Ferdinand Lot De l’Institut


Les Mérovingiens de la mort de Clotaire Ier à la mort de Clotaire II (561-629)



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Les Mérovingiens de la mort de Clotaire Ier
à la mort de Clotaire II (561-629)

Les petits-fils de Clovis (561-595)


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La période de trente ans comprise entre les années 561 et 591 est la mieux ou la moins mal connue de l’histoire mérovingienne. Grégoire de Tours est contemporain des faits qu’il rapporte. Il a fréquenté les rois et la cour. Les personnages se dégagent tant soit peu de la brume légendaire qui couvre leur visage dans la première partie du VIe siècle. Que savons-nous, en effet, des fils de Clovis ? On entrevoit que l’aîné, Thierry, ressemble le plus à son père : il en a l’ambition, la fougue, la vaillance, la fourberie et la cruauté. Clodomir et Clotaire, même en faisant la part de l’exagération dans le récit de leurs sanglants exploits, sont des bêtes fauves que rien de particulier ne distingue des êtres de la même espèce qui peuplent l’histoire universelle. Qui oserait retracer la « psychologie » du roi de Paris, Childebert ? Dans la seconde partie du siècle, les traits des protagonistes de l’histoire du temps sont moins estompés. Çà et là un éclair, quoique fugitif, les met en lumière. Après la mort de Grégoire de Tours (nov. 594) nous retomberons malheureusement dans le brouillard et pour près de deux siècles.
Clotaire Ier laissant quatre fils, le partage du Regnum s’imposait comme un demi-siècle auparavant. Immédiatement la mésintelligence se mit entre frères. Chilpéric, né de la sœur de la reine Ingonde, donc de légitimité douteuse, craignit d’être sacrifié. Il prit les devants. Il mit la main sur le « trésor » de son père, ce qui lui permit de s’assurer des « fidélités » et s’installa à Paris dont la possession était considérée comme une consécration du pouvoir. Naturellement, les fils d’Ingonde se dressèrent contre lui. Tout de même, il fut admis au partage, mais on lui laissa le mauvais lot : les vieilles conquêtes saliennes du Nord, avec Soissons comme capitale. Charibert (Herbert en français), l’aîné, eut le royaume de Childebert Ier, son oncle, avec Paris, donc la bonne part. Gontran eut le royaume de Clodomir avec Orléans comme capitale, mais, comme ce royaume s’était augmenté de la Burgondie, il devait séjourner de préférence à Chalon-sur-Saône. Enfin Sigebert (en français Siébert) eut le royaume de Thierry, la partie dangereuse.
Charibert, dont la vie privée et la tyrannie n’annonçaient rien de bon, mourut jeune, en 567. Un nouveau partage s’opéra. Son lot fut ainsi divisé : le roi d’Austrasie — le nom va apparaître dans les textes — prit à l’Ouest le Vendômois, le Dunois, Tours, le Poitou, plus, à l’extrémité de l’Aquitaine, Aire, le Labourd, le Conserans. Gontran eut la Saintonge, l’Angoumois, le Périgord, l’Agenais, en Aquitaine ; dans l’Ouest, 1’Avranchin, le Séois (Sées), le Nantais. Chilpéric, on ne sait pourquoi, reçut de tous côtés : sur le cours inférieur de la Seine les régions qualifiées cinq siècles plus tard, Normandie, le Maine, l’Anjou, Rennes ; en Aquitaine le Limousin, le Quercy, Toulouse, Bordeaux, Bazas, Dax, le Béarn, la Bigorre, le Comminges. Quant à Paris, on ne voulut en faire le lot particulier d’aucun des frères : le Parisis fut partagé entre eux et le chef-lieu, Paris, avec sa banlieue, déclaré cité neutre.
L’extravagance même du partage de 568 fait comprendre d’une manière saisissante l’incapacité politique des Mérovingiens. Les plus simples convenances géographiques et économiques n’entrent pas en ligne de compte dans ce partage, véritable outrage au sens commun. Ses inconvénients sont plus graves encore qu’on ne pourrait croire, car de région à région le parcours n’est pas libre. Elles sont entourées de frontières qu’il n’est pas facile de franchir. La géographie ecclésiastique n’est même pas respectée. Les rois tentent d’établir des évêchés nouveaux (à Melun, à Arisitum dans le Midi) pour qu’une partie de leurs sujets ne se rattache pas religieusement à un évêché englobé dans le lot d’un frère. Il va sans dire que cette mosaïque n’était pas solide. Les conflits étaient inévitables, comme provoqués à l’avance.
Dès 562, Chilpéric sachant Sigebert occupé en Germanie à combattre les Avars qui viennent d’arriver d’Asie jusqu’au cœur de l’Europe, lui enlève sa capitale, Reims. Revenu vainqueur, Sigebert trouve dans Soissons le fils de Chilpéric, Thibert, l’emprisonne, puis le relâche.
Sigebert est le seul des fils de Clotaire Ier dont les mœurs ne soient point dégradées. Ses frères prennent et répudient tour à tour des femmes de basse naissance, et vivent à la manière des princes orientaux. Le roi d’Austrasie, lui, veut une belle alliance. Il épouse Brunechildis (Brunehaut), fille d’Athanagild, roi des Visigoths. Cette union pouvait cacher une arrière-pensée politique. Chilpéric craignit pour ses possessions d’Aquitaine. Il riposta par une manœuvre habile : il demanda et obtint Galswinthe, sœur de Brunehaut, et son aînée, et lui constitua un douaire splendide : le Bordelais, le Béarn, le Quercy, la Bigorre, le Limousin. Mais c’était un être instable, esclave de ses sens. Sa maîtresse, Frédégonde, peut-être d’origine servile, ne tarda pas à le reprendre. Un jour, on trouva Galswinthe morte dans son lit, étranglée.
