se licencièrent sans combattre. Ayant pris Trèves (5 avril, jeudi saint), les Normands marchèrent, sur Metz. A Remich, à mi-chemin entre cette cité et Trèves, ils se heurtèrent à une armée levée par l’archevêque de Trèves, Bertulf, par Wala, évêque de Metz, par Adalard, comte du pays messin. Wala fut tué, Bertulf et Adalard mis en fuite. Cependant, les Normands, sans doute affaiblis par leur victoire même, ne poussèrent pas plus loin et regagnèrent Asseit.
Pendant ce temps, le jeune Louis III s’était porté à l’Ouest pour observer les Normands de la Loire et recevoir la soumission des princes bretons. Il traitait avec le Viking Hasting de l’évacuation des régions de la Loire, quand il tomba malade à Tours. Transporté sur une litière à Saint-Denis, il expira le 5 août, « à la grande douleur des Francs », et y fut enseveli : il n’avait pas vingt ans accomplis.
A cette nouvelle, les grands dépêchèrent des envoyés à Carloman, occupé au siège de Vienne, pour qu’il laissât à d’autres le soin de le poursuivre et se rendît bien vite en France où le péril normand redevenait menaçant.
Le dernier fils de Louis le Germanique, Charles le Gros, auquel l’Alemanie (la Souabe) était échue en partage, s’était fait reconnaître roi d’Italie (octobre 879), puis sacrer empereur par le pape Jean VIII (2 février 881), En avril 882, il rentra en Germanie et, pour venir à bout des Normands, convoqua une armée considérable composée de tous ses sujets, Souabes, Francs, Bavarois, Saxons, Thuringiens, Frisons, Lombards même. En juillet, il était devant le repaire des Danois, à Asseit. Au bout de quinze jours de siège seulement, il conclut un traité avec eux et leurs chefs, Siegfried, Godfried, Vurm, Hals. Il leur versait deux mille livres d’or et d’argent et leur permettait de passer dans le royaume de France occidentale.
C’est ce que les Normands s’empressèrent de faire. Ayant établi leur base d’opération à Condé-sur-l’Escaut, ils dévastent la vallée de l’Oise, l’Amiénois, le Soissonnais, le Laonnais. Impuissants contre la « montagne de Laon », ils se dirigent sur Reims démantelé. Ils n’y pénètrent cependant pas, mais l’archevêque Hincmar vieux et infirme, effrayé, s’enfuit à Epernay avec les reliques de saint Remi et les ornements de son église (8 novembre).
Carloman, malgré son jeune âge (seize ans), avait tenté de lutter. Suivant à travers la Thiérache la bande qui avait pillé le Rémois, il la surprit à Avaux, sur l’Aisne, près de Rethel, lui tuant, dit-on, mille hommes ( ?), mais le gros se retrancha dans Avaux même, puis, de nuit, profitant du clair de lune, regagna Condé. Hincmar termine ses annales sur cet épisode, quelques jours avant sa mort survenue le 7 décembre 882.
Le succès de Carloman n’empêcha pas l’ennemi de recommencer ses déprédations. Rejoint par Hugues l’Abbé qui lui amenait des renforts, Carloman surprit une bande revenant du pillage du Beauvaisis, dans la forêt de Vicogne, non loin de leur repaire de Condé. Il en dispersa une partie, mais la majorité parvint à rejoindre la base d’opérations.
L’année 883 fut atroce. Quittant Condé, les Normands rembarquèrent sur l’Escaut, puis remontèrent la Somme. Ils s’établirent à Laviers, près d’Abbeville. Leur armée comprenait non seulement des fantassins, mais des cavaliers. Carloman et les Francs étaient postés non loin de là, à Miannay. Le combat s’engagea ; ils furent battus, rejetés au delà de l’Oise et les Normands s’installèrent à Amiens (octobre 883). Pendant l’hiver suivant, les Normands ne cessent de faire prisonniers et de tuer les chrétiens, de détruire les églises, d’abattre les murailles, d’incendier les villas (domaines). « Point de place où l’on ne vît gisants les corps des clercs, des laïques, nobles ou non, des femmes, des jeunes, des enfants à la mamelle. Point de route ou de localité où l’on ne rencontrât des morts. » Tel est le tableau que trace un contemporain bien informé, un moine de Saint-Vaast-d’Arras, témoin oculaire des malheurs de ces temps affreux.
Alors les grands se réunirent à Compiègne et prirent des décisions nécessaires « car le roi était jeune ». Décisions peu héroïques. Ils proposèrent aux Normands par l’intermédiaire d’un Danois baptisé, d’acheter leur retraite. Ceux-ci acceptèrent moyennant versement d’un tribut de 12.000 livres d’argent, somme énorme pour l’époque. Une trêve fut conclue du 2 février au mois d’octobre 884.
Mais, pour occuper leurs loisirs, les pirates allèrent dévaster la région à droite de l’Escaut, la Lotharingie. En octobre, ayant touché leur argent, ils rembarquèrent à Boulogne. Une partie alla revoir l’Angleterre et débarqua dans le Kent, une autre, remontant l’Escaut et la Dyle, établit ses quartiers d’hiver à Louvain, en Lotharingie.
L’armée franque, qui avait surveillé le départ des Normands, se dispersa et le jeune roi demeura avec quelques compagnons seulement. Un jour qu’il chassait le sanglier dans la forêt de Bézu près des Andelys, il reçut par mégarde un coup de pied de la part d’un de ses jeunes compagnons voulant le secourir.
Sept jours après il expirait, le 12 décembre : il n’avait pas dix-huit ans.

