Ferdinand Lot De l’Institut


Le Règne de Louis le Pieux



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Le Règne de Louis le Pieux

Les premiers temps



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Le nouveau chef de l’Etat, Louis, était dans la force de l’âge trente-cinq ans. Il était né en Aquitaine, à Casseuil-sur-Garonne, l’année même qui vit le désastre de Roncevaux (778). Son père érigea pour lui en royaume l’Aquitaine ; alors qu’il n’avait que trois ans (781). Il voulut que l’enfant fût vêtu à la mode du pays pour qu’il ne fût pas considéré comme un étranger par la population. Quand Louis fut en âge, son père tint à ce qu’il rendît la justice trois fois par semaine. Bien qu’il ait eu comme résidence d’hiver des domaines aux quatre coins de son royaume, Doué (en Poitou), Casseuil, Angeac (Saintonge), Ebreuil (Auvergne), un palais à Toulouse, Louis n’est pas demeuré confiné au sud de la Loire, son père l’appelle aux grandes assemblées tenues à Aix, Ingelheim, Worms, Thionville, etc... Louis participe aux expéditions conduites en Saxe (785, 799), en Bénéventin (793), en Espagne (800, 801, 809, 811). Il a mené une existence de guerrier, comme ses frères, comme son père. C’est à lui qu’est due pour une bonne part la conquête de la Marche d’Espagne. Sous son règne, l’Empire ne sera jamais sérieusement menacé, du moins par terre. Domptée, la Saxe ne bouge plus. A l’Est, l’autorité franque s’étend sur les peuples slaves. Les Croates d’entre Save et Draye commencent à se convertir au christianisme et la frontière de l’Empire s’étend jusqu’à l’Etat bulgare avec lequel il entre un instant en conflit. En Bohême, les Moraves demeurent autonomes, tout en reconnaissant une certaine prééminence à l’Empire. Les Slaves de la vallée de la Saale et ceux de la rive droite de l’Elbe, les Obotrites (dans le Holstein et le Mecklembourg actuels), sont remuants, mais domptés.
Contre le Danemark, d’ailleurs déchiré par des luttes de succession au trône, l’empereur fit construire des retranchements qui barraient au Sud la péninsule du Jutland. Il pensa pouvoir implanter le christianisme. Un prétendant, Harald, accepta le baptême. Du monastère saxon de Corvey partirent des missions. Pour leur assurer un plus proche et plus ferme point de départ on fonda, en 831, l’évêché de Hambourg dont le premier titulaire fut Anskar qui tenta d’évangéliser la Suède.
A l’autre extrémité de l’Empire, la Gascogne était mal soumise. Les Gascons d’outre Pyrénées, les Basques, demeuraient hostiles. Une expédition contre Pampelune, en 824, aboutit à un désastre, comme en 778. L’armée, composée de contingents gascons, fut exterminée. L’un des deux chefs, le comte Eble, fut fait prisonnier et envoyé à Cordoue ; l’autre comte, Aznar, fut épargné comme apparenté aux vainqueurs basques.
La Bretagne demeurait insoumise. Cependant les révoltes des deux chefs bretons, Morvan et Guyomar, furent réprimées en 818 et 824.
Rien de tout cela ne compromettait la structure de l’Etat qui paraissait plus solide que jamais.
L’idée impériale semble même s’affermir. La disparition de deux sur trois des fils. de Charlemagne avait dissipé les incertitudes sur la succession à l’Empire apparues en 806. Un seul fils, un seul chef, l’empereur.
De même on voit disparaître le malaise engendré par la complexité du titre impérial : Charlemagne, on l’a vu, tout en se proclamant « sérénissime auguste », persistait à se dire roi des Francs et des Lombards, comme si la titulature impériale était insuffisante et n’impliquait pas la disparition des autres autorités. Tout de suite, Louis se dit uniquement empereur. Ses actes débutent ainsi :
In nomine Domini Dei et Salvatoris nostri Jesu Christi Hludovicus divina ordinante providentia imperator augustus.
Il est entouré d’un groupe de conseillers, gens d’Eglise surtout, qui se font une haute idée du pouvoir impérial, de ses droits, comme de ses devoirs, et le voudraient territorialement indivisible.
