Chapitre VIII
Le Secret d’affaires
Il est des secteurs d’activité (en particulier l’industrie informatique, l’industrie pharmaceutique ou encore celle des biotechnologies et les nanotechnologies) où les recherches et avancées technologiques sont tellement rapides qu’une technologie commercialisée à un instant «t» devient déjà obsolète ou dépassée dans l’année ou les deux années qui sui(ven)t. Durant cette période qui peut s’avérer cruciale pour les inventions à caractère brevetable, car la phase de dépôt d’un brevet consomme en général de 18 à 24 mois, il n’existe qu’une seule protection juridique appropriée, celle du secret d’affaires. Pareille protection est également nécessaire quand une entreprise détentrice d’une information spécifique sensible fait le choix de ne pas enregistrer de brevet la concernant pour éviter ainsi au public d’en avoir connaissance.
Prenons le cas d’un employé (ingénieur, manager ou commercial) d’une filiale japonaise d’un groupe français leader dans un domaine technologique qui part pour la concurrence et qui pourrait être aussitôt muté à l’étranger ou démarre sa propre activité concurrente. Aussitôt va se poser la question pour son employeur de la manière de s’assurer que cette personne va conserver secrètes les informations commerciales ou technologiques dont elle avait connaissance dans son dernier emploi et qui étaient la propriété exclusive de son employeur.
D’après le code civil japonais un cadre ou employé de société a une obligation d’agir avec compétence et loyauté à l’égard de son employeur. Par conséquent, la divulgation non autorisée de secrets d’affaires qui lui auraient été confiés constitue en soi une divulgation déloyale, sans qu’il soit nécessaire de stipuler une clause de confidentialité de même type qu’en France.
Mais quid du ou des tiers qui viendrai(en)t à prendre connaissance par le canal de cet employé d’informations techniques ou commerciales stratégiques, jusque là conservées secrètes, de son ancien employeur?
Une société qui utiliserait des informations confidentielles d’un concurrent que lui divulguerait un ancien employé de ce dernier tomberait manifestement, comme en France, sous le coup de poursuites sur le fondement de la concurrence déloyale. Encore faudrait-il que le plaignant puisse établir la preuve du lien de causalité entre la divulgation par son ancien salarié de secret d’affaires et l’utilisation frauduleuse de ceux-ci par le nouvel employeur. Le tribunal de district d’Osaka était précisément invité à statuer sur cette question dans une affaire qui a donné lieu à un jugement en date du 5 février 2004390. En l’espèce, le défendeur, qui vivait en Australie, avait été le salarié d’une filiale d’une société mère japonaise dont l’activité consistait en la fabrication de raccordements électriques pour l’import-export. Lors d’un voyage professionnel à des fins de visite de divers départements de la maison-mère il eut accès à des secrets d’affaire. La veille de son arrivée au Japon il reçut une offre d’embauche verbale d’un concurrent australien de cette société japonaise. Il finit par accepter cette offre et remit sa démission dans les semaines qui suivirent. Quelques mois plus tard les deux sociétés déposèrent une offre concurrente dans le cadre d’un appel d’offres lancé par un fabricant de voitures japonais pour des raccords pour airbags automobiles. C’est finalement une société japonaise affiliée du concurrent australien qui remporta le marché. La partie évincée décida de porter l’affaire en justice. Elle sera cependant déboutée au motif qu’elle ne rapportait pas la preuve que la perte du marché était la conséquence de l’acquisition impropre et de la divulgation d’informations secrètes constitutives d’un secret de fabrication ou d’un secret industriel par le défendeur. La question de la compétence juridictionnelle du tribunal de district d’Osaka avait été posée. Il semble que celui-ci se soit reconnu compétent sur le fondement de l’article 11 de la loi concernant l’application des lois (Hörei) alors en vigueur391 lequel détermine la compétence en fonction du lieu de survenance du fait délictuel.
Lorsque la loi sur la prévention de la concurrence déloyale a été promulguée au Japon392, le Japon venait juste de ratifier les amendements de la Haye à la Convention de Paris sur la propriété industrielle du 20 mars 1883. Cette loi s’inspirait fortement de la loi allemande de 1909 sur la concurrence déloyale, avec toutefois une différence notable: l’absence d’une quelconque protection du secret d’affaires dans son dispositif. Une telle protection était jugée inutile à l’époque, d’une part en l’état de l’assurance que la tradition de l’emploi à vie donnait aux employeurs qu’ils conserveraient leurs secrets et d’autre part du fait du devoir de loyauté à l’égard de l’employeur culturellement enraciné avec vigueur dans le pays. Dans notre cas pratique évoqué plus haut la filiale du groupe français était dans l’impossibilité de jouir d’une protection légale appropriée vis-à-vis des entreprises tierces.