Charles le Gros –
Le siège de Paris par les Normands

Retour à la Table des matières
Après qu’il eut été enseveli à Saint-Denis, comme son frère, son père et son aïeul, les grands députèrent à Charles le Gros, alors à Pavie, pour qu’il prît le pouvoir en France occidentale. La valeur du personnage ne pouvait faire illusion à personne, mais il n’y avait pas d’autre parti à prendre. De Louis le Bègue était né un fils posthume, mais l’enfant né le 17 septembre 879, n’avait que cinq ans. Au reste, la validité du mariage de son père avec sa mère, Adélaïde, était contestée : le pape Jean VIII, à Troyes, avait refusé de la sacrer reine.
Ce fut seulement six mois après, en juin 885, que l’empereur Charles III put se rendre en France recevoir le serment de ses nouveaux sujets en ce palais de Ponthion où son oncle Charles II le Chauve avait connu une journée de gloire, neuf ans auparavant.
La tâche la plus urgente était de venir à bout des Normands de Louvain. L’empereur donna ordre aux Francs de l’Ouest et de Lotharingie d’aller les assiéger. L’expédition échoua honteusement. La vue des Francs de l’Ouest excita la risée des Danois :

« Que venez-vous faire ici ? Vous faire reconnaître. Inutile. Nous vous connaissons. Vous voulez notre retour chez vous. Vous serez satisfaits. »


