Ferdinand Lot De l’Institut



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Les Fils de Clovis

Les luttes intestines



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La mort de tout fondateur d’Etat expose sa création à une brusque disparition, à moins que le fondateur n’ait laissé qu’un seul fils et adulte et héritier des qualités paternelles. Clovis laissait quatre fils, trois nés de Clotilde et mineurs, un quatrième né d’une femme inconnue, antérieurement à son mariage avec Clotilde, Théodoric (Thierry). Adulte, déjà utilisé par son père dans la conquête de l’Aquitaine, ce dernier fut certainement le chef de la famille à la mort de Clovis.Il procéda au partage du Regnum Francorum avec ses jeunes demi-frères. Des fils de Clotilde, Clodomir (en fr. Lumier) était l’aîné. Il eut la vallée de la Loire, d’Orléans à Tours, plus les cités de Chartres, Sens et Auxerre. Childebert (en fr. Heudebert) eut Paris, les vallées de la Seine et de la Somme, les côtes de la Manche jusqu’aux pays occupés par les Bretons, plus les cités de Nantes et d’Angers. Clotaire (en fr. Lothier ou Lobier) eut Soissons, Laon, Noyon, Arras et le vieux pays franc : Cambrai, Tournai, et le cours inférieur de la Meuse. Quant à Thierry il prit le lot le plus exposé, celui qui obligeait à faire face aux ennemis éventuels, les Germains : le pays des Ripuaires, la vallée de la Moselle avec Metz et Trêves, la Hesse franque, le protectorat des Alamans. Il y joignit la Champagne.
Le royaume des Goths, l’Aquitaine, fut dépecé. Chargé par son père en 507-508 de soumettre le Quercy, l’Albigeois, l’Auvergne et ses annexes, Velay et Gévaudan, Thierry garda ces contrées pour lui. lodomir eut Poitiers, Childebert, Bourges.
Il importe de constater que dans ce partage les fils de Clovis ne tiennent nul compte ni de la race, ni de la langue, ni même de la géographie. On se partage la Gaule comme s’il s’agissait d’un domaine privé, entre héritiers. Et puis le lot le moins bon, celui du plus jeune, est composé des premières conquêtes franques : Tournai, Cambrai, le Brabant. Visiblement les Mérovingiens s’en désintéressent. Ils sont déjà déracinés.
Que le système des partages qui se poursuivra à travers les siècles, soit au plus haut point impolitique, la chose va de soi. Les Francs, comme tant d’autres peuples, ne s’élevaient pas encore jusqu’au concept de l’Etat, qui veut que le pouvoir, quelle que soit sa forme, ne se partage pas. L’Etat, le Regnum, pour eux est un patrimoine. Par suite, il peut et doit se diviser en autant de parts que le père laisse de fils. D’autres peuples germaniques, les Vandales, les Burgondes, s’étaient élevés plus haut. Les premiers réservaient à l’aîné la royauté et ses prérogatives, les seconds lui concédaient les deux tiers du royaume. Mais, dans la pratique, ces sages dispositions n’empêchaient nullement les haines et les meurtres de frère à frère. La tradition romaine ne pouvait non plus fournir un modèle digne d’être imité. On avait bien vu deux personnages régner conjointement, mais c’était le père et le fils, même deux empereurs que ne reliait aucune parenté réelle, Marc-Aurèle et son « frère » Didius Julianus. Mais le procédé tenait à la force de l’idée de collégialité enracinée dans l’esprit romain depuis l’établissement du consulat, et cette idée n’était acceptable pour nul autre peuple. La tétrarchie, imaginée par Dioclétien, n’était concevable que pour l’administration d’un vaste Empire, devenue impraticable pour un seul homme, par suite des attaques des Barbares et de l’indiscipline des armées, et l’on sait la fragilité du système. Et voici que Constantin ayant trois fils coupe l’Empire romain en trois morceaux, déjà à la « mérovingienne ». Déjà aussi le partage ne réussit pas à établir la paix et la famille impériale s’entre-tue. Si la pratique des partages ne s’est pas enracinée dans le monde romain cela est dû, moins à une sagesse politique qu’au hasard qui a voulu que les empereurs du Ve siècle, tant à Rome, qu’à Constantinople, n’aient pas eu de postérité, ce qui a laissé le champ libre au principe de l’élection, lequel impose l’unité de pouvoir.