Les hommes d’affaires américains se plaignaient de l’utilisation illégitime de leurs secrets d’affaires par les entreprises japonaises qu’ils rencontraient et de l’absence de dispositif légal de protection. Dès lors, la diplomatie américaine se proposa d’inclure le sujet de la protection du secret de fabrication dans le cadre des discussions de l’Uruguay Round de l’Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce (GATT).393 Il en découla le vote par le Parlement japonais, à l’occasion de sa 118ème session, de la loi N°66 du 29 juin 1990394 modifiant la loi N°14 de 1934 qui introduisit des articles sur le secret d’affaires. Conformément à cette loi le secret d’affaires protège «les informations commerciales ou techniques…utiles dans les activités commerciales, telles que les méthodes de fabrication ou de commercialisation/distribution, qui sont conservées secrètes et inconnues du public».
Le professeur Doi Teruo évoque une note explicative du MITI attenant au le projet d’avenant de 1990 à loi de 1934 (quand celui-ci fut présenté au Parlement japonais) qui clarifiait le niveau de confidentialité exigé pour considérer une information confidentielle comme un secret d’affaires. Celle-ci apparemment insistait sur le fait que l’intention du détenteur de conserver le secret n’était pas suffisante. Il fallait que le détenteur conceptualise également et mette en œuvre des sauvegardes procédurales pour protéger le secret. Ainsi, un secret d’affaires peut être divulgué à un salarié ou un licencié quand c’est nécessaire, mais, pour qu’il puisse conserver son statut de secret d’affaires, une obligation expresse ou implicite de secret doit être imposée au salarié ou licencié en question. Pour déterminer qu’une information est conservée secrète il faut :
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désigner un nombre limité de personnes pouvant avoir accès à l’information concernée, voire les désigner nommément ;
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prendre des mesures pour prévenir l’accès à ladite information par toute personne non autorisée ;
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empêcher toute utilisation ou divulgation non autorisée par toutes personnes ayant accès aux informations secrètes et enfin il faut
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adopter des mesures pour que les personnes ayant autorisation d’accès aux informations secrètes sachent que celles-ci sont la propriété de leur employeur, et ce y inclus l’apposition de la mention «confidentiel» sur les documents ou la mise en place de zones de classement sécurisées. Le Tribunal de District de Tokyo, par un jugement du 7 décembre 2000, a par exemple jugé qu’une liste de clients placée dans un meuble à tiroir non fermé à clé ne pouvait être protégée par le secret d’affaires du fait qu’elle était ainsi accessible à tout le personnel de l’entreprise et non seulement à celui de son département vente, le véritable usager. Il en a de même jugé pour des données électroniques non protégées par un mot de passe.
On observera que l’exigence légale japonaise est plus stricte que ce que prévoit le droit américain en la matière, lequel exige que les mesures de sécurité soient «raisonnables au regard des circonstances». Les informations de valeur commerciale ou technique consistent en des desseins, processus de fabrication ou listes de clients.
La loi parle d’informations techniques ou commerciales utiles. Sur ce critère d’utilité certaines juridictions ont été invitées à se prononcer. Le Tribunal de District de Tokyo a, par exemple, considéré que la protection du secret des affaires ne pouvait jouer dans le cas d’un grand livre gardé secret faisant office de double comptabilité (jugement du 19 juillet 1999), dépourvu en l’occurrence de caractère d’utilité légitime.
La loi stipule également parmi les critères de protection du secret des affaires l’absence de connaissance préalable des informations concernées par le public.Dans une affaire où une société avait établi un manuel interne contenant des informations fragmentaires connues du public, le Tribunal de District de Tokyo a considéré que la combinaison de ces informations fragmentaires était inconnue du public et méritait donc protection (jugement du 30 novembre 2000)395.
La loi japonaise proscrit les comportements suivants:
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L’appropriation de secret des affaires par des moyens déloyaux (vol, tromperie ou extorsion) et leur utilisation ou divulgation;
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L’utilisation détournée d’un secret des affaires légitimement acquis aux fins de conduite d’actes de concurrence déloyale ou pour obtenir un gain indu;
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La faute grossière ou intentionnelle en acquérant, utilisant ou divulguant des secrets d’affaires qui ont été violés par un acte déloyal.
