Jadis au malheureux on procurait du pain;
A présent on fait mieux, on leur jette Dupin.
A travers tant de honte et de douteuses frimes,
C'est un mets nécessaire à nos nouveaux régimes.
Les blés qui l'ont produit, dites-vous, sont peu nets;
Alors, prenez-vous en aux Champs du Nivernais.
Tout pouvoir, en naissant, peut dire: Il est des nôtres.
Aux proscrits Dupin dur et Dupin tendre aux autres,
Il fallait ce régal à la cassante cour;
Elle en est empêtrée, elle en rit sans détour.
Mon parler, criez-vous, n'est qu'une arlequinade.
Non, non, beau conseiller, c'est une Duplinad!
Jadis, à saint Acheul, c'était Dupin béni;
C'est vrai qu'à Vaugirard, ce fut Dupin honni!
Sifflé, conspué, soit; c'est une bonne rente;
Malgré cent camouflets, il est de bonne vente.
Il n'a jamais été Dupin de Cardinal.
J'en suis fâché, contrit, c'est Dupin doctrinal.
Il eut, me dites-vous, couvert de moisissure.
Quinze lustres ont fui depuis sa pétrissure!
Après les six premiers, c'était Dupin durci,
Est-il bien étonnant qu'il soit Dupin moisi?
S'estimant nécessaire au palais de Justice.
On l'y vendra bientôt comme Dupin d'épice;
Pour lui le Luxembourg chauffa son four exprès;
Malgré ça, croyez-moi! ce n'est pas Dupin frais.
De nos vieux gallicans, gardant le patrimoine,
Il leur fait digérer pis que Dupin d'avoine.
Ils n'ont jamais compris que, d'un aigre levain,
On ne peut le donner en pâture à l'humain;
Qu'avec son goût puant, tenant du famélique,
Il ne peut qu'engendrer une affreuse colique.
A quoi peut être bon Dupin cent fois recuit?
A charger l'estomac pendant toute la nuit;
A donner la nausée et le mal des chicanes,
A chasser le bon sens des terres gallicanes.
D'accord avec Satan, il a tant travaillé,
Qu'il pourrait bien enfin être Dupin grillé.
Pour nos religieux, qu'il sait prendre à la gorge,
Il a toujours été plus dur que Dupin d'orge.
Tous les loulous du Siècle, à ses pieds ébahis,
Depuis son Manuel, n'ont plus que Dupin bis.
Joignez-lui les pareils d'il signor la Farine,
Puis, saupoudrez le tout de fleur Garibaldine,
Et tous les calottins perchés sur un juchoir,
Allongeront leurs dents, en mangeant Dupin noir!
Si l'on pouvait un jour nous appliquer sa règle,
Il faudrait tous, morbleu! manger Dupin de seigle.
Dom Guizot eût bien fait, évitant un échec,
De laisser là Billy pour manger Dupin sec.
Encensez ce Dracon, lui montrant quelque lucre,
Et, d'aigre qu'il était, il est Dupin de sucre:
Avec ce talisman, si peu qu'on l'arrangeât,
Il fut toujours Dupin de prince ou de goujat.
Faites aux gens de bien un parti dommageable,
Et vous aurez toujours, fichstre! Dupin mangeable.
Pour moi, je suis certain qu'on l'a cher acheté,
Après tout, c'est Dupin, dernière qualité.
Il nous fallait, dit-on, Dupin coûte que coûte;
J'en conviens, mais pourquoi n'acheter qu'une croûte?
Enfin, décidons-nous pour en tirer parti,
A manger des marrons avec Dupin rôti!
Manque d'autorité face au sectarisme
[16] Mgr. Genouilliac, évêque de Grenoble, dont ses prêtres disaient qu'il voulait mourir archevêque, fut nommé à la place du cardinal de Bonald, mais il ne le remplaça point. Il prit possession de son siège après le 4 septembre et fut insulté dès le premier jour en montant à Fourvière. Il s'occupait d'études et abandonnait l'administration à ses vicaires généraux, à Lyon comme à Grenoble. On avait répondu à un paysan dauphinois qui voulait lui parler: "Il étudie. - Diantre! répliqua-t-il, on devrait nous donner un évêque ayant fini ses études."