Les fils de Clovis ont bien compris que les partages exposaient le « royaume des Francs », à une ruine prochaine. Le premier mouvement a été de ne pas s’éloigner trop les uns des autres. C’est pour cette raison évidemment que, négligeant et l’Aquitaine et l’extrême Nord (le vrai pays franc), ils s’établirent en des cités assez rapprochées pour pouvoir se secourir, en cas de danger, avec plus de rapidité, Paris, Orléans, Soissons, Reims.
Le second procédé, plus efficace, fut le meurtre. En supprimant frères et neveux on rétablissait l’unité et la force du Regnum. La frénésie de l’assassinat commence en 524, alors que Clodomir étant mort en laissant trois jeunes fils, Childebert et Clotaire, voyant que le lot de leur frère aîné allait s’effriter, prennent le parti de supprimer leurs neveux. Grégoire de Tours nous a laissé le récit dramatique, « shakespearien » en son genre, du meurtre. Les deux oncles hésitèrent un instant devant le crime. Ils proposèrent à leur mère, Clotilde, de tondre les enfants, d’en faire des clercs ; privés de leur chevelure, attribut de la royauté chez les descendants de Mérovée, les fils de Clodomir n’étaient plus aptes à régner. Ils lui dépêchèrent Arcade, « sénateur » d’Auvergne, âme damnée de Childebert. Arrivé auprès de la vieille reine, Arcade lui présenta des ciseaux et une épée nue :
« Très glorieuse reine, tes fils, nos seigneurs, te donnent le choix les enfants vivront et ils seront tondus ; sinon ils seront mis à mort, »
Affolée, furieuse, égarée de douleur, la reine répondit : « J’aime mieux les voir morts que tondus. » Sans lui laisser le temps de se ressaisir, Arcade courut au plus vite rapporter cette réponse. Aussitôt Clotaire, saisissant l’aîné des enfants par le bras, le jeta à terre, lui enfonça un couteau dans l’aisselle. A ses cris, son frère se jeta aux pieds de Childebert et, lui saisissant les genoux, cria :
« Très cher père, sauve-moi, que je ne meure pas comme mon frère. »
Childebert, le visage baigné de larmes, s’adressant à Clotaire lui dit :
« Très doux frère, accorde-moi sa vie ; je paierai son rachat le prix que tu fixeras. »
Et Clotaire de répondre avec des insultes :
« Lâche-le ou tu mourras à sa place. C’est toi qui m’as entraîné dans cette affaire. Tu te rétractes vite ! »
Alors Childebert repoussa l’enfant et le jeta à Clotaire qui le tua en lui enfonçant un couteau dans le flanc, comme il avait fait du premier. Ils égorgèrent ensuite les serviteurs et les gouverneurs des victimes. Puis Clotaire monta à cheval et quitta Paris sans paraître ému du meurtre de ses neveux. Childebert se retira dans les environs. La reine ayant fait déposer les petits corps dans un cercueil, les conduisit avec des chants pieux, dans un deuil immense, à la basilique de Saint-Pierre ou on les ensevelit ensemble. L’aîné avait dix ans, l’autre sept ans. Le troisième, Clodoald, échappa, sauvé par des hommes (gardes) courageux. Il se voua au Seigneur, se coupa lui-même les cheveux et se fit clerc. Persistant dans son saint dessein, il mourut prêtre. Il avait fondé un monastère dans Paris, au lieu dit alors Nogent-sur-Seine, qui par la suite prit son nom : Saint-Cloud. Les deux oncles assassins se partagèrent par portions égales le royaume de Clodomir.
Il serait fastidieux de raconter par le détail les meurtres ou tentatives de meurtres des bêtes fauves nées de Clovis et de Clotilde. Clotaire faillit être victime de Thierry au cours de leur mutuelle expédition contre la Thuringe. Il avait mal caché les hommes qui devaient égorger son frère dans une entrevue. Craignant d’être découvert, il feignit d’avoir convoqué son frère pour lui faire un beau cadeau, un plat (discum) d’argent que le frère accepta. Désolé d’avoir cédé pour rien son précieux vase (catinum) Thierry dit à son fils Theudebert (en fr. Thibert) :
« Va trouver ton oncle et prie-le de te faire cadeau de l’objet que je lui ai donné. »
Thibert obtint gain de cause, « Thierry était très habile en ces sortes de ruses », ajoute Grégoire, non sans quelque admiration inconsciente.