« Le roi la pleura et, quelques jours après, épousa Frédégonde. Ses frères ne doutèrent pas qu’il fût l’instigateur du meurtre. Le devoir de venger leur belle-sœur s’imposait ils chassèrent Chilpéric de son royaume. Ensuite, Sigebert accepta comme compensation, comme compositio, le riche douaire de la victime. »
On voit ensuite Sigebert, au retour d’une guerre malheureuse contre les Avars où il fut fait prisonnier et racheté à prix d’or, vouloir enlever Arles à son frère Gontran. Il échoua dans cette entreprise et perdit Avignon que Gontran lui rendit « avec sa bonté accoutumée ».
Chilpéric ne s’était dessaisi qu’à regret du douaire de Galswinthe. Il voulait une compensation, le Poitou, la Touraine, le Bordelais. Il fit commander ses armées par deux des fils d’Audovère, sa première femme. L’un d’eux, Clovis, fut chassé de Tours, puis de Bordeaux, mais l’autre, Thibert, fut plus heureux que son frère en Poitou, puis il dévasta le Limousin, le Cahorsin en commettant mille atrocités.
Sigebert, ne se sentant pas en force, prit une décision grave, l’appel « aux nations d’Outre-Rhin ». Chilpéric, abandonné par Gontran, recula jusque vers le Perche. A Havelu (Eure-et-Loir, arr. Dreux, cant. Anet) les deux années se trouvèrent en présence. Le conflit ne s’engagea pas. Chilpéric restitua les territoires dévastés par son fils Thibert. Les sauvages auxiliaires d’Outre-Rhin se dédommagèrent en brûlant les bourgs (vici) autour de Paris et en emmenant des prisonniers. Sigebert, menacé par ces gens, fut impuissant à les en empêcher (574).
Puis Chilpéric recommença. Il marcha sur Reims. Nouvel appel aux « nations d’Outre-Rhin ». Sigebert vint s’établir à Paris pendant que ses ducs, Gontran-Boson et Godegisèle, rencontraient Thibert en Angoumois et le mettaient à mort. Chilpéric courut s’enfermer dans Tournai. Il semblait perdu. La population se ralliait à Sigebert et l’acclamait en l’élevant sur le bouclier, à Vitry, à mi-chemin entre Arras et Tournai. Mais, au même moment, deux dévoués (pueri) de Frédégonde, lui percèrent le flanc de ce long couteau qui devenait l’arme préférée des Francs, le scramasax (décembre 575).
Il se produit alors un total renversement de la situation. Chilpéric qui, à Tournai, attendait anxieux, prêt à fuir, accourut à Paris. Mais déjà le duc Gondovald avait secrètement enlevé le fils de Sigebert, Childebert (Heudebert) II et le sauvait d’une mort certaine.
« Ayant rassemblé les nations sur lesquelles son père avait régné, il le fit reconnaître comme roi à la Noël. »
L’enfant avait à peine cinq ans. Chilpéric ne put mettre la main que sur Brunehaut et sa fille et sur le « trésor », l’instrument de règne le plus efficace des Mérovingiens. La veuve de Sigebert fut envoyée en exil (prison) à Rouen, ses filles à Meaux.
Coup de théâtre. Mérovée, le dernier fils que Chilpéric avait eu d’Audovère, envoyé par son père pour soumettre le Poitou, lui fit faux bond. Il n’alla pas plus loin que Tours ; de là, vers Pâques de 576, sous prétexte de faire visite à sa mère, il gagna Rouen et y épousa Brunehaut. La veuve de Sigebert était jeune et belle : elle pouvait avoir une trentaine d’années. Comment Mérovée l’avait-il connue ? Peut-être pendant un séjour à Paris. Union monstrueuse aux yeux de l’Eglise. L’évêque de Rouen, qui l’avait bénie, s’excusa : il était le parrain de Mérovée, ce qui aggravait sa culpabilité. Chilpéric accourut. Les coupables se réfugièrent dans une basilique en bois édifiée sur les remparts en l’honneur de saint Martin. Ils se livrèrent. Chilpéric fut clément pour une fois. Il renvoya à Metz auprès de son fils, Childebert, la veuve de son frère, et retourna à Soissons emmenant Mérovée.
La prise de possession du Regnum s’opérait difficilement. En Champagne, il y eut une révolte. Les insurgés marchèrent sur Soissons. Frédégonde et Clovis, fils d’Audovère, prirent la fuite. Chilpéric eut le dessus, rentra dans Soissons et mit Mérovée sous bonne garde. Mais en Aquitaine, le duc Didier, envoyé par lui, fut battu en Limousin par le patrice Momble, dépêché par le roi Gontran.