La victime d’actes de concurrence déloyale peut réclamer des dommages-intérêts en justice (la notion américaine de dommages punitifs n’a pas cours au Japon comme en France396), mais elle peut également exiger la destruction des produits ou articles fabriqués par l’auteur des actes de concurrence déloyale ainsi que celle des outils ou installations facilitant ou permettant de tels actes, ou encore l’interdiction de leur expédition. En lieu et place ou en sus de cette action en dommages-intérêts, le tribunal peut ordonner à la partie en infraction de s’excuser publiquement dans un journal de grand tirage, une action dont on peut regretter l’inexistence en France en l’état de l’impact médiatique qu’elle pourrait avoir. La société Japan Reader’s Digest, Inc, afin d’obtenir l’abandon des poursuites pénales et la renonciation par la plaignante d’une action au civil, avait accepté de publier une lettre d’excuse dans les principaux journaux du pays, à la suite d’une liste d’abonnement au Nikkei Business, un journal bi-hebdomadaire, illégalement copiée sur disquette informatique.397
La victime peut agir en référé.
En la matière une prescription triennale s’applique à compter de la découverte de la violation du secret d’affaires concerné. La prescription est cependant décennale en cas de violation continue depuis le premier comportement déloyal.
Outre les sanctions civiles en application des règles de la concurrence déloyale et de la responsabilité civile, des mesures pénales398 ont été adoptées en 2003, puis renforcées en 2005 (loi N°75 du 29 juin 2005, entrée en vigueur le 1er novembre 2005) afin de mieux lutter:
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d’une part contre l’utilisation de secrets de fabrique à l’extérieur du Japon, d’instituer des peines contre les personnes morales responsables et de pouvoir sanctionner plus sévèrement les contrevenants, personnes physiques, qu’ils soient démissionnaires, licenciés ou avec le statut de retraité au moment des poursuites ;
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et d’autre part contre les actes de piraterie et de contrefaçon.
Les actes frauduleux en matière de violation du secret d’affaires sont passibles d’une amende maximale de 150 millions de yens.
Chapitre IX
La responsabilité du fait des produits défectueux
Au terme de près de 20 ans de débat399, la première loi400 permettant un recours direct contre les fabricants de produits défectueux (loi sur la responsabilité du fait des produits défectueux) a enfin vu le jour en 1994 au Japon401, soit quatre ans avant la France402.
1) Genèse de la loi – Etat de la jurisprudence antérieure
Jusqu’à cette loi, les victimes agissaient en responsabilité contractuelle sur la base des articles 415 (exécution imparfaite des obligations) et 570403 (garantie du vendeur contre les vices cachés) du Code Civil (Minpo). Ils pouvaient aussi recourir à la responsabilité délictuelle en invoquant l’article 709404 du même code et leur situation était largement inconfortable puisqu’elles devaient apporter la preuve de la défectuosité du produit et démontrer également que celui-ci était à l’origine du dommage. En l’état de la difficulté de l’établissement de la preuve dû en grande partie au coût exorbitant des procès au Japon, les tribunaux leur ont parfois facilité la tâche mais dans les seules affaires où les victimes se comptaient par milliers.
A partir des années 50, plusieurs affaires retentissantes, dont la justice fut saisie405, défrayèrent la chronique. Cependant, peu de procès arrivèrent à leur terme, en l’état de transactions hors prêtoire406.
Il y eut d’abord l’affaire du lait empoisonné Morinaga: dans les années 55, douze mille enfants tombèrent malades à la suite de l’absorption de lait contenant de l’arsenic, parmi lesquels cent trente et un perdirent la vie. Les parties au procès finirent par trouver un accord amiable et les défendeurs acceptèrent de créer un fonds pour prendre en charge les frais médicaux des victimes non décédées.
En 1964, dix mille personnes consommatrices d’un médicament utilisé pour le traitement de la diarrhée, le quinoforme, furent atteintes de troubles neurologiques causés par une inflammation de la moëlle épinière (myélite) et de symptômes affectant la moitié inférieure du corps. Le Tribunal de District de Kanazawa, saisi par quatre mille malades regroupés au sein de l’Association SMON (sigle anglais de la maladie pour subacute myelo-optico neuropathy), jugea en 1978407, au terme de sept années de procédure, que:
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les trois fabricants de ce médicament (TANABE, NIHON CHIBA GAIGI et TAKEDA) avaient engagé leur responsabilité sur le fondement de l’article 709 du code civil alors même que les parties demanderesses n’avaient pas réussi à établir la négligence de ces derniers;
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le gouvernement n’avait pas conduit de manière satisfaisante les contrôles sanitaires ;
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les sociétés fabricantes auraient dû s’assurer de l’absence de nocivité de leur médicament.
