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Passeport pour le Japon

des Affaires
Jacques Dupouey


Passeport pour le Japon

des Affaires


REMERCIEMENTS

L’auteur exprime sa profonde gratitude à Me Pierre Verkhovskoy, avocat au sein du Cabinet Clifford Chance Europe LLP et enseignant à l’université de Paris Dauphine (Master Affaires Internationales/ «Faire des affaires avec l’Asie»), qui lui a fourni de précieux commentaires, ainsi qu’un complément de documentation principalement sur les acquisitions de sociétés ou d’actifs et l’arbitrage au Japon.


Me Jean-François Bretonnière, avocat au sein du Cabinet Baker & McKenzie à Paris, après avoir servi dans ce même cabinet pendant plus de 10 ans à Tokyo, a apporté à l’auteur quelques éclairages en droit des sociétés dont il lui est extrêmement reconnaissant.
Il remercie également Mme Claude Ducouloux Favart pour ses commentaires sur le chapitre consacré à la société anonyme japonaise avec sa vision comparée en droit allemand, ainsi que les professeurs Eric Seizelet et Jean-Marie Bouissou, tous deux auteurs de nombreux livres sur le Japon, pour leurs encouragements.
Il aura enfin vivement apprécié l’assistance de M. Didier Lamèthe pour ses conseils avisés dans le domaine de l’édition d’ouvrages à un stade où le manuscrit était dans une version très avancée.

« Le monde est un beau livre, mais il sert peu à qui ne le sait lire. »

Carlo Goldoni



PREFACE

Comme l’indique son titre, l’ouvrage de M. Jacques Dupouey est prioritairement destiné aux hommes (et femmes) d’affaires désireux d’entretenir des relations commerciales avec le Japon. Comblant une lacune de la littérature en langue française, il remplit parfaitement ce but pratique et utile. A ceux qui ne connaissent rien du Japon - en dehors de quelques clichés - comme à ceux qui ont commencé la longue initiation (compliquée par la barrière de l’apprentissage d’une langue demandant plusieurs années de pratique régulière) aux richesses de la culture japonaise, Passeport pour le Japon des affaires offre une mine d’informations récentes et pertinentes. S’appuyant sur sa propre expérience professionnelle, sur ses contacts avec les juristes et les entrepreneurs travaillant au Japon, sur la production de textes (en anglais le plus souvent) de spécialistes des affaires et du droit au Japon, M. Dupouey nous livre une analyse d’une grande précision, accompagnée de quelques conseils et, en fin d’ouvrage, de riches annexes formant une sorte de vade mecum de l’entrepreneur tourné vers le Japon. Il convient de noter combien il est difficile de trouver de la documentation sur certains points abordés et de faire, comme c’est le cas ici, un tri avisé entre des textes de valeur inégale qui apparaissent sur le web. L’ouvrage de M. Dupouey est une parfaite illustration de ce que les juristes appellent la littérature des « praticiens », terme qui n’a rien de péjoratif, particulièrement de la part d’un historien du droit sachant la richesse des meilleurs produits de cette littérature, instruments irremplaçables pour appréhender la réalité de l’application d’un droit.


Pour un universitaire qui s’intéresse au Japon et à son droit, l’ouvrage de M. Dupouey est plus que cela et son appréhension d’un système étranger nous apporte beaucoup en termes de méthode et de résultats. L’auteur reconnaît, d’ailleurs, que son but n’est pas de se substituer aux professionnels ou de leur procurer un quelconque « mode d’emploi » pour réussir au Japon. Avec beaucoup de sincérité et d’intégrité, M. Dupouey nous présente plutôt son « regard » sur le droit japonais des affaires. Il prend ainsi le droit « au sérieux » et considère que sa connaissance est essentielle dans la « vie des affaires » aujourd’hui, et cela dans tous les pays. Ici M. Dupouey, comme tous les Occidentaux qui se passionnent pour le droit japonais, doit affronter un préjugé entretenu depuis longtemps, avec le soutien des juristes japonais eux-mêmes : les Japonais « n’aimeraient pas le droit », ils plaideraient peu en justice et préféreraient les modes alternatifs de règlement des conflits, ils attacheraient davantage d’importance à d’autres types de normes sociales, ils n’appliqueraient pas toujours les normes édictées par l’État…Trouvant son fondement dans la faible « litigiosité » (calculée, d’abord, en termes de ratio entre le nombre de procès intentés chaque année et la population) du Japon en comparaison avec d’autres pays (d’économie développée, mais tous les pays occidentaux n’ont pas les taux élevés de litigiosité des Etats-Unis), ce préjugé a la vie dure, alors qu’il mérite d’être sérieusement nuancé selon les périodes et les branches du droit. De manière plus générale, il est bien difficile de mesurer la place du droit et de la justice - le degré de « juridicité » et de « judiciarisation » - des sociétés contemporaines. Comme d’autres observateurs du Japon, M. Dupouey constate que le droit joue un rôle de plus en plus important dans la régulation des relations économiques, que la législation intervient dans des domaines de plus en plus diversifiés, qu’un nombre croissant de questions (sur la concurrence, le secret des affaires, la qualité des produits, le droit des sociétés, le droit de la propriété intellectuelle) sont pensées en termes de droit. Au Japon, comme ailleurs, la compréhension du droit - au-delà de la seule description du droit positif, l’analyse de son fonctionnement dans la société - ne peut être séparée de la connaissance de l’environnement politique, économique et culturel, ni cantonnée à la simple présentation des textes. Il faut notamment tenir compte des phénomènes d’ineffectivité ou de faible effectivité des règles juridiques.
M. Dupouey nous livre une vision originale et personnelle du droit japonais des affaires, en « découpant » son objet de recherches en dix chapitres correspondant à autant de perspectives d’approche (plus ou moins détaillée selon la matière) de la complexité de ce droit. Il ne cherche pas à démontrer une thèse, ni à porter un jugement de valeur sur les évolutions récentes du droit japonais. Avec pragmatisme, il nous offre paradoxalement une belle leçon de théorie sur les mille et une manières d’aborder un droit étranger : loin d’être un donné, « déjà là » et naturellement classé, l’ordre juridique de chaque pays est plus que jamais un ensemble hétérogène de normes construites que l’observateur extérieur (qu’il soit national ou étranger) cherche à décrire d’un point de vue nécessairement particulier et tente de comprendre dans une entreprise toujours recommencée.

Jean-Louis Halpérin

Professeur agrégé de droit

Ecole Normale Supérieure




Introduction

Le Japon, de nos jours, est perçu comme un pays riche jouissant d’une stabilité socio-politique incontestée, dont les 127,8 millions habitants ont un haut niveau d’éducation et un des pouvoirs d’achat parmi les plus élevés au monde. C’est un marché domestique important et sophistiqué, capable de surmonter les crises économiques et périodes de récession pour atteindre les premiers rangs. De fait, depuis 2005, après la bulle des années 1990, la fameuse « décennie perdue », c’est la deuxième nation au monde derrière les Etats-Unis. Le Japon devance encore la Chine - mais pour combien de temps? - avec un PIB/hab de 26.000,00 €1 approximativement, soit le double de celui de la France.2


C’est un marché exigeant et captivant, avec de fortes perspectives de développement3, malgré quelques survivances protectionnistes dans certains secteurs.

