Chapitre VI Propriété intellectuelle – Comportements en matière d’innovation
Il serait trop ambitieux et irréaliste de vouloir traiter en un seul chapitre de toutes les problématiques autour de la propriété intellectuelle au Japon. D’abord, parce que, à lui seul, le régime juridique des différentes catégories de droits de propriété intellectuelle, à la croisée du droit de la concurrence, constitue un terrain de prospection et de réflexion extrêmement vaste, en l’état de l’abondance des textes et jurisprudences. Il y a de nombreuses similitudes avec les droits français et européen mais aussi bien des singularités que l’auteur laisse aux spécialistes le soin de présenter. Ensuite, parce que l’utilisation de la propriété intellectuelle est au cœur d’objectifs stratégiques et de politiques de compétition qui mobilisent de nombreux acteurs sur les plans domestique et international et font eux aussi l’objet de multiples travaux.
Dans ce chapitre, le lecteur ne trouvera qu’une amorce de synthèse de sujets juridiques limités à la sphère des brevets et des marques, qui soit auront été très controversés au Japon, soit sont sous les feux de l’actualité. Il trouvera par ailleurs quelques coups de projecteur sur les politiques menées afin de favoriser la croissance et le positionnement du pays par rapport au marché mondial par le biais de l’innovation.
A la fin de l’ère Tokugawa et au début de l’ère Meiji, quand les dirigeants du pays ont été confrontés à la technologie occidentale298, à l’époque bien supérieure à la technologie japonaise, ils ont prôné la modernisation technologique du Japon mais en conservant intact l’esprit japonais. C’est ainsi qu’est apparue l’expression « wakon yosai » ou, littéralement, « Esprit japonais et technologie occidentale ». La stratégie du gouvernement de Meiji visait à constituer un régime politique centralisé en transplantant ce qu’il y avait de mieux dans les modèles européens et ce en de nombreux domaines. Réformer l’industrie et doter le pays d’une armée puissante299, les deux piliers des réformes ainsi envisagées, nécessitaient d’établir un corps de textes en matière de propriété intellectuelle. Ainsi les premières lois pour la protection des monopoles relatifs aux inventions nouvelles ont été adoptées en 1871 et le premier texte sur le brevet en 1885 (Senbai Tokkyo Jôrei) (l’année précédente avait été adoptée la première loi sur les marques). Son rédacteur, Korekiyo Takahashi, par la suite désigné premier directeur de l’Office des Brevets, est parfois nommé le père du système japonais des brevets. En 1899, le Japon accède à la Convention de Paris pour la protection de la Propriété Intellectuelle du 20 mars 1883.
Le pays n’a pas cessé ensuite de s’aligner sur ce mot d’ordre de « wakon yosai » mais, d’une position initiale d’emprunt et d’importation de technologies étrangères, il s’est de plus en plus orienté vers le renforcement de sa propre recherche & développement. Probablement influencé par l’idée Confucéenne que la copie de son travail est signe de reconnaissance et d’estime – on ne copie en effet que ce qui est bon - le gouvernement a commencé, au mépris de ses engagements internationaux, par tolérer la copie de produits importés, qu’ils soient brevetés ou non. Après la Seconde Guerre Mondiale, surtout dans les années 70, l’industrie japonaise a fait activement l’acquisition de technologies étrangères, principalement par contrat de licence. La méthode la plus communément employée fut la souscription de licences pour les technologies les plus avancées, à charge ensuite pour les licenciés japonais de les améliorer et maintenir avec des inventions mineures multiples locales. A la fin des années 70, l’écart technologique avec l’Occident s’était considérablement réduit. Il y avait peu de nouvelles technologies en provenance de l’étranger ou leurs propriétaires ne souhaitaient plus les concéder en licence à des termes favorables aux Japonais. Le gouvernement japonais encouragea alors la recherche fondamentale (par opposition à la recherche appliquée) notamment par des aides financières.