Mérovée s’échappa de Soissons, se réfugia à Saint-Martin-de-Tours, puis erra en Champagne et en Ternois. Finalement, pour ne pas tomber au pouvoir de ses ennemis, il se fit tuer par un dévoué, Gailin. Son frère Clovis, ne lui survécut pas longtemps. Les enfants, nés de Frédégonde, Samson et Chlodebert étant morts de l’épidémie qui dévastait alors la Gaule et même tout le monde méditerranéen, Clovis eut l’imprudence, se trouvant à Chelles, près de Paris, de tenir des propos imprudents :
« Mes frères sont morts. L’ensemble du royaume me revient. A moi la Gaule entière et l’autorité universelle qui m’a été prédite. Mes ennemis tomberont en mon pouvoir et j’en ferai ce que je voudrai. »
Et il ajoutait des propos menaçants pour sa belle-mère. Frédégonde, effrayée, feignit de croire que ses enfants avaient péri victimes des maléfices de Clovis dont celui-ci connaissait l’emploi par la mère d’une fille qu’il aimait. La reine fit supplicier tout l’entourage de Clovis. Le jeune prince, envoyé en prison à Noisy-le-Grand, puis à Paris, fut trouvé mort d’un coup de couteau. Chilpéric se laissa persuader que son fils s’était donné la mort et ne le pleura pas. La fureur de la reine exigea encore qu’on sacrifiât la mère de Clovis, qu’on envoyât au cloître sa sœur. La femme qui avait forgé la machination se rétracta, mais fut suppliciée. Episode des mœurs du temps. La démence de Frédégonde, l’indifférence stupéfiante de Chilpéric, privé de son héritier, s’expliquent en partie par la croyance à la toute-puissance de la magie qui égarait les esprits, comme elle faisait en Orient, et dans le passé, l’empire romain.
En Bourgogne, Gontran perdit ses deux fils de la même épidémie. Sans héritier, il se rapprocha de son neveu Childebert II. L’entrevue eut lieu à Pompierre (dép. des Vosges). Gontran adopta Childebert en le plaçant sur son siège et lui transmit l’expectative de son royaume :
« Qu’un même bouclier nous protège, qu’une même lance nous détende. »
Le roi de Bourgogne prit ses précautions : il pourrait avoir des fils. Même en ce cas, il considérerait Childebert comme l’un d’eux. Les grands d’Austrasie prirent des engagements analogues au nom de leur roi enfant :
« Ils mangèrent et burent ensemble, s’honorèrent de présents mutuels, puis se séparèrent en adressant à Chilpéric l’invite de leur rendre ce qu’il avait pris de leurs Etats, menaçant, en cas de refus, de lui faire la guerre. Mais lui, plein de mépris, ordonna d’édifier des cirques à Soissons et à Paris pour y donner des spectacles au peuple (577). »
C’est le dernier témoignage de la persistance des jeux publics en Gaule.
L’accord entre Gontran et Childebert ne dura guère. Le premier se refusait à abandonner la partie de la cité de Marseille qui revenait à l’Austrasie. Chilpéric profita du dissentiment. Un rapprochement avec Childebert fut mené à bien par Aegidius, évêque de Reims. Dans une entrevue à Nogent, Chilpéric, privé d’enfants « par suite de ses péchés », adopta à son tour Childebert. Un de ses ducs, Didier, enleva plusieurs cités d’Aquitaine du lot de Gontran (581). Restait le Berry. Chilpéric voulut soumettre les Berrichons, attachés à Gontran. Dans la rencontre, à Château-Meillant (Cher), il dirigea contre eux le duc Didier ; les pertes de part et d’autre furent énormes, sans résultat. Gontran survint, mais un accord se fit avec Chilpéric. L’armée de ce dernier montra une indiscipline telle que le roi fut obligé de tuer de sa main un des plus acharnés pillards, le comte de Rouen. Puis il entra à Paris (583).
De son côté, l’armée des ducs Didier et Bladastes entrant en Touraine, commit d’épouvantables dévastations.
Childebert II ne s’était pas montré. C’est que le « petit peuple » armé s’était refusé à marcher, accusant l’évêque de Reims Aegidius et les ducs de trahir les intérêts du jeune roi.
En 584, Gontran se décida enfin à restituer à son neveu la partie austrasienne du territoire de Marseille, et l’alliance entre eux se reforma. Effrayé, Chilpéric courut se réfugier à Cambrai, avec le « trésor », recommandant à ses ducs de réparer les murs de ses villes et de s’y enfermer avec femmes et enfants. Fausse alerte. L’ambition et la cupidité détournaient l’attention de Childebert II, ou plutôt de son conseil, vers l’Italie, comme on a vu. Chilpéric put regagner Paris. Un autre fils lui naquit, le futur Clotaire II. Pour le mettre à l’abri des maléfices, ses parents l’enfermèrent dans ce domaine de Vitry où Sigebert avait trouvé la mort.
Chilpéric regagna Paris. Il y reçut, le 1er septembre 584, une ambassade visigothique, chargée d’emmener sa fille Rigonthe, fiancée au prince Reccared. Elle partit au milieu de scènes de désespoir, sa suite se considérant comme perdue si elle était condamnée à vivre en Espagne.
Pendant que sa fille s’éloignait et que son escorte pillait tout sur son passage, « le Néron, l’Hérode de notre temps », Chilpéric, gagna Chelles, près de Paris et se mit à chasser. Un jour qu’il rentrait de chasse à la nuit tombante, comme il descendait de cheval en s’accrochant d’une main à l’épaule d’un serviteur, un inconnu s’approcha, lui donna un coup de couteau sous l’aisselle, un autre au ventre. Perdant son sang, tant par la bouche que par, ses blessures, le roi rendit son âme inique. L’assassin ne put être rejoint et on ignora tout des causes de ce drame (septembre 584).
Ce fut un retournement de ce qui s’était passé à Vitry, neuf années auparavant. Frédégonde courut chercher asile dans la cathédrale de Paris avec ses « trésors » personnels. Ceux du roi, restés à Chelles, furent emmenés par les trésoriers et livrés à Childebert II, qui se trouvait à Meaux, cité « austrasienne ». La reine fit implorer la pitié de Gontran pour elle et son petit enfant, âgé de quatre mois. Gontran, à la nouvelle de la mort de son frère, le pleura amèrement ; puis il leva une armée et se rendit à Paris. Fidèle à sa politique de bascule, Gontran était décidé à protéger la veuve de son frère et leur enfant au berceau, Clotaire II.