Une grande expédition contre la France occidentale avait été décidée par eux. Rouen avait été désigné comme lieu de concentration. Les Normands de Louvain s’y rendirent, les uns par terre, les autres par mer et furent rejoints par une bande venue d’Angleterre. L’ensemble constituait la plus redoutable force qu’eût vue encore le monde carolingien. Ce fut la « Grande armée ». Son effectif était évalué à 30.000 hommes portés sur 700 navires (sic). Il en faut rabattre à coup sûr, mais il n’en demeure pas moins que Siegfried, qui la commandait, disposait de forces qui, pour le temps, semblaient écrasantes. De Rouen, la flotte remonte jusqu’à Pont-de-l’Arche où elle rencontra le célèbre pont fortifié établi par Charles le Chauve.Les Normands campèrent tout près, à l’Ouest, en un lieu qui conserve leur souvenir : Les Dans (écrit fautivement les Damps), c’est-à-dire les Danois. Alors se place un épisode assez mystérieux. Ils furent attaqués par des contingents venus de Neustrie et de Bourgogne ( ?), commandés par un duc Ragnold, duc (sic) du Maine, dont on ne sait rien d’autre. Ragnold fut tué et les siens rentrèrent chez eux « eu grande tristesse ». Après avoir fait capituler le comte Aleran et la garnison de Pontoise, les Normands arrivent en vue de Paris, le 24 novembre 885.
Alors commence un siège fameux, le premier fleuron de la couronne guerrière de Paris.
Paris tient toujours en entier dans l’île de la Cité. A plusieurs reprises, en 845, 857, 866, 876 les Normands y sont entrés sans coup férir. C’est que la Cité était sans défense, ses vieux remparts romains ayant croulé de vétusté depuis longtemps. Cette fois il n’en va plus de même. A la fin de son règne, Charles Il a enjoint aux cités de relever leurs murailles et le nouvel évêque de Paris, Josselin, l’ancien abbé de Saint-Germain-des-Prés, partisan inconsidéré de Louis de Saxe, rentré en grâce, n’a pas manqué de fortifier la ville. Les deux ponts de bois unissant l’île aux deux rives de la Seine sont également fortifiés et les « têtes » solidement tenues. Pour passer, les Danois devront donc les enlever.
Siegfried tenta d’obtenir le passage dans une entrevue qu’il eut avec l’évêque dans la cité même dès le 25 novembre. Il promettait d’épargner la ville. Il se heurta à un refus. Alors le siège commença. La ville était défendue par le comte de Parisis, Eudes, fils aîné de Robert le Fort. De sa jeunesse on ne sait rien. Il reçut le comté de Parisis probablement en 882, lors de la défection du Welf Conrad passé au service de Louis de Saxe : il avait alors environ vingt et un ans. Le nouvel abbé de Saint-Germain-des-Prés, Ebles, réfugié dans la cité, aida aussi à la défense, les armes en mains. Les Normands échouèrent dans leur tentative d’enlever la tête du pont de la rive droite, située sur la place qui garde encore aujourd’hui comme nom, le « Châtelet ». Ils furent plus heureux sur la rive gauche. Le « petit châtelet », à l’extrémité de la rue Saint-Jacques actuelle, s’était trouvé isolé de l’île par une crue de la Seine, le 6 février 886. Les Normands y mirent le feu et ses défenseurs, après avoir donné le vol à leurs faucons pour que les oiseaux ne fussent pas asphyxiés, se rendirent, puis furent massacrés. Leurs noms ont été conservés, grâce à Abbon qui a décrit en vers latins, d’ailleurs exécrables, le fameux siège. Ils ont été gravés sur une plaque apposée en 1889 sur une maison à l’angle du quai Montebello et de la rue Saint-Jacques. La maison ayant été abattue depuis, la plaque a disparu et semble perdue !
Le siège continua. Pour ne pas s’ennuyer, les assiégeants envoyaient des détachements en Neustrie. Ils prirent Evreux, mais échouèrent devant Chartres et Le Mans. Les assiégés perdirent l’évêque Josselin, mort le 16 avril 886. Le 12 mai, la mort à Orléans de Hugues l’Abbé les privait de l’espoir d’être secourus. La place avait besoin d’être ravitaillée et délivrée. Le comte Eudes parvint à s’échapper secrètement et se rendit auprès de l’empereur, alors en Alsace, pour lui apporter l’appel de Paris, puis il rentra dans la place, non sans peine. En son absence, Ebles avait pris le commandement. Charles le Gros agit avec une incroyable lenteur. Le dernier jour de juillet, il n’a pas dépassé Metz. De là à Quierzy-sur-Oise, il lui faut un mois. Il envoie alors en reconnaissance le meilleur homme de guerre de Germanie, le comte Henri, un Franconien, qui a lutté à maintes reprises contre les Normands. Malgré son expérience, Henri tombe victime des stratagèmes des païens (28 août). Un mois après, Charles le Gros arrive enfin en vue de Paris. Il campe sur la rive droite, alors déserte, entre Montmartre et le « Grand Châtelet ». Siegfried était au loin, du côté de Bayeux. Les Danois, en son absence, amusent le tapis avec de feintes négociations. Puis, sur le bruit que Siegfried revient avec des forces considérables, Charles le Gros prend peur. Il traite, sans oser combattre, avec les envahisseurs. Il rachète Paris pour 700 livres d’argent et les autorise à aller piller la Bourgogne (6 ou 7 novembre). Après quoi, il prend le chemin du retour. A Soissons, il s’arrête pour raffermir des fidélités chancelantes par des distributions de bénéfices, mais voilà que l’horizon s’embrase du feu des incendies c’est Siegfried qui, enfin, est de retour et suit l’empereur à la piste. Alors le descendant de Charlemagne précipite son retour qui prend l’allure d’une fuite. Le 12 novembre, il est en Alsace où il tombe malade. Au cours de l’année 887, il s’affaiblit de plus en plus de corps et d’esprit, souffrant de violents maux de tête. Le 11 novembre, il est abandonné à Tribur. Il cesse de vivre le 13 janvier 888.
Tout le monde est d’accord sur l’incapacité de cet homme, dévoré d’ambitions que nul représentant de sa race ne justifia moins. Une suite de hasards, les décès de ses frères et de ses cousins, lui permirent de rassembler un instant entre ses mains débiles tout l’empire de son bisaïeul, Charlemagne, et ce fut pour offrir au monde le spectacle d’une impuissance ignominieuse, d’une caricature tragicomique.
Cependant, l’incapacité de Charles le Gros ne suffit pas à expliquer la profonde déchéance de l’Etat franc. Elle est due à un ensemble de causes dont les principales sont l’insubordination sans cesse grandissante de l’aristocratie, favorisée par la pratique de la vassalité, et une mauvaise organisation de la force armée. Nous y reviendrons quand nous traiterons des institutions.
Retour à la Table des matières
CHAPITRE XI
Download 2,59 Mb.