A la mort de Thierry (534) Childebert et Clotaire s’unissent pour dépouiller leur neveu Thibert, mais celui-ci les apaisa par des présents et, appuyé par ses bandes, il affermit sa royauté. Revirement : Childebert, sans fils, adoptes alors Thibert et le comble de présents. Il s’allia avec lui pour accabler Clotaire. Celui-ci ne vit d’autre chance de salut que de se réfugier dans une forêt, probablement la forêt de Brotonne (Arelaunum), près de Rouen, et de s’entourer d’un abattis d’arbres. Childebert et Thibert étaient sûrs de l’accabler le lendemain. Mais, au matin, une tempête de grêle renversa les tentes, blessa les hommes, dispersa les chevaux, alors qu’elle épargnait le lieu où se tenait Clotaire. Ses deux adversaires, effrayés de ce prodige, firent la paix avec lui et s’en retournèrent. Miracle incontestablement dû à saint Martin : Clotilde s’était tenue toute la nuit en prières, suppliant Dieu de ne pas permettre la guerre entre ses fils, ajoute l’évêque de Tours. Il est surprenant qu’à la mort de Thibert (547 ou 548) son jeune fils, Theodebald (Thibaud), un dégénéré, ait pu régner. Pour peu de temps, au surplus. Il mourut en 555 et Clotaire recueillit seul son héritage.
Mais alors Childebert favorise la révolte de Chramne contre son père, Clotaire. Il meurt sans laisser de fils (558) et Clotaire s’empare de son « trésor » et met en prison (exilium) sa veuve, Ultrogothe et ses filles. En 560, il écrase en Bretagne son fils rebelle et le fait enfermer dans une cabane avec sa femme et ses filles, puis on y met le feu. Un an après, Clotaire expire à Compiègne en disant :
« Wa (sic) ! quel est ce roi du ciel qui fait mourir de si grands rois ? »
Il mourut dans cette tristesse (taedium), après un règne de cinquante ans. A force d’intrigues et de crimes, il avait rétabli l’unité du Regnum Francorum, mais pendant trois années seulement (558-561).

Les conquêtes des fils de Clovis
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En dépit de ces luttes fratricides et de ces crimes, la fougue encore irrésistible des Francs et aussi la faiblesse de leurs adversaires leur permirent de s’imposer en Gaule, en Germanie, un instant en Italie.
Leurs rois voulurent tout d’abord s’assurer l’entière possession du pays occupé par les Burgondes, leurs anciens alliés contre les Visigoths. Il semblait que ce royaume s’affermissait, grâce à un nouveau roi, de confession catholique, Sigismond, qui succéda à son père Gondebaud en 517. La piété du nouveau roi était intense. Tout de suite il convoqua à Yenne (Epaona), près du futur Chambéry, un concile imposant de vingt-quatre évêques qui condamna l’arianisme. L’antagonisme confessionnel entre le roi et ses sujets gallo-romains, une des causes de la faiblesse d’Alaric, n’existait donc plus. Cependant Sigismond n’était pas rassuré. Il voulut reprendre la politique traditionnelle de ses ancêtres, l’alliance avec l’Empire. La lettre à Anastase, due à la plume de l’évêque de Vienne, Avitus, accuse une soumission archaïque et vaine. Que pouvait, de Constantinople, l’empereur romain en faveur du Burgonde ? Le danger ne venait pas seulement du côté des Francs, mais du côté de l’Italie. Le roi des Ostrogoths avait déjà infligé une sévère leçon aux Burgondes pour avoir participé à la ruine du royaume de Toulouse (508-510), en les coupant de la Méditerranée. Conscient du péril, Sigismond avait apaisé Théodoric en épousant une de ses filles, Ostrogotha, dont il eut un fils, Sigeric. Malheureusement la reine mourut et Sigismond se remaria. Le dissentiment éclata entre Sigeric et sa belle-mère. Celle-ci persuada le roi que son fils voulait le faire périr pour s’emparer de la Burgondie, et aspirait aussi à la succession de son aïeul Théodoric en Italie. Sigismond fit étrangler son fils « un après-midi qu’il dormait assoupi par le vin ». Le meurtre à peine commis, le père fut saisi d’horreur et se précipita sur le corps en pleurant.
