Ferdinand Lot De l’Institut


° Décadence de la royauté



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2° Décadence de la royauté

A. Affaiblissement politique
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Moins d’un siècle après la mort de Clovis la monarchie franque donne des signes irrécusables de décadence. Ses pouvoirs exorbitants se heurtent à des obstacles puissants. Non pas que les populations se soient révoltées. Les masses se montrent aussi dociles, aussi inertes que sous l’Empire romain. Seuls des excès dans la levée des impôts peuvent émouvoir une sédition locale, au reste vite et cruellement réprimée. L’opposition est venue d’ailleurs, de l’ascension d’une classe nouvelle, l’aristocratie gallo-franque, classe qui se rend maîtresse du moteur de l’Etat, le « palais ».
Les Francs, on l’a dit, ne connaissaient plus d’autre famille noble que la famille royale, celle des descendants de Mérovée. Mais les Gallo-Romains avaient une noblesse de fait, celle des très grands propriétaires revêtus de la dignité de sénateurs romains, les Clarissimes. Dispensés de fréquenter Rome, ils constituaient en Gaule une puissante aristocratie dominant le pays économiquement.Elle se continua sous les Mérovingiens, toujours au premier plan de la société, donnant des évêques à l’Eglise, des fonctionnaires à l’Etat qui ne pouvait que gagner à s’attirer ses services.
Du côté franc, une aristocratie se constitua inévitablement. Clovis et ses successeurs, s’ils n’opérèrent pas de confiscations en masse sur le sol des indigènes, récompensèrent leurs dévoués par de larges concessions de terre. C’est que, comme sous l’Empire, la propriété foncière est la seule richesse et elle seule assure la considération sociale.
Entre ces deux aristocraties le rapprochement était fatal et il est évident qu’il s’opéra par des mariages. Comme sous l’Empire, cette classe recherche les fonctions publiques et par point d’honneur et par intérêt. C’est en elle que le Mérovingien puise le plus souvent ses dévoués, ses fonctionnaires.
Un véritable apprentissage est institué à la cour, au « palais ». Le futur fonctionnaire doit faire, à peine au sortir de l’enfance, son stage de « dévoué » au service du prince, sous la responsabilité d’un grand personnage laïque ou ecclésiastique attaché à la cour, auquel ses parents l’ont « recommandé ». Entre « commendés » il se crée des liens au cours des années d’apprentissage au « palais ». Ces liens ne sont pas rompus, même par l’éloignement lorsque le « commendé » a atteint l’âge où une fonction dans une province peut lui être accordée. La nécessité de prendre les ordres du roi et des officiers de la cour, d’apporter à la caisse centrale, le « trésor », le produit de l’impôt ; de conduire à l’ost le contingent du pagus, ramène au Palais chaque année, comtes et « domestiques ».
Ceux d’entre les « commendés » qui sont entrés dans 1’Eglise sont, eux aussi, rappelés souvent auprès du roi, pour les affaires de l’Eglise et de l’Etat. Entre gens élevés au palais il se crée une véritable solidarité et ces gens sont aussi, le plus souvent, des propriétaires fonciers jouissant de l’ascendant que la propriété confère aux yeux des populations.
La puissance latente du « palais » s’est exercée à l’occasion de minorités répétées, en Austrasie surtout, lors des règnes de Thibaud (547-555) et de Childebert II (575-584). Il n’en pouvait être autrement, le Palais représentait le gouvernement en ce cas.
En même temps, le Palais avait à son service une force nouvelle, celle des Ducs. On a dit qu’ils se multiplient dans la seconde moitié du VIe siècle, lorsque les rois cessent de diriger la totalité des opérations militaires et ont besoin de lieutenants généraux. Tout de suite ces personnages apparaissent brutaux, insolents, indisciplinés.