Mais, la masse des fidèles laïques ne semble avoir rien compris à ces aspirations. Elle demeure attachée au concept patrimonial du passé, qui veut que le Regnum soit divise, à la mort du père en autant de parts qu’il laisse de fils. Naturellement les fils puînés de l’empereur partagent ce sentiment et même l’activent et le propagent. Un accord entre ces deux concepts est impossible. Seul un compromis, boiteux comme tous les compromis, mais inévitable, se produit dès le début du règne. En juillet 817, Louis promulgue un règlement (ordinatio) destiné à assurer la succession impériale. L’Empire est proclamé indivisible et l’aîné des fils, Lothaire, est associé au trône. Comme on ne peut les dépouiller de toute autorité, ses deux frères reçoivent le titre royal. Pépin est gratifié de l’Aquitaine, de la Gascogne, de la Septimanie, des comtés d’Autun, Avallon, Nevers, en Bourgogne. Louis, le plus jeune, aura la Bavière avec la marche de Carinthie et l’autorité sur les Slaves de Bohême et de Croatie. La situation des deux puînés vis-à-vis de leur aîné restera subordonnée. Ils devront lui faire visite chaque année. Ils ne pourront rien entreprendre sans lui, ni entamer une guerre, ni conclure un traité. Si Lothaire meurt sans enfant, l’un des deux puînés sera revêtu de la dignité impériale, après élection faite par le populus, entendons l’aristocratie franque. Il y aura donc persistance de l’unité impériale.
L’ordinatio ne tenait pas compte du pouvoir de fait qu’exerçait en Italie, depuis la mort de son père Pépin (813), un fils de celui-ci, Bernard. Le jeune prince sentit le danger et se souleva. Il fut saisi, amené à Aix et condamné à mort. Son oncle, l’empereur, lui fit grâce de la vie, mais autorisa le supplice byzantin de l’aveuglement. Bernard en mourut peu après (avril 818). Mis en défiance, Louis fit tonsurer et envoya au cloître les fils illégitimes de son père, Drogon, Hugues, Thierry. Le relâchement des mœurs du temps de Charlemagne faisait horreur à la piété du fils qui s’appliqua à purifier la cour.
Le gouvernement intérieur de Louis continue celui de son père. Il accentue même, sous l’influence du réformateur Benoît d’Aniane, son caractère ecclésiastique. La piété du souverain l’entraîne même à certaines faiblesses vis-à-vis de la papauté. Il laisse à l’évêque de Rome la bride sur le cou. Etienne IV et Etienne V lui notifient leur avènement, mais sans solliciter sa confirmation impériale. En 817, Pascal Ier obtient le renouvellement des privilèges territoriaux du Saint-Siège et l’empereur déclare dans l’acte qu’il n’a pas à intervenir dans l’élection et la nomination du nouveau pontife. Il limite à peu de choses ses droits souverains sur Rome.
Louis a-t-il poussé la condescendance jusqu’à reconnaître qu’il tient la couronne impériale du pape ? Il est bien vrai que le pape Etienne V s’étant rendu en France, Louis lui a demandé de le couronner à Reims (octobre 816), comme si le couronnement par son père, en septembre 813, ne suffisait pas. Mais cette interprétation n’est certainement pas entrée dans la tête de Louis, ni de personne de son entourage et la preuve c’est que, l’an suivant, il a associé à l’Empire son fils aîné Lothaire, sans le moindre recours à une intervention pontificale. Dans la pensée du temps, l’imposition de la couronne par le pape rehaussait l’éclat du titre, rien de plus. Mais dans l’idée de la papauté, puis peu à peu, dans celle du public, la répétition de la cérémonie devait en modifier profondément le sens. Sans doute l’élection par les grands était un élément fondamental, mais il ne suffisait plus. Une deuxième cérémonie, la consécration par le pape, devait suivre pour parfaire la légalité de la dignité du nouvel élu.
