2) Régime de la responsabilité
Par rapport au régime antérieur, la loi du 1er juillet 1994414 apporte les changements majeurs suivants:
-
Renversement de la charge de la preuve: auparavant, nous l’avons déjà évoqué, les victimes d’accidents causés par des produits de consommation devaient rapporter la preuve de la faute du fabricant. La loi nouvelle porte le fardeau de la preuve sur les épaules du fabricant ou de son importateur. Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit. C’est à lui d’établir que son produit n’est pas la cause de l’accident ou que le consommateur a fait un usage non autorisé du produit ou l’a utilisé de manière imprudente ou dangereuse.
-
Disparition de l’élément intentionnel ou de l’omission – adoption du principe de la responsabilité sans faute ou extra-contractuelle: dans le régime antérieur, un fabricant pouvait être poursuivi en justice seulement s’il était jugé coupable «d’intention ou d’omission», c’est-à-dire qu’il devait connaître le problème potentiel et avoir été négligent dans sa correction. La loi de 1994, elle, se focalise sur le défaut d’un produit plutôt que sur l’intention du fabricant.
-
Elargissement du champ des personnes responsables – mise en jeu éventuelle de la responsabilité de l’importateur: la loi nouvelle présume que les sociétés étrangères qui n’ont pas d’établissement au Japon ne peuvent pas être tenues responsables des produits défectueux qui causent un dommage. Par conséquent, c’est l’importateur japonais du produit qui voit alors sa responsabilité engagée.
Au sens de cette loi spécifique, que recouvre la notion de «produit»? Que faut-il entendre par «défectueux»? Qui peut-on poursuivre? Quelles sont les conditions requises pour que s’applique la responsabilité? De quelles défenses dispose le producteur? Quelle réparation s’offre à la victime d’un produit défectueux? Dans quels domaines le droit commun conserve-t-il pleine vigueur? Telles sont les questions qui vont être abordées ci-après dans un premier temps. Sera ensuite évoquée la question de l’impact de la loi sur la société japonaise tout entière.
1) Le produit: ce qu’il recouvre et ce qu’il n’est pas
Le terme «produit» désigne tout meuble fabriqué ou transformé ou composite (produit fini dans lequel a été incorporé un ou plusieurs autre(s) produit(s) ). Il ne s’applique pas cependant aux biens incorporels tels que les services, l’information, le bétail, les logiciels (sauf ceux incorporés dans un produit)415, l’électricité et les immeubles, ni aux produits agricoles, forestiers et du sol (article 2 (1) ). Cette définition est plus étroite que celle retenue par le législateur français qui englobe les produits naturels (ceux issus du sol, de l’élevage, de la chasse et de la pêche) dans sa définition des produits pouvant être considérés défectueux.
Le commentaire officiel accompagnant le projet de loi 416 précise que les activités de maintenance, de réparation et d’installation n’entrent pas dans le champ d’application de la loi puisqu’elles sont postérieures à la livraison et se distinguent clairement de la fabrication de nouveaux produits.
Dans ses commentaires, le MOJ (Ministère de la Justice) suggère d’assimiler à des «produits» au sens de cette loi du 1er juillet 1994, les produits à base de sang, tels que le plasma, ses dérivatifs et les vaccins à vie, dès qu’ils ont fait l’objet d’une transformation du fait de leur incorporation à des conservateurs ou anticoagulants417. Il prend soin de préconiser les instructions suivantes à l’attention des tribunaux:
-
considérer que les produits sanguins et les vaccins sont souvent utilisés quand la vie d’un être humain est en danger et qu’il n’existe pas de traitement médical de substitution alors que ces produits sont très utiles;
-
vérifier l’existence d’avertissements en accompagnement de ces produits signalant d’éventuels risques, dangers d’utilisation ou effets secondaires (en particulier de réactions immunologiques ou de contamination par virus);
-
ne pas perdre de vue que même si ces produits respectent les normes mondiales de sécurité les plus élevées il est technologiquement impossible d’éliminer complètement tous les risques associés à leur usage.