Cependant, le Palais n’eût peut-être pas réussi à brider la royauté, puis à la dominer, s’il n’avait acquis un système nerveux central, en la personne d’un chef, le major domus, le maître de la Maison du roi, le maire du Palais, comme disent les historiens modernes. Surveillant du personnel de tout ordre composant la maison, 1’« Hôtel du roi », comme on dira plus tard, le major avait donc autorité sur lui. Autorité également sur les « commendés » du Palais, et aussi sur ceux qui avaient obtenu, gracieusement ou à prix d’argent, la protection particulière du souverain, qui s’étaient placés sous sa mainbour. L’entretien matériel du « Palais » lui donnait également la surveillance des domestici, administrateurs des domaines dont les produits en nature alimentaient la cour, autorité sur les finances, d’où son pouvoir d’opérer des confiscations au bénéfice du « trésor » ou de faire des restitutions en cas de confiscations injustifiées. En l’absence du roi, il préside le tribunal central, celui du Palais. Il exerce un pouvoir de coercition allant jusqu’au droit de mort, au moins sur le personnel inférieur. A l’occasion il est homme de guerre et chef de l’armée. Il est donc à la fois ministre de la Maison du roi, de la justice, des finances. Il est, à vrai dire, le ministre unique de la monarchie mérovingienne.
Toutefois, ce n’est pas du premier coup que le major domus a acquis l’ensemble de ces attributions qui ont fait de lui un vice-roi ou un grand-vizir. Les autres monarchies germaniques et les grands propriétaires, et cela dès les temps romains, avaient leurs majores domus, mais ceux-ci n’étaient que des « majordomes » au sens premier du terme et les trois personnages de ce titre dont parle Grégoire de Tours n’ont pas dépassé ce stade. Pour que la fonction ait acquis cette importance prodigieuse chez les Mérovingiens il a fallu que les circonstances aient permis cette ascension. Ces circonstances sont les minorités qui ont suivi les meurtres de Sigebert (575) et de Chilpéric (584). II s’est trouvé alors des majores domus en Austrasie, en Neustrie, en Bourgogne, personnages obscurs pour nous, faute de textes, qui ont pris le pouvoir et ont haussé la fonction. Ils ont eu, ce faisant, la complicité du « Palais », avide de saisir l’autorité sous la conduite d’un chef. C’est cette complicité, cette bonne volonté des gens de cour qui a consolidé la charge et cela presque instantanément, car, dès le début du VIIe siècle, il apparaît que les rois ne peuvent rien sans l’appui du major.
La fin du despotisme royal est marquée véritablement par l’édit de 614. L’extermination des descendants de Sigebert, l’union en la personne de Clotaire II des trois parties du Regnum Francorum séparées depuis 561, la nécessité de mettre fin aux troubles et guerres qui avaient déchiré l’Eglise et l’Etat au cours de cette longue période, nécessitèrent la réunion d’une double assemblée ecclésiastique et laïque qui se tint à Paris, en octobre. Le concile ne réunit pas moins de soixante-dix-neuf évêques et fut vraiment un concile des Gaules. Les plaintes et propositions des évêques touchent, comme il convient, toutes sortes de sujets d’intérêt exclusivement ecclésiastique, mais signalent aussi les violences et spoliations dont les églises ont été victimes. Les griefs des laïques nous sont connus par les dispositions mêmes de l’Edit qui ont pour but de les apaiser.
L’Edit commence par donner satisfaction aux desiderata de 1’Eglise. Il rétablit la liberté des élections épiscopales (c. 1 et 2), réprime les intrigues des clercs contre leurs supérieurs (c. 3), déclare les clercs non justiciables des tribunaux publics, sauf en matière criminelle (c. 4), confie à l’évêque la défense en justice des affranchis (c. 7). Le roi s’interdit d’autoriser par un acte écrit le rapt, même en vue de mariage, des vierges et des veuves qui entendent se vouer à Dieu, soit à domicile, soit dans un monastère (c. 18). La défense des églises doit être prise par les juges et aussi celle des immunités accordées par les prédécesseurs du souverain (c. 24). On peut ranger dans la catégorie des concessions à 1’Eglise l’interdiction aux Juifs d’actionner en justice (c. 10). Les grands obtiennent confirmation des concessions à eux accordées antérieurement au règne de Clotaire II (c. 16), ainsi que la restitution des biens confisqués à ceux qui étaient restés fidèles à leur roi par un souverain rival, pendant les « interrègnes » (c. 17). Ces deux points étaient pour les grands d’un intérêt capital.