« Puis il se rendit au monastère d’Agaune (Saint-Maurice-en-Valais), y jeûna longtemps, implorant le pardon. Après y avoir établi le chant perpétuel il revint à Lyon, mais la vengeance divine le poursuivit. Le roi Thierry épousa sa fille (Suavegotha). »
Le ministre de la vengeance divine fut le roi des Ostrogoths. Grégoire de Tours fait intervenir Clotilde : elle aurait excité ses fils à venger la mort de son père et de sa mère. Assertion invraisemblable du moment que le roi de Burgondie était passé au catholicisme. L’évêque de Tours nous a transmis des traditions qu’il tenait certainement de l’entourage de la reine, retirée à Tours où elle mourut en 545, et ce n’est pas chose négligeable. Il a pu se produire une confusion avec l’attaque de Clovis contre Gondebaud en 500. Les fils de Clotilde ont obéi bien plutôt aux suggestions de l’Ostrogoth.
La Burgondie fut attaquée de deux côtés. Tuluin, à la tête des troupes de Théodoric, s’empara de la partie de la Provence située entre la Durance et la Drome, tandis que les Francs attaquaient par le nord et mettaient en fuite Godomar, frère du roi burgonde. Incapable de résister, Sigismond chercha un asile au monastère d’Agaune. Clodomir le fit prisonnier avec sa famille et l’emmena à Orléans. Sans doute n’avait-il pas osé violer l’asile et avait-il promis la vie sauve à Sigismond. Mais Godomar reprit les armes et recouvra la Burgondie. Clodomir, résolu à repartir, ne voulut pas laisser un ennemi derrière lui. Il fit jeter Sigismond, sa femme et ses filles dans un puits à Saint-Péravy-la-Colombe (Loiret, arr. d’Orléans, cant. Patay). La piété populaire en fit un lieu de pèlerinage et le roi burgonde fut considéré comme un saint. C’est, sous une forme contractée, saint Simond, honoré en plusieurs localités de la Gaule. Puis Clodomir marcha contre Godomar avec les deux autres fils de Clotilde et, cette fois, leur demi-frère Thierry, dégagé de tout scrupule par la mort de son beau-père.La rencontre eut lieu à Vézeronce, en Viennois (Isère, arr. La-Tour-du-Pin, cant. Monestel), le 25 juin 524. Les Francs se dirent vainqueurs, mais la mort de Clodomir annula leur victoire, ou prétendue telle, et Godomar recouvra le royaume. Clotaire, sans perdre de temps, épousa la femme de son frère, la reine Gontheuque. Lui et Childebert n’acceptèrent pas leur échec. En dépit des difficultés provoquées en Italie par la mort de Théodoric l’Ostrogoth (526), qui les privait d’un appui, ils reprirent les armes, sans le secours de Thierry. Celui-ci, pour apaiser la colère de ses gens qui, furieux de ne pas participer à la curée, menaçaient de le quitter, les mena saccager l’Auvergne qui, jadis, s’était soulevée contre lui. Clotaire et Childebert s’emparèrent de la ville d’Autun. Godomar prit la fuite. La conquête de la Burgondie fut plus dure et plus longue que ne le dit Grégoire de Tours. Commencée en 532, elle ne s’acheva qu’en 534, année où mourut Thierry, mais elle fut complète. Thierry avait dû mettre la main sur Autun et Chalon-sur-Saône, car ces cités apparaissent au pouvoir de son fils Thibert. Childebert prit Lyon.
De la lignée des rois burgondes, il ne resta personne, car on ne sait ce que devint Godomar. La race burgonde, si elle ne disparut pas totalement de la Gaule, comme ce fut le cas des Visigoths, fut réduite à peu de choses. Les traces de son établissement dans les régions des vallées du Rhône et de la Saône, sont rares. La partie qui, au Xe siècle, prendra le nom de duché de Bourgogne, ne conserve qu’un nombre infime de noms de localités pouvant attester l’établissement de ces Barbares. Par contre, le comté de Bourgogne, la Franche-Comté, comme on dira neuf siècles plus tard, renfermait un nombre imposant de noms barbares, mais ils peuvent être plutôt d’origine alamanique, les Alamans s’étant infiltrés jusqu’à Besançon au siècle précédent. Il en va de même en Suisse romande, dans e pays de Vaud : les noms de lieu décelant une forme germanique représentent plutôt une pénétration des Alamans repeuplant en masse l’Helvétie et imposant leur langue à plus des trois quarts de la Suisse actuelle. Seuls la Bresse et le Bugey près de Lyon, capitale de leurs rois, présentent un nombre de noms de lieu permettant de supposer un peuplement d’importance. Il n’apparaît pas qu’un seul terme de la langue burgonde que nous connaissons, au reste, fort mal, seulement par des noms de personne, ait passé dans les idiomes des pays romans occupés par eux. Leur droit subsista jusqu’au IXe siècle pour le moins, mais pratiqué par un nombre infime (perpauci) d’individus, comme le fit remarquer l’archevêque Agobard, qui supplia pour cette raison qu’on abolît la loi Gombette contenant, selon lui, des dispositions scandaleuses.