Depuis de nombreuses années au Japon, la recherche et le développement sont bien plus soutenus que dans tout autre pays industrialisé. 3,35% du PIB ont été consacrés à la R&D pour la seule année fiscale 2003, soit le niveau le plus élevé au sein des principaux pays de l’OCDE. Le Japon a la plus forte densité de chercheurs: 6,2 pour mille, ce qui représente 1,2% de la population active300.
Certains auteurs se sont interrogés sur l’idéologie du Japon en matière de développement et de contrôle des innovations technologiques. Deux courants s’opposent l’un à l’autre, Richard Samuels considérant que le Japon est un pays de techno-nationalisme, tandis que Gregory Corning affiche l’opinion que le pays adopte de plus en plus, en tout cas pour les programmes de technologies sophistiquées, des politiques plus consistantes comme le techno-globalisme, déjà développé à Singapour et Hong Kong.301 Leonard Lynn explique que le techno-nationalisme est une idéologie qui souligne l’importance d’une autonomie technologique pour la sécurité nationale d’un pays. Pour un techno-nationaliste, la sécurité d’un pays dépend de sa capacité technologique d’ensemble et celle-ci doit être préservée à tout prix. S’il lui est nécessaire d’importer des technologies de l’étranger, un pays techno-nationaliste adopte alors des politiques pour s’assurer que ses ressortissants ne vont pas rester sous la domination étrangère pour les technologies en question et que les détenteurs étrangers de ces technologies ne jouiront pas d’une situation de monopole sur son territoire. Quand il est nécessaire de travailler avec des étrangers, la préoccupation principale des techno-nationalistes est de s’assurer qu’il y a plus de technologies reçues de l’étranger que de technologies partagées. Par contraste, les tenants du techno-globalisme croient qu’un pays peut mieux profiter de la liberté de commerce des technologies comme c’est le cas en matière de produits et de services. Dès lors, ils encouragent notamment les sociétés étrangères détentrices de technologies innovantes à conduire des opérations dans leur pays parce que typiquement elles apportent des emplois à haut niveau de salaires et d’autres bénéfices. Pour eux, la technologie n’a pas d’odeur et peu importe qu’elle provienne d’une entreprise ou d’un organisme de recherche de nationalité étrangère. Pour étayer ses propos, Corning a concentré ses recherches sur trois programmes internationaux de coopération scientifique initiés par le MITI et repris par son successeur le METI : le Human Frontier Science Program (HFSP), le Intelligent Manufacturing Systems Initiative (IMS) et le Real World Computing Program (RWC). Le premier de ces programmes, qui date de 1989, est hébergé à Strasbourg au sein d’une fondation dont l’objet est le financement de recherches au niveau moléculaire sur les fonctions biologiques des organismes vivants. Le second est un programme de recherche international visant le développement de systèmes de production qui vont au-delà de la fabrication assistée par ordinateur. C’était l’enfant chéri des scientifiques et cadres sous le leadership du MITI et il a été complété par des groupes internationaux jusqu’au début des années 90. Le dernier de ces programmes, le RWC, également dénommé « New Information Processing Technology program », qui regroupe 54 laboratoires de recherche de 18 groupes japonais, 4 sociétés étrangères dont 3 européennes et une agence gouvernementale japonaise, poursuit l’objectif de développer sur 10 ans des technologies fondamentales dans l’informatique de nouvelle génération (reconnaissance vocale, reconnaissance de visage à grande vitesse, etc). Ces trois programmes encourageant la participation internationale ont tous démarré avant la période de la décennie perdue. Corning a même constaté que les règles d’acceptation des étrangers au titre de chacun d’eux sont beaucoup plus libérales que celles, par exemple, offertes par les américains pour des projets comparables. Il en tire la conclusion que si le MITI ou METI avait plutôt voulu jouer sur le terrain du techno-nationalisme, chacun de ces projets aurait été beaucoup moins ouvert aux étrangers. On doit constater par ailleurs que le Japon encourage depuis le début des années 2000 la création de pôles de compétitivité en partenariat avec l’Europe ou les Etats-Unis afin de développer la coopération dans la recherche industrielle. Entre la France et le Japon, les secteurs des biotechnologies et de la nanotechnologie ainsi que la robotique sont privilégiés. Tout ceci témoigne bien d’un esprit d’ouverture ciblé du côté des Japonais.