Les Parisiens se refusant à laisser entrer le roi austrasien, on échangea des messages. Childebert et son entourage réclamèrent la confirmation de la convention d’adoption passée en 576. Gontran, indigné, rappela que les conseillers de son jeune neveu lui avaient fait violer ces engagements en traitant avec Chilpéric.
Les Austrasiens réclamèrent au moins pour leur roi, partie du royaume de Childebert. A quoi Gontran répliqua que Sigebert et Chilpéric avaient déchiré le traité, mis sous la sauvegarde des SS. Polyeucte, Hilaire et Martin, en vertu duquel celui qui entrerait dans Paris sans le consentement de son frère, perdrait sa part. Il refusa aussi de livrer Frédégonde et fit prêter serment de fidélité à l’enfant Clotaire par grands et petits du royaume de Chilpéric.
Gontran n’était pas rassuré. Il ne sortait plus qu’entouré d’une grande escorte.
« Un dimanche, après que le diacre eut imposé le silence au peuple pour qu’on ouït la messe, le roi se tourna vers le peuple, l’adjura de lui garder fidélité et de lui laisser le temps d’élever ses neveux et fils adoptifs, « de peur que, après ma mort, vous ne périssiez — ce que Dieu ne veuille — avec ces enfants, s’il ne reste de notre race nul homme adulte pour vous défendre ».
Gontran se trompait-il en prétendant que, en dehors de lui et de ses deux jeunes neveux, il n’existait plus de Mérovingien ? En tout cas, depuis trois années, un certain Gondovald se prétendait appartenir à cette famille et réclamait un trône. Il se disait fils de Clotaire. Désavoué, tondu, il avait gagné l’Italie, puis Constantinople où il vécut longtemps. Un beau jour on le voit débarquer à Marseille, bien fourni d’argent. Il persuade l’évêque Théodore, part pour Avignon où le patrice Momble, en disgrâce, vivait comme dans un refuge inexpugnable. Gontran déclare tout de suite que Gondovald était un aventurier, instrument de l’empereur Tibère II. Avait-il tort ? Il est bien difficile de décider.
L’empire romain, qui ne tenait tête que péniblement aux Lombards, en Italie, était absolument hors d’état de mener à bien des visées sur la Gaule que Justinien lui-même eût été incapable d’exécuter. Mais peut-être Tibère II n’était-il pas fâché de s’assurer l’amitié et la reconnaissance d’un roi des Francs, Mérovingien authentique ou non. On peut soupçonner aussi une intrigue austrasienne. Un des personnages les plus agités, les plus ambitieux du temps, le duc Gontran-Boson, s’était trouvé à Constantinople avant l’arrivée de Gondovald en Gaule. Comme Gontran-Boson fut l’un de ceux qui se rallièrent à la cause du prétendant, on peut soupçonner qu’il l’avait connu à Constantinople et avait tout machiné avec lui.
Le succès de Gondovald fut rapide. Outre Boson, il entraîna avec lui le patrice Momble. Il eut pour lui le duc Didier. Celui-ci lui valut même le nerf de la guerre. La princesse Rigonthe, poursuivant sa route vers l’Espagne, était arrivée à Toulouse quand Didier apprit la mort de Chilpéric. Aussitôt, il mit la main sur les « trésors » de Rigonthe et se rallia à Gondovald. Le prétendant fut hissé sur le bouclier (reconnu roi) à Brive, au cœur de l’Aquitaine (décembre 584).Il n’osa se hasarder en Poitou, où, lui dit-on, une armée s’apprêtait contre lui. Il fut reconnu par les cités austrasiennes d’Aquitaine, non par les autres. Par Angoulême et Périgueux, il gagna Toulouse dont l’évêque, Cartherius, refusa de le reconnaître, mais ne put l’empêcher d’entrer en ville. Aux doutes qu’il lui opposait sur sa naissance, Gondovald répondit :
« Je suis bien fils du roi Clotaire ; je vais me rendre maître de sa part du royaume et j’irai à Paris où j’établirai le siège du royaume. »
Par contre, il gagna l’amitié d’un personnage considérable, Bertrand, évêque métropolitain de Bordeaux.
Gontran fit preuve d’habileté politique. Pour se concilier les Austrasiens, et prévenir une intrigue de Brunehaut favorable à Gondovald, par crainte de Frédégonde et de son fils, Clotaire, il fit venir Childebert, l’investit « par la lance » de tout son royaume et le présenta à l’armée comme son héritier présomptif, ajoutant qu’il déshériterait tout autre parent. Puis, en secret, il fit connaître an jeune roi, qui avait atteint sa majorité franque (quinze ans), les gens dont il devait se défier, surtout d’Aegidius, évêque métropolitain de Reims, puis il lui rendit tout ce qu’il retenait encore de l’héritage de Sigebert.