Par conséquent, en cas d’effets secondaires résultant de réactions immunologiques ou en cas de contamination sanguine par un virus que l’on n’aurait pu éviter en l’état des connaissances techniques et scientifiques, la défectuosité du produit ne pourrait être retenue.
De l’eau purifiée au moyen d’additifs chimiques devrait être considérée comme un produit transformé, mais pas de l’eau mise en bouteille sans additif chimique, à supposer que le processus de fabrication des bouteilles ne soit pas lui-même défectueux.
2) La défectuosité et ses contours
Le critère retenu pour définir la défectuosité d’un produit (article 2 (2) de la loi) n’est pas le manque de qualité mais le manque de sécurité et, dans cette analyse, sont pris en considération la nature du produit, son usage ordinairement prévisible, l’époque où le producteur a fourni le produit et toutes autres circonstances concernant le produit.418
3) Qui peut-on poursuivre?
Le «producteur», tel que défini par l’article 2 (3), est celui que désigne la loi comme responsable. Il peut s’agir de l’une quelconque des personnes suivantes:
-
le fabricant, toute personne qui transforme un produit et l’importateur (sont assimilées au fabricant ou à l’intermédiaire ayant opéré la transformation du produit les personnes propriétaires du matériel de fabrication ou des outils de tests ou celles qui ont dirigé les tests finaux précédant l’expédition; en outre peu importe que l’importation du produit ait été opérée sous forme de petits lots ou reconditionné);
-
toute personne qui se présente comme producteur en apposant son nom, sa marque ou un autre signe distinctif sur le produit ou a procédé ainsi d’une façon pouvant le confondre avec le fabricant;
-
toute personne qui en apposant son nom sur le produit avec le titre de «vendeur» ou d’«agent commercial» peut être assimilé au fabricant ou au distributeur exclusif du producteur.
Comme en droit français, la loi japonaise a retenu le critère de mise en circulation, même si elle adopte une terminologie quelque peu différente puisqu’elle parle de «livraison». Au sens de l’article 3, il y a livraison d’un produit lorsque le producteur s’en dessaisit volontairement ce qui, par voie de conséquence, exclut la mise en jeu de la responsabilité du producteur lorsque le produit lui a été soustrait par suite d’un vol.
Le droit communautaire, par contraste, s’est positionné en faveur d’une responsabilité à plus large spectre puisque celle-ci s’applique aux acteurs qui n’ont pas participé au processus de conception, de fabrication ou d’étiquetage du produit. Ainsi, des distributeurs qui apposent leur marque sur un produit fabriqué par un tiers (cas des contrats OEM), les importateurs ou même parfois des vendeurs si aucune autre personne de la chaîne de fabrication et de mise en circulation n’a pu être identifiée, peuvent voir leur responsabilité recherchée.
4) Les dommages réparables
Les dommages pouvant donner lieu à réparation sont ceux causés par le produit à une personne ou à des biens, à l’exclusion des dommages causés au produit lui-même en raison de ses propres défauts (article 3).
La responsabilité du producteur est illimitée, aucune limitation ne s’appliquant en effet aux dommages résultant de la mort ou de lésions corporelles (atteintes à la personne).
Les plaignants doivent établir que le défaut ayant causé l’accident ou le sinistre ne résulte pas d’une utilisation impropre du produit par eux.
Comme en droit français, la responsabilité du producteur est soumise à la condition que le demandeur prouve, outre le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.
L’auteur n’a pas connaissance de l’existence d’une jurisprudence japonaise qui, comme en droit français, reconnaîtrait la responsabilité du producteur pour des dommages causés par son produit tant à l’égard des victimes immédiates que des victimes par ricochet, sans qu’il y ait lieu de distinguer qu’elles avaient la qualité de parties contractantes ou de tiers419.
