Signature d'un avenant à la convention fiscale franco-japonaise110
Le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et l'ambassadeur du Japon en France ont signé, le 12 janvier 2007, un avenant à la convention fiscale franco-japonaise, que la France a ratifié le 18 octobre 2007 puis entré en vigueur le 1er décembre 2007. L'avenant apporte des améliorations importantes à l'actuelle convention du 3 mars 1995. Il offre un cadre plus favorable aux échanges et aux investissements entre les deux États, par une taxation allégée des flux financiers, tout en améliorant les outils de coopération administrative. L'avenant étend ainsi le bénéfice de la convention à de nouvelles entités, notamment des sociétés de personnes et des véhicules d'investissement. Le traitement fiscal des flux financiers entre les deux pays est amélioré :
Le taux maximal de retenue à la source sur les dividendes est ramené de 15 à 10 %.
La retenue à la source de 10 % prélevée sur les intérêts versés à un résident de l'autre État est supprimée pour les intérêts payés aux établissements financiers.
Les échanges relatifs à l'usage des droits de propriété intellectuelle et industrielle sont encouragés : les redevances ne seront plus en effet soumises à aucune retenue à la source.
Une disposition, introduite pour la première fois dans le système fiscal japonais, facilitera l'expatriation de salariés français au Japon et japonais en France : les salariés détachés111 pourront déduire les cotisations sociales obligatoires versées dans leur pays d'origine, à compter de l'entrée en vigueur de cet avenant et de l'accord de sécurité sociale entre la France et le Japon, signé le 25 février 2005, en cours de ratification. Enfin, l'avenant dote les administrations française et japonaise d'instruments efficaces de lutte contre la fraude et l'évasion, par l'introduction de nouvelles mesures anti-abus et l'élargissement du champ de l'échange de renseignements fiscaux.
Convention franco-japonaise de sécurité sociale du 25 février 2005
Entrée en vigueur le 1er juin 2007 elle rend possible le cumul des périodes d’assurance dans les deux pays pour le calcul des points de retraite et permet d’éviter le double paiement des cotisations de sécurité sociale.
Chapitre IV
La négociation de contrats commerciaux
« Dans les affaires vous n’obtenez pas ce que vous méritez, mais ce que vous négociez », Chester Karras
La négociation inter-culturelle est tout un art qui réclame beaucoup d’humilité, de préparation, de connaissance de l’autre et de sa culture. Il ne s’agira pas ici de décrire une méthodologie de la conduite de négociations entre une entreprise française et une autre japonaise. L’objectif du présent chapitre est de livrer quelques éléments clés pour permettre aux négociateurs français d’atténuer quelque peu les différences de pensée, de ressenti et comportementales avec leurs homologues japonais. La négociation, dans sa dimension culturelle et non sous l’angle de la seule technique juridique, tel est le regard que nous voudrions ici porter dans les rapports avec des entreprises japonaises.