Les contemporains n’y virent pas clair tout d’abord et ce n’est pas le couronnement de 816 qui affaiblît l’autorité impériale à Rome. Au contraire, Lothaire, bien que couronné à son tour par le pape, à Rome, le 5 avril 823, jour de Pâques, imposa l’année suivante une « constitution ».
Enhardi par les concessions de Louis, un parti autonomiste romain avait eu l’audace d’assassiner deux hauts dignitaires de la cour pontificale, le primicier des notaires et l’introducteur (nomenclator). Pascal Ier s’était tiré de cette mauvaise affaire en se justifiant par serment devant les enquêteurs (missi) de l’empereur de complicité dans l’attentat et l’empereur n’avait pas insisté. Mais Pascal mourut le 11 février 824. Un parent de l’empereur, Wala, profitant de l’impopularité du défunt pape, favorisa l’élection au pontificat d’Eugène II, archiprêtre du titre de Sainte-Sabine, candidat du parti aristocratique opposé au clergé romain. Lothaire, en qualité d’associé à l’Empire, promulgua une Constitution romaine pour restaurer l’autorité impériale à Rome. Elle décide :
1° Que la personne des protégés spéciaux de l’empereur est inviolable comme celle des protégés du pape ;
2° Les Romains ont le choix de la « loi » sous laquelle ils entendent vivre, romaine, salique, lombarde ;
3° Des magistrats nommés par le pape doivent se faire connaître de l’empereur afin qu’il ait les moyens de les admonester en cas de besoin ;
4° Deux enquêteurs (missi) seront constitués en résidence à Rome, l’un nommé par le pape, l’autre par l’empereur. Ils ouïront les plaintes contre l’administrateur, de Rome et les transmettront au pape. Si celui-ci néglige de faire justice, ils avertiront l’empereur qui interviendra ;
5° Si l’élection du pape est réservée aux seuls Romains, elle ne sera pas l’apanage du seul clergé, comme l’avait décidé un concile de 769, mais les laïques (l’aristocratie) y participeront. Enfin, avant sa consécration, le pape élu prêtera serinent de fidélité à l’empereur, tout comme les autres Romains, publiquement, entre les mains de l’enquêteur impérial (novembre 82).
Le terrain perdu par Louis le Pieux à Rome même était ainsi largement reconquis et le pouvoir impérial semblait définitivement consolidé. Il va suffire de peu d’années pour l’ébranler en ses fondements par une suite d’événements imprévus, d’ordre politique, surtout d’ordre familial et par suite d’intrigues de cour.

Les révoltes – Ébranlement de l’empire


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Veuf de l’impératrice Irmengarde, morte en octobre 818, l’empereur Louis épousa, en février 819, la fille du comte Welf, possessionné en Alamanie et en Bavière, nommée Judith. La nouvelle impératrice prit aussitôt un grand ascendant sur son mari. Le 13 juin 823, se trouvant à Francfort, elle donna naissance à un fils qui reçut le nom de Charles. Judith eut l’habileté de circonvenir l’héritier de la couronne impériale, Lothaire : il accepta d’être le parrain de son demi-frère et s’engagea à ne pas s’opposer à ce que le nouveau venu reçût une donation en temps voulu. Six ans après, Louis fit connaître, lors de l’assemblée de Worms (829), qu’il destinait à Charles un territoire comprenant l’Alamanie, l’Alsace, la Rhétie, quelques comtés en Bourgogne. Ce n’était pas là un lot bien inquiétant. En outre, il n’est pas sûr que le titre royal fût attaché à ce lot, qui constituait plutôt un grand duché. Néanmoins, cette disposition souleva les protestations de Lothaire, oublieux de ses promesses antérieures.
Louis prit aussitôt la décision d’exiler Lothaire en Italie, sous prétexte de lui faire régir ce pays, et il raya son nom des diplômes, comme pour remettre en question l’association de son aîné à l’Empire. Ces mesures extrêmes exaspérèrent le parti impérialiste composé surtout de grands personnages d’Eglise. Mais Judith, qui les avait certainement inspirées, se croyait sûre d’un ferme appui en la personne d’un des fils de Guillaume, le glorieux adversaire des Arabes en 793, fondateur de l’abbaye de Gellone, où sa mémoire était entourée de l’auréole de la sainteté. Ce fils, le comte Bernard, après avoir dirigé la « marche » de Gothie ou Septimanie, avait été appelé à la cour et gratifié d’une des trois ou quatre grandes charges de l’Etat, celle de « chambrier » (camerarius). Pour s’expliquer cette faveur il faut revenir en arrière.