De leur type physique, rien n’a subsisté. D’origine scandinave, les Burgondes étaient grands et leur tête était allongée : c’est ce qui ressort des quelques tombeaux qu’on peut leur attribuer. Or, le type physique des régions où leurs rois ont dominé (Bourgogne, duché et comté, Savoie, Suisse romande) est exactement l’opposé c’est le type dit alpin ou cévenol : taille moyenne, tête ronde.
Et cependant, le nom de Bourgogne s’est conservé à travers les siècles. C’est qu’il était commode, permettant de distinguer des Francs, au Nord, et des Aquitains, à l’Ouest, les régions baignées par la Saône et le Rhône. Il ne faut attacher, du reste, aucune importance aux noms donnés par les envahisseurs au cours des invasions à des territoires occupés par les populations « romaines ». C’est ainsi que l’Andalousie conserve le souvenir du court séjour des Vandales en Espagne, la Catalogue (Gothalania) celui des Goths cependant fort peu nombreux en cette région. La Novempopulanie, depuis le VIIIe siècle a pris le nom de Gascogne, alors que les Basques ou Vascons qui s’en étaient emparés à la fin du VIe siècle, étaient, au nord de l’Adour, en nombre infime. Un instant, an VIIIe siècle, ce sera l’Aquitaine entière qui sera dite Vasconia. On donnait à un territoire le nom du peuple conquérant, si peu nombreux fût-il. Il y a même un exemple plus curieux, paradoxal : les colons allemands qui exterminèrent au XIIIe siècle, la peuplade lithuanienne des Borusses ou Prusci, en prirent le nom : Prussiens.
En Gaule, il ne restait plus que des adversaires de peu d’importance. Les Alains établis sur la Loire avaient disparu sans laisser d’autres traces de leur séjour que le nom d’Alain adopté par leurs voisins les Bretons. Ceux-ci payaient tribut aux rois francs depuis le règne de Clovis. Mais ils étaient d’incorrigibles pillards et il faudra diriger contre eux maintes expéditions dans la seconde moitié du siècle.
Les Anglo-Saxons établis dans le Bessin demeuraient groupés, mais, soumis aux Francs, ils participaient à leurs expéditions militaires.
De même, à l’ouest du Poitou, les Taïfales subsistaient. On les voit, peu après 561, se révolter contre les exactions du duc Austrapius. Ils étaient certainement en petit nombre et on n’entend plus, par la suite, parler d’eux. Ils ont laissé leur nom au pays de Tiffauges.
Par contre, une partie intéressante de la Gaule échappera encore longtemps aux Francs, la Septimanie. Conquise sur les Visigoths en 507, elle fut enlevée aux Francs, on l’a vu, grâce aux secours envoyés d’Italie par Théodoric le Grand. En 531, Childebert put mettre en fuite le visigoth Amalaric, qui s’obstinait à demeurer au nord des Pyrénées, et l’obliger à se confiner dans l’Espagne, mais il ne put conserver la Septimanie.
La région demeura sous l’autorité des rois visigoths d’Espagne et prit le nom de Gothie, qu’elle conservera encore quatre ou cinq siècles, bien que le nombre des Goths qui y habitaient ne fût pas beaucoup plus considérable qu’ailleurs et bien qu’elle ait été enfin reprise par Pépin, Charlemagne et Louis le Pieux.
Du côté de la Germanie, les Alamans fortement éprouvés ne bougeaient plus.