Les victimes obtinrent au total 120 milliards de yen d’indemnisation et l’assurance du versement d’une pension, la maladie exigeant des soins particuliers permanents. Curieusement, la responsabilité des médecins n’a pas été évoquée au cours de la procédure bien que la maladie se soit déclenchée à cause de prescriptions anormales de ce médicament et d’une absorption trop importante de celui-ci par les patients.
En 1968, l’affaire de l’huile de riz Kanemi opposa le gouvernement japonais et plus de 14.000 plaignants au fabricant de cette huile (la société Kanemi Soko, Kitakyushu) ainsi qu’au fabricant de la PCB (polychlorinated biphenyl), un produit qui avait contaminé l’huile au moment de sa cuisson. Ces personnes qui avaient consommé des aliments cuits avec cette huile contaminée soufrèrent de troubles du système nerveux et des reins. La responsabilité pour négligence de la société fabricante de la PCB fut retenue par le Tribunal de District et la Cour d’Appel de Fukuoka ainsi que celle du fabricant de l’huile pour absence d’avertissement des dangers potentiels de la PCB, quand bien même ne fut pas prouvé que la PCB avait été le facteur déclenchant des troubles de santé. Le gouvernement fut également reconnu coupable de ne pas avoir empêché les problèmes de santé des victimes. Environ 2,7 milliards de yen de dommages –intérêts furent alloués à 830 victimes approximativement.408
Puis, dans les années 70, l’affaire de la Thalidomine est apparue : à leur naissance des bébés furent atteints de malformations suite aux effets secondaires de médicaments traitant la stérilité. Soixante trois familles attaquèrent en justice le gouvernement et les fabricants du médicament Isomin pour négligence dans la mise sur le marché d’un médicament contenant de la thalidomine. Aucun des demandeurs ne se fit assister par un avocat. Ils choisirent de se regrouper et de se faire assister par des organisations d’aides judiciaires telles que l’Union des Libertés Civiles de Kyoto (Kyoto Civil Liberties Union) et l’Union des Libertés Civiles de Tokyo ( Tokyo Civil Liberties Union). Une solution amiable fut trouvée entre les parties au procès.
Enfin, dans une affaire plus récente, celle du sang contaminé par le VIH, 100 hémophiles atteints du SIDA attaquèrent en justice en 1989 le gouvernement et cinq sociétés pharmaceutiques. Un petit groupe d’entre eux accepta de transiger en 1996. Malgré leur incapacité à fournir la preuve de la prévisibilité du dommage et que celui-ci eut pu être évité en l’état des connaissances scientifiques en vigueur à l’époque des faits, les tribunaux renversèrent la charge de la preuve sur les épaules des parties défenderesses.
Dans toutes ces affaires, auxquelles un public élargi fut grandement sensibilisé, le gouvernement japonais prit l’initiative de porter secours aux plaignants dans la recherche des preuves.
En anticipant l’adoption de la loi sur les produits défectueux, le Tribunal de District d’Osaka, dans son jugement du 29 mars 1994, fit application d’une doctrine similaire à la notion de res ipsa loquitur (la chose parle d’elle-même). L’affaire en question concernait une agence immobilière (Taishi Kensetsu Kogyo K.K) qui avait poursuivi la société Matsushita Denki Sangyo K.K., fabricant d’équipements électroniques, à la suite d’un incendie causé par le téléviseur qu’elle lui avait acheté et qui avait détruit ses bureaux. C’est la première affaire dans laquelle la justice considéra que, dès lors qu’une personne établit avoir fait un usage normal d’un téléviseur et qu’un incendie a été déclenché par suite de l’implosion de ce dernier, le téléviseur était présumé défectueux et, de ce fait, le fabricant engageait sa responsabilité.409 L’industrie de l’électronique grand public fut choquée par cette décision qui, pour la première fois, avait déclaré un fabricant d’équipements électroniques responsable d’un produit défectueux. Le Président du tribunal Takeshi Mizuno déclara: «Les fabricants ont la responsabilité de garantir la sécurité de leurs produits. S’il existe un défaut dans un produit, un accident est possible». Concernée par son image de marque, la société Matsushita n’interjeta pas appel de la décision.410
Dans une autre affaire de téléviseur défectueux, cette fois-ci impliquant le fabricant Sharp, le même raisonnement fut adopté par les juges. Quand bien même les plaignants ne réussirent pas à établir le lien de causalité entre le téléviseur - vieux de 7 ans à l’époque des faits - et l’incendie en plein hiver 1990 qui entraîna la mort au cours d’une nuit de la fille aînée des demandeurs (les consorts Kaji), la société Sharp fut condamnée à verser une indemnité de 22 millions de yen – au lieu des 95 millions demandés.411