1) Construction étymologique du mot «droit»
Avant d’aborder le vif de notre sujet il nous paraît intéressant de porter notre attention sur la construction étymologique du mot HO («droit») au Japon et sur la perception de ce mot par les Japonais. Comme nous l’apprend le professeur KITAMURA Ichiro 112 : «L’idéogramme HO (originairement on utilisait un idéogramme plus compliqué en chinois) a été conçu dans l’ancienne Chine, exprimant l’image qu’on enferme un curieux animal favori de l’empereur dans une petite île entourée d’un étang, afin de l’empêcher de fuir tout en le mettant à paître. D’où le sens de peine ou de réglementation, en même temps que celui de méthode, exemple ou standard: le droit est essentiellement en Chine destiné à servir de standard pour les fonctionnaires dans leurs applications des ordonnances impériales. Mais les traducteurs chinois ont ensuite assimilé ce mot à la notion sanskrite de dharma, loi suprême du cosmos et de la nature, à l’occasion de leur traduction des soûtra bouddhistes. Et puis le mot est entré au Japon avec le bouddhisme: c’est donc dans le sens des lois extrêmes bouddhiques que les Japonais ont appris la notion de HO. Mais par la voie de la lecture japonaise du mot, ils l’ont assimilé à la notion japonaise de NORI, règlement édicté par un seigneur divin, donc par le Tenno ou le gouvernement, qui représente un double de la notion chinoise du droit. Et c’est là que s’est ajouté le «droit» occidental.». Marianne Bastid-Bruguière, historienne de la Chine, quant à elle, a recherché l’origine du mot «FA» en Chine, qui revêt à la fois le sens de châtiment et de modèle: «Le caractère qui transcrivait ce fa comportait l’élément de l’eau (suggérant l’idée d’aplanir), celui de la licorne zhai, qui frappe de sa corne ce qui n’est pas correct et le repousse, cette dernière idée indiquée par l’élément qu, qui signifie supprimer, éliminer, chasser. Dans la graphie moderne de fa, qui désigne aujourd’hui le droit et la loi, il reste seulement [l’idéogramme] l’égalisation et celui d’élimination».113
Le droit au Japon, comme dans beaucoup d’autres pays, est un instrument de contrôle politique et de gestion administrative. Il y a une tendance à donner comme équivalence au mot «HO» les concepts occidentaux de droit, law, Recht, derecho, direito…Ce qui est fondamental dans ces concepts occidentaux sont les droits au sein d’un certain processus qui est celui de la révision judiciaire. Au Japon, cependant, les lois et droits sont des concepts distincts, les droits constituant simplement des avantages reconnus par l’opération de la loi. Le concept de «droit subjectif» est clairement plus faible au Japon que dans les pays occidentaux. Le droit japonais couvre seulement le droit objectif et, à de nombreux égards, constitue un ensemble de règles imposées par l’administration. Traditionnellement, les domaines principaux du droit japonais ont été le droit pénal, le droit administratif et les régulations économiques, ce que certains pays occidentaux (l’Australie par exemple) nomment la «zone de l’ordre souverain». Une seconde caractéristique de la norme réglementaire japonaise est que, de manière générale, les textes et instruments de régulation font partie de la catégorie des «soft law» ou «normes douces». Un ensemble de règles instituant un comportement mais ne le rendant pas expressément obligatoire constitue une «soft law».114 La meilleure preuve au Japon en est la pratique des «gyosei shido». Nous retiendrons particulièrement la définition suivante de la «soft law»: «des règles dont la valeur normative serait limitée soit parce que les instruments qui les contiennent ne seraient pas juridiquement obligatoires, soit parce que les dispositions en cause bien que figurant dans l’instrument contraignant ne créeraient pas d’obligations de droit positif ou ne créeraient des obligations que peu contraignantes» (Salmon, 2001). Effectivement, dans le Japon moderne, il y a certes des lois et décrets qui sont adoptés comme dans les autres pays, mais il existe aussi, s’inscrivant dans la sphère de la co-régulation ou auto-régulation, des codes de conduite préconisés par des fédérations ou associations professionnelles, des orientations administratives (gyosei shido) prescrites par les agences gouvernementales. 115
Dans ce pays tout semble opposer ces deux mondes profondément étrangers l’un à l’autre. Le droit instrumental (la loi édictée par l’Etat, expression de la volonté politique et de l’autorité publique) souvent malmené par le «droit comportemental», tel que perçu et exprimé au quotidien par les citoyens et entreprises du pays, est en effet en décalage avec la Loi, comme si le premier était parfois mis entre parenthèses le temps que les mentalités changent. Nous avons vu par exemple combien les hommes d’affaires japonais ont longtemps été réticents à se défaire de la pratique des cartels et combien l’autorité publique, représentée par la Japan Fair Trade Commission, a elle aussi longtemps évité d’employer des moyens fermes de coercition et de passer au besoin le relais aux juridictions pénales. Les lois sur l’interdiction de la prostitution ou du jeu (ex: pachinko) sont appliquées avec parcimonie ou de façon incohérente. Combien de temps faudra-t-il au gouvernement japonais pour faire cesser effectivement la chasse à la baleine alors que pourtant les textes l’interdisent? Le port obligatoire du casque sur les motos a été une décision de longue haleine, etc….