5) Moyens de défense – cas d’exonération –délais extinctifs
L’article 4 énumère deux cas d’exonération de responsabilité du producteur:
-
il peut établir que l’état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit ne permettait pas de déceler l’existence d’un défaut (le fameux risque de développement, équivalent du «state of the art defense» américain);
-
il peut aussi prouver, dans le cas où le produit utilisé est un composant ou une matière première, que le défaut résulte de manière significative de la conformité de l’incorporation du composant ou de la matière première dans un autre produit avec les instructions données par l’entreprise et ne pas alors engager sa responsabilité.
Le Producteur peut également atténuer sa responsabilité s’il établit que le plaignant n’a pas respecté les consignes d’utilisation et avertissements contenus dans la notice d’emploi ou qu’il n’a pas fait un usage du produit conforme à sa destination.
Comme en droit français, et comme le prévoit la directive européenne du 25 juillet 1985, la loi japonaise (art. 5 (1)) instaure un double délai d’action:
-
la victime (ou son représentant légal) doit intenter son recours dans les trois ans à compter de la date où elle a eu connaissance du dommage et de l’identité du «producteur» (prescription triennale);
-
les droits de la victime s’éteignent dix ans après la mise en circulation du produit (délai de forclusion).
6) Application complémentaire du droit commun et apports jurisprudentiels
L’article 6 renvoie aux dispositions du Code Civil (Loi No. 89 de 1896) pour toute question non spécifiquement traitée par la loi spéciale sur la responsabilité du fait des produits défectueux. De fait, de nombreuses questions telles que420 la solidarité entre co-responsables, les actions récursoires entre eux, ou encore la responsabilité des employés restent sans réponse de la part du législateur. Déjà, antérieurement à la promulgation de cette loi de 1994, les tribunaux japonais avaient de longue date fait application des principes de l’atténuation de responsabilité en cas de négligence partagée et de prévisibilité. Par ailleurs, étant donné que la loi n’établit aucune règle sur la fixation des dommages, il revient aux juridictions de se prononcer à cet égard, de même que sur la résolution du litige par voie de conciliation ou autre mode alternatif de règlement. Comment faut-il apprécier l’existence de clauses limitatives ou élusives de responsabilité? Le Code Civil japonais prévoit que de telles clauses ne sont valables que dans le cadre de transactions entre professionnels contractant avec le Producteur. La question de la causalité n’est pas davantage clarifiée par le législateur, même si l’article 3 précise que c’est à la victime d’un dommage qu’il revient de rapporter le lien de causalité entre son trouble et le produit défectueux. On peut s’interroger sur le raisonnement à adopter par exemple pour les cas de dommages épidémiologiques. Le délai de 10 ans est-il un délai préfix ou est-il envisageable au-delà de cette période de pouvoir encore attaquer un Producteur sur la base de l’article 709 lu en combinaison avec l’article 724 du code civil?
Le texte n’établit pas un régime exclusif en ce sens qu’il n’interdit pas aux victimes de poursuivre les responsables sur le fondement de l’article 709 du Code Civil après le délai de forclusion de 10 ans.
3) Impact de la loi sur la société japonaise
A l’instar de ce qui s’est passé dans les pays européens après l’entrée en vigueur de la directive de 1985421, cette loi a poussé les fabricants japonais à renforcer leurs programmes d’assurance qualité et à mettre en place plus fréquemment des inspections avec analyse d’échantillons plus pointilleuses, tout comme elle a davantage multiplié l’usage des étiquettes d’avertissements et instructions de précaution d’emploi.422 La notice d’utilisation est considérée comme faisant partie intégrante du produit. Toute l’attention des exportateurs de produits étrangers doit être portée sur une rédaction particulièrement soignée des notices, manuels d’utilisation, avertissements et précautions d’usage. En outre, il est recommandé de souscrire ou de revoir sa police d’assurance responsabilité avec un courtier japonais. Aussitôt la loi N°85 publiée, les assureurs japonais ont été très sollicités et le nombre de souscription de polices d’assurance spécifiques par les fabricants qui, jusque là, n’avaient assuré que leurs produits phares423, s’est considérablement multiplié.