A l’approche de l’armée, Gondovald, qui avait vainement tenté de négocier avec Gontran et avait été abandonné du duc Didier, passa la Garonne. Il chercha un refuge dans Comminges (Saint-Bertrand), petite cité, mais pourvue d’eau et de vivres. L’armée de Gontran passa à la nage la Garonne : elle aurait trouvé sur l’autre rive des chameaux, des chevaux, de l’or, de l’argent. Au siège de Comminges, on employa des machines de guerre. L’affaire tournait mal pour les assiégés. Momble, l’évêque Sagittaire, d’autres encore songèrent à trahir — du côté de Gontran-Boson c’était déjà fait. Ils tentèrent, mais vainement, de tromper le prétendant par de fausses promesses. Cependant, ils réussirent à le faire sortir un instant, fermèrent les portes derrière lui et mirent à mort le prétendant qu’ils appelaient ironiquement d’un terme obscur, Ballomer (mars 585). La vieille cité romaine fut détruite, l’évêque Bertrand ne la releva que cinq siècles plus tard et elle a pris son nom. Momble, Sagittarius et autres partisans de l’aventurier furent mis à mort. Didier gagna un lieu sûr. Gontran pardonna aux évêques de Bordeaux, de Saintes, d’Angoulême et d’Agen. L’affaire de Gondovald lui inspira un soupçon étrange. Clotaire était-il fils de Chilpéric ? Pour dissiper ses appréhensions Frédégonde dut faire affirmer la filiation de l’enfant par le serment de trois évêques et de trois cents personnages de marque.
Des tentatives d’assassinat, suscitées, disait-on, par Frédégonde, contre Childebert II et Gontran, contribuèrent à maintenir l’alliance entre les deux royaumes. Brunehaut en profita pour se débarrasser des ducs qui l’humiliaient cruellement et gouvernaient sous le nom de son fils. Le prétexte fut un complot, vrai ou supposé, des ducs Rauching, Ursion et Bertfred pour s’emparer du pouvoir. Le premier se serait proposé de régner en Champagne avec Thibert, fils aîné de Childebert II, alors que les deux autres s’empareraient de l’Etat de Gontran et régneraient sous le nom du nouveau-né de Childebert, nommé Thierry. Attiré auprès de Childebert, Rauching fut assassiné. Ursion périt les armes à la main, Bertfred fut mis à mort à Verdun dans l’asile où il s’était réfugié. Gontran-Boson avait déjà été sacrifié. Aegidius, évêque métropolitain de Reims, fut dépouillé de sa dignité épiscopale.
Un traité solennel scella l’alliance de ce qu’on peut déjà appeler l’Austrasie et de la Bourgogne. Gontran et Childebert se réunirent à Andelot (Haute-Marne, arr. Chaumont). On procéda de nouveau au partage de la succession de Charibert. La portion qui avait échu à Sigebert (le tiers de Paris, le Dunois, le Vendômois, Etampois, Chartrain) était cédée à Gontran, mais Childebert retenait Meaux, les deux tiers du territoire de Senlis, la Touraine, le Poitou, l’Avranchin, Aire, le Conserans, le Labourd, Bayonne, Albi. Les cités ayant constitué le douaire de Galswinthe furent cédées à Gontran, sauf Cahors, réservé à Brunehaut qui, à la mort de Gontran, devait recevoir l’ensemble du douaire de sa sœur. A la mort d’un des deux contractants, l’autre devait hériter du tout.
Ce qui intéresse surtout dans ce traité, dont, par bonheur, Grégoire de Tours a reproduit le texte intégral, c’est un ensemble de dispositions complémentaires destinées à régler le sort des personnages (leudes) qui, ayant passé du service d’un prince à celui d’un autre, étaient en état de perpétuelle conspiration contre leur ancien seigneur. Il fut décidé de renvoyer ces transfuges à leurs lieux d’origine. Les rois s’engagent à ne pas révoquer les dons qu’ils ont faits ou feront aux églises et à leurs fidèles. Ceux qui ont été injustement dépouillés de leurs biens les recouvreront et les conserveront en pleine sécurité. De même ceux qui ont obtenu quelque chose de la munificence des rois jusqu’à la mort de Clotaire (561) ; ce qui leur aura été enlevé après cette date leur sera présentement restitué.
Ces dispositions devaient rassurer les leudes, calmer les esprits. Une dernière vise à maintenir les bons rapports entre les deux royaumes. Les partages réitérés avaient transformé chaque lot en un véritable Etat ayant ses frontières, souvent fermées. Il est décidé que le parcours sera libre d’un royaume à l’autre pour ceux qui voyageront tant pour affaires publiques que privées. Enfin les parties contractantes s’engagent à ne pas se débaucher réciproquement leurs leudes.
En dépit des serments échangés, l’accord ne fut pas complet. Gontran était soupçonneux. Il refusa de participer aux projets de Childebert contre les Lombards et se persuada, non sans apparence de raison, que son neveu voulait mettre la main sur Soissons et Paris. Il mourut le 28 mars 592 et son héritage passa à Childebert II. Mais celui-ci succomba, âgé de vingt-cinq ans, à la fin de 595.
Notre informateur, Grégoire de Tours, l’avait précédé dans la tombe le 17 novembre 594. Son récit s’arrête à l’année 591. A partir de ce moment, nous devons avoir recours à une compilation mise sous le nom de Frédégaire par l’éditeur Claude Fauchet en 1599, sans qu’on sache pourquoi, car le manuscrit latin 10.910 de la Bibliothèque nationale, source de tous les autres, ne porte aucun nom d’auteur. Le chroniqueur commence par abréger en quatre-vingt-treize chapitres, les six premiers livres de Grégoire de Tours. Il n’a pas eu connaissance des quatre derniers. Il prend les événements à 584 et les poursuit jusqu’à 642. Il a écrit vers 660. C’est un clerc vivant en Bourgogne transjurane (Suisse romande), dévoué aux premiers « maires du palais » d’Austrasie, ancêtres des Carolingiens. Ce que nous pouvons savoir des événements de 591 à 642 dépend de cette chronique succincte, misérable en comparaison de l’œuvre de Grégoire, si imparfaite que soit celle-ci.

