La vie de chacun d’entre nous n’est pas une tentative d’aimer. Elle
est l’unique essai.
Pascal QUIGNARD
San Francisco, le 13 avril 1973
Archie, mon amour,
D’abord, la nuit.
D’abord, le pire.
Tout ce qui nous fait mal.
Tout ce qui nous tue.
Nos peurs, les fantômes de nos deux passés.
Ils sont tous là et nous les regardons en face : ton premier amour, mon premier amour, le vertige du
vide, le chanteur « belle gueule » qui a détruit mon cœur et mon corps et que j’aurais pourtant suivi
jusqu’en enfer, ta première femme : cet ange blond qui t’avait tant touché par son altruisme.
C’est important de savoir les regarder en face dans toute leur séduction, important de savoir aussi
qu’ils ne nous abandonneront pas facilement, que viendra un jour où le chanteur me rappellera pour me
dire qu’il m’a toujours dans la tête et que cette fois, il est disponible, qu’il m’a écrit une chanson pour me
dire « je t’aime » et que, si la dernière fois qu’il m’a vue, il m’a traitée de pute en m’envoyant une gifle, ce
n’était pas vraiment lui et c’était parce qu’il m’aimait…
Alors, peut-être que, pendant quelques secondes, je le croirai…
Viendra aussi un jour où tu vas recroiser l’infirmière blonde et où tu te souviendras qu’il y a parfois eu
des matins parfaits et où, pendant quelques secondes, tu auras à nouveau envie de la protéger, elle qui
t’aimait tellement parce qu’elle te croyait « différent des autres »…
Important aussi de savoir que la séduction prendra d’autres formes : qu’il y aura d’autres hommes qui
chercheront mon regard et qu’il y aura d’autres femmes dont la fragilité te touchera encore.
Voilà, elles sont toutes là, devant nous : les menaces passées et celles à venir, mais les fantômes, les
soleils trompeurs et les séductions faciles finissent par s’estomper. Ils résistent pourtant, s’agrègent les uns
aux autres pour former un nuage épais. La terre tremble, un éclair fulminant secoue les portes et les
fenêtres, laissant le vent s’engouffrer dans la pièce. Son souffle puissant ne fait que nous caresser, mais il
expulse violemment le brouillard menaçant.
Puis le vent se calme, nous nous retrouvons tous les deux, seuls, dans notre petit appartement posé sur
l’eau. Les rayons de soleil éclaboussent le parquet. Je tiens ta main, tu tiens la mienne. Tu me souris et je te
souris. La peur nous a traversés sans nous atteindre.
Dans le miroir se reflète notre image : celle d’un couple encore jeune qui a la vie devant lui.
Le plus beau reste à venir. Le plus beau, ce sont les années qui viennent, les dizaines d’années qui
s’ouvrent devant nous.
Nous sommes jeunes, mais nous avons déjà suffisamment vécu de choses pour connaître le prix du
bonheur.
Nous sommes jeunes, mais nous savons déjà qu’au grand jeu de la vie, les plus malheureux sont ceux
qui n’ont pas pris le risque d’être heureux.
Et je ne veux pas en faire partie.
Autrefois, pour garder leurs hommes, les femmes acceptaient leurs alliances et leur faisaient des bébés.
Aujourd’hui, cela ne marche plus.
Quel moyen nous reste-t-il pour retenir celui qu’on aime ?
Je n’en sais rien.
Tout ce que je peux te promettre, c’est d’être toujours là pour toi, désormais, quoi qu’il puisse arriver.
Dans la joie et la douleur
La richesse et la pauvreté
Tant que tu voudras de moi
Je serai là.
Je te souris et tu me souris. Il y a de la lumière partout. Une si belle lumière…
Dans notre « chez nous », il y a aussi une fenêtre magique. Une fenêtre qui permet quelquefois
d’entrevoir des images de l’avenir.
D’abord, nous sommes réticents. On est si bien, tous les deux, ici et maintenant. On a si chaud, nos
cœurs et nos corps mêlés, tes lèvres à mes lèvres scellées.
Pourquoi prendre le risque de vouloir connaître demain ?
— Allez, viens, Archie ! on y va !
Main dans la main, nous nous approchons de la fenêtre et nous regardons à travers :
C’est nous, dans une chambre d’hôpital.
C’est un hôpital, mais nous ne sommes pas malades. La chambre est pleine de chaleur, de lumière
douce et de bouquets de fleurs. Dans la pièce, il y a un berceau et dans le berceau, un nouveau-né.
Tu me regardes, je te regarde. Nos yeux brillent. Ce bébé, c’est le nôtre.
C’est une petite fille. Elle ouvre les yeux. Elle aussi nous regarde et, d’un seul coup, nous sommes trois,
et nous ne faisons plus qu’un.
D’un seul coup, nous sommes une famille.
Archie, mon amour, lorsque tu es avec moi, je n’ai peur de rien.
Archie, mon amour,
Je t’aime.
Valentine
23
Halfway to hell
3
Le destin attend toujours au coin de la rue. Comme un voyou, une
pute ou un vendeur de loterie : ses trois incarnations favorites. Mais
il ne vient pas vous démarcher à domicile. Il faut aller à sa
rencontre.
Carlos RUIZ ZAFON
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