Avec les Bavarois, il se fit un accommodement. Les Marcomans, le peuple sans doute le plus redoutable de la Germanie, au temps d’Auguste, s’emparèrent au Ier siècle de notre ère du quadrilatère occupé au centre de l’Europe par le peuple des Boii de race celtique, lequel disparut. Les conquérants prirent le nom du pays, Boihemum (Bohême) et le transportèrent avec eux quand ils ne furent plus capables, sous la pression des Lombards, sans doute aussi des Slaves, de s’y maintenir (fin du Ve siècle). Les Baiovari (Bavarois) s’installèrent sur le cours supérieur du Danube, ayant pour voisins, au nord les Thuringiens, au sud-ouest les Alamans, dont le cours du Lech les séparait. Plus tard, ils occupèrent les régions alpines où les populations romaines du Norique et de la Rhétie se maintiendront encore plusieurs siècles. Il n’en reste plus aujourd’hui que quelques milliers dans le canton des Grisons. Ils parlent un dialecte latin, le « roumanche » que la Suisse vient de reconnaître comme quatrième langue officielle de la Confédération. Au dire de la Loi des Bavarois composée, il est vrai, longtemps après, au VIIIe siècle, une première loi aurait été rédigée à Châlons-sur-Marne à l’instigation du roi Thierry, le fils de Clovis, avec le concours des « sages » de cette nation : cela oblige à reporter le fait à une date antérieure à 534 et on ignore comment, à quel propos le Mérovingien établit son autorité sur la Bavière. Le plus probable, c’est que la race royale étant éteinte, les « sages » demandèrent à se placer sous l’autorité et la protection du plus puissant des rois francs. Les Bavarois conservèrent leurs usages, leur autonomie, mais leur chef ne porta plus que le titre de duc. En 555, Clotaire ayant épousé la veuve de son petit-neveu Thibaud, inceste aux yeux de l’épiscopat, prit peur et fit cadeau de la femme au duc bavarois Garibald.
Le grand ennemi, haï des Francs, depuis longtemps, c’est le Thuringien. Descendants des Hermondures, dont ils retiennent la fin du nom (Durii). refoulés par les Slaves (Sorabes et Moraves), qui s’emparent du cours oriental de l’Elbe et du cours de la Saale, les Thuringiens étaient établis entre le Thüringerwald, la Werra, la Mülde, l’Elbe occidental, l’Ohre, l’Oker, le Kaufungerwald et le Seulingswald. Du côté du Sud, ils pressaient fort les Alamans menaçant Passau et Lorsch.
L’occasion d’intervenir fut une querelle entre le roi Hermanfried et son frère Baderic. Le premier appela à l’aide Thierry. Grâce à son secours, il battit et tua son frère. Mais le Thuringien ne partagea pas le royaume avec le Franc, qui jura de se venger. Il s’adjoignit, en lui promettant sa part du butin, son demi-frère Clotaire. La résistance des Thuringiens fut dure, leur pays était d’accès difficile. Finalement ils furent écrasés sur l’Unstrutt. Grégoire de Tours à ce sujet est l’écho de traditions franques :
« On fit un tel carnage des Thuringiens que le lit de la rivière fut obstrué par les monceaux de cadavres, au point de permettre aux Francs de passer sur ces corps comme sur un pont pour gagner la rive opposée. Cette victoire les rendit maîtres du pays qu’ils mirent sous leur pouvoir. »
Assertion inexacte. Hermanfried échappa et Thierry n’en put venir à bout que par traîtrise. Il invita le Thuringien, qui lui avait « engagé sa foi », à Zülpich (Tulpiacum) et le combla de présents.
« Un jour que tous deux s’entretenaient sur les murs de la ville, Hermanfried, poussé on ne sait par qui, tomba du haut des murs et rendit l’âme. Qui le poussa ? Nous l’ignorons. Il ne manqua pas de gens pour voir là un trait de la fourberie de Thierry. »
Cependant la Thuringe ne subit pas le sort de la Burgondie. Elle conserva son autonomie sous des ducs tributaires des Francs.
Le Mérovingien étend vers cette époque son autorité sur des débris de petits peuples germaniques, voisins de la Thuringe. Ainsi un rameau d’Angles demeuré sur le continent et habitant, au sud de l’Unstrut, le canton qui conserva leur nom : Engelheim. Les Varins, entre la Saale et l’Elster, ont laissé leur nom au Werenfeld. Ils seront exterminés par les Sorabes au siècle suivant. Quelques-uns d’entre eux, réfugiés en Gaule, seront désignés par leur nom ethnique qui a donné en français, selon les régions, le nom d’homme Varin, Garin, Guérin. Citons encore les Norsavi, reste des Souabes demeurés dans leur premier habitat connu, les Eucii établis à la place des Anglo-Saxons dans la péninsule cimbrique.
