Ferdinand Lot De l’Institut


La Politique extérieure de 585 à 629



Download 2,59 Mb.
bet4/46
Sana26.02.2017
Hajmi2,59 Mb.
#3386
1   2   3   4   5   6   7   8   9   ...   46


La Politique extérieure de 585 à 629

Retour à la Table des matières
La « guerre civile » ne refroidit nullement les ambitions insatiables des Mérovingiens, mais, les empêchant de se concerter et de se grouper, elle les rendit vaines.
Du côté de l’Espagne le mariage d’Ingonthe, fille de Sigebert, avec Hermenégild, fils du roi Liuvigild, n’amena aucun rapprochement, bien au contraire. Le bruit ayant couru que la princesse franque était morte des mauvais traitements qu’elle avait subis, Gontran saisit ce prétexte pour tenter de mettre la main sur la Septimanie.
« Il est indigne de laisser ces horribles Goths s’étendre jusqu’en Gaule, en Septimanie. »
Il leva deux armées, l’une composée des
« peuples qui habitent au delà de la Seine, de la Saône et du Rhône, l’autre des gens de Bourges, Angoulême, Saintes, Périgueux ».
Mais la première ne put enlever Nîmes et les autres cités et la seconde fut chassée de Carcassonne où elle avait pénétré. Au retour, ces troupes, qui avaient commis sur leur passage mille atrocités, furent assaillies par les populations exaspérées du Toulousain et de la vallée du Rhône. La réplique gothique fut immédiate : Reccared, fils de Liuvigild, s’empara de Cabaret (Aude) et de Beaucaire et ravagea le pays. Gontran dut confier 4.000 hommes an duc Leudegisèle pour défendre le pays d’Arles et dépêcher le duc d’Auvergne, Nizier, pour garder la frontière du côté de la Septimanie.
Même insuccès sur mer. Les Visigoths attaquèrent et pillèrent la flotte que Gontran dirigeait sur la Galice, sans doute pour venir en aide aux Suèves menacés par le roi goth. Le royaume suève fut réuni à 1’Etat visigothique (585).
Mais Liuvigild mourut en 586. Son successeur Reccared était catholique, parent par alliance de Brunehaut. Un accord était facile. Mais Gontran haïssait les Goths et s’obstinait à vouloir la Septimanie. Cette fois, le désastre fut complet. Le duc Austrovald avait réussi à soumettre Carcassonne, mais un autre duc, Boson, arrivé avec ses contingents de Saintes, Périgueux, Bordeaux, Agen, Toulouse, prit le commandement. Il se laissa surprendre et ce fut la déroute. Les Francs auraient eu 5.000 tués et 2.000 prisonniers (589). Outré, Gontran s’en prit à Childebert, qui aurait fait alliance perfidement avec le Visigoth, et interdit le passage de son territoire aux sujets de son neveu. L’insuccès des Francs dans leurs tentatives de s’emparer de la Septimanie, que les Arabes enlèveront facilement, à partir de 716, en dit long sur leur incapacité.
Même insuccès en Italie. L’ambition des Mérovingiens avait été refrénée par la mort de Thibaud, comme on a vu. Un concurrent plus heureux leur ravit le pays, les Lombards fuyant la Pannonie (565). Cette sauvage peuplade germanique, non contente de s’installer dans la plaine du Pô, voulut tâter la Gaule. En 569, les Lombards passent les Alpes. Le patrice Amatus est tué et les envahisseurs font un carnage des « Bourguignons ». Ils reparaissent en 571. On leur oppose le meilleur capitaine du temps, Eunius Mummolus (Momble), fils de Pœonius d’Auxerre, un Gallo-Romain plus que probablement. Il les bat dans la région d’Embrun et les oblige à repasser les Alpes. Deux évêques frères, Saloniu d’Embrun et Sagittarius de Gap prennent part à la délivrance du pays.
L’année suivante on a affaire à une branche de Saxons qui avaient suivi Alboin dans l’invasion de l’Italie par les Lombards. Momble les bat à Estoublon (Basses-Alpes, arr. Digne, cant. Mazet) avec des Bourguignons certainement, car le lendemain les Saxons décampent, abandonnant les captifs et offrant des présents à Momble, mais en affirmant qu’ils reviendront pour se soumettre aux Francs et à leurs rois comme auxiliaires. Ils se considéraient, en effet, comme sujets de Sigebert et pensaient trouver, à ce titre, un établissement dans les Gaules. Aussi, quand ils reparaissent, par Nice et Embrun, ils amènent femmes et enfants. Réunis dans le pays d’Avignon, ils font main basse sur la moisson non encore levée, puis se disposent à passer le Rhône pour pénétrer dans les régions austrasiennes de Sigebert. Momble ne leur permit le passage que s’ils le payaient de milliers de pièces d’or. Arrivés au printemps en Auvergne, ils soldèrent leurs dépenses avec de la fausse monnaie, puis regagnèrent la Saxe avec la permission de Sigebert. Ils y trouvèrent une branche de Suèves établie déjà sur la partie de territoire laissée vacante par eux dix ans auparavant, et furent complètement battus.