En 827, la Gothie avait été envahie par les Musulmans avec la complicité de mécontents de la région. Barcelone fut assiégée. Une armée de secours, commandée par Hugues, comte de Tours, et Matfrid, comte d’Orléans, ne fit rien de bon. Pour la première fois peut-être depuis un siècle, une armée franque s’était mal comportée. Cette honte fut vivement ressentie. En 828, à l’assemblée d’Aix, les deux comtes furent condamnés à mort. Louis les gracia, mais les dépouilla de leurs charges (honores). Le marquis Bernard dégagea Barcelone et sauva la Marche. D’où sa faveur. Il en abusa et s’attira l’animosité de Lothaire, gendre du condamné, Hugues de Tours ; Grâce à l’impératrice, Bernard en vint à bout, ainsi qu’on vient de dire. Mais la situation demeura instable, trouble à la cour. On ne s’y expliquait pas l’ascendant du chambrier. On l’attribuait à des pratiques magiques ou à l’inconduite de l’impératrice dont il aurait été l’amant. Les ragots, calomnies, absurdités de tous genres qui ont tenu tant de place à la cour pendant toute l’histoire de la monarchie française, fleurissent déjà en ces temps reculés.
Si étrange, si paradoxal que cela puisse paraître, l’empereur se trouva avoir contre lui non seulement ceux des membres de l’aristocratie qui recherchaient la faveur du futur successeur, mais la haute Eglise. La faiblesse de caractère de Louis faisait tout craindre de sa part aux partisans de l’unité impériale, très inquiets depuis l’éloignement de Lothaire. Ces partisans comptent parmi eux les plus grands noms du clergé tant régulier que séculier : Wala, abbé de Corbie, allié à la famille impériale comme descendant de Charles Martel, l’abbé Adalard, Jessé, évêque d’Amiens, Agobard, archevêque de Lyon, le chancelier Helizachar et bien d’autres encore.
En outre, l’épiscopat, d’une façon générale, est mécontent. En dépit des engagements passés et présents, Louis confisque les biens d’Eglise pour les distribuer à ses « fidèles » de l’aristocratie. C’est une nécessité inéluctable, puisque l’impôt foncier a disparu. L’Eglise a sa grande part de responsabilité dans cet état de choses : elle s’est fait accorder des diplômes d’immunité dès l’ère mérovingienne. Mais elle s’obstine et s’obstinera à travers les siècles à ne pas vouloir comprendre qu’elle doit participer aux charges de l’Etat.
La profonde piété de Louis ne lui permet pas de réagir contre la mauvaise volonté et les intrigues d’un clergé aveuglé par ses privilèges. Au contraire, il se laisse imposer par lui une attitude portant atteinte au prestige du souverain. Louis avait des remords du supplice et de la fin de son neveu Bernard. Il se trouva des évêques assez inconsidérés pour l’amener, lors de l’assemblée d’Attigny de 822, à faire publiquement pénitence. Sans doute, l’ont-ils persuadé qu’il imitait, pour le plus grand profit de son âme, la célèbre pénitence de Théodose expiant le massacre de Thessalonique.
A force de voir le prince si déférent, l’épiscopat en arrive à se persuader que le « sacerdoce » est supérieur au pouvoir laïque et il proclama cette doctrine dans les conciles réunis en 829, notamment à celui de Paris, pour la réforme de l’Eglise et de l’Etat.