Le marché japonais est exigeant et captivant parce que ses habitants cultivent le culte de la perfection et de l’excellence. Cette perfection se traduit par une recherche effrénée de l’innovation, un vrai sens de l’esthétique, une quête de la qualité absolue4, une curiosité permanente de leur environnement, le souci de partager collectivement l’information dans l’entreprise au service de la performance.


C’est aussi un pays prometteur en termes d’opportunités, en particulier dans le domaine des services (bancaires et financiers, soins médicaux, troisième âge, immobilier et urbanisme)5. La capitale, qui a déjà répondu à l’appel d’offres international du Comité Olympique International en fin d’année 2007, se voit déjà accueillir les JO de 2016 : de nouveaux chantiers en perspective, si la sélection est confirmée, y compris pour les entreprises étrangères.
Les Japonais ont la réputation de travailleurs acharnés, prenant peu de congés dans l’année et donnant, pour nombre d’entre eux, la priorité à leur vie professionnelle, au mépris de leur vie privée et parfois au prix même de leur vie.6
Parce qu’ils sont profondément marqués par leur insularité, par un relief à majorité montagneux qui les oblige à vivre dans des zones urbaines fortement concentrées7 et, aussi, par une confrontation relativement récente sur leur sol avec l’étranger8, les Japonais ont développé et conservé une mentalité spécifique, avec de multiples coutumes, codes et rituels à respecter, bien différents des nôtres et parfois troublants, qui ne peuvent être percés qu’au prix de nombreux efforts et grâce à l’assistance de partenaires ou conseillers compétents.
Après la guerre, les forces d’occupation ont introduit une nouvelle idée de l’individualisme, en particulier avec les notions d’égalité des sexes et de droit à la vie privée, ce qui causa une certaine confusion, voire la consternation, parmi les citoyens. Mais, petit à petit, les gens se sont habitués à cette idée et ont commencé à y adhérer pleinement. Aujourd’hui, il est facile d’observer que les Japonais accordent une importance capitale aux droits de l’homme. Ils prennent conscience de leurs droits subjectifs, une notion récemment introduite dans leur système, au point, parfois, d’en réclamer le respect ou d’en revendiquer l’application devant les tribunaux domestiques.
L’état major des forces d’occupation apporta également la démocratisation. Pour la première fois dans l’histoire du pays, était donnée aux gens l’opportunité de critiquer les opérations du gouvernement et de vérifier les potentiels abus de pouvoir. Les lois ont pris progressivement leur place, précisément afin de permettre à chaque individu de combattre l’utilisation illégitime du pouvoir par le gouvernement. L’internationalisation du droit japonais s’est accélérée au cours des années 80. Les Américains vont tenter d’imposer aux Japonais la levée progressive de nombreuses barrières protectionnistes, en particulier les barrières non tarifaires9, et vont négocier à cet effet les « Structural Impediments Initiatives » en 1989, suivies des « Enhanced Initiative on Deregulation and Competition Policy » en 1997, ainsi qu’en juin 2001 les « Regulatory Reform and Competition Policy Initiative ». De leur côté, avec les rapports annuels du European Business Council, les Européens appuieront ces requêtes pour une plus grande dérégulation et ouverture du pays aux produits et investissements étrangers. Cependant, la production de lois n’a jamais été aussi intense qu’en France ou en Allemagne. Le professeur Ichiro KITAMURA fait observer, à juste titre, que « les principaux codes japonais comptent souvent moins d’articles que leurs homologues français. Ainsi, le code civil japonais ne comprend que 1044 articles pour 2283 pour le code civil français, et il en est souvent de même en ce qui concerne les autres codes.Le législateur français produit chaque année 1000 à 1500 lois et décrets normatifs, tandis qu’au Japon, ce nombre se limite à seulement 500 en moyenne ». Conséquence, ajoute-t-il : « La faible quantité de règles législatives entraîne inévitablement une tendance à préférer des dispositions de portée générale, laissant ainsi un vaste terrain de discrétion, sinon d’autonomie, à la jurisprudence et à l’administration ».10
Même s’ils poussent activement les parties à trouver un règlement amiable à leurs conflits, les tribunaux japonais contribuent de plus en plus au développement des normes juridiques du pays et leur saisine s’est accentuée suite à de récentes réformes du système judiciaire facilitant leur accès et diminuant les frais de procédure. Le pays cherche même à se doter d’un plus grand nombre d’avocats dont la pénurie fait actuellement cruellement défaut (pour les Occidentaux) par rapport au chiffre de la population nationale.
L’administration, en particulier le METI11, joue un rôle déterminant dans le pays, comme en France. Celle-ci tisse et conserve des liens extrêmement étroits avec le milieu industriel et économique domestique dans la discrétion et par des voies informelles, par l’émission de recommandations, d’incitations ou d’orientations (ce que l’on dénomme en japonais «gyosei shido») ou grâce au pantouflage12, même si ceux-ci commencent par s’estomper.13
Cet interventionnisme de l’Etat japonais ne doit pas décourager les entreprises françaises, y compris les PME/PMI, à s’attaquer au marché japonais parce qu’il est aussi un remarquable levier à l’export vers la Chine - pays dont le Japon est le premier investisseur étranger - et vers les autres pays de l’ASEAN14.
Si les entreprises françaises veulent pouvoir être plus efficaces dans leurs stratégies d’exportation, de partenariat ou d’investissement au Japon, il leur faut acquérir une meilleure connaissance de la culture juridique japonaise.
Selon les propos du professeur Yves Chaput15, le droit a pour objectif avoué et avouable d’harmoniser la vie en société. Les Japonais partagent-ils cet avis? Comment revendiquent-ils la protection ou la défense de leurs intérêts ou statuts tant sur le plan individuel que collectif? Quelle distance prennent-ils parfois avec le droit applicable? Quelle conscience ont-ils de leurs droits subjectifs ? Il y a quelques années, certains auteurs ont souligné le décalage au Japon dans de nombreuses branches du droit, entre le droit tel qu’écrit dans les livres et le droit en action.16 Pour le doyen Jean Carbonnier, au Japon, « le droit est sous un contrôle indéfinissable du non-droit ». On observe dans les faits que l’égalité des sexes en droit du travail est plutôt malmenée tant en matière de recrutement que de promotion ; rares sont les femmes qui atteignent en effet un poste de cadre senior alors qu’elles sont pourtant plus nombreuses que les hommes à remporter les meilleurs classements en fin de cursus scolaire ou universitaire.Les bureaucrates, juridiquement parlant, manquent d’autorité pour forcer les acteurs privés à suivre leurs directives (gyosei shido). Mais, de facto, ils détiennent le pouvoir de s’assurer que les entreprises vont «adhérer» à leurs directives, même quand celles-ci se heurtent, parfois, à certaines dispositions contradictoires. Le contrat est censé faire la loi entre les parties. Pour autant, les hommes d’affaires japonais ne se considèrent pas toujours pieds et poings liés par la lettre d’un contrat écrit mais s’attendent plutôt à ce que les parties coopèrent en permanence et renégocient les termes de leur accord de bonne foi quand un événement fait apparaître le trouble dans la relation ou un changement de circonstances, etc. On pourrait longuement compléter cette énumération d’autres exemples.