En 574, ce sont les Lombards qui reviennent « sous trois ducs ». Le premier, Amo, par l’Embrunois, arrive à Mague (com. de Caumont) en Avignonnais ; Zaban par la vallée du Verdon ( ?), s’installe devant Valence, et le troisième, Rodan, assiège Grenoble. Amo va enlever les troupeaux de la Crau, menace Aix dont les habitants se rachètent pour 22 livres d’argent. Momble arrive au secours de Grenoble, blesse Rodan qui s’enfuit auprès de Zaban avec 500 hommes. Tous deux rebroussent jusqu’à Embrun. Ils se trouvent encore face à face avec Momble qui les rejette au delà des Alpes. A cette nouvelle, Amo décampe, mais, arrêté par les neiges, il a peine à regagner l’Italie. Une dernière bande, qui s’était avancée jusqu’à Saint-Maurice-en-Valais, fut battue près de Bex. Gontran ferma l’entrée de la Gaule en occupant Aoste et Suze, sur le versant italien des Alpes.
Si Gontran n’eut aucune visée sur l’Italie, il n’en fut pas de même de son neveu Childebert II. Les « guerres d’Italie » hantaient encore les Francs. Ce fut la répétition de ce qui s’était passé un demi-siècle auparavant. Les Austrasiens s’offrirent comme mercenaires de l’Empire. L’empereur Maurice paya de 50.000 pièces d’or le secours des Francs contre les Lombards. L’occasion était favorable : à la mort du roi Cleph, les Lombards avaient supprimé la royauté, fait unique dans l’histoire de ces temps, et leurs ducs étaient désunis. ils offrirent leur soumission au Franc qui accepta et ne fit aucun droit aux réclamations de l’empereur (584). Mais les Lombards élirent un roi, Authari, et, bien qu’ils eussent demandé pour lui, avec des présents, la sœur de Childebert, celui-ci se retourna du côté de l’Empire. L’armée qu’il envoya en Italie subit un désastre complet (588). Il se décida alors à intervenir en personne. Authari offrit un tribut annuel de 12.000 pièces d’or avec sa soumission. Childebert s’estima joué. En 590 il envoya une grosse armée franco-alamanique commandée par vingt ducs. Elle parcourut trois mois l’Italie du Nord, mais fut incapable d’enlever les villes, dont Pavie où le roi lombard s’était réfugié. Les maladies se mirent dans l’armée. Finalement Chedin, avec treize ducs, prit le parti de la retraite. Les Francs souffrirent tellement de la faim qu’ils vendirent jusqu’à leurs armes pour acheter de quoi subsister. Délivré, mais non rassuré, Authari offrit paix et alliance à Gontran, qui accepta, et à Childebert qui réserva sa réponse. Cependant, il accueillit les offres de paix du nouveau roi, Agilulf (591). Sa mort (595) mit fin aux entreprises des Francs en Italie, toutes malheureuses. Ces chimères ne disparurent peut-être pas complètement. L’historien lombard, très postérieur aux événements, Paul Diacre, parle d’une alliance entre le roi loin bard Grimoald et Dagobert II, chronologiquement inadmissible. Childéric II, mort tout jeune en 675, le dernier Mérovingien qui se soit pris au sérieux, aurait songé à s’entremettre dans les luttes qui mettaient aux prises les rois lombards, Grimoald et Perctarit. Mais tout cela n’était plus que rêverie. L’intervention décisive en Italie était réservée aux Carolingiens.
Du moins du côté de la Germanie les Mérovingiens maintiennent leur position prédominante. L’année de sa mort, Childebert II donna un duc aux Bavarois en la personne de Tassillon. Il réprima un soulèvement du petit peuple des Varins dont les Slaves de l’Elbe vont achever l’extermination. Malgré leur indocilité, les Saxons reconnaissent aux rois d’Austrasie une certaine autorité.
Mais, vis-à-vis d’un peuple nouveau, d’origine turque, les Avars, les Francs accusent vite leur impuissance. Arrivés de l’Asie centrale en Pannonie (558), assaillant la Germanie, les Avars entrent en lutte fatalement avec les Austrasiens. Sigebert Ier ne remporte sur eux qu’une victoire sans lendemain, et, vers 568, il est vaincu et fait prisonnier. Grégoire de Tours, sujet austrasien en sa qualité d’évêque de Tours, tente d’expliquer ce désastre :
« Les Huns (sic), habiles dans l’art de la magie, avaient fait apparaître des fantômes de tout genre. » Mais « comme il était de belle mine et adroit, il triompha par l’art du don ceux qu’il n’avait pu vaincre par la force ».
Autrement dit, Sigebert dut promettre un tribut et s’engager à ne plus faire la guerre aux Avars sa vie durant,
« ce qui tourne à sa louange plutôt qu’à sa honte », ajoute le maladroit panégyriste. « Le roi des Huns, surnommé Gagan (Khan) en leur langue, fit des cadeaux à Sigebert et le relâcha.