Le professeur KAWASHIMA Takeyoshi (suivi plus tard par le professeur NODA Yoshiyuki) avait soutenu que les Japonais manquaient de conscience juridique et qu’ils ne pouvaient concevoir, ni définir leur relations et transactions, en termes de droits susceptibles d’exécution forcée. Ce raisonnement provenait en partie de l’observation qu’en dehors des multinationales japonaises, les entreprises domestiques ne pratiquaient guère entre elles de formalisation de leurs rapports dans un contrat écrit ou qu’en cas d’écrit celui-ci était extrêmement bref et non pointilleux, ce qui reste toujours vrai en règle générale.116 Cependant, les mentalités ont évolué depuis, du fait de la modernisation accélérée et de la globalisation mondiale, au point que la protection des innovations est minutieusement abordée dans les contrats et que le nombre de contentieux, à l’initiative de particuliers ou d’entreprises, croit progressivement d’année en année (essentiellement dans les domaines de la responsabilité pour actes médicaux, responsabilité pour produits défectueux, procès environnementaux/pollution, procès en droit des sociétés, litiges en droit du travail, etc..).
2) Caractéristiques de la pensée japonaise
L’un des principaux opposants au projet de Code Civil, à l’époque de sa rédaction sous la direction de Gustave Boissonade, HOZUMI Yatsuka, en soulignant son insuffisante prise en compte des mœurs japonaises, avait formulé par écrit l’opinion suivante: «Notre pays est celui de la vénération de l’ancêtre et du système familial. Ainsi le pouvoir et le droit sont nés dans la famille. Ils ne sont pas nés du conflit et de l’opposition des individus entièrement libres en pleine nature. Le clan et l’Etat ne sont que des formes du régime de la famille». Puis, dans un autre mémoire, il déclarait : «…Le droit civil moderne met l’individu au premier plan et oublie très souvent que les biens sociaux sont les fruits de la société elle-même». 117
Dans la société japonaise, le besoin d’harmonie au sein du groupe est une priorité.Le Japon doit ses succès économiques et industriels en grande partie grâce à elle; c’est elle qui a bâti les fondations du travail d’équipe, de la communication de groupe.
On se souvient de l’influence confucianiste dans la société japonaise et de l’aspiration naturelle de ses concitoyens pour l’harmonie universelle (concept de «WA»). Jusqu’à la fin du 19ème siècle, les lois japonaises imposaient simplement des devoirs aux citoyens plutôt que de construire des devoirs et de les mettre en balance avec une série de droits. Car le concept de «WA» est un concept de responsabilité sociale. Le droit, au sens où les Occidentaux le conçoivent habituellement, est fabriqué par l’homme, extérieur, à vocation punitive, centralisé et orienté vers les devoirs. Tandis que «WA» est de substance religieuse et orienté vers le divin, intérieur, basé sur la bonne foi et la bonne conscience. Il serait faux de dire que, puisque le Japon a adopté un corpus législatif et réglementaire en apparence similaire à celui des autres pays industrialisés, c’est qu’il a pareillement adopté les valeurs culturelles sous-jacentes à ses sources d’emprunt. Nous avons vu qu’à l’époque de la signature des «traités inégaux» un sentiment de frustration et d’amertume avait fleuri parmi les Japonais qui se sentaient victimes de la communauté internationale du moment, laquelle avait profité de leur totale inexpérience des relations internationales et diplomatiques. C’est dans un contexte d’humiliation que le pays s’était résigné à se plier au nouvel ordre imposé par l’impérialisme occidental car il ne pouvait rivaliser, à l’époque, avec une puissance militaire et industrielle de loin bien supérieure à la sienne. Il en est résulté que l’attitude de soumission au droit de cette période n’a pas réellement débouché sur une posture de soumission du Japon aux valeurs fondamentales du droit international moderne; plutôt, elle était basée sur la patience et la tolérance en vue d’obtenir le statut de «nation civilisée» aussi vite que possible jusqu’à ce que le Japon fut admis dans le concert des puissances occidentales118. Une fois reconnu à ce titre, le Japon trouva moins nécessaire d’adhérer aux principes et règles du droit international dont il adoptera plus tard sa propre interprétation à de nombreuses reprises. Pourquoi alors penser que l’adoption des codes civil, pénal, commercial, etc. put échapper au même phénomène et que le Japon aurait abandonné d’un trait sa façon de pensée, ses coutumes ancestrales, ses mécanismes traditionnels de responsabilité sociale et de résolution des conflits par la médiation, etc…?