Les arrière-petits-fils de Clovis,
Clotaire II (595-629)

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Childebert II laissait deux fils. L’aîné, Thibert II, eut en partage l’Austrasie, avec Metz pour capitale, le second, Thierry, la Bourgogne avec Orléans pour siège principal. Il leur fallut compter avec Clotaire II. Déjà leur père avait tenté de mettre la main sur le royaume du fils de Frédégonde, mais leur envoyé, le duc de Champagne, Wintrion, avait été battu près de Soissons. Ils ne furent pas plus heureux à Laffaux, à trois lieues de Soissons.Mais la mort de Frédégonde priva Clotaire II de l’appui, fécond en ressources, de sa mère. En 599 ou 600, il essuya une défaite à Dormelles, à deux lieues de Montereau. Il dut abandonner la région comprise entre la Canche, l’Oise, la Forêt charbonnière, région qui reçut le nom obscur de Dentelin. Il fut réduit à douze pagi entre la Seine, l’Oise et la Manche.
Cependant Brunehaut, haïe de l’aristocratie austrasienne, avait dû se réfugier auprès de son plus jeune petit-fils qu’elle domina entièrement.
Naturellement, Clotaire II voulut reprendre le territoire entre Seine et Loire qu’il avait dû céder à Thierry. La rencontre eut lieu, près d’Etampes, le jour de Noël 604. Si du côté du roi de Bourgogne le maire du palais Bertoald (en français Bertaud) fut tué, le maire du palais de Clotaire II, Landry, fut mis en fuite et l’enfant Mérovée, fils de Clotaire, fut fait prisonnier. Thierry entra dans Paris, mais Thibert fit la paix avec Clotaire II, à Compiègne.
La mésintelligence se mit entre les fils de Childebert II. Thierry était excité contre son frère par le maire du palais de Bourgogne, Protadius « Romain de nation », homme habile, mais « accordant trop aux droits du fisc ». S’il en fallait croire une tradition haineuse suspecte, Brunehaut aurait excité également Thierry en prétendant que Thibert n’était pas fils de Childebert, mais d’un « certain jardinier ». Le roi de Bourgogne leva une armée qui s’avança jusqu’a Quierzy-sur-Oise, mais ses gens étaient las de ces luttes et le signifièrent au roi qui, dans sa tente, jouait aux dés avec son médecin. Sur le faux bruit que Thierry consentait à la disparition du maire du palais, ils se jetèrent sur celui-ci et le massacrèrent. Le roi de Bourgogne dut faire sa paix avec son frère (605). Protadius fut remplacé par Claude également « Romain » que le chroniqueur comble de louanges. Il n’avait qu’un défaut, c’est d’être trop gras. Brunehaut se vengea. Le patrice Vulf, qui avait trempé dans le meurtre de Protadius, fut remplacé par Richomer, « Romain » lui aussi.
En 610, Thibert envahit « à la manière des Barbares » l’Alsace où son frère avait été élevé et qu’il possédait par décision de son père. Cependant la guerre n’éclata pas aussitôt. On convint de tenir à Seltz (Bas-Rhin) un plaid où le « jugement des Francs » fixerait les limites des deux royaumes. Thibert s’y rendit avec une grosse armée d’« Austrasiens ».Thierry n’avait amené que 10.000 hommes (sic) ; il fut contraint de céder l’Alsace à son frère. Il perdit aussi le Toulois, la Champagne de Troyes, le Saintois, le Thurgau au delà du Jura.
Naturellement, il n’accepta pas ce coup de force. Il se rapprocha de son cousin Clotaire II, par la promesse de cession du Dentelin. La bataille s’engagea près de Toul. Thibert, complètement battu, s’enfuit jusqu’à Cologne (mars 612). Excité à achever ce qu’il avait bien commencé par l’évêque de Mayence, Lesius, « homme apostolique » qui « aimait la décision de Thierry et détestait la sottise de Thibert », le jeune roi de Bourgogne. A travers l’Ardenne, Thierry poussa jusqu’à Zülpich (Tulbiacum). Une nouvelle bataille s’engagea. Thibert avait augmenté ses forces de contingents thuringiens et saxons. Le carnage passa, dit le chroniqueur, tout ce qui s’était vu. Encore vaincu, Thibert s’enfuit au delà du Rhin, pendant que Thierry entrait à Cologne. Saisi par le chambellan Berthier, Thibert fut amené à Cologne, dépouillé des insignes de la royauté, puis dirigé enchaîné sur Chalon-sur-Saône. Brunehaut le fit tondre, ce qui ne le sauva pas, car il mourut peu après, certainement de mort violente.
Clotaire, conformément à la convention passée avec Thierry, se mit en possession du Dentelin. Mais Thierry voulut le lui reprendre. Il leva les contingents de Bourgogne et d’Austrasie et se disposait à marcher contre son cousin, lorsqu’il mourut de la dysenterie à Metz. L’armée se dispersa. Brunehaut resta seule en cette ville avec ses arrière-petits-enfants. En dépit de sa jeunesse, Thierry avait quatre fils, nés de concubines ; l’aîné, Sigebert, avait une dizaine d’années. Brunehaut voulut le faire reconnaître et négocia avec Clotaire qui avait envahi l’Austrasie où l’avait appelé le parti d’Arnoul et de Pépin, les ancêtres des Carolingiens. Clotaire répondit qu’il se conformerait au « jugement des Francs » La vieille reine envoya alors à Worms, l’enfant Sigebert et dépêcha, le maire du palais Garnier (Warnacharius) en Thuringe, pour obtenir le secours des populations d’Outre-Rhin. Mais Garnier était d’intelligence avec Clotaire II, qui lui avait promis le maintien de sa haute fonction à vie. Il détacha du parti de Brunehaut les forons (grands) de Bourgogne, tant évêques que leudes.Et quand l’armée levée par Sigebert se trouva en présence des troupes de Clotaire II, vers Châlons-sur-Marne, elle prit la fuite au signal donné par Garnier et par plusieurs ducs.