La révolte contre l’empereur éclata au printemps de 830 sous un prétexte : l’armée, l’ost, convoquée pour une expédition contre les Bretons, refusa de marcher. On ne sait au juste qui l’avait travaillée. A cette nouvelle, Lothaire accourut d’Italie. Pépin s’était déjà soulevé et Louis de Bavière fit de même, sans qu’on aperçoive nettement pour quelle raison. Abandonné, Louis le Pieux ne put soutenir Bernard, qui s’enfuit à Barcelone, ni sauver l’impératrice Judith qu’on envoya au cloître, à Sainte-Radegonde de Poitiers. A l’assemblée de Compiègne, en mai, les comtes Hugues et Matfrid auraient voulu qu’on déposât l’empereur. On se contenta de lui arracher l’aveu de ses fautes, la promesse de respecter la constitution de 817 et de gouverner d’accord avec les grands. Puis on l’entoura de moines chargés de le persuader d’abdiquer. Lothaire devint le seul empereur effectif.
Pas pour longtemps. La mise à l’écart de Louis le Pieux ne pouvait qu’aviver la rivalité latente entre ses fils. Les partisans de l’empereur déchu travaillèrent secrètement les conjurés. La désunion se mit entre eux, si bien que, à l’assemblée de Nimègue, en octobre, Louis le Pieux recouvra son autorité. Les Saxons qu’il avait ménagés lui avaient prêté leur appui. Les évêques autorisèrent le retour à la cour de Judith qui se justifia par serment de l’accusation d’adultère. En février 832, à l’assemblée d’Aix, le revirement fut total. Les personnages qui avaient comploté la mise à l’écart de Louis le Pieux furent condamnés à mort. Naturellement l’empereur leur fit grâce, mais les envoya au cloître.
Pour avantager son dernier fils, l’empereur, toujours sous l’influence de Judith, dut se concilier ses puînés, Pépin et Louis, en augmentant considérablement leur part. Le premier vit son lot, l’Aquitaine, accru de la région d’entre Loire et Seine, et, à droite de la Seine, de comtés dont ceux de Châlons-sur-Marne, Meaux, Amiens, le Ponthieu formaient la limite. Louis, qu’on peut dès lors qualifier justement de « Germanique », fut favorisé : outre la Bavière on lui assignait Thuringe, Saxe, Frise, Austrasie, Vermandois, Artois, Boulonnais. Ces concessions permettaient d’obtenir pour Charles, outre son lot de 829, la majeure partie de la Bourgogne, la Provence, la Septimanie, et dans la « France moyenne », les comtés de Woëvre, Vouziers, Porcien, Reims, Laon, Mosellois, Trèves.
Quant à Lothaire, il était renvoyé en Italie, « après avoir promis de ne rien faire à l’avenir contre la volonté de son père ». Son nom, pour la seconde fois, fut rayé des diplômes.
Bien que ces règlements ne fussent applicables qu’au décès de l’empereur, ils ruinaient l’ordinatio de 817 et anéantissaient le concept d’Empire, le futur empereur Lothaire, se trouvant réduit à l’Italie.
Il eût semblé que Pépin et Louis le Germanique eussent dû être fort satisfaits du partage de 831. Il n’en fut rien. Pépin aspirait à gouverner à côté de l’empereur et trouva mauvais d’être renvoyé en Aquitaine attendre la succession paternelle. Il refusa de partir. Louis, le plus favorisé cependant, convoitait l’Alamanie aux dépens de Charles. Mais son père, avec l’aide des Saxons, toujours fidèles, l’obligea à se soumettre (août 832). Pépin, emprisonné à Trèves, fut déclaré déchu. Il réussit à s’échapper, s’enfuit en Aquitaine. Le père avait dévoilé toute sa faiblesse envers son dernier fils, Charles, en lui attribuant le lot de Pépin. Ce fut une indignation générale.
Lothaire revint d’Italie au plus vite, emmenant avec lui le pape Grégoire IV pour tourner l’autorité pontificale contre le destructeur de l’Empire, l’empereur. Lothaire ne prévoyait pas le danger futur de cette intervention qui semblait faire du pape l’arbitre des conflits politiques.
L’empereur réunit l’armée à Worms en juin 833 et marcha contre ses fils révoltés. Il les rencontra près de Colmar, au lieu dit Rotfeld. II eut l’imprudence de négocier et de perdre son temps. Troublés par la présence du pape dans les rangs adverses, ses « fidèles » passèrent dans le camp des fils dans la nuit du 29 au 30. Le lendemain, l’empereur abandonné gagna à son tour le camp qui, par la suite, changea son nom pour celui de Lügenfeld (champ de la trahison).