Les Avars laissèrent de côté la Gaule, ils avaient à se constituer un empire an cœur de l’Europe, aux dépens surtout des Slaves de toutes tribus. Cependant en 596, ils se jetèrent sur la Thuringe, qui était sous le protectorat franc, et Brunehaut dut acheter leur retraite.
A l’autre extrémité de leur Regnum, du côté de la nouvelle Bretagne, les Mérovingiens n’essuyèrent que des déboires. La partie de l’Armorique où les Bretons insulaires s’étaient établis au Ve siècle, se divisait en trois régions au Nord, de la baie du Mont-Saint-Michel à la rade de Brest, la Domnonée (Domnonea) rappelant aux exilés le pays d’où ils étaient partis, la Domnonée insulaire à laquelle correspond le comté anglais de Devon qui en conserve le nom ; la deuxième, la Cornouaille, qui devait son nom moins au fait qu’elle occupait la pointe, la corne de la Gaule (Cornugalliae), qu’au souvenir du pays insulaire, le Cornwall. Enfin, entre l’Ellé et le Morbihan, un petit royaume qui va bientôt prendre le nom d’un chef fameux, Waroc ou Weroc, et s’appellera Bro-Erec (bro « pays », et Erec, forme de Weroc en composition). La Nouvelle Bretagne n’avait aucune unité politique : ses rois, ses roitelets plutôt, payaient tribut aux Francs depuis Clovis et se disputaient entre eux. La colonisation bretonne ne dépassait pas la Vilaine ; pour mieux dire elle s’infiltrait le long de la côte jusqu’à l’embouchure de la Loire, mais elle était, là, soumise aux Francs. Au cœur du Morbihan, la petite cité épiscopale de Vannes, îlot battu par les vagues bretonnes, reconnaissait pour roi le Mérovingien.
Pendant la première partie du VIe siècle il ne semble pas qu’il y ait eu de conflits sérieux entre Bretons et Francs, du moins Grégoire de Tours n’en parle pas.
Tout ce qu’il nous dit, c’est que
« les Bretons furent toujours sous l’autorité des Francs après la mort de Clovis et que leurs chefs furent qualifiés comtes et non rois ».
On n’entend parler d’eux qu’à partir du milieu du VIe siècle et ce qu’on en rapporte n’a rien d’édifiant. Les roitelets bretons ne valent pas mieux moralement que les rois francs. L’un d’eux, Chanao, après avoir mis à mort trois de ses frères, voulut se débarrasser du quatrième, nommé Maclou (Macliavus). Il l’emprisonna. Félix, évêque de Nantes, obtint sa libération moyennant serment de fidélité de la victime à son frère et bourreau. Maclou manqua à ce serment, s’enfuit auprès d’un autre « comte », Chonomer dut se cacher, se réfugia à Vannes et s’y fit tondre. A la mort de son frère, il reprit sa femme et laissa croître sa chevelure, comme un Mérovingien, pour régner. Quelque temps après, vers 558, il eut l’imprudence d’accueillir Chramne, révolté contre son père Clotaire II s’attira la colère du roi des Francs et fut battu.
Il n’était pas seul à régner. Il y avait, au moins, encore un autre « comte des Bretons », Bodic. Ces deux personnages avaient passé une convention par laquelle le survivant s’engageait à défendre les fils de l’autre comme les siens propres. Maclou manqua à son serment, chassa le fils de Bodic, portant le nom franc de Thierry, à la mort de son père. Longtemps errant, Thierry put rassembler des partisans. Il triompha de Maclou et de son fils Jacob, qui périrent. Cependant, Waroc, fils de Maclou, put s’assurer l’Etat de son père.
Vannes, évêché et place forte au pouvoir des Francs, enclavé au milieu de son royaume, ne pouvait pas ne pas tenter Waroc. Il s’en empara. La riposte ne tarda pas. Clotaire leva contre le Breton les contingents de Touraine, Bessin, Maine, Anjou, Poitou. L’armée franque se rassembla sur la Vilaine, alors frontière de la Bretagne. Waroc surprit de nuit les contingents saxons du Bessin et les massacra. Mais, trois jours après, il demanda la paix aux ducs francs, offrant son fils comme otage, garant de la fidélité qu’il jurait à Chilpéric. Par contre, il obtint Vannes, s’engageant à verser les tributs annuels que la cité devait au roi. Il ne put ou voulut s’acquitter et se débarrassa de l’évêque de Vannes qui se rendit auprès de Chilpéric, lequel l’envoya en « exil » (578).
L’année suivante, les Bretons envahirent le pays de Rennes jusqu’à Cornut (écrit aujourd’hui Corps-Nus !), pillant et dévastant tout. L’évêque Eunius, remis en liberté, fut chargé de négocier un accord. Il dut vivre à Angers, l’accès de sa ville épiscopale lui étant interdit. Le duc Beppolène riposta en dévastant et incendiant quelques localités de Bretagne, ce qui ne fit qu’exciter la rage des Bretons. Ils envahirent de nouveau le pays de Rennes et aussi le Nantais, faisant un butin énorme et s’appropriant la vendange. L’évêque de Nantes, Félix, tenta de s’interposer, mais vainement.