Ce livre peut paraître trop académique à certains égards pour celui ou celle qui recherche des recettes immédiates pour commercer avec des Japonais. Mais le Japon ne doit-il pas être abordé comme un grand cru qu’on apprécie davantage quand on connaît son héritage et ses particularités, en l’occurrence au regard de la place qu’occupe le droit ou l’enracinement des coutumes dans les pratiques d’affaires?
Il a paru à l’auteur qu’il y avait un intérêt à faire une présentation pratique du droit japonais des affaires, tout en analysant les racines et fondations de celui-ci.
Sa démarche a été de s’appuyer sur l’examen des processus historiques qui ont conduit le pays du Soleil Levant à se doter d’un système juridique et judiciaire semblable à celui des pays industrialisés, au moins dans sa structure et sur le plan formel, à organiser son marché pour le rendre performant en matière de commerce international tout en se protégeant de la concurrence étrangère sur son propre territoire. Il présente la situation la plus récente des investissements directs français au Japon, le type d’instruments juridiques disponibles pour créer un établissement permanent et les caractéristiques de la gouvernance d’entreprise japonaise dont le paysage s’est fortement modifié ces dernières années. Il s’emploie à analyser la mentalité des Japonais dans le contexte de négociations commerciales et propose des recommandations pour s’adapter à cette mentalité spécifique. Il souligne l’importance grandissante qu’attachent les Japonais à l’innovation technologique et à la protection intellectuelle associée. Il aborde la problématique de la protection du secret des affaires ainsi que la question de la responsabilité du fait des produits défectueux qui a alimenté un contentieux abondant ces dernières années. Il analyse les mécanismes de contrôle et de répression des pratiques anticoncurrentielles depuis leur introduction au milieu des années 40. Le règlement des litiges, y compris dans le cadre de procédures d’arbitrage, et le système judiciaire sont enfin brièvement étudiés en dernier chapitre.
En première annexe, figure une présentation des organismes français, européens ou même japonais qui peuvent être sollicités par les entreprises françaises en vue de bénéficier d’une assistance, voire d’une aide financière. Une seconde annexe présente sous forme de tableau les structures de gouvernance en vigueur au sein de la société anonyme depuis la loi N°86 du 26 juillet 2005, suivi d’une bibliographie sur la gouvernance d’entreprise. Une troisième annexe est constituée par une liste des cabinets d’avocats disposant d’une infrastructure locale ou internationale d’aide aux investisseurs étrangers. Une quatrième annexe est consacrée aux banques d’affaires impliquées sur le marché japonais. La cinquième annexe prend la forme d’une liste indicative de la formation des dirigeants des principaux groupes japonais. Savoir de quelle université, de quel sérail un dirigeant est sorti peut être très utile si on connaît quelqu’un issu de la même formation. Le Japon est par excellence un pays de réseaux ! L’annexe 6, dernière de la liste, récapitule les coûts officiels de dépôt et de maintien des droits de propriété intellectuelle auprès de l’office Japonais des Brevets.
La caractéristique de ce livre est, qu’à de nombreux égards, il place le processus historique au premier plan et aborde également, sous forme d’esquisse, des thèmes juridiques modernes du droit japonais des affaires, jusqu’alors peu ou jamais évoqués en langue française17, sans pour autant se livrer à leur exégèse (propriété intellectuelle, secret des affaires, responsabilité du fait des produits défectueux, gouvernance d’entreprise, politique de concurrence).
Que le lecteur pardonne à l’auteur le choix qui pourrait sembler arbitraire des thématiques de ce livre. Se livrer à un examen de l’ensemble des thématiques du droit des affaires japonais reviendrait à établir une véritable encyclopédie. Dans notre pays, on peut chercher en vain un centre de recherches regroupant et répertoriant une documentation d’actualité spécialisée en droit japonais des affaires. Il n’en existe malheureusement pas. De même, on peut regretter l’absence de liste disponible des organismes de recherche en sciences sociales et humaines sur le Japon ou d’enseignement sur la culture et le management japonais. Dans le labyrinthe des publications existantes, en dehors des sources japonaises, c’est principalement vers les sites Internet et éditeurs américains, allemands, australiens, anglais et canadiens qu’il faut se tourner. En les consultant, on prend alors conscience qu’existe une littérature assez abondante, certes largement éparpillée, que l’auteur a essayé au mieux de capturer, d’analyser et de synthétiser.
Le présent ouvrage ne prétend pas à l’exhaustivité des matières qu’il aborde. Bien qu’il s’appuie sur des recherches pointues et rigoureuses ou sur une expérience éprouvée des négociations de contrats avec des multinationales japonaises, il se veut simplement vecteur de sensibilisation. A quelques rares exceptions près, l’auteur a conservé la référence originelle au Code de Commerce malgré la parution en 2005 du Code des Sociétés ayant de ce fait entraîné la disparition du livre 2 du Code du Commerce.
Ce livre est avant tout au service d’une meilleure connaissance du Japon par les francophones et plus particulièrement ceux qui se portent candidats à l’aventure de relations commerciales avec des entreprises japonaises ou cherchent à pénétrer les arcanes du cercle des affaires avec des Japonais. L’auteur ne s’est pas toutefois livré à un quelconque examen systématique des situations de convergence ou de divergence qui pourraient caractériser certains domaines du droit des affaires français ou japonais, ce qui pourrait être un excellent sujet de thèse.
Ce livre s’adresse aussi aux conseillers du commerce extérieur, chercheurs, historiens, juristes d’entreprise et avocats sensibilisés au droit comparé. C’est la raison pour laquelle il contient de nombreuses références bibliographiques.