[17] Le Second Empire touchait à sa fin et avait mal tourné depuis plusieurs années. Duruy, ministre de l'Instruction publique, avait repris les taquineries du Roi-bourgeois, contre les congrégations religieuses. Dans une discussion au Sénat, il avait dépeint les congréganistes par cette phrase insolente et fausse: "Trois aunes de drap suffisent pour fabriquer un Frère des Ecoles Chrétiennes!..." Ce ministre ne méritait pas les éloges que le R. Frère avait prodigués à la famille impériale.
Début de la guerre
[18] La retraite du Régime se fit au mois de juillet. Le 20, le prédicateur nous annonça que l'Empereur venait de déclarer la guerre à la Prusse et exprima des craintes sur les suites de cette guerre. On sait qu'elle fut désastreuse pour notre patrie.
[19] Sous prétexte qu'il avait besoin de toutes ses troupes, Napoléon retira les 5.000 hommes qui défendaient le Pape contre les appétits voraces de la démagogie italienne. Le même jour, le Maréchal Mac-Mahon fut battu et perdit 10.000 hommes à Wissembourg. La débâcle commença. L'Alsace et la Lorraine furent envahies. Le Maréchal Bazaine et plusieurs généraux ne furent pas à la hauteur de leur tâche.
[20] L'ennemi enferma l'Empereur avec 80.000 hommes à Sedan. Napoléon III se rendit lâchement. A cette nouvelle, l'Impératrice et les ministres perdirent la tête et abandonnèrent la capitale à quelques députés sans vergogne, soutenus par une poignée de communards. Nos soldats avaient débuté joyeusement et en chantant qu'ils allaient à Berlin; 400.000 environ durent y aller en effet comme prisonniers et y passer un rigoureux hiver.
[21] Cependant, dès les premières défaites, le gouvernement avait décrété l'appel de tous les hommes valides de 20 à 25 [ans], non mariés ou veufs sans enfants, même de ceux qui avaient déjà fait un service. Les supérieurs prirent les mesures nécessaires pour garantir les Frères dont l'engagement
247 était expiré ou qui n'en avaient point fait.
Organisation des retraites
[22] Les retraites générales devenant impossibles, une circulaire convoqua les Frères directeurs par districts et dans des maisons désignées. Les Frères Assistants du Nord, de Saint-Paul et de La Bégude se rendirent dans leurs provinces pour présider ces réunions ou s'y faire remplacer par les Frères Visiteurs. Les Frères directeurs avaient reçu l'ordre d'apporter leurs comptes et de quoi solder le vestiaire de leurs établissements.
[23] Nous accompagnâmes le R. Frère à Ambérieux, à Saint-Didier-sur-Chalaronne, où nous apprîmes, le 5 septembre, que la République avait été proclamée la veille à Lyon, à Charolles où elle fut proclamée pendant la nuit, à Digoin et à Charlieu.
[24] Le R. Frère faisait des instructions et recevait la direction des Frères, tandis que nous réglions les questions matérielles. Il était visiblement inquiet et dans les voitures, il demandait des nouvelles aux voyageurs qui paraissaient être renseignés. Ayant fait nos dévotions et entendu une grand'messe à Charlieu, le 8 septembre, nous prîmes des mesures pour le retour.
Un retour dramatique
[25] Nous avions reçu 30.000 fr. dont 13.000 en billets de banque. Le Révérend voulant porter quelque chose, nous lui remîmes ces 13.000 fr. comme étant plus légers et nous gardâmes les 17.000, en or ou en argent.
[26] Nous voulûmes prendre à Roanne le train de 2 heures du soir correspondant à Lyon avec celui de Saint-Etienne. A l'insu du Révérend nous avions garni les obédiences pour la station d'Irigny, prévoyant qu'il y aurait des désordres à Perrache. Malheureusement ce train n'arriva à Roanne qu'à 3h ½ et à Lyon avec un retard de 2 heures, après le départ de celui de Saint-Etienne. Il fallut nous résigner à attendre les omnibus sur le quai du Rhône, le Révérend n'osant pas se hasarder à les aller prendre à Bellecour. Plusieurs arrivèrent au grand complet. Nous dûmes nous acheminer à pied.
[27] Un poste de prétendus gardes nationaux était établi à l'entrée de La Mulatière. Il était composé d'hommes en blouse, n'étant pas à jeun et communards pour la plupart. Ils fouillaient les omnibus et arrêtaient les piétons. Nous nous trouvâmes séparés du Révérend par la foule. Il fut arrêté le premier et nous ensuite. On nous conduisit au corps de garde. La nuit arrivait. Nous dûmes y stationner une longue heure, attendant une sorte de capitaine qui devait décider de notre sort.