Par la Bavière, Thibert put mettre pied en Pannonie. Il avait besoin de pouvoir traverser la vallée du Danube pour l’exécution d’un plan grandiose et chimérique qu’il roula un instant dans sa tête, l’attaque de l’empire byzantin.
Avec un seul peuple germanique, les Saxons, les Francs n’eurent pas le dessus. Le début de leurs différends nous échappe. A une date qui se place vers 556, Grégoire de Tours nous donne ce qui suit :
« Cette année les Saxons s’étant rebellés, Clotaire leva contre eux son armée, en extermina la majeure partie, dévastant la Thuringe entière pour avoir porté secours aux Saxons. »
Puis, un peu plus loin, il rapporte une tout autre version, sans s’apercevoir de la contradiction :
« Clotaire, à la mort de Thibaud (nov.-déc. 555), ayant acquis le royaume de France (regnum Franciae), alors qu’il le parcourait, apprit des siens que les Saxons, repris de leur ancienne folie, étaient en effervescence et refusaient de verser les tributs annuels, comme de coutume. Irrité, il marche contre eux. Il n’avait pas atteint leur frontière qu’il reçut leurs envoyés avec ce message : « Nous ne te dédaignons point. Nous ne refusons pas de payer ce que nous versions de coutume à tes frères et à tes neveux, nous donnerons même davantage, si tu le réclames. Nous ne demandons qu’une chose : la paix ; pas de conflit entre ton armée et notre peuple. » A ces mots Clotaire dit aux siens : « Ces hommes disent bien. Ne tombons pas sur eux, de peur d’offenser Dieu. » Mais les siens répliquèrent : « Ce sont des menteurs, nous le savons, ils ne rempliront pas leurs promesses. Marchons sur eux. » Alors les Saxons offrirent la moitié de leurs biens pour avoir la paix. Et Clotaire dit aux siens : « Renoncez à l’attaque, de peur d’exciter contre nous la colère divine. » Les siens refusèrent. Les Saxons offrirent ensuite vêtements, troupeaux, et tout leur avoir : « Prenez tout, laissez-nous seulement la moitié de notre terre, nos femmes et nos enfants, mais qu’il n’y ait pas de guerre entre nous. » Une fois de plus, les Francs refusèrent. Et Clotaire de répéter : « Assez, assez, je vous en supplie, renoncez à votre propos. Le droit n’est pas pour nous. Renoncez à un combat que vous perdrez. Si vous vous obstinez dans votre dessein, je ne vous suivrai pas. » Alors, pleins de fureur, ils se jettent sur lui, mettent sa tente en pièces en l’accablant d’insultes et le tirent par force, en voulant à sa vie. A regret, le roi marcha avec eux. On livra combat. Les Saxons firent d’eux un grand carnage. de part et d’autre, il périt un si grand nombre de gens qu’on ne peut les dénombrer avec exactitude. Clotaire consterné demanda la paix, protestant qu’il n’avait attaqué qu’à regret. Il l’obtint et retourna chez lui. »
Que nous soyons en présence d’un récit fabriqué par Clotaire et son entourage pour pallier une sanglante défaite, la chose n’est pas douteuse. Ce qu’il en faut retenir, c’est l’excuse invoquée. La réputation de sauvagerie et d’indiscipline des armées franques était si connue qu’il ne semblait pas invraisemblable et maladroit d’attribuer une attaque inconsidérée, suivie d’une grosse défaite, à la brutale obstination de l’armée du roi, plus sage et plus humain que les siens.
L’ambition de Childebert, déçue en Septimanie, en 531, se tourna vers l’Espagne, en 542. Il prit Pampelune, mais échoua devant Saragosse, et fut rejeté au nord des Pyrénées par le roi visigoth Theudis. De l’expédition Childebert rapporta du moins une relique insigne, la tunique de saint Vincent. Il bâtit, sous Paris (vers 542 ?), dans une prairie, un monastère qui prit le nom du martyr honoré à Saragosse. Bien plus tard, il changea ce vocable pour celui de Saint-Germain-des-Prés.