En écho au vœu récemment formulé par Jean-Louis Halpérin et Naoki Kanayama, l’auteur souhaite que ses travaux servent à creuser un nouveau sillon pour mieux rapprocher la France du Japon et donner un nouvel élan aux recherches en sciences sociales et humaines sur le Japon.

Chapitre I Le processus de construction d’un droit moderne au Japon18


I / Les premières expériences diplomatiques du Japon avec les Puissances Occidentales

1) Premiers contacts commerciaux avec les Occidentaux

Le prosélytisme naquit et resta pour deux siècles une constante politique japonaise.


Les premiers échanges commerciaux entre Japonais et Occidentaux remontent à 1542 environ, époque de la découverte du Japon par des Portugais qui échouèrent sur la petite île de Tanagashima au sud de Kyushu19 après avoir été malmenés par un typhon. Ces Portugais avaient en leur possession un bien très précieux aux yeux de TOKITAKA, gouverneur de l’île: des mousquets, dont ce dernier s’empressa de percevoir le secret de fabrication20. Après les Portugais, arrivèrent très vite les Espagnols, les Hollandais, suivis des Britanniques. Les missionnaires jésuites Portugais et Espagnols se dépêchèrent de convertir bon nombre de Japonais au catholicisme. Mais, dès 1614, des voix xénophobes s’élevèrent et plusieurs édits d’expulsion furent prononcés: expulsion des religieux dans un premier temps, suivi de l’expulsion de tous les étrangers – sauf les Hollandais – à un moment où le Shogoun prenait le pouvoir.
Les Japonais chrétiens furent violemment persécutés (morts par le feu ou crucifixion) et impitoyable fut la décision du shogun IEMITSU en 1637 face au soulèvement des chrétiens de l’île méridionale de Kyushu puisqu’il ordonna, après un siège de deux mois, la mise à mort de la totalité des survivants des insurgés repliés dans la forteresse de Shimabara21. Cette même année, un édit impérial établit que: «Aucun navire japonais quel qu’il soit n’est autorisé à quitter le pays, et ceux qui contreviennent à ces ordres mourront. Tous les Japonais qui reviennent de l’étranger seront aussitôt mis à mort».22 Cette insurrection consacra définitivement la fermeture du pays pendant deux siècles (période du SAKOKU, littéralement «pays enchaîné») aux influences étrangères, décrétée par Iemitsu en 1639.
Les Portugais demandèrent que l’édit d’expulsion des étrangers fût rapporté et envoyèrent à cet effet, depuis Macao, une délégation. La plupart des membres de cette délégation furent exécutés (soixante têtes tranchées) et les douze survivants conservèrent la vie pour faire savoir dans les possessions portugaises que les Japonais appliquaient rigoureusement leurs décrets concernant les étrangers. Rien à l’époque ne semblait pouvoir défier la souveraineté du pays. Lorsqu’ils furent expulsés vers Macao avec les têtes de leurs compagnons, sur le tumulus qui recouvrit les cadavres fut écrit ce qui suit: «Que personne à l’avenir, tant que le soleil éclairera le monde, ne tente de pénétrer le Japon. Fut-il ambassadeur, quiconque contreviendra à cet ordre aura la tête tranchée23 Cependant, les Hollandais, qui avaient fourni leur appui au Shogoun en bombardant la forteresse de Shimabara, obtinrent de conserver un comptoir dans l’îlot de Deshima, dans la baie de Nagasaki24 pour se livrer à un commerce triangulaire limité mais juteux avec Canton, l’Inde et Amsterdam. A Nagasaki, les navires chinois conservaient aussi l’autorisation de poursuivre un commerce limité.

2) Signature des premiers traités bilatéraux avec les puissances occidentales

Les grandes nations occidentales tentèrent d’envoyer des missions diplomatiques pour organiser des liens officiels25 qui échouèrent. C’est avec l’arrivée des quatre navires26 de l’escadre du Commodore Matthew Calbraith Perry le 8 juillet 1853 à Uraga, dans la baie d’Edo (actuellement la baie de Tokyo) que la période d’isolement du Japon sera interrompue27. Exceptionnellement, après une démonstration de la puissance de feu de ses navires, Perry obtint l’autorisation de débarquer à terre et de remettre la lettre officielle du président américain de l’époque, Fillmore, demandant l’ouverture du pays aux relations internationales.Perry déclara qu’il reviendrait avec une escadre encore plus importante l’année suivante pour prendre connaissance de la réponse de l’Empereur à cette dépêche américaine.


Grâce aux Hollandais, le Japon avait appris les défaites de la puissante Chine dans la guerre de l’opium. Le mois suivant le passage de l’escadre Perry, l’Amiral russe Poutiatine arriva avec quatre navires à Nagasaki, mais sa demande d’ouverture et de règlement de la question territoriale des îles Kouriles fut rejetée. Informé de son passage, le Commodore Perry modifia son plan et retourna plus tôt que prévu à Edo, le 11 février 1854, à la tête d’une escadre de sept navires. Le mois suivant (le 30 mars 1854), était signé le premier traité de paix et d’amitié (mais pas de commerce), composé de douze articles, entre le Japon et une nation occidentale (traité de Kanagawa)28. Le traité ouvrait aux Etats-Unis les ports de Shimoda (péninsule d’Izu) et d’Hakodate (île de Yezo, aujourd’hui Hokkaido) mais à de seules fins de ravitaillement; il permettait aussi l’amélioration du traitement des naufragés.
Quelques mois plus tard, le 14 octobre 1854, l’Amiral Stirling, représentant la flotte britannique, signait le deuxième traité du même type avec le Japon qui ouvrait à l’Angleterre les ports de Nagasaki et Hakodate. Par le jeu de la clause de la nation la plus favorisée, l’ouverture de Nagasaki se trouvait en principe étendue aux Américains et, réciproquement, les Britanniques pouvaient aussi bénéficier de celle de Shimoda puisque leur traité contenait une clause similaire.
Les Russes à leur tour entrèrent sur la scène des traités signés par le Japon le 7 février 1855 (traité de Shimoda qui permettait aux navires russes d’accoster dans les ports de Shimoda, Hakodate et Nagasaki). Les Pays-Bas signèrent aussi la même année (le 9 novembre) un traité qui fut révisé le 30 janvier 1856.
Tous ces traités n’avaient en rien le caractère de traités de commerce puisqu’ils ne permettaient aux navires étrangers que d’accoster pour se ravitailler en eau, bois, charbon et autres choses indispensables, ou procéder à des réparations. En outre, ils ne permettaient à aucun étranger de séjourner dans l’un quelconque des ports (à l’exception de Nagasaki), ni même de circuler dans le pays.
En 1858, les Américains vont obtenir par la signature du traité d’Edo du 29 juillet29 des concessions supplémentaires (accès à de nouveaux ports: Niigata, Hyogo, l’actuel Kobe, Edo et Osaka et autorisation de faire du commerce; échange d’agents diplomatiques; droit de résidence; création de juridictions consulaires qui permettront de soustraire aux juridictions japonaises le traitement des litiges concernant les ressortissants étrangers, ceux-ci relevant de l’autorité des consuls; liberté de pratique religieuse, etc…)30. Les autres puissances occidentales (Pays-Bas, Russie, Grande-Bretagne, France) vont emboîter le pas et signer la même année des traités similaires31, appelés « traités inégaux » parce que sur la base de la perception d’un Japon arriéré par les Occidentaux, ils n’étaient pas écrits en termes d’égalité entre les parties contractantes.
A l’époque, le Japon n’était pas encore un pays totalement unifié et les étrangers avaient du mal à identifier le véritable détenteur des pleins pouvoirs. Ils ignoraient l’exacte situation respective du Tenno (souverain céleste, appelé plus volontiers par les étrangers Mikado) et du shogoun. Ils croyaient à un partage de la souveraineté, le shogoun demeurant chargé des affaires politiques et le Tenno des intérêts religieux. L’Empereur avait à l’époque une place purement nominale. Il demeurait cloîtré dans son palais à Kyoto, le Gosho et était totalement inaccessible en dehors des nobles. C’est le shogoun (littéralement «Général envoyé contre les barbares», le mot barbares désignant non pas les Occidentaux mais les ainous32), que les Occidentaux reconnaissaient dans un premier temps comme le souverain de l’ensemble du Japon. Le siège du gouvernement shogounal était fixé, depuis le shogoun Ieyasu, dans la ville d’Edo (ou Yedo, aujourd’hui Tokyo). Ce gouvernement était appelé Bakufu, ce qui signifie «gouvernement du rideau ou de la tente», appellation qui reflète l’origine militaire et itinérante de cette autori