En 1959, est votée la loi N°121 sur le Brevet, maintes fois amendée et refondue depuis. La même année, sont promulguées successivement les lois sur les modèles d’utilité (N°123), les dessins (N°125), les marques (N°127, plusieurs fois mise à jour et remplacée par la loi N°68 de 1996). La loi sur le droit d’auteur N°48 est adoptée en 1970. Les logiciels seront protégés par le droit d’auteur à partir d’un amendement de 1985. La loi N°43 sur les topographies de semi - conducteurs date de 1985. C’est en 1993 que sera promulguée la loi sur la prévention de la concurrence déloyale. Enfin, pour compléter le tableau des textes japonais en matière de propriété intellectuelle, retenons la loi N°115 de 1947 sur les obtentions végétales (semences et plants), remplacée par la loi N°83 du 29 mai 1998 (amendée en 2003 et 2005).
Marques
Une marque consiste en un caractère écrit, un signe, un dessein, un seul élément ou une combinaison d’éléments, avec ou sans couleur, utilisé pour distinguer un produit ou un service. Seules les marques ayant fait l’objet d’un dépôt auprès de l’Office Japonais des Brevets (Tokkyochō) peuvent bénéficier d’une protection nationale. Les marques de services sont admises au Japon depuis le 1er avril 1991 (loi N°65, 1991).
L’examen d’une marque peut prendre entre 6 mois et 3 ans.
Depuis 1997, un produit ou un service désignant plusieurs classes peut bénéficier d’un seul dépôt.
Le délai de protection d’une marque est de dix ans. Pour procéder à son renouvellement, le titulaire d’une marque peut agir six mois avant la date d’expiration d’un tel délai ou dans les douze mois après celle-ci. Il est moins coûteux de procéder à la re - classification éventuelle de sa marque une fois le renouvellement effectué que de procéder à l’inverse.
Le Japon est membre du Traité sur le droit des marques depuis le 1er avril 1997. Le Gouvernement Japonais a par ailleurs ratifié le Protocole de Madrid le 14 mars 2000 et, depuis, l’enregistrement de marque internationale est en vigueur.
Il existe des marques connues qui ne sont pas enregistrées et font alors l’objet de protection en application de la loi sur la prévention de concurrence déloyale.
Le délai de prescription pour introduire une action en contrefaçon est de 3 ans à partir de l’enregistrement de la marque concernée.
Les praticiens reconnaissent302 que, pour enregistrer une marque au Japon, il faut surmonter trois difficultés majeures:
(1) la barrière de la langue écrite: la langue japonaise est une combinaison d’idéogrammes empruntés du chinois et de deux types de syllabaires : d’une part, les katakana utilisés pour la retranscription de mots d’origine étrangère et d’autre part, les hiragana. Une marque enregistrée en katakana ne donne pas de droit au déposant sur le nom d’origine à partir duquel la marque enregistrée dérive. Cette difficulté peut être évitée en enregistrant une marque composite qui consiste à enregistrer le nom étranger d’origine avec son équivalent en syllabaire japonais;
(2) la maîtrise technique des produits concernés, quand ceux-ci sont inconnus au Japon (ex : cas de certaines machineries agricoles);
(3) le processus d’examen: en particulier, il faut une bonne communication entre le conseil local en propriété industrielle (benrishi) ou l’avocat local (bengoshi) et son client pour que le professionnel puisse optimiser le dialogue avec l’examinateur.
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