Une grande assemblée se tint à Compiègne, le 1er octobre. Les métropolitains, Ebbon de Reims, Agobard de Lyon, accusèrent publiquement Louis d’avoir avili l’Empire et compromis sa sécurité. Toutefois, on n’osa le proclamer déchu. Connaissant sa faiblesse et sa piété, Ebbon imagina qu’on pourrait l’amener à abdiquer volontairement. Enfermé au monastère de Saint-Médard, près de Soissons, Louis fut introduit dans l’église de ce monastère le 7 octobre. En présence de Lothaire et de ses partisans il se serait prosterné, reconnu coupable des fautes qu’on lui imputait et aurait sollicité la pénitence publique ; puis il aurait avoué point par point tous les « crimes » qu’on énumérait d’après une liste écrite. La confession de ses fautes, il l’aurait répétée trois ou quatre fois. Après quoi, il aurait déposé de lui-même ses armes sur l’autel, puis, se dépouillant de ses vêtements royaux, aurait été revêtu par les évêques de la robe de pénitent, « après quoi on ne retourne plus à la milice du siècle ». Mais le procès-verbal de la pénitence de Louis a été rédigé par ses ennemis et ne mérite aucune confiance. Il est assez probable que Louis s’est déclaré, comme tout vrai chrétien, un grand pécheur, et que ses ennemis ont feint de croire qu’il reconnaissait ainsi ses fautes politiques, ses « crimes », ce qui le rendait indigne du trône. Judith fut envoyée dans un monastère à Tortone, en Italie, l’enfant Charles au monastère de Prüm.
Après la cérémonie, le seul nom de Lothaire figure dans les actes publics. Mais l’unité de l’Empire ne fut pas pour cela rétablie. Le nouvel empereur dut payer le concours de ses frères par des concessions territoriales et cette fois immédiatement exigibles et non éventuellement. Le Germanique eut tout le pays sur la rive droite du Rhin, plus l’Alsace ; Pépin, outre l’Aquitaine, la région d’entre Loire et Seine. Lothaire mutilait, à son tour, la région plus spécifiquement impériale, sans donner entière satisfaction à l’avidité de ses puînés que le partage éventuel de février 831 avait mieux favorisés.
Ses frères se défiaient de lui, et non sans raison. Dès janvier 834, ils étaient ligués contre l’aîné. D’autre part, Bernard en Septimanie, le connétable Guillaume en Neustrie, le comte Guérin en Bourgogne levaient les armes contre Lothaire. Craignant d’être capturé, Lothaire quitta Aix-la-Chapelle, traînant avec lui son père et son plus jeune frère. Arrivé à Saint-Denis, le 28 février, il les y laissa et poursuivit sa retraite vers la Bourgogne. Il se trouva tout de suite des évêques pour réconcilier Louis avec l’Eglise et l’autoriser à reprendre ses armes, insignes de sa dignité (1er mars). L’abbé du monastère, Hilduin, ne manqua pas l’occasion de persuader l’empereur qu’il devait son rétablissement imprévu à la protection du saint patron honoré en l’abbaye. A partir de ce moment saint Denis devint le patron préféré des Francs et la dévotion à ce bienheureux passera à la dynastie suivante. Naturellement Pépin et Louis se virent confirmer par leur père l’extension du lot concédé par Lothaire. Puis celui-ci se réconcilia avec son père, en promettant de se tenir tranquille en Italie où il se rendit.
Par précaution, l’empereur crut bon de se faire couronner à nouveau en la cathédrale Saint-Etienne de Metz (28 février 835). Le 4 mars suivant, à Thionville, l’archevêque Ebbon, le plus coupable aux yeux de Louis, parce que, de très humble origine, il lui devait toute sa carrière et s’était montré impitoyable à son égard, en octobre 833, fut déposé et exilé au monastère de Fulda, en France orientale.