té. Le titre de shogoun avait toujours été juridiquement ignoré des Occidentaux, qui avaient d’abord traité avec cette autorité en la désignant par erreur du titre d’Empereur, puis en utilisant peu de temps après le traité de Kanagawa celui de «Taikun» (littéralement «Grand Seigneur»). Le pays va connaître une période tumultueuse avec de nombreuses actions de xénophobie envers les étrangers ainsi que des guerres de clans. Mais les puissants daimyo vont finir par se coaliser au nom de l’Empereur et triompher du shogounat. C’est ainsi que le shogun YOSHINOBU, 15ème de la lignée TOKUGAWA, va, le 9 novembre 1867, remettre officiellement à la Cour sa démission.33


Le 23 novembre 1868, fut proclamé par le jeune empereur MUTSUHITO le passage à l’ère Meiji (Meiji Ishin, «Nouveautés de Meiji» ou «Révolution de Meiji») et la ville d’Edo rebaptisée Tokyo. Quelques mois auparavant, le 14 mars 1868, à l’issue d’une cérémonie religieuse, l’empereur proclama solennellement la déclaration des cinq articles qui ouvrait le Japon au progrès. On relèvera en particulier l’article 4 de cette déclaration, ainsi libellé: «Les mauvaises coutumes ne profiteront plus du prestige que leur donne l’ancienneté. Elles seront abolies et toutes les lois justes seront adoptées.». Mais, surtout, l’article 5 affichait comme suit le projet ambitieux de transformer radicalement le pays: «Nous extrairons du monde entier les idées excellentes afin d’étendre indéfiniment la prospérité de l’empire».34
Un des bouleversements majeurs qu’a apporté l’ère Meiji fut le développement d’institutions centralisées dans une terre qui avait connu le particularisme de 264 domaines féodaux qui employaient environ un demi million de samouraïs répartis sur tout l’archipel.

3) Révision des «traités inégaux» (fubyôdô jôyaku)

Au fur et à mesure que le Japon renforçait sa connaissance et sa compréhension des systèmes juridique et économique continentaux et anglo-saxons, de l’histoire et des relations internationales35, il entreprit des réformes domestiques révolutionnaires36 et exprimera principalement trois revendications auprès des nations occidentales:




  • abolition de la juridiction consulaire,

  • recouvrement de l’autonomie en matière de tarif douanier,

  • interdiction du cabotage étranger.

L’objectif de ses dirigeants de l’époque était de démontrer que le Japon était devenu une véritable nation civilisée, dotée notamment d’un système juridique complet de tribunaux, d’un service public de la justice, pour renégocier la partie des traités inégaux qui le privait de sa souveraineté.


Dans sa démarche de révision des traités, pendant ce qui fut appelé la période « bakumatsu », laquelle aboutira à la fin du XIXème siècle, le Japon adopta deux types de procédure: les négociations bilatérales et les négociations multilatérales. Il serait trop long d’aborder ces aspects, ce n’est pas l’objectif de ce livre d’autant plus que de nombreux historiens et/ou juristes s’y sont déjà admirablement attachés. Une date cependant est à relever sur le calendrier historique des activités diplomatiques du pays, celle du 16 juillet 1894, car c’est ce jour là que fut signé à Londres entre AOKI, plénipotentiaire, et Lord Kimbeley, chef de la diplomatie britannique, le nouveau traité entre la Grande-Bretagne et le Japon qui selon les propos d’Aoki prononçait, «pour la première fois, l’admission légitime et sans réserve, de ce pays (le Japon) dans la famille des puissances civilisées». Le Japon venait d’atteindre les objectifs qu’il s’était fixés. Dans la foulée, toutes les puissances européennes, y compris les pays scandinaves et la Russie, ainsi que les Etats-Unis, vont adopter un traité similaire avec le Japon: traité USA-Japon du 22 novembre 1894, Italie-Japon, 1er décembre 1894, Russie-Japon, 27 mai 1895, Belgique-Japon, 22 juin 1895, Danemark-Japon 19 octobre 1895, Portugal-Japon 26 janvier 1896, Allemagne-Japon 4 avril 1896, Suède et Norvège 2 mai 1896, France-Japon 4 août 1896, Pays-Bas - Japon 8 septembre 1896, Espagne-Japon 2 janvier 1897, Autriche-Hongrie - Japon 5 décembre 1897.


II / Les étapes initiales de la construction d’un droit moderne au Japon
«…on a bien raison de croire que la langue japonaise n’est pas faite pour le droit, mais plutôt pour la littérature avec ses extrêmes finesses et avec ses «ombres» sentimentales».37

Un auteur a bien montré dans sa thèse38 comment la combinaison de trois éléments fondamentaux (envoi d’étudiants japonais à l’étranger; frénétiques activités de traduction d’ouvrages et de concepts juridiques d’origine occidentale; invitation par le pouvoir japonais de conseillers légistes étrangers dans un but de codification) a permis au Japon de se doter d’un système juridique moderne. Ainsi, grâce à la réalisation de ces combinaisons, le Japon a-t-il pu se mesurer aux grandes puissances occidentales sur la scène diplomatique. La réception du droit occidental dans ce pays, fut menée tambour battant par le gouvernement japonais: de l’aveu du professeur KITAMURA Ichiro 39, «C’est ainsi que les Japonais se sont trouvés en une vingtaine d’années devant la toile de fond donnant une parfaite apparence d’un Etat de droit de type occidental, lorsqu’ils ont célébré en 1890 l’entrée en vigueur de la Constitution du Grand Empire du Japon, d’inspiration prussienne».


«Kindai» (modernité) et «kaikoku» (ouverture du pays) furent en quelque sorte les mots d’ordre lancés et ce, bien au-delà de la seule sphère juridique.