En 587, les Bretons envahissent encore le Nantais, puis offrent d’entrer en composition avec les Francs. Gontran leur envoie Namatius, évêque d’Orléans, et Bertrand, évêque du Mans, avec des comtes et autres « personnes magnifiques »,Clotaire II adresse, lui aussi, des « personnes magnifiques ». Les Bretons offrent en dédommagement mille sous d’or à chacun des deux rois. L’accord se fait en Nantais avec Waroc et un autre chef, Iudmaël. Mais Waroc, oublieux de ses serments et de ses cautions, fait la vendange en Nantais et ramène le vin à Vannes.
« Le roi Gontran, furieux, menaça de lever l’armée, mais il n’en fit rien. »
Trois ans après, en 590, nouvelles déprédations dans le pays de Rennes et en Nantais. Cette fois, Gontran se fâcha. Il leva une armée qu’il mit sous les ducs Beppolène et Ebrachaire. Mais ces deux hommes magnifiques ne s’entendaient pas. Ayant franchi la Vilaine, ils parvinrent jusqu’à l’Oust. Frédégonde, qui haïssait Beppolène, aurait envoyé au secours de Waroc des Saxons du Bessin, la tête rase et vêtus à la manière des Bretons. Beppolène « avec ceux qui avaient consenti à le suivre », n’en tua pas moins quantité de Bretons et de Saxons pendant deux jours, mais le troisième, cerné dans des marécages par Waroc, il périt. Ebrachaire, qui avait retenu avec lui la majeure partie de l’armée, comptait bien sur cette mort. Il se porta sur Vannes. L’évêque Regalis envoya à sa rencontre le clergé et l’introduisit au chant des psaumes. Waroc voulut fuir par la mer ; la tempête brisa ses navires chargés d’or, d’argent, de butin. Il offrit alors sa soumission à Ebrachaire, promettant de ne plus rien faire contre Gontran. Après son départ, l’évêque avec le clergé et les habitants de la partie rurale du territoire (pagenses) du Vannetais prêta serment de fidélité au roi franc et dit à ses envoyés :
« Nous ne sommes coupables en rien envers notre Seigneur, mais, captifs des Bretons, nous subissons un joug pesant. »
Waroc offrit son neveu comme gage de ses sentiments pacifiques, mais son fils, Chanao, surprit au passage de la Vilaine, les « inférieurs et les pauvres » qui n’avaient pas encore passé le fleuve. Il en tua une partie, captura les autres. La femme de Waroc en renvoya plusieurs avec des cierges et des tablettes (d’affranchissement). L’armée franque n’osa reprendre le chemin suivi à l’aller, de peur que la population ne se vengeât des méfaits qu’elle avait commis précédemment. Elle prit par l’Anjou pour utiliser les ponts sur la Maine. En Touraine, ces bandes recommencèrent leurs pillages. Les débris tentèrent de se justifier auprès de Gontran en prétendant que le duc Ebrachaire et le comte Willichaire avaient été achetés par Waroc. Le roi accabla d’injures le duc et le chassa, le comte s’enfuit.
Avec le siècle se terminent dans l’ignominie les campagnes franques contre les Bretons.
Au sud-ouest du Regnum la faiblesse de la monarchie franque s’avéra pire encore. Elle fut incapable de préserver la Novempopulanie de l’invasion et de l’établissement permanent des Gascons.
Installés depuis la plus haute antiquité entre le cours supérieur de l’Ebre et la mer cantabrique, les Basques ou Gascons (Vascones) étaient la seule peuplade d’Espagne qui n’eût pas été latinisée : elle avait conservé sa langue, langue non-aryenne, « agglutinante », suite possible de l’ibère. Conservatisme paradoxal, car leur région était parcourue par la voie romaine conduisant jusqu’à l’extrémité nord-occidentale de la péninsule, la Galice, qui, elle, dans cette situation excentrique eût pu n’être pas latinisée et qui le fut complètement.
Les Basques, seuls des populations d’Espagne, demeurèrent rétifs à la domination visigothique. Le roi Liuvigild réussit cependant à obtenir leur soumission, vers 578. Une partie des Basques se décida alors à se chercher un établissement au nord des Pyrénées. Dès 581, Chilpéric dut diriger le duc Bladastes « en Gascogne », c’est-à-dire dans le pays basque an sud des Pyrénées, mais celui-ci y laissa la majeure partie de son armée.
« Les Vascons tombant des montagnes sur la plaine, ravagent vignobles et champs, incendient les maisons, enlèvent quantité de gens et de bétail. »
Le duc Austrovald marcha souvent contre eux, mais n’en tira qu’une faible vengeance (587). Le comte de Bordeaux, au dire de Fortunat, dut, lui aussi, lutter contre les Gascons. En 602, les deux fils de Childebert II, Thibert et Thierry, unissent leurs forces contre les envahisseurs. Leur armée battit et soumit les Gascons qui durent payer tribut.
