Que serais-je sans toi



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Que serais je sans toi by Guillaume Musso Musso Guillaume z lib

Ne pense pas aux choses que tu n’as pas comme si elles étaient déjà
là ; fais plutôt le compte des biens les plus précieux que tu possèdes,
et songe à quel point tu les rechercherais, si tu ne les avais pas.
MARC AURÈLE
Du noir.
Du noir.
Du noir.
Un murmure :
… mon amour…
Du noir.
Un bourdonnement.
Le bip régulier d’un sous-marin.
Un souffle puissant et cadencé comme une respiration mécanique.
Une lumière que l’on devine puis…
Martin ouvrit les yeux avec difficulté. Il était en nage, avait la tête lourde et le
souffle  court.  Ses  paupières  étaient  gluantes,  pleines  d’un  liquide  collant  et
visqueux. Le visage brûlant, il s’essuya les yeux avec le revers de sa manche et
regarda  autour  de  lui.  Il  était  dans  un  aéroport,  affalé  en  travers  du  fauteuil
métallique  d’une  salle  d’embarquement.  Il  se  redressa  et  se  mit  debout  d’un
bond.
Il jeta un coup d’œil à sa montre : 8 h 10 du matin, le 25 décembre.
Dans  un  fauteuil  à  côté  de  lui,  une  adolescente  aux  cheveux  blonds  filasse
connaissait le même réveil douloureux. Il remarqua son air terrifié, son mascara
qui  avait  coulé  et  son  tee-shirt  rose  pâle  barré  de  l’inscription 
Ni  sainte  ni
touche
.
Où était-il ?
Il s’avança vers la baie vitrée. L’aérogare n’était que lumière et espace : une
cathédrale  futuriste  de  verre  et  d’acier,  un  dôme  transparent  en  forme  d’ellipse
dont une extrémité s’avançait dans la mer comme un immense vaisseau. Sur les
pistes  de  décollage,  alignés  en  file  indienne,  des  avions  argentés  patientaient
avant de prendre leur envol. Baigné d’une lumière chaude et dorée, le bâtiment


ressemblait  à  une  bulle  cristalline  posée  près  de  l’eau,  d’où  ne  parvenait  aucun
bruit extérieur.
Le  paradis  ?  L’enfer  ?  Le  purgatoire  ?  Non,  même  enfant  lorsqu’il  allait  au
catéchisme,  Martin  n’avait  jamais  cru  aux  dogmes  de  l’Église  ni  à  leur
représentation schématique.
Quoi alors ? Un rêve ?
Non, tout était trop précis, trop net pour être autre chose que la réalité.
Il se massa les tempes et la nuque avec les pouces. Il se souvenait de tout ce
qu’il avait fait ces dernières heures : la trahison de Gabrielle, le vol du diamant,
son affrontement sur le pont avec Archibald, leur chute de 70 mètres. Ça, il ne
l’avait pas rêvé, donc il ne pouvait être que… mort.
Il  tenta  d’avaler  un  peu  de  salive,  mais  sa  gorge  était  sèche.  Il  essuya  la
transpiration sur son visage.
Au  bout  de  la  rangée  des  portes  d’embarquement,  il  avisa  un  débit  de
boissons dont les tables donnaient sur les pistes : le 
Golden Gate Café
.
Un  nom  prédestiné
,  pensa-t-il  en  s’avançant  vers  le  comptoir  derrière  lequel
officiait  une  magnifique  métisse  aux  yeux  clairs,  en  minishort  et  débardeur
échancré.
— Pour monsieur, qu’est-ce que ce sera ?
— Euh… Un peu d’eau, c’est possible ?
— Gazeuse ou plate ?
— Vous avez de l’Évian ?
Elle  recoiffa  sa  chevelure  flamboyante  tout  en  le  considérant  comme  un
plouc :
— Évidemment.
— Et du Coca aussi ?
— Mais d’où sortez-vous ?
Il paya – 10 dollars ! – sa bouteille d’eau et sa canette de soda et revint vers la
rangée de chaises en métal. La jeune ado au tee-shirt provocant était toujours là,
grelottante  et  claquant  des  dents.  Martin  lui  tendit  sa  bouteille  d’eau,  devinant
qu’elle mourait de soif.
— Comment tu t’appelles ?
—  Lizzie,  répondit-elle  après  avoir  vidé  d’un  trait  une  bonne  moitié  de  la
bouteille.
— Tu te sens bien ?
— Mais où on est, là ? demanda-t-elle en pleurant.