1) Missions d’études en Europe40

Des ambassades shogounales à caractère scientifique vont être envoyées en 1860 aux Etats-Unis et en 1862 en Europe (France, Pays-Bas, Grande-Bretagne, Russie et Portugal) afin de découvrir tout à la fois l’histoire, la géographie, la politique, l’économie, le droit, la religion, et les coutumes occidentales. En particulier, on peut retenir dans les rangs des délégués japonais les noms de FUKUZAWA Yukichi, NISHI Amane et TSUDA Shinichiro.


FUKUZAWA Yukichi41 (1835-1901), néerlandophone et anglophone, l’un des maîtres à penser de l’ère Meiji42, fondateur de la prestigieuse université de Keiô43, rédigea en 1866, comme bilan de ses observations et analyses, un ouvrage fort remarqué et publié à grand tirage pour l’époque (250.000 exemplaires!44): le Seiyo Jijo (Condition de l’Occident). Dans les années 1870, il publiera deux autres essais: Gakumon no susume (L’Appel à l’étude) et Bunmeiron no gairaku (Bref Traité de la Civilisation). Fukuzawa aura joué un rôle considérable en faveur du développement de l’économie de son pays et son accession aux tous premiers rangs du commerce international, faisant la promotion des institutions et de la pensée occidentale dans son pays. Il n’aura pas manqué d’ardeur pour faire changer la mentalité des bushi (les anciens guerriers formant l’élite intellectuelle et la classe au pouvoir). Ainsi influencera-t-il ces derniers à abandonner leur mépris traditionnel pour les professions d’argent.
NISHI Amane et TSUDA Shinichiro avaient tous deux été investis d’une mission de recherche dans les sciences sociales: droit, politique et économie. C’est à l’université de Leyde, aux Pays-Bas, la seule alors à posséder une chaire de japonais, et sous l’enseignement du professeur Simon VEISSERLING (1818 – 1888), que ces deux délégués japonais découvrirent pendant deux années consécutives (jusqu’en octobre 1865) la matière du droit public européen. De retour dans leur pays, ils vont occuper des postes à forte responsabilité. Pour le premier, d’abord au Ministère des Affaires Militaires, puis dans le domaine universitaire. Il sera l’auteur de plusieurs ouvrages philosophiques. Le second (Tsuda) deviendra surintendant de la police à Shizuoka, puis juge. Il occupera ensuite les fonctions de secrétaire du Ministère des Affaires Etrangères et servira d’adjoint de l’ambassadeur plénipotentiaire pour la conclusion du Traité de Commerce et d’Amitié. Tous deux avaient commencé par faire des études classiques de chinois puis de la Science Hollandaise avant cette expérience d’un séjour en Europe. Ils devinrent membres d’un célèbre groupe d’intellectuels appelé Meirokusha (société de l’an 6 de l’ère Meiji, c’est-à-dire 1873) et apportèrent dans ce contexte de nombreuses contributions dans la diffusion des idées occidentales au Japon. On doit en particulier à Tsuda l’invention de beaucoup de termes juridiques, à commencer par Minpo, droit civil (provenant de la combinaison des idéogrammes MIN, peuple et HÔ, droit). Ces deux personnages seront, chacun, anoblis avant leur mort.

2) Traduction des ouvrages de droit occidentaux les plus marquants – Dynamique linguistique et création d’un vocabulaire juridique45

MITSUKURI Rinshô (1844 – 1897) est le fondateur de la terminologie juridique moderne, surtout en droit interne. C’est lui qui traduisit le livre de l’américain Théodore Woolsey, «Introduction to the Study of International Law» (1ère éd. en 1860), l’un des ouvrages juridiques les plus influents à l’époque au Japon avec celui de Henry Wheaton46