Clotaire s’avança jusqu’à la Saône et mit la main sur les quatre fils de Thierry. Sigebert et Corbus furent tués ; Mérovée, épargné parce que Clotaire était son parrain, fut envoyé secrètement en Neustrie où il vécut quelques années. Seul Childebert put échapper, mais on ne sait ce qu’il devint. Brunehaut arrêtée à Orbe, dans le Jura, par le connétable Erpon, fut amenée en présence du fils de Frédégonde qui lui reprocha impudemment la mort de dix rois francs, y compris ceux qui avaient été victimes de sa mère. Après l’avoir fait torturer pendant trois jours, il exhiba la vieille reine à l’armée, montée sur un chameau. Après quoi elle fut attachée par sa chevelure, un pied et un bras à la queue d’un cheval fougueux ; elle eut les membres fracassés par les coups de pied et la rapidité de la course du cheval (automne de 613).
A travers les siècles, la mémoire de Brunehaut, la « nouvelle Jézabel », a été maudite. On s’en est fié au récit haineux de Frédégaire, écrivant un demi-siècle après la mort de la reine, sous l’inspiration de légendes et aussi de la Vie de saint Colomban, écrite par un disciple de ce, saint, Jonas de Bobbio : l’expulsion de Bourgogne du saint homme y est attribuée aux méchants conseils donnés par Brunehaut à son petit-fils Thierry. Un autre réquisitoire est dû à des Vie de saint Didier de Vienne, rédigées par un inconnu et par le roi visigoth Sisebut. La seule note favorable se trouve au monastère de Saint-Martin d’Autun, qui, favorisé par elle, recueillit pieusement ses restes.
Sa vie agitée, pleine d’épreuves, sa fin tragique ont, au contraire, excité l’intérêt des historiens du XIXe siècle. Certains d’entre eux se sont même laissés entraîner à des jugements téméraires. Brunehaut représenterait le principe romain en lutte avec la barbarie germanique. Pure extravagance ! Rien de pareil ne saurait ressortir de l’étude de ces temps. On a voulu aussi lui attribuer le mérite d’avoir restauré la viabilité puisque le peuple dans le nord-est de la France et en Belgique, appelle « chaussées Brunehaut » les débris des antiques voies romaines. Là encore, méprise totale : c’est un concept populaire que de mettre une route antique sous le nom d’un personnage légendaire, homme ou divinité : en l’espèce, c’est la tradition germanique attribuant la construction des voies antiques à la déesse Brunehildis, dont Brunchaut portait le nom, sans en avoir les capacités constructives.
Dans la réalité nous ne connaissons pas la psychologie de la reine. Il semble qu’elle ait été autoritaire, comme d’autres reines, par centaines. La seule chose certaine, c’est que tout de suite, elle a dû être haïe à cause de son origine gothique : Brunehaut, c’est l’« Autrichienne » des temps mérovingiens. Tout de même, elle réussit à se maintenir, malgré de terribles difficultés, à la mort de son mari Sigebert, de son fils Childebert II. Elle eût laissé peut-être le souvenir d’une grande reine si son petit-fils préféré, Thierry, n’était mort tout jeune d’un flux de ventre.
Grâce au hasard qui avait fait mourir prématurément son cousin, le fils de Frédégonde, le « prétendu fils de Chilpéric », comme le dit dans un moment d’irritation Grégoire de Tours, Clotaire II, devenait souverain de l’ensemble du « royaume des Francs », comme son grand-père et homonyme en 558. Mais les choses avaient changé depuis un demi-siècle. La royauté s’était affaiblie au cours d’une longue guerre civile. L’aristocratie, courbée sous le pouvoir pendant la première moitié du VIe siècle, avait relevé la tête, une tête menaçante. Sans elle, rien ne pouvait se faire, d’autant plus que, obscurément, muais sûrement, un personnage s’était mis à sa tête, l’intendant de la maison du roi, le majordomus, le « maire du palais », comme disent les historiens modernes, faute de trouver une meilleure traduction de ce terme. Il était en fait devenu le second personnage ou plutôt le maître dans chacun des trois royaumes — car il y a désormais des royaumes permanents. Les partages ont engendré des embryons tout au moins de nationalité. Si on laisse de côté l’Aquitaine, le Regnum se divise en Austrasie à l’est de Paris et de Soissons, en Neustrie à l’ouest. Enfin une grande et indécise région, correspondant au lot de Gontran, comprenant non seulement la vallée de la Saône et du Rhône, mais partie de la Champagne porte le nom de Bourgogne ; étrange Bourgogne dont le chef-lieu est tantôt Chalon-sur-Saône, tantôt Orléans.Cette triplicité est si bien établie à la date de 613 que Clotaire II la reconnaît en instituant trois maires du palais : Radon en Austrasie, Garnier — nommé à vie — en Bourgogne, Gondoland en Neustrie.