[28] Le Révérend pouvait cacher ses billets, mais nous ne pouvions déguiser notre mitraille. Ces voyous voulaient en connaître le montant, ils se le seraient approprié sans scrupule. Le Révérend, évidemment très effrayé, nous ordonna de montrer ce que nous portions et d'en dire le montant. Par prévision, nous avions placé une assez forte couche de papier froissé sur le magot contenu dans notre sac. Nous dûmes ouvrir celui-ci. Les voyous ne virent que les papiers. Comme leurs mains s'avançaient pour fouiller, nous refermâmes le sac et fîmes bonne contenance.
[29] Il fut question de nous conduire à la prison Saint-Joseph où plusieurs prêtres avaient été enfermés la veille. Un tilbury nous attendait à la porte. Le R. Frère était pâle. Nous nous insurgeâmes et dîmes de gros mots à nos geôliers. Le Révérend nous en reprit. Le capitaine attendu arriva enfin et désigna 6 hommes armés pour nous conduire à Oullins, mais il leur enjoignit de marcher devant nous sans avoir l'air de nous conduire, pour ne pas attirer sur nous les regards de la foule.
[30] La lune brillait au firmament. Nos conducteurs se montrèrent convenables, mais la nouvelle de notre arrestation nous avait devancés à Oullins. Nous y trouvâmes une foule d'au moins 1.500 personnes à figures sinistres pour la plupart. Grand nombre de mégères surtout étaient horribles à voir. "Vous les tenez enfin ces calotins criaient-elles, gardez-les bien."
[31] Conduits à la mairie d'Oullins, on donna à nos conducteurs un reçu attestant qu'ils avaient su nous garder et on nous confia à 4 autres, voyous dans la force du mot, qui nous mirent entre eux 4, brandissant leurs fusils et nous traitant comme des malfaiteurs. Le Révérend marchait avec peine. Sans réflexion, nous prenions notre pas accoutumé. "Halte là! Citoyen!" cria plusieurs fois l'un de nos geôliers.
[32] Le Révérend ayant demandé à être conduit dans notre maison, comme le capitaine de La Mulatière le lui avait promis, reçut une réponse brutale. Quant à nous, nous affections de n'avoir pas peur et nous faisions intérieurement cette réflexion: "Ces voyous savent que nous portons de l'argent. Si nous les avions rencontrés isolément, ils nous auraient fait un mauvais parti et nous l'auraient pris, tandis que, gardes nationaux, bien que peu disciplinés, ils se voient condamnés à protéger nos personnes et notre argent."
[33] Ceux de La Mulatière nous avaient arrêtés sous prétexte que nous n'avions pas de passeports. "Comment ! avions-nous répondu, les mauvais sujets de l'Europe entière se promènent librement dans notre malheureux pays, sans aucun passeport, et on nous arrête dans un endroit où nous sommes connus et à quelques pas de notre demeure. Quelle République nous f.... là?" Ces paroles et nos regards indignés les avaient fait taire.
[34] Il n'eût pas été prudent de parler ainsi à ceux qui nous conduisirent à Saint-Genis. Ils nous menèrent au corps de garde où l'un des adjoints qui avait dîné plusieurs fois à la Maison, leur donna un écrit attestant qu'ils avaient bien rempli leur mission et un bourgeois présent nous accompagna chez nous. "Enfin s'écria le Révérend, nous voici débarrassés, mais ces voyous savent que nous apportons de l'argent. Ils pourraient bien venir en nombre attaquer la maison pendant la nuit pour s'en emparer."
[35] Nous lui répondîmes: "Si le Frère Procureur ne sait pas mettre à l'abri ce que nous lui apportons, il sera un fameux maladroit." Le F. Procureur alla enterrer nos 30.000 fr. dans l'enclos.
[36] C'est ainsi que nous finîmes de célébrer la fête de la Nativité que nous avions bien commencé à Charlieu.
Circulaire du 20-09-1870
[37] Le 20 septembre, le R. Frère adressa une petite circulaire et un règlement aux Frères des postes, pour les aider à faire la retraite dans chaque établissement.