Du fait de la publicité qui a accompagné sa promulgation, la loi de 1994 a grandement amélioré la conscience des consommateurs de leurs droits en la matière, ce qui a eu pour conséquence de multiplier les plaintes aux agences gouvernementales et préfectures. Celles-ci ont mis en place des centaines de centres de médiation et de conciliation à travers l’archipel. Dans l’année qui a suivi l’entrée en vigueur de la loi, au moins 15 associations industrielles avaient ouvert un bureau de gestion des plaintes des consommateurs, en particulier celles du secteur de l’automobile, des cosmétiques, des médicaments, des jouets, des boissons non alcoolisées, des produits électroménagers et produits de construction. De tels centres424 ont pour vocation de rechercher et de déterminer la défectuosité du(es) produit(s) litigieux - les plaignants versent une somme modique à cet effet - puis de négocier au nom des usagers avec le(s) fabricant(s) concerné(s). Toutes informations recueillies par le centre peuvent être ensuite produites en justice à défaut de solution trouvée avec le fabricant, ce qui permet notamment une réduction des frais de justice (d’expertise notamment).
Même si la responsabilité du fait des produits défectueux ne constitue pas un terrain très fertile de contentieux au Japon, par comparaison aux Etats-Unis425, on observe que les fabricants japonais sont devenus extrêmement prudents en la matière et qu’ils transigent plus facilement que par le passé, en raison de l’allègement de la charge de la preuve introduit par la loi de 1994. Phil Rothenberg426 en donne plusieurs illustrations, que voici. Avant la promulgation de la loi, un fabricant de portes automatiques refusa d’indemniser un usager quand ce dernier fut blessé lors d’une fermeture de portes. Le fabricant reprochait à la victime de ne pas avoir bougé avec suffisamment de vélocité et cette dernière perdit le procès. Mais, après que la loi sur la responsabilité des produits défectueux fut promulguée, une autre personne souffrant de blessures corporelles similaires à celle du précédent plaignant reçut à titre d’indemnisation une somme de 30.000 dollars. Dans un autre cas presque identique à la première affaire sus-visée, le fabricant reconnut l’existence d’un défaut et admit que la porte n’était pas conçue pour fermer pendant que quelqu’un restait debout à l’endroit de la fermeture de la porte. Un fabricant de lits pour bébés se vit reprocher un défaut de conception de son produit censé avoir causé la suffocation du bébé du plaignant. Le procès s’enlisait puisqu’il avait démarré neuf ans et demi avant la date de promulgation de la loi. Aussitôt après cette promulgation, le fabricant et le requérant conclurent un accord transactionnel. Enfin, suite à des incendies déclenchés du fait du fonctionnement défectueux d’équipements électroniques tels que des téléviseurs ou plaques chauffantes à céramique, les fabricants indemnisèrent les consommateurs concernés par crainte que les circonstances de chaque sinistre soient dévoilées en justice et qu’ils encourent dès lors une condamnation judiciaire peut-être exemplaire.
Sur le plan de la contractualisation de la société japonaise, cette loi, observe Eric Sibbitt, s’inscrit dans un processus d’américanisation car les détaillants japonais ont, depuis, cherché à étoffer davantage leurs contrats ou à les rendre plus précis, tant vis-à-vis des fabricants que des consommateurs. Et même, à l’égard de ces derniers, on voit de plus en plus se développer la pratique de décharge de responsabilité.
Cette loi a aussi davantage incité les fabricants à avoir recours à la pratique des retraits du marché des produits défectueux427. Souvenez-vous par exemple, en automne 2001, quand un taux de cadmium (métal lourd) excessif par rapport aux normes de l’époque avait été découvert dans la console de jeux vidéo de Sony dite «Playstation2». Sony avait alors été obligée de rapatrier du marché européen toutes les unités exportées et de suspendre provisoirement les expéditions à destination de ce même marché. Ayant des usines de fabrication en Chine (partie connexion câble) Sony avait aussitôt décidé de conduire des audits dans toutes ses usines de l’étranger et de renforcer non seulement la qualité et la sécurité de ses produits mais aussi le respect des réglementations locales, en particulier en matière de respect de l’environnement et de protection de la santé des consommateurs.