C’est surtout du côté de l’Italie que se sont portées les convoitises des Mérovingiens. La lutte inexpiable commencée en 535 entre les Ostrogoths et les Byzantins offrit à Thibert une occasion d’intervenir. Il joua double jeu, promettant ses secours aux deux adversaires. En 539 il écrit à l’empereur Justinien, son « illustre seigneur et père », pour s’excuser du retard dans l’envoi des 3.000 hommes qu’il a promis d’adresser au patrice Bregantin, à Milan, protestant de son « amour à l’égard de l’autorité impériale », mais, au dire de l’historien Procope, il dépêche aussi au secours des Ostrogoths 10.000 Burgondes, assurant qu’il n’est pas de mauvaise foi, sous le prétexte mensonger que ce peuple ne lui est pas soumis. Parvenues en Italie, les bandes de Thibert pillèrent et massacrèrent indistinctement Goths et Romains. Elles montrèrent une telle férocité que la terreur les accusa de pratiquer des sacrifices humains, quoique chrétiens. Les épidémies seules en délivrèrent l’Italie. Provisoirement, car ils reparaissent dans les derniers temps de la domination gothique.Une grande entreprise de pillage et de conquête est organisée, sinon par Thibaud (Theudebald) successeur incapable de son père, Thibert, du moins par un conseil de Francs de l’Est et d’Alamans. Une armée franco-alamanique, commandée par deux chefs, les frères Buccelin et Leuthari, franchit les Alpes au printemps de l’année 553. Cette fois, elle s’en prit ouvertement aux Byzantins qui ne purent lui disputer le passage du Pô. Les envahisseurs s’installèrent dans la plaine du Pô et jusqu’en Vénétie. Puis, au printemps de 554, Leuthari mena une grande expédition de pillage dans l’Italie du Sud, jusqu’en Calabre et en Pouille. Après quoi, il reprit le chemin du Nord pour mettre le butin en sûreté. Mais, près de Fano, il se heurta aux Byzantins, commandés par un Arménien et un Hun qui leur reprirent une partie du fruit de leurs rapines. L’armée de Leuthari, rentrée en Vénétie, fut atteinte et détruite par une épidémie dont son chef fut également victime.
Buccelin, de son côté, envahit la Campanie, la Lucanie, le Bruttium, et poussa jusqu’à Reggio, en vue de la Sicile. Le bruit courut même en Gaule qu’il avait fait la conquête de l’île. Puis il revint en arrière. Son armée était affaiblie par la dysenterie. A Casilinum, près de Capoue (Capoue antique) il se trouva en face du grand capitaine byzantin Narsès, accouru de Rome. Les Franco-Alamans furent exterminés par une manœuvre enveloppante et leur chef périt dans l’action (554).
La fin des derniers soubresauts de la résistance gothique, l’union de l’Italie à 1’« Empire romain », c’est-à-dire à Constantinople (pragmatique du 13 août 554), la mort enfin du roi des Francs de l’Est, Thibaud (Theudebald), en novembre ou décembre 555, détournèrent pour longtemps les Francs de nouvelles entreprises au delà des Alpes.
On remarquera que les entreprises les plus dures, en Thuringe, en Italie ont été suscitées par les Mérovingiens de l’Est, Thierry, son fils Thibert, son petit-fils Thibaud. Ils ont pu appeler à l’aide Clodomir, lever des auxiliaires parmi leurs sujets burgondes et alamans, l’initiative des opérations leur revient.
L’armement, la tactique, l’esprit de combat, les qualités et les défauts des armées franques nous sont connus avec détail pour l’Italie seulement, grâce aux historiens byzantins contemporains, Procope et Agathias, et à un traité d’art militaire dû à l’empereur Maurice, rédigé vers l’année 580.
Ce fut une bonne fortune pour les Mérovingiens de n’avoir pu mettre la main sur l’Italie, pas plus que sur l’Espagne. Ils se seraient épuisés, affaiblis, ruinés à vouloir maintenir cet ensemble hétérogène sous leur autorité.
Maîtres de la Gaule, dominant les peuples de Germanie, les Francs, au milieu du VIe siècle, exercent une hégémonie véritable sur l’Europe occidentale, alors que l’empereur byzantin, malgré le prestige que lui a valu la reprise de l’Afrique, de l’Italie, d’une partie de l’Espagne, ne trouve aucun appui réel dans ces régions auxquelles, dit-il, il a « rendu la liberté » et qu’il a « ramenées au bonheur passé ». Son œuvre, de conception archaïque, est éphémère, alors que la force franque est une réalité.
Mais un mal profond mine l’Etat mérovingien, le partage du Regnum. Il va susciter plus que jamais des conflits sanglants entre frères, entre oncles et neveux. La royauté en recevra une atteinte grave et l’hégémonie franque sur les peuples voisins en ressentira le contre-coup.
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CHAPITRE III
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