La société japonaise est de type homocentrique et non égocentrique: elle place le groupe, la famille, le social et la communauté bien au-delà des intérêts individuels. Ces notions sont très étroitement liées à celles de consensus et de respect de la hiérarchie. Le pays étant homogène, il en résulte que ses concitoyens ont une compréhension claire les uns des autres. Cette homogénéité trouve vraisemblablement une forte empreinte dans le Japon des campagnes centré sur la pratique de la riziculture. L’alimentation de base au Japon a toujours été le riz. Or, traditionnellement, la culture du riz, contrairement à celle du blé, nécessite un regroupement et une forte mobilisation de l’ensemble des paysans pendant un laps de temps relativement court. Seul le labeur de tous garantit le succès de la plantation, puis de la récolte. Et n’oublions pas qu’à l’époque de l’ère Meiji entre 70 et 80% de la population civile résidait dans des communautés paysannes et était employée aux travaux agricoles. John O. Haley, un des plus éminents spécialistes américains du droit japonais, soutient que, même si sous le règne des Tokugawa (1603 –1868), apparurent les premiers textes de droit s’appliquant dans tout le pays et des édits shogounaux de plus en plus présents dans les zones urbaines, les très nombreux villages du pays disposaient quant à eux d’une forte autonomie en matière de sanction des comportements déviants, du moment qu’ils versaient les impôts et ne présentaient aucune menace contre la paix et l’autorité. La plupart des lois émanant du shogun ou des seigneurs féodaux importaient peu à l’époque dans le quotidien de la plupart des villageois Japonais «dont la vie était ordonnée par des besoins économiques et les normes et sanctions de la communauté des paysans»119. La rareté des «magistrats» (daikan), dont on dénombrait tout au plus une cinquantaine d’individus dans tout le pays, fit que seuls les cas les plus sérieux leur étaient confiés. Ainsi, dans la majorité des cas, la sanction appliquée par la communauté villageoise variait entre la mise à l’écart (ostracisme léger) et l’expulsion, sans passer par la voie d’un jugement judiciaire formel. La voie des modes alternatifs de règlement des litiges était ainsi tracée et ce n’est donc pas étonnant que les Japonais aient encore aujourd’hui une préférence pour ces pratiques dans leurs rapports avec les entreprises étrangères.
Si, à l’époque contemporaine, la situation a un peu évolué c’est parce que, «Autrefois, les communautés rurales fonctionnaient selon le principe d’un rapport organique avec la «nature», mais une fois transféré dans le milieu urbain artificiel, ce principe a perdu sa finalité initiale (la nature) et a été en quelque sorte contraint de se projeter sur le «moi» (le privé)»120
Pour le Professeur KAWASHIMA Takeyoshi, dont TAKAO Tanase résume les propos121, la société moderne est, plus que toute autre chose, une société dans laquelle l’échange de biens et de matières premières a été universalisé et le droit moderne existe en tant qu’ensemble de règles constitutives de ces phénomènes de marché. La reconnaissance réciproque des droits et leur jouissance par la volonté libre doivent être universellement reconnus en tant que pré-requis pour le fonctionnement d’un tel marché. Les catégories fondamentales du droit, telles que les droits légaux, les sujets et la libre volonté, sont les expressions directes de cette économie de marché. Puisqu’au Japon la riziculture dans les communautés villageoises a été le mode dominant de production, la conscience juridique moderne a été lente à se développer. Longtemps après que le pays fut entré dans l’ère industrielle, le Japon a profondément conservé ancré en lui ses traditions et mentalités rurales, ce qui a considérablement freiné l’assimilation par la société de la notion abstraite de droits légaux modernes. Le contexte social marquant sa suprématie sur les droits subjectifs des individus, certes légalement reconnus, leur expression sur le terrain a donc été plutôt timide.