On connaît la devise: un malheur n’arrive jamais seul. Après que plusieurs constructeurs d’ordinateurs (Dell, Apple, Lenovo, Toshiba, Fujitsu, Hitachi, Sharp) eurent signalé des cas de surchauffe et d’incendie de leurs produits par suite d’un défaut de fabrication, Sony a dû lancer (fin septembre 2005) un programme mondial de remplacement de batteries PC lithium – ion de sa fabrication et revoir à nouveau son système de gouvernance et de qualité428.
En 2001, un cas de maladie de la vache folle a été recensé au Japon. Pour sauver le secteur de l’industrie bovine, le gouvernement japonais lança un programme d’achat en vertu duquel le gouvernement achetait la viande domestique aux boucheries en gros. Le programme ne couvrait que la viande domestique parce que l’encéphalopathie spongiforme bovine, qui est la cause de la maladie de la vache folle, n’était confirmée que chez les vaches locales à l’époque. Deux des barons de la viande, Nippon Foods Inc et Yukijirushi Foods, prirent l’initiative de ne pas respecter ce programme gouvernemental. Ces sociétés firent passer de la viande d’origine étrangère comme de la viande en provenance d’élevages domestiques pour pouvoir doper leur volume de vente au gouvernement japonais. Quand le pot aux roses fut découvert - heureusement sans avoir eu à déplorer le moindre cas d’intoxication – les consommateurs japonais boycottèrent les produits de ces deux sociétés, ce qui entraîna des pertes financières et commerciales significatives pour ces dernières ainsi que pour leur maison mère respective, au point même que Yukijirushi Foods, alors société publique listée à la Bourse de Tokyo, tomba en faillite trois mois seulement après la découverte de la supercherie (mai 2002). Cet exemple montre bien comment au Japon le comportement généralisé des consommateurs peut parfois coûter plus cher qu’un procès. Pour un investisseur étranger, il est donc impératif de commercialiser des produits de très bonne qualité et fiables.
En 2003, la deuxième chaîne en titre des supermarchés japonais, Aeon Co, Ltd, a intenté un procès remarqué429 contre Prima Meat Packers Ltd, la seconde société du pays en matière d’emballage de viandes, pour avoir utilisé de l’albumine sans que cela soit consigné dans le packaging d’un bacon vendu sous la marque Aeon. De ce fait, il y a eu une violation directe des termes de la loi sur la santé alimentaire N°233 de 1947 (Shokuhin Eisei Ho), l’albumine n’ayant pas été étiquetée sur le produit. Ce genre de procès, bien que différent à strictement parler du contexte de la responsabilité du fait des produits défectueux, était exceptionnel jusqu’alors dans ce pays puisqu’il a été initialisé alors même qu’il n’y avait eu aucune plainte des consommateurs. Nous l’évoquons néanmoins car il est un clignotant d’une orientation procédurière progressive surtout quand la santé des consommateurs risque d’être en jeu alors pourtant que moins de 200 procédures, y compris les procédures d’appel, sur le fondement de la responsabilité du fait de produits défectueux, aient été enregistrées au Japon entre 1945 et 1994 et environ 50 autres procédures comptabilisées entre la mi et la fin des années 90430 (ce qui fait une moyenne de 12 procès de ce type par an pour un pays dont la population fait la moitié de celle des Etats-Unis et dont la production économique atteint la moitié de celle des Etats-Unis).
Des produits de toutes sortes ont été mis en cause sous l’empire de cette loi de 1994431 ou pour les instances démarrées entre sa promulgation et son entrée en vigueur dans l’esprit de la loi, comme par exemple: une théière défectueuse432, un préservatif défectueux433, la bactérie du «E. Coli» découverte dans des aliments distribués dans la cantine d’une école de Sakai (préfecture d’Osaka)434, un harnais de sécurité de voilier défectueux, un logiciel défectueux, une gelée défectueuse, un réfrigérateur Sanyo ayant provoqué un incendie (jugement du Tokyo District Court du 31 août 1999).