[38] Ceux de Nantua voulurent changer de confesseur pendant cette retraite. Ils s'adressèrent à un curé de campagne qui refusa d'abord de les entendre, disant qu'il n'en avait pas le droit. "Vous ne pourriez pas nous confesser à Nantua, sans une mission spéciale, lui dit le F. directeur, mais nous venons à vous. Vous pouvez nous entendre dans votre église. - Attendez, répliqua le bon curé, je vais consulter mes livres." Il revint demi-heure après disant: "Je n'ai rien trouvé, mais sur votre parole, je vais vous confesser."
[39] Dans la même circulaire, le Révérend donnait les avis suivants:
1 Le douze dudit, le ministre de l'Instruction publique a maintenu aux congrégations enseignantes, à la charge par ceux-ci de fournir un certificat d'exercice, l'exemption du service;
2 Nous fournissons nous-mêmes ce certificat;
3 Entendez-vous avec vos administrations civiles pour rouvrir vos écoles;
4 Prêtez-vous néanmoins au service des ambulances lorsque vous en serez requis;
5 Nous interdisons de nouveau tout voyage, même à la maison-mère, à moins d'une permission écrite. Dès que le service des chemins de fer le permettra, on expédiera les classiques et le vestiaire;
6 Nous n'autorisons que les dépenses absolument nécessaires;
7 Sous la pression des municipaux lyonnais, la compagnie a dû suspendre les demi-places dans le département du Rhône; on doit présenter les obédiences partout ailleurs (la demi-place n'était refusée qu'aux gares de Lyon; on pouvait l'obtenir à l'Ile-Barbe, à Miribel, etc.);
8 Evitez-nous les changements et les embarras avec les autorités nouvelles;
9 Je recommande tout spécialement à vos prières le C.F. Ulbert de Saint-Paul-3-Châteaux et le C.F. Landry d'Aubenas qui s'embarquent à la fin de ce mois avec Mgr. Elloy des Pères Maristes et des Religieuses pour la mission d'Appia en Océanie. C'est la 1re maison d'école que nous fondons dans ces îles."
[40] Les Frères partis de 1836 à 1859, étaient restés isolés les uns des autres à la suite des Pères.
"La guerre à outrance"
[41] Sous la présidence du général Trochu, les députés de Paris avaient établi un gouvernement qu'ils appelaient de la "Défense nationale". Ils avaient déclaré qu'ils ne céderaient "ni un pouce de notre territoire, ni une pierre de nos forteresses." Ils voulaient la guerre à outrance.
[42] A l'appel fait par les derniers ministres de l'Empire, ils avaient ajouté, le 29 septembre, celui des hommes valides de 35 à 40 ans, non mariés ou veufs sans enfants.
[43] Malgré leurs bravades, les Allemands assiégèrent la capitale le 17 septembre et le gouvernement s'y trouva enfermé, à l'exception des Juifs Crémieux et Glais-Bizoin, de l'amiral Fourichon et de Silvy, délégué de l'Instruction publique qui avaient pu s'évader et s'étaient réfugiés dans le palais de Mgr. Guibert, archevêque de Tours.
[44] Dans son grand désir d'exempter tous les Frères, soit de l'armée régulière, soit de la garde nationale mobilisée ou de la garde nationale sédentaire, le Révérend fit plusieurs circulaires, les surchargea tellement de citations, de lois, de décrets, de circulaires ministérielles et d'explications qu'il fallut une grande attention aux Frères pour les comprendre.
[45] Pour plus de sûreté, il se rendit à Tours, avec un des Frères des Ecoles Chrétiennes de Lyon qui l'hébergea chez ses Frères de Tours. Là, il prépara et fit signer à Crémieux et au délégué de l'Instruction publique le décret du 12 octobre dont voici la teneur:
[46] Art. 1
er — Les fonctionnaires de l'enseignement public sont dispensés de la garde mobilisée.
[47] Art. 2 — Les fonctionnaires en exercices, non munis d'un engagement décennal, devront contracter immédiatement cet engagement pour pouvoir jouir de la dispense accordée par l'article 1
er du présent décret. Est applicable à la garde nationale mobilisée, en ce qui concerne le personnel de l'enseignement, l'article 4 de la loi du premier février 1868, sur la garde nationale mobile.
[48] Ce décret fut inséré au
Moniteur, le 16 octobre, avec une note du délégué de l'Instruction publique expliquant aux préfets la manière de l'appliquer.