« Ils établirent sur eux un duc nominé Génialis qui les gouverna avec succès. »
Cependant, à la date de 626, on apprend que
« Pallade et son fils, Sidoc, l’évêque d’Eause, accusés par le duc Aegina d’avoir trempé dans la rébellion des Gascons, furent envoyés en exil ».
A cette date, les Gascons menaçaient donc l’antique Novempopulanie au point que l’évêque métropolitain d’Eause, au cour de la province, dût s’entendre avec eux, ce qui lui fut imputé à trahison.
Les Gascons au cours du VIIe siècle accentuent leur domination sur la région entre les Pyrénées et la Garonne, région qui a pris leur nom, quoiqu’ils n’aient transmis ni un mot de leur langue, ni une goutte de leur sang. Leur établissement n’a pas dépassé le cours de l’Adour.
Retour à la Table des matières

CHAPITRE V



Le Règne de Dagobert (629-639)



Retour à la Table des matières
Au moment de la mort de Clotaire II, son fils puîné Charibert (Herbert) avait sur l’aîné le double avantage d’être à Paris et d’avoir l’appui de son oncle Brodulf, qui voulait lui réserver la royauté aux dépens de Dagobert. Mais Charibert passait pour « simple d’esprit ». Son aîné leva des troupes en Austrasie et donna l’ordre à la Bourgogne et à la Neustrie de lui obéir. Arrivé par Reims à Soissons, Dagobert s’y vit reconnaître par les évêques et leudes de Bourgogne et par la majorité des Neustriens. La conjuration de Brodulf échoua complètement et Dagobert fut seul roi.
« Usant de miséricorde, conseillé par les sages, il céda à son frère des pays et cités entre la Loire et la frontière d’Espagne touchant à la Gascogne et aux Pyrénées. »
On confia à Charibert le gouvernement des régions suivantes : Toulousain, Cahorsin, Agenais, Périgord, Saintonge, avec tout ce qui va jusqu’aux Pyrénées. Charibert devait y vivre à l’instar d’un particulier (instar privati). Il fut convenu par des pactes qu’en aucune occasion, il ne réclamerait rien du royaume de son père. Charibert établit à Toulouse sa résidence. Le lot qui lui était assigné fut étendu trois ans après par la conquête de la Gascogne.
On saisit déjà dans ce règlement un indice de sagesse politique. Le nouveau roi se garde d’imiter la férocité de ses ancêtres. Il épargne son frère, lui constitue une sorte d’apanage lointain, dans une partie de l’Aquitaine qu’il transforme en « marche » contre l’envahisseur gascon, mais il refuse à Charibert le titre royal.
Charibert mourut en 632. II laissait un petit enfant, nommé Chilpéric, lequel lui survécut peu :
« On rapporte que ce fut le parti de Dagobert qui le fit périr. »
Dagobert mit la main sur l’apanage de son frère avec la Gascogne. Il ordonna au duc Baront de lui amener « ses trésors ». On raconte que celui-ci, d’accord avec les trésoriers, s’en appropria une grande partie.
Le premier soin de Dagobert, seul roi, avait été d’affermir sa situation en Bourgogne. Sa tournée
« frappa de crainte évêques et grands, de joie les pauvres gens auxquels il fit rendre justice ».
A Langres, il se rendit agréable à Dieu en jugeant avec équité ses leudes (gens), aussi bien pauvres que d’un rang élevé. Il montra la même équité à Dijon, à Losne (Saint-Jean), passant son temps à distribuer la justice au point d’en perdre le sommeil et le manger. Au moment de quitter Losne pour Chalon, le roi « agréable à Dieu », prit son bain et donna ordre d’exécuter Brodulf, oncle maternel de Charibert. Deux ducs et le patrice Guillebaud s’en chargèrent. A Chalon-sur-Saône il montra encore son amour de la justice, puis, par Autun, il gagna Auxerre, Sens et rentra dans Paris.
« Répudiant Gomatrude, il la confina à Romiliacus, où il l’avait épousée, et prit pour femme Nanthilde, une des filles de service, et la fit reine. »
L’Austrasie, depuis l’enfance du roi, était de fait gouvernée par l’évêque de Metz, Arnoul et par le maire du palais, son parent par alliance, Pépin, ancêtres tous deux des Carolingiens. Quand Dagobert fit sa tournée d’Austrasie (en 631) Arnoul était entré au cloître. Il fut remplacé par Chunibert (en français Humbert), évêque de Cologne. Lui et Pépin furent de si bon conseil que
« Dagobert gouverna ses sujets si heureusement, avec un tel amour de la justice qu’il surpassa dans les louanges les rois francs ses prédécesseurs ».
Mais Dagobert n’entendait nullement se fixer dans le pays où s’était écoulée sa jeunesse. La résidence royale, la capitale pour lui, c’était Paris.