Au début des années 90, M. Chikara Minami est l'une des premières personnes physiques à avoir poursuivi en justice la société Mitsubishi Motor Corp sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux435. Il réclamait 50 000 $ de dommages-intérêts pour les dommages que lui et quatre de ses amis avaient subi dans un accident impliquant un véhicule Mitsubishi acheté 6 mois plus tôt. Les quatre passagers déclarèrent que les roues du véhicule s’étaient bloquées d'un coup, déportant soudainement la voiture. Les experts avaient certifié qu'il manquait un composant dans le véhicule en question mais Mitsubishi soutint que le véhicule était en parfait état de marche, position à laquelle se sont ralliés les juges de première instance. Minami interjeta appel, mais celui-ci fut rejeté au motif qu'il n'aurait pas réussi à apporter de preuves suffisantes. Il s’avère que le véhicule n'était peut-être pas en si parfait état de marche, ce modèle faisant partie des 620 000 véhicules achetés au cours des dix années précédentes et rappelés 10 ans plus tard par Mitsubishi. Les avocats de la société Mitsubishi continuent de dire que la responsabilité juridique de leur cliente n'est que partielle dans chacun des cas envisagés. Le président de Mitsubishi a admis en août 2000 que, ces trente dernières années, sa société n'avait pas porté à la connaissance des autorités gouvernementales des milliers de plaintes de ses consommateurs, alors pourtant qu’il s’agit d’une obligation légale.
Le premier jugement rendu sous l’empire de cette loi (jugement du Tribunal de District de Nagoya en date du 1er juillet 1999) a condamné la société McDonald pour la vente d’un jus d’orange «vicié» à une femme436. Le tribunal a donné gain de cause à la plaignante et lui a alloué 100.000 Yens de dommages-intérêts en dépit du fait que le vice exact du jus d’orange n’avait pu être découvert (la victime avait jeté le gobelet et son contenu en quittant le restaurant) et ce sur la simple constatation que celle-ci avait vomi du sang juste après l’absorption de la boisson litigieuse. On observera que cette affaire - certes non exemplaire quant au montant de l’indemnité allouée - fut jugée au terme d’une année de procédure seulement, soit dans un délai exceptionnellement rapide.
Les cigarettiers ont eux aussi été la cible d’anti-tabagistes leur reprochant entre autres choses l’absence d’information claire sur la toxicité de leurs cigarettes et cherchant à en interdire la vente sur le territoire japonais (par exemple procédure intentée contre Philip Morris KK en février 1998 ou celle initialisée en mai de la même année par la Ligue des juristes pour les droits des non fumeurs contre Japan Tobacco, Inc.)437.
La plupart de ces affaires pourraient paraître troublantes parce qu’en réalité les produits en cause n’étaient pas nécessairement défectueux en soi. Mais ce qui était reproché à ces produits, c’est qu’ils n’offraient pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre conformément à l’esprit de la loi. Les affaires que nous avons citées, celles notamment relatives aux cigarettes, soulignent l’importance du libellé des notices d’instructions et avertissements aux consommateurs car elles constituent incontestablement un des axes de recherche des magistrats pour vérifier si le degré d’information et d’alerte du public était ou non suffisant pour écarter toute insécurité.
Il serait intéressant de pouvoir disposer d’un bilan encore plus récent de l’application par les tribunaux japonais de cette loi de 1994 (sur les 94 décisions rendues depuis son entrée en vigueur comment et sur quelle échelle ont été évaluées les indemnités allouées ?) et de clarifier les éventuelles avancées jurisprudentielles par rapport au texte de loi.