[49] Notre Révérend rendait ainsi un grand service à toutes les congrégations d'hommes, alors que le T.H.F. Philippe et ses Assistants étaient enfermés dans Paris et ne pouvaient rien faire au-dehors, ce qui n'a pas empêché aux auteurs de sa vie de lui attribuer tout le mérite de la mesure dont nous parlons.
[50] Cependant le gouvernement provisoire avait dissout les Conseils Généraux, ceux d'arrondissement et ceux des communes. Le fameux Chalemel-Lacour dont nous avons déjà parlé, était arrivé à Lyon comme commissaire extraordinaire, avec le citoyen Gomot, comme secrétaire général.
[51] Le citoyen Montaut s'était installé à la mairie de Saint-Genis-Laval. Aux diverses élections, il refusait de laisser voter nos Frères ayant moins de 40 ans, leur criant à tue-tête qu'ils devaient être sous les drapeaux, bien qu'il fût en âge d'y être lui-même et qu'il n'eût aucun motif d'exemption. Il déguerpit enfin et s'exempta en se cachant. Le petit rentier Cochet qui vient de se pendre, lui succéda à la mairie.
Occupation de la maison-mère par les troupes
[52] Sur ces entrefaites on organisait les mobilisés en légions. Le bruit courut qu'une de celle de Lyon allait occuper notre maison-mère. Le Révérend était encore à Tours. Le C.F. Jean-Baptiste envoya un exprès à la préfecture pour conjurer l'occupation. L'exprès ne put voir que le citoyen Gomot. Il en reçut de belles promesses. Lorsqu'il les transmit au C.F. Jean-Baptiste celui-ci répondit: "Je vous l'avais bien dit, je ne craignais rien, on ne s'épouvante pas quand on a vu 1830!"
[53] La joie fut grande, mais de courte durée. L'ordre de céder la maison aux mobilisés arriva le lendemain.
[54] Le noviciat fut envoyé à l'Hermitage. La plupart des juvénistes de cette maison furent renvoyés dans leurs familles et les autres admis au noviciat. Le jeune P. Clair, gai, courageux et très aimable se dévoua pour remplacer les Pères à Saint-Genis. Le père du F. Cariton, retiré à la maison-mère depuis quelque temps, le F. Emile, malade et le F. Anselme, aveugle, avaient été reçus gratuitement à la Charité: les deux premiers y moururent.
[55] Le 13 octobre et le 14, les provisions, tout le mobilier et les archives furent transportés dans la chapelle. Tous les Frères présents s'en occupèrent. Il en résulta un certain pêle-mêle inévitable au milieu duquel une partie des archives disparut.
[56] La plupart des Frères furent ensuite disséminés dans les divers établissements.
[57] Le 15 octobre, la première légion du Rhône envahit la maison. Elle était généralement composée d'hommes convenables, au nombre de 2.000, sous le commandement du colonel Celler.
[58] Il nous sembla voir encore la mine déconfite du C.F. Jean-Baptiste. Il refusa d'abord de quitter sa chambre. Avec les Frères Euthyme, Félicité, Abel et les employés dans les divers ateliers, nous nous retirâmes dans la maison Chandelus. Le tapage et les inconvenances de certains mobilisés obligèrent le C.F. Jean-Baptiste à quitter sa chambre. Le Révérend étant de retour, se rendit à l'Hermitage et y passa l'hiver.
[59] Les provisions étaient enfermées dans la chapelle, mais les caves étaient pleines de vin, d'arquebuse et de liqueur. Bien que l'on eût solidement fermé les portes et muré les soupiraux, on n'était pas sans crainte.
[60] La première légion ne causa aucun dégât. Pour retenir ses hommes et leur enlever tout prétexte de s'évader, le colonel demanda qu'ils pussent trouver dans la maison tout ce dont ils avaient besoin. Les Frères Tite, Odon et une douzaine d'autres, en pékins, furent désignés pour tenir une buvette et un magasin de bric-à-brac. La buvette débitait, moyennant finances, au comptant, le vin, les liqueurs et le café sous la présidence du F. Odon. Le froid étant rigoureux, il eut beaucoup à souffrir dans ce service ainsi que ses aides étant en plein air et obligés de laver sans cesse des verres. On tira ainsi parti de tout le vin de la maison, à 30 centimes le litre, du vin moins bon se vendait 50 centimes à Saint-Genis. On fit écouler aussi une forte partie des liqueurs. On dut même acheter une assez grande quantité de vin que l'on écoula aussi. Sous la présidence du F. Tite, le magasin renferma bientôt tout ce que les mobilisés pouvaient désirer: tabac à fumer et à priser, pipes, cigares, porte-monnaie, couteaux, cache-nez, gants, etc.