Un grand besoin d’apaisement et de réforme était manifeste. Clotaire réunit à Paris, en octobre 614, un concile qui ne comprit pas moins de soixante-dix-neuf évêques. Ce concile était doublé d’une assemblée de grands. Le roi donna satisfaction aux plaintes du monde ecclésiastique et du monde laïque par un édit rendu le 18 octobre de cette même année. Parler de capitulation de la royauté devant l’aristocratie est exagéré. Il n’en ressort pas moins des termes de l’édit que la royauté se reconnaît des torts et s’engage à ne pas les renouveler. Nous y reviendrons quand nous traiterons des institutions
Les grands n’étaient pas d’humeur à se contenter de regrets et de promesses. Il fallut tenir les engagements du roi.
En Bourgogne, la situation était même grave. Il y eut comme une reviviscence d’un passé déjà lointain. Le patrice Aléthée, se prétendait issu des anciens rois. Il noua une intrigue avec l’évêque de Sion (Valais) Leudemond, pour persuader Bertrade, femme de Clotaire II, que son mari allait mourir et qu’Aléthée, répudiant sa femme, l’épouserait et régnerait. En conséquence on lui conseillait d’envoyer ses trésors en sûreté à Sion. Rebuté, l’évêque s’enfuit au monastère de Luxeuil et fut plus tard pardonné. Aléthée, traduit devant l’assemblée des grands, à Malay, à une lieue de Sens, fut exécuté.Inquiet de ces menées, Clotaire réunit les « farons » de Bourgogne à Bonneuil, près de Paris, avec le maire Garnier. « Il fit droit à leurs justes demandes par l’octroi de préceptes », c’est-à-dire qu’il prit avec eux des engagements écrits (616).
L’Alsace aussi s’agitait. Clotaire se rendit à Marlenheim et rétablit la paix en « frappant de grande quantité de gens qui se conduisaient mal ».
L’Austrasie dut être sérieusement ménagée. Le sentiment particulariste, qui était inexistant avant 561, s’était affirmé au cours de la « guerre civile ». Les Austrasiens entendaient avoir leur souverain à eux. Il fallut leur accorder satisfaction. Le fils aîné de Clotaire II, Dagobert, leur fut donné comme roi, bien qu’il n’eût guère plus d’une dizaine d’années. Son nom, qui signifie « brillant comme le jour », nouveau dans la dynastie, provient sans doute de quelque ancêtre maternel. Le pays fut administré en réalité par Arnoul, évêque de Metz, et Pépin. C’était le prix de leur défection de 613 quand ils avaient abandonné la descendance de Sigebert. Mais Clotaire garda pour lui la région à l’ouest de l’Ardenne et des Vosges et aussi les parties austrasiennes de l’Aquitaine (622). Les grands d’Austrasie n’acceptèrent pas cette amputation. Quelques années après, en 625, le petit roi ayant atteint sa majorité de quinze ans, son père crut bon de le marier. Il le fit venir à Clichy, sous Paris, et lui donna pour femme Gomatrude, sœur de la reine Sichilde. Deux jours après, une querelle violente éclatait entre le fils et le père, le premier réclamant l’ensemble du royaume d’Austrasie. Evêques et grands s’interposèrent. Clotaire dut céder la région à l’ouest des Vosges et de l’Ardenne, c’est-à-dire la Champagne et le Dentelin, mais il garda Aquitaine et Provence.
L’année suivante lui valut une extension de pouvoir, du côté de la Bourgogne.Le maire Garnier étant mort, une revendication de son fils, Godin, était possible. Clotaire se débarrassa du personnage sous un prétexte religieux. Godin, « esprit léger », avait commis le crime d’épouser sa belle-mère. Pardonné s’il jurait de demeurer fidèle sur les reliques des saints des grands sanctuaires qu’on nous énumère (Saint-Médard de Soissons, Saint-Denis sous Paris, Saint-Aignan d’Orléans, Saint-Martin de Tours), Godin fut traîtreusement mis à mort en route, près de Chartres.
« La même année, Clotaire réunit à Troyes les grands et leudes de Bourgogne et leur demanda si, en raison de la mort de Garnier, ils voulaient qu’un autre fût élevé au même honneur. A l’unanimité, ils se refusèrent à désigner un nouveau maire du palais et supplièrent le roi de traiter (directement) avec eux. »
Il n’est jusqu’à la Neustrie où la violence des grands ne s’étale. L’année 627 vit réunir à Clichy une grande assemblée des leudes de Neustrie et de Bourgogne. Un noble saxon (du Bessin) Aegina, fit assassiner Erminarius, « gouverneur du palais de Charibert », le second fils de Clotaire. Clotaire fit retirer Aegina sur le « Mont-martre ». Charibert et son oncle (maternel) Brodulf, se proposaient de monter attaquer Aegina. Clotaire donna ordre, spécialement aux farons de Bourgogne, d’écraser le parti qui braverait sa défense de combattre.
« L’an 46 de son règne, le roi Clotaire mourut et fut enseveli dans les environs de Paris, dans la basilique de Saint-Vincent (fin de 629). Clotaire II gouverna heureusement seize ans, conservant la paix avec les nations voisines. Très tolérant, versé dans les lettres, ayant la crainte de Dieu, très généreux envers les églises et les évêques, distributeur d’aumônes aux pauvres, il fut bon et pitoyable envers tous. Il aimait la chasse avec exagération et accordait trop aux conseils des femmes et des jeunes filles, ce dont il fut blâmé par les leudes. »
Ne nous laissons pas prendre à ce dithyrambe d’un Ultrajurassien. Involontairement il confirme ce que les faits nous font connaître de l’affaissement du pouvoir royal un siècle après la mort de Clovis.
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CHAPITRE IV
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