Se sentant délaissée, 1’Austrasie réclama un roi. En 634, Dagobert dut céder. Il lui donna un petit enfant de trois ans, Sigebert, né de Raintrude, pendant son séjour en Austrasie. Mais, craignant que, après son décès, les grands d’Austrasie voulussent recommencer le coup qu’il avait exécuté à la mort de son père, s’emparer de la totalité du Regnum en faveur de leur roi particulier, il leur fit prendre l’engagement de laisser la Neustrie et la Bourgogne à un autre de ses fils, Clovis, qu’il avait eu de Nanthilde.
L’Austrasie devait reprendre toute son étendue, diminuée seulement du duché de Dentelin qu’elle s’était jadis approprié injustement.

« Ces conventions, les Austrasiens les acceptèrent bon gré mal gré, courbés par la terreur qu’inspirait Dagobert, et les observèrent fidèlement par la suite. »


La séparation du Regnum en deux Etats ainsi consommée, on installa l’enfant-roi à Metz, sous la direction de Chunibert et d’un duc, Adalgisèle, et on lui attribua « un trésor », seul procédé efficace pour gouverner, c’est-à-dire acheter la fidélité des grands.
Mieux affermi sur son trône que ses prédécesseurs, Dagobert put mener des guerres heureuses tant en Gaule qu’au dehors.
En 637, les Gascons se révoltèrent et ravagèrent les régions concédées auparavant à Charibert. Dagobert leva une armée « franque » en Bourgogne. Un seul Bourguignon cependant, le patrice Guillebaud (Willibad) figurait parmi les dix ducs qui la commandaient. Huit étaient « Francs de race », un était Saxon (du Bessin), un Romain (c’est-à-dire probablement Aquitain, en dépit de on nom germanique de Chramnelen). Au-dessus des ducs était comme généralissime le référendaire Chadoind, qui s’était distingué dans les guerres au temps de Thibert et de Thierry. L’armée des contingents des ducs et aussi les comtés n’ayant pas de ducs au-dessus d’eux, inonda la Gascogne. Les Gascons descendirent de leurs montagnes, puis, « selon leur coutume », tournèrent dos dans le combat et cherchèrent refuge dans les gorges, au milieu des rochers inaccessibles des Pyrénées. L’armée les y poursuivit, en tua beaucoup, fit des prisonniers, brûla les demeures, enleva les troupeaux. Les Gascons demandèrent grâce et offrirent de porter leur soumission au glorieux roi Dagobert. L’armée eût sans perte regagné ses foyers, en Bourgogne, si le duc Arnebert, ne s’était laissé surprendre et tuer dans la vallée de la Soule avec les « seigneurs et les plus nobles de son armée », présage du désastre de l’armée de Charlemagne à Roncevaux.
Néanmoins, l’année suivante, les grands personnages de Gascogne, avec leur duc, au nom gothique, Aegina, se rendirent à Clichy où séjournait Dagobert pour faire leur soumission. Admis en sa présence, ils auraient pris peur et cherché un asile en l’église de Saint-Denis.
« La clémence de Dagobert leur accorda la vie. Ils jurèrent que de tout temps ils seraient fidèles au roi, à son fils, au royaume des Francs (637). Ils tinrent leur serment, à leur habitude, comme le prouva la suite des événements »,
remarque ironiquement le chroniqueur, écrivant environ trente ans après.
Les Bretons ne donnèrent pas d’inquiétudes. Le personnage le plus important parmi eux était alors, le prince de Domnonée, Judicaël (dont la forme ultérieure est Jiquel ou Gicquel). Une mission de saint Eloi auprès de lui fut couronnée de succès. Judicaël vint même à Clichy offrir sa soumission et la réparation des torts commis par ses sujets. Après échange de présents, le prince breton s’en retourna. Au dire du pseudo-Frédégaire, il n’avait pas voulu à Clichy, s’asseoir à la table du roi, « car il était religieux et rempli de la crainte de Dieu » ; il se serait rendu pour dîner chez le référendaire Dadon (saint Ouen) qu’il savait « attaché à la sainte religion » (637). La piété de ce personnage le fit bientôt entrer au cloître. La Domnonée se divisa alors en quatre ou cinq morceaux.
Vis-à-vis des puissances étrangères, Dagobert apparaît comme un grand et puissant souverain.
Avec l’empire « romain » il n’était pas d’occasion de conflit. Il fut aisé de conclure avec Constantinople un traité de paix perpétuelle. Le roi des Francs aurait même montré vis-à-vis du Byzantin une déférence singulière. L’empereur Héraclius,
« homme très savant, apprit l’astrologie ; elle lui prédit que son empire serait dévasté par les « nations circoncises ». Il crut qu’il s’agissait de Juifs. Il les fit baptiser dans ses Etats et demanda à Dagobert de faire de même, ce que le Franc s’empressa d’exécuter ».
Ce racontar absurde témoigne de l’intérêt que le chroniqueur d’outre-Jura portait aux affaires de l’Empire, conformément à la tradition bourguignonne. Il nous a transmis sur Héraclius notamment des légendes d’un caractère épique.