[61] Après la première légion vinrent les mobilisés de la Gronde, sous le commandement et à la solde de M. Carayon-Latour. Ils se conduisirent très bien et demandèrent même à chanter une messe en musique dans la chapelle, ce que l'on regretta de ne pouvoir les accorder.
[62] Ils demeurèrent peu et furent remplacés par des Alsaciens et des Lorrains qui ne tenaient pas à se mesurer avec les Allemands, mais qui se montrèrent exigeants, même insolents. Il fallut leur céder la nef de la chapelle, après avoir accumulé ce qu'elle renfermait dans le chœur et dans les chapelles latérales et l'avoir garanti par une cloison en planches.
[63] Les cantinières faisaient la cuisine des chefs des mobilisés. Quant aux soldats, ils dévalisaient la maison et l'enclos pour se procurer le bois nécessaire à leurs popotes.
[64] Une des cantinières emprunta un jour une casserole au F. Straton qui préparait la nourriture des Frères restés dans la maison. Il la réclama vainement plusieurs fois. Impatienté, il se rendit dans la cuisine et la trouva sous le fourneau pleine de viande. La saisir, la lancer contre un carreau de la croisée qui vola en éclat, et la laissa passer dans la cour avec son contenu fut l'affaire d'un instant. Il fut appréhendé au corps et enfermé dans l'atelier du F. Frémen qui servait de salle de police, avec une trentaine de mobilisés. Le F. Procureur général eut de la peine à le tirer de là après plusieurs heures et en payant le dîner compromis.
[65] Le F. Procureur avait fait enterrer un tonneau contenant 5 ou 6 hectolitres d'alcool. 40 centimètres de neige avaient ensuite recouvert la terre. Quand cette neige disparut, le terrain s'affaissa un peu sur ledit tonneau. Les Alsaciens, croyons-nous, flairèrent une bonne aubaine et découvrirent le fût en se réjouissant bruyamment. Averti, le F. Procureur les rejoignit et leur dit: "Je vais vous faire profiter de votre trouvaille." Il fit apporter des cordes solides. Le tonneau fut tiré du trou. Le F. Procureur tira un peu du liquide dans un verre et le goûta. Il en offrit ensuite aux mobilisés présents. L'un d'eux en avala gloutonnement plusieurs gorgées, puis il fit une effroyable grimace en criant que c'était du poison. Les autres se retirèrent et le F. Procureur put faire mettre le tonneau en sûreté.
[66] Les Alsaciens furent remplacés par la 3
e légion du Rhône et celle-ci par un corps de Marseillais. La maison fut ainsi occupée pendant plus de quatre mois.
Nouveaux engagements
[67] Il n'y eut que 6 vêtures en 1870, à cause des dérangements apportés par la guerre: 2 à Saint-Genis, 2 à Beaucamps, 1 à l'Hermitage et une à Saint-Paul. Elles donnèrent 122 nouveaux Frères à la Congrégation.
[68] Mgr. Grimley, évêque du Cap, en présida une à Beaucamps. Les Pères Maristes, aumôniers, ou des curés prêchèrent et présidèrent les autres.
[69] Les retraites annuelles n'ayant pu avoir lieu comme à l'ordinaire, il n'y eut pas d'émissions de vœux cette année-là. Chacun put renouveler les siens en particulier ou publiquement, après les retraites locales qui furent faites plus ou moins sérieusement, les Frères étant livrés à eux-mêmes.
Nos défunts
[70] Malgré ces grandes occupations sur les champs de bataille de l'Alsace et de la Lorraine en 1870, la mort faucha les 31 sujets de l'Institut dont les noms suivent:
Lanier, postulant; les Frères Germier, Ferdinandus, Marie-Francis, Laurent, Hyacinthe, et André-Corsini, novices; les Frères Odelbert, Marie-Alphonse, Simplice, Thérin, Cécilin, Germano et Cisélus, obéissants; les Frères Ludovinus, Caleb, Marie-Valbert, Chumald, Michel-Ange, Adaucte, Bénétius, Marcel, Abraham, Jean-de-Dieu, Siméon, Sérénus, Ferrier-Joseph et Syndime, profès; les Frères Ignace, Césaire et Benoît, stables.