Mais l’empereur, de plus en plus dominé par Judith, était incorrigible, incurable. A la fin de 837, à Aix, il concéda à Charles, la Frise, le pays compris entre la Seine et la Meuse, le nord de la Bourgone, la Champagne. C’était mordre sur les lots de Pépin et de Lothaire. En septembre 838, Charles avait atteint la majorité franque de quinze ans. A l’assemblée de Quierzy-sur-Oise, il reçut les armes, autrement dit fut fait « chevalier » et proclamé roi. On lui assigna, en outre, la Neustrie et la Bretagne. Pépin consentit. C’est qu’on le faisait protecteur du jeune roi et qu’il espérait ainsi le dominer avec son territoire. Mais il mourut le 13 décembre suivant. Son lot, l’Aquitaine, grossit aussitôt la part de Charles. Le Germanique, réduit à la Bavière, est devenu un ennemi irréconciliable. Il se révolte, mais est soumis par son père, toujours grâce à l’aide des Saxons. Reste Lothaire. Judith réussit un coup de maître. Elle se réconcilie avec son pire adversaire. Lothaire se rend à Worms, en mai 839. L’Empire est divisé en deux parts dont les limites étaient la Meuse, puis la Moselle (à Toul) ; laissant à l’Ouest la majeure partie de la « Bourgogne », y compris Genève, la frontière atteignait les crêtes des Alpes et les suivait jusqu’à la Méditerranée. On laissait à Lothaire le choix des deux parts. Naturellement il choisit la part orientale qui renfermait Aix-la-Chapelle et Rome, Charles eut la part occidentale correspondant à peu près à la France actuelle augmentée de la majeure partie de la Belgique, plus, au delà des Pyrénées, la Marche d’Espagne (Catalogne). Lothaire ne devait reprendre le titre impérial qu’à la mort de son père. Il s’engageait à protéger son jeune frère et filleul qui devrait lui témoigner le respect dû à son aîné et parrain. Rien n’est spécifié touchant les prérogatives impériales en fait, l’Empire est coupé en deux.
Le traité de Worms ne put s’exécuter. Pépin d’Aquitaine avait laissé deux fils qui avaient des partisans décidés au sud de la Loire. Au printemps de 840 l’empereur dirigea une expédition pour réprimer le soulèvement. Il réussit très imparfaitement. Sur le chemin du retour, il apprit, à Poitiers, que le Germanique était en pleine révolte et cherchait à recouvrer l’ensemble du territoire à lui promis en 831 et 833. Le père parvint une fois de plus à étouffer la révolte de son fils homonyme, mais, au retour de son expédition, il tomba malade à Salz. Mis sur une barque, qui descendit le cours du Main, il fut porté à Ingelheim dans une île du Rhin. Là il reçut les derniers sacrements des mains de son demi-frère, Drogon, auquel il avait donné l’évêché de Metz, et expira le 20 juin. Il avait soixante-deux ans. Guerrier infatigable, il avait, tout le long de son règne, fait preuve de la plus déplorable faiblesse de caractère. Ses vertus, sa bonté, sa piété avaient été impuissantes à racheter cette tare mortelle chez un chef d’Etat.
L’unité de l’Empire raffermie au début de son principat, il l’avait détruite et avec une obstination inconcevable, à partir de 831 c’est même en cette besogne seule qu’il montra une continuité de vues ou pour mieux dire une continuité de soumission à l’ascendant de l’impératrice Judith.
Toutefois, ne nous faisons pas d’illusions. Même s’il eût maintenu jusqu’à la fin de sa vie la constitution de 817, les ambitions effrénées de ses enfants n’en auraient rien laissé subsister, au lendemain de sa mort. Les temps n’étaient pas mûrs pour l’unité même imparfaite de la Chrétienté.
En tout cas, ce n’était pas l’aîné des fils de Louis le Pieux qui eût été capable, sinon de sauver l’autorité impériale, chose impossible, du moins de la prolonger. Le personnage, autant qu’on peut l’entrevoir, apparaît médiocre, antipathique. Piètre chef de guerre, il évite autant que possible le combat. Ses seuls procédés d’action consistent en des promesses d’avantages aux fidèles de son père, de ses frères, pour les débaucher et dans l’emploi systématique de la ruse et du mensonge.
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CHAPITRE VI
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