Dans le même sens, John Owen Haley relève qu’au Japon, tout paraît enchevêtré au sein d’un dense réseau de relations. Les individus semblent immergés dans une communauté qui restreint leur liberté par ses mécanismes de contrôle social (p. 14). Les Japonais sont dépendants de cette communauté sociale (p.16). La question de l’autonomie et de l’indépendance est une préoccupation largement partagée dans la culture japonaise (p. 54).122
Takao Tanase estime que les changements du système japonais ne sont pas le résultat d’une demande du marché global en direction d’une plus grande efficacité, mais plutôt le reflet d’un sentiment par la population que les valeurs culturelles traditionnelles qui supportaient le système ne sont plus viables ou qu’elles ne font plus appel au sens moral public.123
Un des personnages faisant autorité en matière de politique étrangère japonaise à l’époque de Meiji, Monsieur MASATAKA Kôsaka, qui s’interrogeait sur l’approche japonaise en matière de normes internationales, a eu la réflexion suivante: «Le Japon est un Etat - nation naturel; l’idée qu’un Etat est créé par une volonté commune et un contrat n’a pas existé au Japon. Le Japon a existé et existera, peu importe la volonté et l’action de ses gens. Par conséquent, les normes sont considérées être créées par la nature et non par les hommes…»124 Que voulait-il dire par là? On peut comprendre dans la foulée de son raisonnement que, dès lors que ces normes sont claires, les Japonais y adhèrent spontanément. Mais, en premier lieu, s’il n’y a pas eu une construction juridique pour former l’Etat japonais, comment s’est alors forgée la définition identitaire de la nation japonaise? Comment l’unité japonaise (Nihonjinron) s’est-elle finalement réalisée, le peuple ayant jusqu’alors constamment été tenu à l’écart de la vie politique? Certainement, en grande partie, sans vouloir être exhaustif, grâce aux éléments conjugués suivants:
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le fort degré d’homogénéisation culturelle de sa population, épargnée pour la plupart pendant plus de 200 ans de l’influence étrangère, renforcé après la confrontation aux Barbares Occidentaux;
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au concept d’harmonisation universelle propagé jusque là par la philosophie confucéenne;
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aux campagnes militaires de soumission et d’allégeance des daimyos et à la mise en place du système de l’alternance «sankinkôtai» (qui obligeait chaque daimyo à vivre à Edo, le siège du shogoun, un an tous les deux ans et d’y laisser le reste de leur famille pendant leur absence);
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au fort mouvement de migration des villageois vers les villes, apparu dès le milieu de la période d’Edo;
(v) au développement de la cartographie, signe de représentation sociale autant que géographique du pays125.
Mais il y a eu aussi une autre série d’évènements conjugués qui ont renforcé cet état identitaire. Pour créer une « nation » égalitaire sur le plan horizontal, le Gouvernement de Meiji a d’abord aboli le système héréditaire pour établir à la place un système d’enregistrement uniforme de la propriété pour l’ensemble du pays. En 1872, furent promulguées les réglementations sur l’école ; les écoles « modernes » furent un important mécanisme de création uniforme du mouvement « nationaliste ». La liberté de mouvement et d’emploi fut garantie. En 1873, l’ancien système calendaire lunaire fut supplanté par le système solaire occidental (le système Grégorien), permettant ainsi une « synchronisation » du temps entre le Japon et l’Europe. La presse fut étroitement contrôlée pour empêcher une diffusion trop ample et rapide de la critique des actions gouvernementales. Elle servit au contraire d’outil de propagande des dirigeants du pays. Le Shinto était élevé au rang de religion d’Etat et utilisé lui aussi comme outil d’unification du peuple. Enfin, de vielles coutumes perçues par les Européens comme trop « barbares », comme par exemple les bains mixtes, furent interdites pour donner l’impression d’un pays qui s’ajustaient aux normes des grandes puissances occidentales.