[71] Le F. Chumald mourut au Cap-de-Bonne-Espérance dont il fut le premier directeur, après avoir supporté patiemment une longue et douloureuse maladie.
[72] F. Michel-Ange aurait pu être surnommé le silenciaire, tant il parlait peu. Il était timide et l'on aurait pu le croire peu intelligent, mais on se serait gravement trompé. Avec des talents à peine ordinaires, son dévouement et ses vertus le firent réussir dans toutes les positions où il fut placé, surtout à Quintenas et à Préaux qu'il dirigea pendant 24 ans.
[73] Le F. Marcel était le cadet du F. Siméon, mort en 1843 et de Gabrielle Fayasson, décédée à l'Hermitage en 1890.
[74] Cette excellente fille y était entrée 50 et quelques années auparavant et avait été acceptée par le pieux Fondateur pour soigner la lingerie. Elle avait été chargée seule de ce soin jusqu'à l'arrivée des sœurs dont elle avait gardé la direction pendant quelques temps. Elle avait continué ensuite de les aider avec le même dévouement qu'elle eût pu mettre à soigner ses intérêts personnels. Elle était attachée au P. Champagnat et à son œuvre, autant que les Frères les plus dévoués.
[75] F. Abraham mourut dans l'île de Samoa, à Apia, avant qu'un établissement régulier y eût été fondé, comme nous l'a dit le Révérend.
[76] F. Siméon, de la Province de Saint-Paul, était un sujet d'une excellente vertu, un des plus mortifiés et des plus dévoués. N'ayant jamais eu de main droite, il avait dû apprendre à écrire de la main gauche, ce qui ne l'empêchait pas de le faire très vite et d'être le premier calligraphe de la Province.
[77] Le F. Ignace passa presque toute sa vie religieuse dans la direction des établissements de Saint-Symphorien-sur-Coise et de Charlieu. Les habitants de ces deux localités, même ceux dont les opinions n'étaient pas en faveur des congréganistes, le vénéraient. D'un caractère vif lorsqu'il sentait que l'impatience allait le dominer, il jetait sa calotte à terre et marchait dessus: l'impatience était ainsi refoulée. Bien que médiocrement instruit, son dévouement, son savoir faire et ses qualités aimables le faisaient réussir. C'est lui qui fonda le pensionnat de Charlieu sur les ruines d'un prétendu collège et qui le fit arriver assez vite à une véritable prospérité. Sa santé chancelante ayant engagé les supérieurs à confier la direction de l'établissement à un autre, les Charliandins réclamèrent le F. Ignace et l'obtinrent, mais ce bon religieux fut aussi soumis à son successeur qu'aurait pu l'être le novice le plus obéissant. Il était stable comme les deux dont les noms vont suivre.
[78] Le F. Césaire, notre cousin, était aussi un excellent religieux dont la vie n'eut rien extérieurement de très remarquable, mais qui se perfectionna sans ménagement et sans bruit. Directeur du noviciat d'Hautefort pendant assez longtemps, les peines morales ne lui manquèrent pas, non plus que les souffrances physiques que lui procura un rhumatisme aigu et tenace.
[79] Frère Benoît avait été marchand ambulant avant d'être reçu dans l'Institut par le pieux Fondateur. Il aimait à raconter que, pour guérir les rhumes que ses courses lui procuraient, il buvait un verre de vin dans lequel il avait fait infuser une très forte dose de poivre: c'était un remède de cheval. Son caractère naturellement dur servait souvent d'exercice à sa vertu. Il avait remplacé le F. Louis à la librairie et en prenait les intérêts d'une façon que la plupart des Frères directeurs traitaient d'avarice, l'accusant de ne savoir pas rabattre 0,05 fr. sur le montant des factures, ni donner une image à ceux-mêmes qui faisaient les plus grosses emplettes. Il n'économisait pas pour lui.