Le gouvernement japonais a récemment mené une étude, dont les résultats ont été publiés en même temps que l'annonce de l'ordre de retour des produits en question. En 21 ans, il y a eu 89 morts à cause de systèmes défectueux de chauffe-eau pour baignoire; mais on peut déplorer que les noms des entreprises fabriquant ces produits en question n'aient pas été révélés. On compte également 24 incendies en 6 ans provoqués par des systèmes d'aération pour salles de bain fabriqués par Mitsubishi Electric Corp.
En 2004 cinq personnes sont blessées à la suite d’un accident de la route. Après enquête, la police considère que cet accident est dû à une pièce défectueuse du véhicule de marque Toyota438. Or, Toyota avait déjà détecté ce problème depuis 8 ans, mais jugé inutile de rappeler les véhicules en question, l’anomalie ne se déclarant que pour des véhicules à l'arrêt. Puis, l’entreprise s'est rendu compte que ce problème se manifestait également pour les véhicules en locomotion mais ce n’est que deux mois après l'accident qu’elle a rappelé les véhicules en circulation sur le marché. Là encore, le fabricant n’a pas respecté l’obligation légale de signaler à l’administration toutes les anomalies découvertes: 11 cas avaient été rapportés alors qu’en réalité 80 situations similaires sont apparues au Japon et à l’étranger. Deux dirigeants actuels et un ancien dirigeant de Toyota ont été mis en examen pour négligence professionnelle. De plus en plus de Japonais pensent qu’il ne faudrait pas que les fabricants domestiques sacrifient la sécurité au profit de la productivité.
Plus récemment, et nous arrêterons là la liste de ces regrettables exemples, l’affaire des équipements de chauffage défectueux des entreprises Paloma Industries Ltd (ayant son siège social à Nagoya)439 et Rinnai440 ayant causé la mort (du fait des émanations de monoxide de carbonne qu’ils dégageaient) d’au moins 133 personnes441, témoigne de la nécessité pour les autorités publiques japonaises de renforcer la politique de prévention des consommateurs. Le Tribunal de District de Sapporo est actuellement saisi d’une action en responsabilité contre la société Paloma (et sa maison-mère) par onze plaignants qui réclament collectivement 408 millions de Yens de dommages-intérêts à la suite du décès de cinq de leurs parents dans les villes de Tomakomai, Kitami et Obihiro.442Depuis janvier 2008, une autre procédure est en cours, cette fois-ci devant le tribunal de district de Tokyo, sur saisine de la mère d’un étudiant mort empoisonné par inhalation de monoxyde de carbone, contre Paloma Industries Ltd et sa maison-mère Paloma Co.443
Jusqu’à présent, le droit japonais obligeait les fabricants à déclarer aux autorités gouvernementales les accidents survenus du fait de l’utilisation de leurs produits seulement dans deux secteurs, l’automobile et la pharmacie. Cette obligation a été étendue dès le printemps 2007 aux fabricants d’équipements électroménagers, de chauffage et autres catégories de produits de consommation444, mais sans aucune sanction pénale à la clé.
La collecte d’informations est un sujet préoccupant pour nombre d’associations de consommateurs et agences administratives indépendantes et le gouvernement japonais devra être vigilant notamment en matière d’harmonisation de formulaires de déclaration d’accidents. Il s’emploie déjà à éviter, par exemple, l’utilisation de base de données différentes entre l’Institut National de la Technologie et de l’Evaluation, affilié au METI, et celle du Centre National des Affaires de Consommation445, ces différences ne permettant pas de mesurer avec complétude et exactitude l’ampleur des dommages et par suite diminuant l’efficacité en matière de prévention d’accidents.446
Le sujet de la sécurité des produits et des aliments est devenu très préoccupant au Japon au point que, un mois après sa prise de fonction, M. le Premier Ministre Yasuo Fukuda a pris l’engagement de faire procéder à un examen approfondi des lois et systèmes y afférents en vue de proposer des réformes qui préservent davantage la vie des individus.447 Dès avril 2008448, il a annoncé le projet gouvernemental de création, à compter de l’année fiscale 2009, d’une Agence Nationale de la Consommation qui serait directement rattachée au Cabinet.
Do'stlaringiz bilan baham: |