Conscient de l’importance de maîtriser la langue des «barbares» occidentaux et de mieux évaluer leur supériorité technologique, le Bakufu créait à Edo, en 1856, le Bureau d’Inspection des Livres Barbares, principalement pour l’étude des sciences européennes et la correction des traductions.47 En 1862, l’école fut transférée à Hitotsubashi et devint Yoshoshirabesho (Bureau d’Inspection des Livres Occidentaux). L’année suivante elle fut rebaptisée Kaiseijo (Bureau de Promotion de la Civilisation). Après la Restauration, en 1873, elle devint Tokyo Kaisei Gakko (Ecole Kaisei de Tokyo) et garda ce nom jusqu’en 1877, date à laquelle elle fut incorporée dans l’Université de Tokyo (Todai), aujourd’hui une des universités les plus prestigieuses du Japon qui a toujours formé l’élite japonaise, notamment juristes et hommes d’Etat.
Le système juridique japonais à l’origine est «l’œuvre d’une greffe par traduction»48. En effet, le Japon n’a pas manqué d’énergie et de détermination pour se livrer par lui-même à l’étude approfondie et à la traduction des systèmes juridiques étrangers. Il mit à contribution ses érudits versés dans la «science de l’occident», les Yogakusha (terminologie remplaçant celle de Rangakusha: «savants hollandais») qui se livrèrent à un travail acharné de traduction de tous les grands ouvrages juridiques de la France, de l’Italie, la Prussie et l’Angleterre. Le professeur Kitamura Ichiro utilise à ce sujet une belle expression «…le droit positif (japonais) constitue un monde tout traduit, ou du moins une cité pavée d’une mosaique plurilingue souterraine»49. De France, outre les cinq codes (civil, pénal, constitutionnel, de commerce, procédure civile et procédure pénale, Furansu Roppô) traduits en 1873, à la demande de ETO Shinpei 50, par Mitsukuri Rinshô, qui n’était pas juriste mais polyglotte, on trouvait par exemple l’Esprit des Lois de Montesquieu, le Traité pratique et théorique de droit public et administratif de Batbie, les Constitutions d’Europe et d’Amérique de Laferrière, le Manuel de Droit d’Accolas, les Répétitions écrites du code Napoléon de Mourlon, les œuvres de Demolombe, Belime, Boistel, Baudry-Lacantinerie et même le Procès de Madame Caillaux et, en droit pénal, celles d’Ortolan et de Faustin-Helie. De l’anglais, pour ne citer que les principaux titres, avaient été traduits le Law of Torts de Underhill, les Commentaries on the Law of England de Blackstone, les Lectures on Jurisprudence d’Austin, des ouvrages de Story sur le Law of Agency, de Lindley sur le Law of Partnership, les principales œuvres de Bentham. De l’allemand, les œuvres de Stengel et de Schultzenstein sur le droit public prussien, le Allgemeines Staatsrecht de Bluntschli.
De nombreux mots et concepts étaient inexistants à l’époque au Japon, tels que compensation, condition suspensive, meuble, immeuble, obligation et droit subjectif. Ce dernier concept, par exemple, était tout à fait étranger à la mentalité confucéenne qui avait imprégné le Japon ancien, comme à la structure hiérarchique de la société féodale. Mitsukuri reprit deux termes qu’il trouva dans la traduction du livre de droit international de Wheaton de l’américain Martin que nous avons évoqué plus haut. Il traduisit ainsi le mot obligation par Gimu formé des idéogrammes GI, loyauté et MU, fonction, charge; pour droit subjectif, un terme dont aucun mot japonais ne pouvait capturer l’essence, il utilisa la combinaison des idéogrammes KEN, prérogative, autorité et RI, avantage, intérêt, d’où le mot kenri; cette traduction fût une tâche plutôt difficile le «mot» KEN étant déjà utilisé pour de nombreux autres concepts tels que, par exemple, souveraineté ou privilège royal (shuken), ou encore puissance étatique (kokken)51. Le mot meuble fut traduit en dosan (DO, bouger et SAN, produit, bien) et il ajouta FU, négation pour former le mot immeuble, fudosan, etc..Les conseillers étrangers tels que G. Appert et Gustave Boissonade furent également sollicités dans ces travaux de traduction. Au prix de nombreux efforts le premier dictionnaire de droit et d’économie franco-japonais parut en 1887, sous la direction d’Appert, suivi de réalisations similaires dans les principales autres langues occidentales.
Kitamura Ichiro explique comme suit l’énigmatique réflexion des traducteurs japonais pour tenter de trouver un équivalent au mot «faute»: «La notion de «faute», une des idées les plus fondamentales du droit français, est, elle aussi, impossible à traduire en tant que telle en droit japonais, celui-ci ne connaissant que celles qui correspondraient à la «faute intentionnelle» (koi) et à la négligence ou imprudence (kashitsu). Par souci de l’exactitude on essaie parfois de la traduire en une imitation phonique, fôto, mais cela ne servira pas en soi à transmettre les connotations morales et quotidiennes de la «faute »… Libérés du joug moral européen, les juristes japonais ne se sentent pas tellement gênés pour affirmer le principe de la «responsabilité sans faute»; et ce d’autant moins que le mot sekinin, équivalent apparent de la «responsabilité», comprend un autre sens de «charge» de «fardeau», de ce qu’on doit assumer par rapport au résultat dommageable, voire même à la situation des faits eux-mêmes. De même, le principe de l’autonomie de la volonté n’a finalement pas eu d’audience au Japon, où seules comptent les règles moins philosophiques de la liberté contractuelle et où c’est moins la volonté des parties que les modalités de leur relation qui les obligent. D’où on admet en général une place plus large à une considération téléologique, juridique et économique. La jurisprudence n’est pas hostile au principe de la révision par imprévision des clauses du contrat. Sans doute, les applications effectives en sont rares dans la jurisprudence, mais la clause équivalente de celle rebus sic stantibus semble, en fait, réputée implicite dans la pratique contractuelle»52.
Le même universitaire souligne par ailleurs :« Bien antérieurement donc à ce qui s’est passé au XIXème siècle, les Japonais du VII au IXème siècle avaient systématiquement introduit les éléments de la civilisation chinoise en les faisant étudier par des envoyés impériaux à la cour des Souei et des T’ang. L’influence naturelle de celle-ci remonte beaucoup plus loin, par l’intermédiaire des Coréens: ainsi, les lettres chinoises (kanji) avaient été connues au Japon dès le IIIème siècle. Mais l’envoi des délégations commence en 607 par une décision d’un prince dauphin et régent, Shôtoku Taishi (572-622) qui est fameux pour sa première constitution japonaise, constitution de dix-sept articles. Depuis, le gouvernement centralisateur de Tenno, empereur-symbole du type japonais, a instauré le système dit de Ritsu-ryô (règlement d’ordre administratif et pénal), imitation assez fidèle de la législation chinoise. La réception, commencée en 645, aboutit à une codification générale en 701-718, mais après avoir vu son apogée au IXème siècle, le régime a pris fin au XIIème siècle par la conquête du pouvoir par les shogounats (1192 – 1867). Par ailleurs, l’influence chinoise se révèle plus accusée sur le plan culturel, où beaucoup d’éléments tels que le bouddhisme, le confucianisme, les belles lettres classiques chinoises ont survécu au régime juridico-politique de Ritsu-ryô, pour former une base essentielle et plus ou moins dominante de la vie morale et intellectuelle des Japonais jusqu’à l’arrivée des lumières européennes. Entre ces deux ouvertures vers l’étranger, il n’est pas artificiel d’établir un parallèle historique. Car la réception des éléments étrangers, tout à fait volontaire et de grande envergure dans les deux cas, était toujours motivée par le souci de construire un état centralisé, de mieux organiser une bureaucratie efficace et d’assurer une défense solide nationale contre les puissances soit asiatiques, soit européennes 53
A l’époque contemporaine, outre le professeur NODA Yoshiyuki qui a publié un certain nombre de recherches sur la formation et le développement de la terminologie de traduction et un ouvrage en français (dont une version existe également en anglais) sur le droit japonais54, on peut citer deux spécialistes japonais de la traductologie dans le domaine juridique: MIKAZUKI A., auteur de «Hô to gengo no ka,kei ni kansuru ichi-kôsatsu» (Une considération sur le rapport entre le droit et la langue) 55et YANABU A., auteur de «Honyakugo-seiritsu-jijô» (les circonstances de la naissance des mots de traduction)56.

3) Appel aux experts juridiques étrangers pour les travaux de codification et l’enseignement des matières juridiques et économiques

Le Bakufu envoya des étudiants à l’étranger, en particulier en Hollande (les ryugakusei) mais il s’offrit aussi les services de conseillers étrangers qui prirent une part essentielle dans la modernisation du pays.57