En Espagne, Dagobert aida Sisenand à détrôner le roi Svintila, haï de l’aristocratie pour sa sévérité. Une armée « franque », levée en Bourgogne et commandée par Abondance et Vénérand, des Gallo-Romains évidemment, se rassembla à Toulouse et se rendit à Saragosse. Svintila fut abandonné et Sisenand proclamé roi. Au dire du pseudo-Frédégaire, qui visiblement a peu de sens politique, Dagobert, « qui était cupide », n’aurait entrepris cette expédition que pour se faire remettre le « missoire » en or, pesant 500 livres, offert jadis par Aetius au roi Thorismond et conservé depuis lors dans le trésor des rois visigoths. Il ne put l’obtenir, mais se contenta à sa place de 200.000 sous d’or (632-633).
Du côté de l’Italie lombarde, Dagobert se garda de prendre l’attitude de ses prédécesseurs. Il pressentait le besoin de l’alliance ou de la neutralité lombarde contre un nouvel ennemi, le Slave.
La marée slave inonde l’Europe au début du VIIe siècle, non seulement la péninsule des Balkans, mais les provinces illyriennes. Du côté de la Germanie, les peuplades germaniques sont chassées des Alpes orientales, de la Bohême et de la Moravie, refoulées à l’ouest de l’Elbe et même de la Saale. Seulement entre les envahisseurs nulle cohésion n’apparaît. Mais voici qu’un personnage d’origine inconnue, dont une légende fait un marchand franc, Samo, réussit à amalgamer les tribus slaves, Wendes, comme disaient les Germains, installées entre l’Oder, l’Elbe, le cours supérieur du Danube, et à les affranchir du joug turc des Avars. Le centre de son empire était la Bohême.
En dépit des bouleversements ethniques où se débattait le centre de l’Europe, toute relation économique avec les régions civilisées n’avait pas cessé. Des marchands francs allaient commercer chez les Slaves (Sclavi). Vers 632, certains d’entre eux furent pillés et tués par des sujets de Samo. Dagobert demanda réparation. Son envoyé, Sichaire, se serait montré d’une maladroite insolence, au dire du chroniqueur, et fut chassé. Dagobert ne pouvait supporter l’outrage, mais il comprit que la partie était dure à gagner. Il leva une armée non seulement en Austrasie, mais chez ses sujets Alamans et fit alliance avec les Lombards ou, plutôt, prit des Bavarois à son service. Les Alamans, sous le duc Chrodobert, et les Lombards (ou les Bavarois) remportèrent quelques succès et firent des prisonniers, mais les Austrasiens subirent un désastre. Les Wendes, réfugiés dans la place de Wogalisburg, firent une sortie et, après trois jours de combat, mirent en fuite les Austrasiens. Ils ravagèrent la Thuringe et parvinrent jusqu’au « pays des Francs ». Les Sorabes ou Serbes de Lusace avec leur duc Dervan, jusqu’alors soumis aux Francs, reconnurent l’autorité de Samo.
« Ce fut moins le courage des Wendes qui leur valut la victoire que le découragement des Austrasiens continuellement dépouillés par Dagobert qui les haïssait », invente le chroniqueur pour excuser les Austrasiens.
C’est eux que leva de nouveau le roi, l’année suivante pour délivrer la Thuringe, mais il avait pris soin d’avoir aussi une élite de Neustriens et de Bourguignons sous leurs ducs et grafions (comtes). Ayant rassemblé l’armée à Metz, il se disposait à traverser le Rhin à Mayence, quand il reçut une députation de Saxons lui proposant de leur laisser le soin de lutter contre les Wendes et de protéger la frontière du pays franc, s’il leur remettait le tribut annuel de 500 vaches qu’ils payaient depuis le règne de Clotaire Ier. Sur le conseil des Neustriens, Dagobert consentit. « La promesse des Saxons eut peu d’effet », remarque le chroniqueur, bien que leurs représentants eussent prêté serment sur leurs armes, « selon leur coutume ».
C’est pour se concilier les Austrasiens que, l’année suivante (634), Dagobert leur donna un roi en la personne de l’enfant Sigebert III, ainsi qu’on a vu. Le chroniqueur ne manque pas d’ajouter :
« depuis lors, comme on sait, les Austrasiens n’ont pas manqué de défendre avec zèle le royaume des Francs et sa frontière ».
Dagobert prit une autre mesure, moins heureuse. Il installa comme duc particulier en Thuringe, Radulf qui s’acquitta de sa tâche avec succès. Mais, enflé de superbe, il tendit des embûches en plus d’une occasion à Andalgisèle, qui gouvernait l’Austrasie au nom de l’enfant-roi, Sigebert III, puis commença à se rebeller directement contre celui-ci. C’est que, « ainsi qu’on dit, qui aime les rixes médite la discorde », ajoute le soi-disant Frédégaire.
Somme toute, Dagobert n’a pu briser la puissance nouvelle de Samo qui, d’ailleurs, se dissipa à la mort de ce dernier, laissant un monde d’enfants, mais il a réussi à la contenir. A l’autre extrémité de l’Europe, Byzance sera incapable, par contre, d’endiguer le flot des invasions slaves.
