32 C. Alduy, « L'anatomie du genre… », art. cit., p. 227.
33 Idem. , p. 221-223.
34 Idem. , p. 227.
24 Dès lors, pourquoi ne pas prendre autrement les questions d'altérité et de trouble dans le genre, puisque le texte nous y invite ? La voix labéenne se dit toujours autre, altérée 32 : qu'est-ce qui empêche d'interpréter ce fait textuel à la fois selon la vérité (ou l'authenticité) émotive et humaine évoquée et comme un possible clin d'œil des habiles poètes ayant forgé la voix en question, voix composée et autre, persona , c'est-à-dire masque ? C'est un désir féminin masculinisé qui parle, en réponse à la féminisation assumée du sujet amoureux pétrarquiste – un désir féminin coupé de la procréation, au restant13, ce qu'autorise la figure de la courtisane, courtisane qui représente de plus un territoire vierge sur le plan rhétorique à l'époque, comme le souligne Cécile Alduy.
25 En quoi serait-ce donc un scandale sur le plan poétique, en quoi l'œuvre perdrait-elle toute authenticité si cette conquête d'un plaisir et d'un glorieux espace poétiques, si cet aspect charnel original n'est qu'une projection masculine au lieu d'une émanation féminine (que l'auteur soit de sexe masculin ou féminin ) ? Dans un cas comme dans l'autre, des recherches très contemporaines montrent assez combien le désir féminin reste modelé sur les attentes et impositions masculines…
26 Selon Alduy, « […] les Œuvres de Louse Labé Lyonnaise , quels que soient le genre et le nombre de son ou ses auteur(s), réécrivent les frontières du soi, du genre et du désir » 35 . Nous ajouterons qu'elles étendent aussi les frontières géopolitiques, ou du moins ethno-esthétiques, de l'excellence poétique et de la suprématie culturelle italienne, contre l'hégémonie italienne, conçues par beaucoup comme indépassables à l'époque. Il ne s'agit pas bien entendu, en avançant cet argument, de remplacer une identité de genre intrinsèquement précaire par une identité nationale ou culturelle tout aussi vacillante et toujours-déjà fictionnelle. Mais le dépassement de la dichotomie de genre du côté et de l'érotisme intégré à l'acte poétique et de la gauloiserie ou de la verdeur (lyonnaise et) française met l'accent sur des pratiques sachant intégrer des attributs genrés opposés comme opposés dans le cadre de catégorisations binaires figées. Hypothèse de lecture des plus stimulantes. Dans cette chimère labéenne ou ce labyrinthe poétique, l'imitation et les lieux communs servent magistralement à sortir de soi, du jeu culturel et de l'indigestion humanistes. Et pareillement, en tant que lecteur moderne, on se trouve entraîné au-delà des représentations figurées de genre, et du genre.
27 Le choix d'une courtisane gauloise relève ainsi d'une audacieuse stratégie concurrentielle par rapport à la suprématie culturelle italienne. Une poétique « gauloise » très française se cherche en s'affirmant par la promotion et/ou l'usurpation d'une voix féminine plus ou moins transgenre. Sortir du ventriloquisme italien en le minant de l'intérieur, en le montrant comme efféminé et en s'en jouant librement, tout en montrant une maîtrise consommée des codes attribués. Voilà qui paraît authentiquement français ! Et ne l'oublions pas, si supercherie il y avait, la persona féminine masquant une entreprise de gaillardise poétique s'est retournée contre les farceurs, ce que le ressentiment de Huchon face au « cynisme » qu'elle dénonce semble oublier. Que sont pour nous Magny et Taillemont, Fontaine et du Moulin ? C'est Labé que chacun connaît. La postérité a canonisé la poésie, fictive ou réelle, prolongeant l'opération de prestige qui s'étend sans doute à l'époque la clientèle de la courtisane ! Cette authenticité autre, géo-poétique, celle de la verdeur lyrique française (en l'occurrence, lyonnaise), gauloise par mythification volontaire, nous détourne sainement du culte du moi et de l'authenticité affective. Et la mythification, surtout aussi collaborative, érudite, aboutie, et aussi poignante que joyeuse selon le niveau de lecture favorisé, n'est certes pas à confondre avec la mystification.
36 Cf. M. Fumaroli, « Louise Labé, une géniale imposture », art. cit. : « […] dont l'existence, réelle14 (...)
28 Puisque la personne et l'œuvre de Labé sont à présent le lieu d'une « autorisation » et d'une authentification instables, que nous apprenons la mise en cause de l'authenticité de ces textes sur notre moment critique et théorique ? On se demandait au départ, entre boutade et grande question : « l'œuvre de Louise Labé est-elle devenue inauthentique ? ». Elle est en tout cas d'authenticité douteuse et contestée, si l'attribution fait l'authenticité. Oui, peut-être, e t alors ? 36 a toujours été ma réaction. Cela nous ramènera à la question de la valeur , au cœur du sujet de ce beau colloque, et c'est sur elle que je conclurai, en revenant à notre positionnement critique.
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