C’est par l’usage intensif de l’instrumentation juridique que, nous autres Européens, établissons la plupart de nos rapports, certes à une moindre échelle qu’aux Etats-Unis. Ceci s’explique probablement en grande partie en raison du fait que les pays d’Europe ainsi que les Etats-Unis ont brassé de multiples cultures et que continuent de se mélanger ou de vivre côte à côte sur leur sol de multiples ethnies aux coutumes fort différentes. C’est justement ce manque d’homogénéité qui distingue profondément les Occidentaux des Japonais. Car ces derniers sont imprégnés d’une forte conscience d’appartenir à une seule et même race. En matière de négociation de contrat, cette différence se traduit par l’absence de goût prononcé pour les exercices de rhétorique ou le monopole de la discussion par le chef d’équipe projet au sein de la partie japonaise dans les échanges verbaux. Rares sont les situations où les négociations sont conduites seulement par un ou deux individus. Selon les thèmes abordés on verra divers personnages apparaître puis disparaître au cours des sessions de négociation. Au demeurant, les membres de la délégation japonaise autour de la table de négociation n’ont, d’ordinaire, pas pleine autorité pour statuer sur les points litigieux. Tous prennent des notes qu’ils s’échangeront par la suite pour les comparer et ne rien manquer de l’impression laissée par leurs interlocuteurs étrangers.
Nous partageons l’opinion de Robert J. Ballon quand il souligne que le Japonais est davantage réceptif aux suggestions qu’aux explications et plutôt que de manifester une préoccupation pour un ajustement immédiat, adopte généralement une attitude d’amélioration sans fin.126 C’est pourquoi un même sujet qu’on pense clôturé peut être plusieurs fois évoqué au cours des négociations. Nourris d’informations complémentaires que s’échangent les parties, les décideurs japonais finissent par se rassurer sur le sujet concerné, toutes ambiguïtés écartées.
Le temps, plus exactement, l’espace-temps au Japon est perçu différemment, ce qui agace souvent le négociateur étranger qui, lui, cherche en priorité à obtenir la signature d’un contrat. Il faut laisser au temps le temps de respirer au Japon et ne pas interrompre les périodes de silence qu’instaurent parfois les Japonais.
Parler, c’est être surexposé, vulnérable.C’est parfois une lourde responsabilité que de remplir le vide par la parole. L’écrit, lui aussi, est un exercice difficile, surtout pour un juriste car on attend toujours de ce dernier qu’il trouve une approche rédactionnelle, une rhétorique et des arguments implacables laissant peu d’espace à la réplique, à l’objection ou encore à divergence d’interprétation. On pourrait alors croire que le silence soit un refuge, un moyen de ne laisser aucune emprise à l’autre. Au milieu de moments d’affrontements, de contradictions ou de malentendus, les Japonais utilisent beaucoup le silence quand ils négocient avec des étrangers. Mais, ne nous méprenons pas : à l’intérieur du silence peut, en réalité, se manifester une tonalité, comme si la parole était en suspension malgré son caractère parfois indéchiffrable...même si celle-ci n’est pas consignée, même si elle ne donne pas lieu à de l’écriture.
Lecteurs, le silence doit être perçu comme un allié dans vos stratégies de négociation, comme une disposition, une ouverture, un état d’inertie favorable à la reprise du dialogue. Ne le négligez pas et ne cherchez pas à l’interrompre trop vite. Nous autres Français sommes plutôt peu patients et pouvons facilement être désarçonnés en l’absence de préparation. Profitez au contraire des moments de silence pour éveiller vos sens, faire appel à votre instinct, observer discrètement vos homologues, analyser les points de discordance ou de gêne de vos interlocuteurs, prêter attention à votre propre présence et ce qu’elle suggère. Il faut rester impassible lorsque le contexte l’impose.
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