Martin  éluda  la  question.  Elle  était  trempée  de  sueur,  le  corps  parcouru  de
frissons.  Dans  sa  vulnérabilité,  elle  lui  rappelait  Camille,  la  petite  fille  sur
laquelle il avait veillé pendant plusieurs années. Il lui laissa la canette de soda et
l’abandonna un moment, le temps d’effectuer un achat dans l’une des boutiques
de souvenirs du terminal.
De retour auprès d’elle, il lui lança un sweet-shirt à capuche aux couleurs de
l’université de Berkeley.
— Mets ça, tu vas prendre froid.
Elle enfila le pull après lui avoir fait un timide signe de tête qui voulait sans
doute dire merci dans la langue des adolescents perdus.
— Tu as quel âge ? demanda-t-il en s’asseyant à côté d’elle.
— Quatorze ans.
— Tu habites où ?
— Ici, à San Francisco, près de Pacific Heights.
—  Tu  te  souviens  de  la  dernière  chose  que  tu  as  faite  avant  de  te  retrouver
ici ?
Lizzie essuya les larmes qui coulaient sur son visage.
—  Je  sais  plus.  J’étais  chez  moi…  J’ai  beaucoup  pleuré  puis  j’ai  avalé  des
trucs… Des trucs pour mourir.
— Quels trucs ? Des médocs ?
— Non, maman avait cadenassé l’armoire à pharmacie.
— Quoi alors ?
—  Je  suis  allée  dans  la  remise  au  fond  du  jardin  et  j’ai  avalé  ce  que  j’ai
trouvé : de la mort-aux-rats et du désherbant.
Martin était consterné :
— Pourquoi t’as fait ça ?
— À cause de Cameron.
— C’est qui ? Ton petit ami ?
Elle approuva de la tête.
— Il ne m’aime plus. C’était tellement fort pourtant…
Il  la  regarda  avec  tristesse.  Que  l’on  ait  quinze  ans,  vingt  ans,  quarante  ans,
soixante-quinze  ans,  c’était  toujours  la  même  histoire  :  cette  putain  de  maladie
d’amour qui dévastait tout sur son passage, ces moments de bonheur si fugaces
qui exigeaient un prix exorbitant à payer…
Martin essaya néanmoins d’en plaisanter :
—  Si,  à  quatorze  ans,  tu  commences  à  vouloir  te  foutre  en  l’air  à  cause  des
mecs, t’as pas fini, ma petite !


Mais Lizzie voyait bien que quelque chose clochait.
— On est où ? redemanda-t-elle, le regard terrifié.
— Je n’en sais rien du tout, avoua-t-il en se levant, mais je te jure qu’on va
s’en tirer fissa !
 
Il courait.
Avec la jeune fille dans son sillage, Martin courait.
Peu importait la réalité de cet endroit, il avait la certitude qu’il fallait en sortir
et que le plus vite serait le mieux.
Ce n’était pas un rêve, ce n’était ni le paradis ni l’enfer – on ne vendait pas au
ciel des canettes de Coca Zero à 5 dollars – c’était autre chose.
Et c’est cet « autre chose » qu’il fallait fuir.
Il  décida  de  faire  confiance  aux  panneaux  indicateurs  et  suivit
méthodiquement ceux qui indiquaient « Sortie – Taxi – Bus ».
Ils  le  guidèrent  jusqu’à  la  zone  de 
duty  free
  dans  un  très  long  couloir  où,
d’Hermès à Gucci, toutes les marques de luxe avaient une boutique dédiée. Puis
ils traversèrent le 
food-court
 et sa vingtaine d’enseignes qui, autour d’un atrium
central,  proposaient  un  large  éventail  de  spécialités  culinaires  :  hamburgers,
salades, sushis, pizzas, couscous, kebabs, fruits de mer…
À  intervalles  réguliers,  Martin  se  retournait  vers  Lizzie  pour  l’encourager  à
presser le pas.
Ils  prirent  un  escalator  puis  un  tapis  roulant  à  grande  vitesse  interminable,
comme on en trouvait gare Montparnasse à Paris, sauf que celui-ci n’était pas en
panne.
Tout en longueur, le bâtiment était rassurant, propre et clair. Plusieurs équipes
de nettoyage s’activaient à faire briller les baies vitrées, dont la surface ondulait
comme celle de l’eau au rythme des variations de la lumière dorée.
La foule était dense et se pressait dans une ambiance de départ en vacances.
Bonnets,  écharpes,  nez  qui  coulent,  paquets-cadeaux  :  certains  groupes
s’apprêtaient à fêter Noël. D’autres au contraire arboraient les couleurs de l’été,
portant des bermudas colorés et un bronzage de surfeurs.
Martin prit la main de Lizzie et accéléra, bousculant quelques passagers sur sa
route : cadres fripés jouant les hommes d’affaires, ados endormis sous le casque
de leur iPod…
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