La seizième année de son règne, Dagobert commença à souffrir d’un flux de ventre dans son domaine d’Epinay-sur-Seine, non loin de Paris, et fut porté à la basilique de Saint-Denis. Peu après, se sentant en péril de mort, il manda en toute hâte Aega et lui recommanda par la main la reine Nanthilde et son fils, Clovis. Il se sentait perdu et tenait Aega pour un sage politique, capable de bien gouverner le royaume. Cela fait, peu après, il rendit l’âme. II fut enseveli dans l’église de Saint-Denis qu’il avait magnifiquement décorée d’or, de gemmes et autres belles choses et qu’il avait entourée d’une clôture, pour s’attirer le précieux patronage du saint. Il l’avait enrichie de tant de domaines, de possessions en divers lieux que ce fut merveille. Il y avait institué le chant perpétuel à l’instar du monastère d’Agaune (Saint-Maurice). Dagobert n’avait que trente-six ans (19 janvier 639).
Le seul chroniqueur ancien qui nous ait retracé, et très imparfaitement, son règne, porte sur sa personne deux jugements entièrement opposés. Comme on a vu plus haut, il ne tarit pas d’éloges quand il le montre, au début de son règne, parcourant la Bourgogne et l’Austrasie, terreur des méchants, protecteur des faibles, en grand justicier. Mais ensuite le ton change du tout au tout. Dagobert s’installe à Paris. Alors
« oubliant la justice qu’il avait aimée auparavant, enflammé de cupidité pour les biens des églises et des leudes, il voulut avec les dépouilles qu’il amassait d toutes parts, remplir de nouveaux trésors. Adonné outre mesure à la débauche, il avait trois reines et une multitude de concubines. Les reines étaient Nanthilde, Vulfégonde et Berthilde. On ne saurait insérer dans cette chronique les noms des concubines tant elles étaient nombreuses. Son cœur changea et sa pensée s’éloigna de Dieu. Cependant, par la suite, il distribua généreusement des aumônes abondantes aux pauvres et s’il n’eût détruit le mérite de ses œuvres par son excessive cupidité, il aurait acquis le royaume éternel. »
Bien naïf qui prendrait au pied de la lettre les récriminations d’un chroniqueur, le prétendu Frégédaire, écrivant au delà du Jura, vingt ans après la mort de Dagobert, et tout dévoué au parti austrasien, alors tout-puissant, et furieux de voir délaisser 1’Austrasie. Nous sommes en présence de la plus ancienne diatribe provinciale contre Paris.
En Dagobert, l’homme nous échappe. Si mal informés que nous soyons par le chroniqueur, le souverain se laisse entrevoir. Dur aux grands, leur inspirant la terreur, au point que Pépin lui-même tremblait devant lui, politique habile, le plus souvent heureux, Dagobert a dû le succès à cette qualité mystérieuse : le prestige. Mais cette autorité toute personnelle ne pouvait lui survivre. Les forces de dissolution de la royauté, comprimées par lui, mais non détruites — chose impossible — se déchaînèrent au lendemain de sa mort. Dagobert est à la fois le plus brillant et le dernier des Mérovingiens. Quand ses fidèles descendirent son corps dans la crypte de l’abbaye de Saint-Denis, qu’il avait sinon fondée, du moins prodigieusement enrichie, c’est la monarchie mérovingienne qu’ils mirent au tombeau.
Retour à la Table des matières


Download 2,59 Mb.

Do'stlaringiz bilan baham:
1   2   3   4   5   6   7   8   9   ...   46




Ma'lumotlar bazasi mualliflik huquqi bilan himoyalangan ©hozir.org 2024
ma'muriyatiga murojaat qiling

kiriting | ro'yxatdan o'tish
    Bosh sahifa
юртда тантана
Боғда битган
Бугун юртда
Эшитганлар жилманглар
Эшитмадим деманглар
битган бодомлар
Yangiariq tumani
qitish marakazi
Raqamli texnologiyalar
ilishida muhokamadan
tasdiqqa tavsiya
tavsiya etilgan
iqtisodiyot kafedrasi
steiermarkischen landesregierung
asarlaringizni yuboring
o'zingizning asarlaringizni
Iltimos faqat
faqat o'zingizning
steierm rkischen
landesregierung fachabteilung
rkischen landesregierung
hamshira loyihasi
loyihasi mavsum
faolyatining oqibatlari
asosiy adabiyotlar
fakulteti ahborot
ahborot havfsizligi
havfsizligi kafedrasi
fanidan bo’yicha
fakulteti iqtisodiyot
boshqaruv fakulteti
chiqarishda boshqaruv
ishlab chiqarishda
iqtisodiyot fakultet
multiservis tarmoqlari
fanidan asosiy
Uzbek fanidan
mavzulari potok
asosidagi multiservis
'aliyyil a'ziym
billahil 'aliyyil
illaa billahil
quvvata illaa
falah' deganida
Kompyuter savodxonligi
bo’yicha mustaqil
'alal falah'
Hayya 'alal
'alas soloh
Hayya 'alas
mavsum boyicha


yuklab olish