Do'stlaringiz bilan baham:
1   ...   20   21   22   23   24   25   26   27   ...   46




Ma'lumotlar bazasi mualliflik huquqi bilan himoyalangan ©hozir.org 2024
ma'muriyatiga murojaat qiling

kiriting | ro'yxatdan o'tish
    Bosh sahifa
юртда тантана
Боғда битган
Бугун юртда
Эшитганлар жилманглар
Эшитмадим деманглар
битган бодомлар
Yangiariq tumani
qitish marakazi
Raqamli texnologiyalar
ilishida muhokamadan
tasdiqqa tavsiya
tavsiya etilgan
iqtisodiyot kafedrasi
steiermarkischen landesregierung
asarlaringizni yuboring
o'zingizning asarlaringizni
Iltimos faqat
faqat o'zingizning
steierm rkischen
landesregierung fachabteilung
rkischen landesregierung
hamshira loyihasi
loyihasi mavsum
faolyatining oqibatlari
asosiy adabiyotlar
fakulteti ahborot
ahborot havfsizligi
havfsizligi kafedrasi
fanidan bo’yicha
fakulteti iqtisodiyot
boshqaruv fakulteti
chiqarishda boshqaruv
ishlab chiqarishda
iqtisodiyot fakultet
multiservis tarmoqlari
fanidan asosiy
Uzbek fanidan
mavzulari potok
asosidagi multiservis
'aliyyil a'ziym
billahil 'aliyyil
illaa billahil
quvvata illaa
falah' deganida
Kompyuter savodxonligi
bo’yicha mustaqil
'alal falah'
Hayya 'alal
'alas soloh
Hayya 'alas
mavsum boyicha


yuklab olish