[80] Revenant de Saint-Ferréol, son pays natal, et descendant à Firmin à pied, une voiture lancée à outrance l'atteignit et le renversa à un détour. Il eut le courage de se relever et de se rendre dans la maison la plus proche, bien qu'il eût la clavicule brisée. Les Frères du Sacré-Cœur vinrent l'y prendre et le soignèrent de leur mieux chez eux, aidés par M. le curé, son vicaire et plusieurs habitants. Il y mourut au bout de 3 jours. Il avait 45 ans de communauté et avait su se tenir ferme contre les procédés décourageants de M. Courveille, pendant la maladie du P. Champagnat.
Nouvelles fondations
[81] Malgré la guerre, on fonda les quatre maisons dont les noms suivent, en 1870: Monteux, Viols-le-Fort, Méricourt et Fresnes.
[82] Monteux est la patrie de Saint-Gens. On peut lire un résumé de sa merveilleuse histoire et de celle de la procession originale qui se fait encore le jour de sa fête, dans les annales de cette maison.
Voici l'extrait de ces annales.
[83] On célèbre sa fête [Saint-Gens] le 16 mai en y mêlant des pratiques qu'il n'aurait pas assurément approuvées.
La veille, au soleil couchant, 2 enfants de 12 ans vont prendre le bâton d'une bannière à l'église et, au bruit des boîtes, ils l'emportent au galop jusqu'à l'hermitage [où le saint est mort, à 16 km de la localité]. Peu après, des jeunes gens au-dessous de 20 ans, vont prendre la statue du saint à l'église, reçoivent la bénédiction de leur curé à la porte et s'enfuient aussi à toutes jambes au signal d'un coup de pistolet. Ils sont vêtus d'une culotte courte, de guêtres de nakin et la tête entourée d'un foulard jaune. Une grande foule, même des vieillards galopent avec eux jusqu'à un amandier auprès duquel tous font une pause, mangent des oranges, boivent une rasade et se donnent le baiser d'adieu. La foule s'en retourne et les porteurs de la statue reprennent leur course jusqu'à Saint-Didier où ils rencontrent la multitude des pèlerins provençaux. A deux heures du matin ceux-ci portent la statue au lieu appelé: Le lit de la mer, où ils chantent un cantique en l'honneur du saint. Les jeunes gens viennent reprendre leur fardeau à 7 heures et le portent dans la chapelle de l'hermitage où l'on dit une messe. Ce même jour, à 5 heures du matin, 2 pénitents prennent un Christ en argent dans l'église de Monteux, sont accompagnés de leurs confrères jusqu'à la porte du bourg où le curé bénit le Christ et le couvre d'un voile. Les 2 pénitents partent ensuite comme l'éclair avec leur précieux fardeau, aux acclamations de la foule et au bruit des boîtes. S'ils veulent mériter des éloges, ils doivent franchir les 16 km qui séparent Monteux de l'hermitage en une heure et quart. M. le curé et la municipalité de Monteux partent en voiture pour l'hermitage après le départ du Christ.
Le retour à Monteux a lieu dans la soirée, le pénitent portant le Christ apparaît le 1er, haletant mais fier. L'enfant de 12 ans portant la bannière déployée de Saint-Gens arrive un moment après tout en nage. Ils sont applaudis l'un et l'autre par la foule et réconfortés d'un verre de vin, sur plusieurs points de la route. Un coup de feu se fait entendre. Soudain apparaissent les porteurs du saint, le curé et la municipalité, accompagnés de nombreux cavaliers et de voitures. Une immense acclamation accueille le saint. Tous veulent passer sous sa statue. On lui fait faire ensuite le tour du bourg aux cris répétés de la multitude et aux multiples détonations des boîtes. Il rentre triomphalement à l'église bientôt bondée par la foule qui, dans une sorte de délire et aux claretés d'une brillante illumination, chantent des cantiques en patois en l'honneur du saint. La bénédiction du Saint-Sacrement est solennellement donnée, après quoi les cris et les cantiques en l'honneur de Saint-Gens sont [repris] avec une véritable frénésie.
... La statue du saint est portée à l'hermitage tous les ans, avec les mêmes cérémonies, depuis plus de 6 siècles. Elle le fut même pendant les années de la Terreur, quoique d'une façon moins bruyante, mais la plus belle médaille a un revers. Après avoir fêté Saint-Gens, comme nous venons de le dire, la multitude se livre à la danse, aux plaisirs sensuels, etc. C'est ainsi que la pauvre humanité gâte les meilleures choses.
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