Un autre fabricant japonais de téléviseurs Mitsubishi Electric vit sa responsabilité mise en cause par le sieur Iijima Masumi suite au décès de son chien et à la destruction de divers objets causés par l’explosion d’un téléviseur fabriqué par Mitsubishi Electric. Dans sa défense, Mitsubishi soutint que les fabricants n'ont pas à divulguer les plans d'un produit en cause dans un procès, ni des rapports de sécurité y afférents, etc...Dans le contexte de l’époque, les agences gouvernementales qui recevaient les plaintes des consommateurs n’étaient pas tenues de divulguer le nom des produits ou des fabricants en cause et par conséquent aucune statistique fiable n'était disponible. Les compagnies d'assurances faisaient rarement des enquêtes très poussées lors d'un incendie, de même que la police ou les pompiers tant qu'il n'y avait pas eu de crime ou de victime. Les juges avaient bien nommé des experts, mais ceux-ci ont juste pu dire comment, de manière générale, une télévision pouvait exploser, puisque le modèle des Iijima n'était plus en vente depuis longtemps. Les juges de première instance ont reproché au témoignage de Mme Iijima de "ne pas avoir assez expliqué la situation". Ils ont donc rejeté la requête de la famille Iijima. Cette affaire ayant connu une certaine publicité dans les journaux, un expert en télévisions proposa son aide. Dans le même temps, l'avocat des Iijima avait pu trouver deux personnes qui possédaient le même modèle de télévision que les Iijima. Après avoir examiné ces appareils de télévision, l'expert conclut qu’ils comportaient un défaut qui pouvait déclencher un incendie. Grâce à ces nouvelles informations, les Iijima interjetèrent appel.La procédure semble être toujours en cours à la date de remise à l’éditeur du présent ouvrage.
Peu avant que la presse ne parle de cette affaire, Mitsubishi avait rappelé 45 000 téléviseurs, dont les versions récentes du modèle acheté par les Iijima. L'entreprise avait également admis qu'elle n'avait pas, au cours des dernières années qui précédèrent ce procès, rendues publiques 66 plaintes liées à des téléviseurs qui avaient surchauffé et entraîné un incendie dans sept cas.
Etant donné le faible nombre de jugements effectivement rendus par les tribunaux et l’absence de réparations exemplaires prononcées par ces derniers, les fabricants japonais n’ont pas été sensibilisés tant que cela par les coûts – fort onéreux au Japon, rappelons-le- d’une procédure judiciaire, ni par les répercussions potentielles sur les autres produits de leur catalogue. Par conséquent, ce qui les a incités à renforcer la politique en matière de sécurité de leurs produits, n’est pas le pouvoir judiciaire mais plutôt le gouvernement qui a réglementé nombre de secteurs d’activités, instaurant le respect de normes, des procédures de certification, l’obligation de l’obtention de licences ou autorisations spécifiques de mise sur le marché, etc…Et les consommateurs japonais se sont quelque part reposés sur le rôle interventionniste du gouvernement, accordant moins d’importance ou d’espoir à la protection juridique complémentaire dont ils auraient pu bénéficier en saisissant les tribunaux.
Le gouvernement Japonais met en application et surveille un cadre de normalisation structuré qui impose des normes pour la sécurité des produits. Les normes gouvernementales se concentrent sur l'uniformité de la qualité du produit et de sa conception dans le marché japonais.
Des lois spéciales ont également été votées pour certaines industries (en particulier dans la pharmacie412 et les produits de consommation), dans le but de forcer les industriels concernés à constituer et financer, au prorata de leurs parts de marché, des fonds d’indemnisation de victimes dans les cas d’impossibilité d’identification des responsables de dommages. Les fabricants ont tout à y gagner puisque les indemnités versées aux victimes sont inférieures aux sommes dont celles-ci pourraient bénéficier en justice.413
En 1975, un projet de loi dont l’objet était d’instituer une procédure d’instruction et de communication de pièces obligatoire (du type «discovery») pour les cas de responsabilité du fait de produits allant au-delà du dispositif de l’article 312 du Code de Procédure Civile existait déjà. Cet article prévoit que le détenteur d’un document est tenu de le communiquer à la partie adverse dans les cas suivants:
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il s’agit d’un document auquel il s’est référé dans un procès et qu’il détient ;
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la personne ayant la charge de la preuve est admise à exiger la production du document ou sa lecture ;
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le document a été établi pour le bénéfice de la personne qui doit rapporter la preuve ou pour la relation juridique entre cette dernière et le détenteur du document.
Ce projet de 1975 qui voulait compléter la liste de communication obligatoire dans les cas de responsabilité du fait de produits défectueux n’a cependant jamais abouti.
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