A l’époque du shogounat le principe de l’ignorance des lois par le public, qui découlait du confucianisme, voulait d’abord qu’il ne convienne pas que des individus de situation inférieure (en particulier les artisans et marchands) aient connaissance des affaires publiques. Ce principe s’appliquait même en matière de procès ou, à l’époque d’Edo, ni l’instruction, ni les débats n’avaient lieu en audience publique. Le shogounat interdisait les pratiques du shihô (droit privé) qui signifiait pour les autorités une réglementation arbitraire prise clandestinement au sein d’un groupe déterminé. En matière pénale, il s’ajoutait ensuite aux habitudes de secret l’idée que, si les individus avaient connaissance des peines encourues pour tel acte délictueux l’effet d’intimidation ou de dissuasion serait moindre, et qu’il valait mieux qu’ils craignent la peine capitale, quelle que soit la gravité de l’infraction commise58. La division du pays en principautés féodales était une troisième cause d’incertitude quant au contenu du droit. Chaque daimyo appliquait ses règles et faire appel à l’autorité du shogoun était considéré comme acte de rébellion. Les étrangers pouvaient difficilement saisir les implications d’un tel système de coutumes. La méthodologie juridique occidentale, qui consiste à déterminer le juste et l’injuste dans un cas particulier (influence du droit canonique vraisemblablement), par l’application et l’interprétation d’un corps de règles générales édictées in abstracto était d’ailleurs assez étrangère (et l’est peut-être restée) à la mentalité plus intuitive et concrète du peuple japonais, comme lui est aussi étrangère l’idée que les droits et devoirs réciproques puissent être définis une fois pour toutes dans un corps de normes écrites.
Les premiers professeurs étrangers de droit qui ont apporté leur collaboration dans l’enseignement du droit et la formation de jeunes juristes au Japon faisaient partie de trois écoles: française, allemande et anglaise. Dans le contexte d’urgence dans lequel ils se trouvaient c’est tout naturellement vers les pays de droit codifié, et en premier lieu la France, que les Japonais avaient en priorité porté leur intérêt. Le professeur OKUBO Yasuo explique en effet que «…le gouvernement japonais entendit prendre comme modèle la législation française pour entreprendre une réforme complète et radicale du droit du pays. Il y avait à ce choix plusieurs raisons: tout d’abord depuis la fin de l’époque des Tokugawa, spécialement à partir de l’arrivée à Edo en 1864 de Léon Roches comme ambassadeur de Napoléon III – ce diplomate français soutint le shogoun et obtint des succès diplomatiques spectaculaires auprès du gouvernement Tokugawa-, les Japonais avaient fait appel à la France pour apprendre la science et l’industrie occidentales. Cela veut dire qu’il se forma, dès cette époque, une tradition d’influence de la culture française qui malgré la «Révolution de Meiji» et malgré la défaite de la France en 1870, n’avait cessé de s’accroître. En ce qui concerne le droit, la valeur du Code Napoléon, ayant déjà été reconnue, le gouvernement du Tennô avait fait traduire les codes français par Rinshô Mitsukuri, premier juriste japonais qui ait étudié le droit français, au lendemain même de la Restauration. D’autre part, il n’existait pas alors d’autre droit codifié; la technique de la common law anglaise était trop compliquée à maîtriser pour un peuple d’Extrême-Orient peu expérimenté et l’Allemagne commençait à peine ses œuvres législatives.»59
C’est véritablement à partir de 1945 que les études et l’influence de la common law ont pris une place majeure dans tout le domaine du droit japonais de l’entreprise, outre la refonte de la Constitution de 1946 imposée par les forces d’occupation de l’armée américaine.
Georges Bousquet, avocat à la Cour d’Appel de Paris, vint au Japon en 1872 comme conseiller-légiste en droit civil du gouvernement japonais. Il y séjourna quatre ans. Mais le plus marquant des conseillers français, et peut-être même de tous les légistes étrangers, fut Gustave Emile Boissonade de Fontarabie60. Il fut invité au Japon à partir de 1873 par SAMESHIMA Naonobu, responsable du département ministériel de la Justice de l’époque (Shishôshô). Loin de s’imaginer une expatriation aussi longue à son arrivée au Japon, Boissonade séjournera au total seize ans dans ce pays, jusqu’à l’âge de 64 ans. On doit à ce juriste la préparation de trois codes: le Code Pénal, le Code d’Instruction Criminelle (devenu le Code de Procédure Pénale) et le Code Civil61. Au-delà de la rédaction de ces textes en droit interne, il joua un rôle déterminant de conseiller diplomatique pour le gouvernement japonais. Bousquet et Boissonade eurent aussi chacun des activités d’enseignement (droit romain et droit français pour le premier; droit français pour le second)62. Au passage, on remarquera que d’autres éminents juristes français ont rayonné en Asie et sont intervenus dans la rédaction des lois modernes en Chine au début du siècle dernier; il s’agit respectivement de Georges Padoux en 1916 et de Jean Escarra63 en 1921.
Après Boissonade, et comme l’influence du droit germanique devenait plus forte que celle du droit français, le gouvernement japonais fit surtout appel à des juristes allemands. Par exemple, en 1881, Herman Roesler (1834 – 1894) commença à travailler à la rédaction du code de commerce64. Il séjourna quinze ans dans l’archipel. Techow fut également sollicité en 1884 pour la préparation du code de procédure civile. Et, en 1887, Otto Rudolf, fut chargé de préparer la loi sur l’organisation des tribunaux en collaboration avec Boissonade et Roesler mais aussi avec l’assistance de Kirrkood, un anglais et Albert Mosse, un autre allemand (ce dernier apporta des contributions majeures dans le cadre de la préparation de la Constitution65).Plus tard, en 1913, l’Université de Tokyo confia à Theodor Sternberg un enseignement sur le droit allemand. Celui-ci resta en poste jusqu’à sa mort en 1950. Il formera de grands penseurs juridiques, dont le sociologue Takeyoshi Kawashima. 66
L’enseignement de la common law fut assuré par plusieurs britanniques ou américains, tels que Charles B Storres, William E. Grigsby (invité à partir de 1874 pour enseigner le droit public international et de nombreuses matières du droit anglais, dont le droit maritime et le droit des assurances maritimes), Henry T. Terry (qui enseignera entre 1877 et juillet 1884, puis durant l’année 1894), Tarring, etc.67
Alessandro Paternostro, juriste italien, fut invité au Japon en 1889 et devint conseiller au Ministère de la Justice tout en enseignant à l’Ecole de droit de Meiji.
Au total, on comptait vingt enseignants étrangers à la fin de l’année 1874 à l’Université de Tokyo.68
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On observera que le Japon s’est servi de tous ces transplants – et pas seulement sur le plan juridique - essentiellement à des fins d’instrumentalisation et de modernisation de son pays, mais certainement pas à des fins idéologiques69. Il y avait un vide à combler en même temps qu’il fallait effacer certaines coutumes de l’époque dont les justices seigneuriales se livraient à des interprétations souvent divergentes et qui n’avaient plus leur place dans une société se tournant vers l’avenir avec le regard neuf d’un Etat centralisé.
On peut dire que le Japon vit, depuis plus de cent ans, avec une coexistence de deux ordres juridiques mais, en grande partie du fait de la très importante influence américaine ces cinquante dernières années dans la production des réglementations japonaises et dans l’éducation juridique des Japonais, qu’il se «juridicise» davantage sur le modèle américain. Il risque, selon des auteurs anglo-saxons, d’être un jour comparé à un 51ème Etat des Etats-Unis sur le plan de sa réglementation en droit des affaires et financier et de son système judiciaire.70 C’est une évolution qu’il sera intéressant de suivre. Souhaitons que le Japon conserve son «prodigieux génie pour se retrouver lui-même au travers de nouvelles formes»71.
Parfois l’histoire se répète, mais pas dans les mêmes lieux. Puisque tous les yeux sont actuellement rivés vers la Chine, que se passe-t-il depuis ces dernières années dans cet immense pays? En Chine, on s’inspire de ce que les Japonais ont fait au début de l’ère Meiji. La Chine prend en effet en modèle ce qu’elle conçoit de bien chez ses proches voisins ou chez les grandes nations industrialisées. Elle envoie des dizaines de milliers d’étudiants chinois à l’étranger et principalement aux Etats-Unis. Elle examine l’institution américaine de la Banque Centrale. Elle étudie les réglementations financières de la Grande Bretagne et de Hong Kong. Elle apprend auprès des Taiwanais comment réglementer les investissements étrangers, etc…
Chapitre II

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