Il y a aussi des dispositions d’intérêt général ou qui nous semblent telles. Ainsi, après un appel à la paix, à l’ordre, à la répression des rebelles et des méchants (c. 11), après la recommandation d’observer les « préceptes » (diplômes) du roi (c. 13), 1° l’interdiction aux juges d’empêcher les parents d’un homme décédé intestat d’hériter de ses biens (c. 6) ; 2° la suppression de tout impôt (census) de nouvelle institution (c. 8) ; 3° de même la suppression de tout tonlieu (droit de circulation et de marché) institué postérieurement aux règnes de Sigebert, Chilpéric, Gontran (c. 9) ; 4° l’engagement de choisir les « juges » dans le pays même qu’ils administrent pour que leur fortune réponde de leurs méfaits éventuels (c. 12), disposition imposée également aux évêques et aux grands (c. 19) ; 5° interdiction de mettre à mort un « ingénu » (libre) ou un serf pour vol, en dehors du cas de flagrant délit (c. 22) ; 6° interdiction aux agents des évêques et des grands de mettre la main sur les biens d’autrui (c’est-à-dire sans doute d’opérer la saisie privée) à l’aide d’une troupe armée (c. 20) ; 7° ordre (c. 15) aux agents des évêques et des grands d’amener au tribunal public les hommes accusés de crimes résidant sur leurs terres (gratifiées de l’immunité). L’édit entend même réprimer des abus d’ordre économique : il interdit à l’administration des porcheries royales d’envoyer les porcs à la pâture dans les forêts des églises ou des particuliers (c. 21) et défend d’exiger la redevance dite cellarium, abusivement levée même quand les porcs ne trouvent pas à se nourrir.
Qualifier de charte constitutionnelle ce pêle-mêle de dispositions de tout genre serait s’abuser. Les prérogatives de la royauté n’y sont nullement battues en brèche. Il n’en demeure pas moins que la royauté a pris des engagements envers ses sujets et des engagements qui ne seront pas oubliés.Elle les renouvelle ou les étend par écrit peu après, en 616, à Bonneuil, près de Paris, en faveur des évêques et « farons » de Bourgogne et de leur maire Garnier (Warnacharius). Le texte ne nous en est pas parvenu. A la fin du siècle Childéric II qui, à l’exemple de son aïeul Clotaire II, doit à l’aristocratie neustrienne et bourguignonne de régner sur l’ensemble du Regnum Francorum, prend des dispositions qu’un contemporain qualifie de « sages ». Il est vrai qu’il les viole peu après « par légèreté de jeunesse », mais il paye cette félonie de sa vie.
L’édit de 614 atteste donc bien que nous sommes à un tournant de l’histoire des Mérovingiens. Désormais, ils ne peuvent rien sans le Palais et sans son chef, le maire.
Une forte personnalité, celle de Dagobert Ier, sembla cependant arrêter la décadence du pouvoir royal. Mais son règne fut court (629-639). Lui mort, la monarchie mérovingienne continua à glisser sur la pente fatale. Des minorités répétées, par suite du décès prématuré de tous ces rois du VIIe siècle, emportés à la fleur de l’âge par la débauche ou quelque tare héréditaire, facilitèrent considérablement la victoire du Palais et de son chef.
De toute façon, la monarchie mérovingienne n’était pas destinée à une existence brillante et honorée. La principale cause de sa faiblesse interne réside dans la médiocrité de ses représentants. Les fils de Clovis, dévorés d’ambition, ne songent à la satisfaire que par l’assassinat de leurs parents. Les petits-fils se posent en rois civilisés, instruits, pieux, soucieux d’étiquette. Ce n’est qu’apparence trompeuse. Le Mérovingien demeure grossier, cruel, bassement cupide, sans foi. Sa piété même est de pure forme : elle a pour base la crainte de la colère de saint Martin. Le Mérovingien manque de tenue. A l’exception de Sigebert, il choisit ses « reines » dans les ateliers de femmes du palais ou des villas, les gynécées. Il vit dans une polygamie à l’orientale.

B. Décadence de l’impôt – Sa disparition
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Le Mérovingien n’a pas de talent politique ou militaire. Il est incapable de guider son administration. Son incapacité financière notamment dépasse toute limite. Il fait percevoir les impôts irrégulièrement, par à-coups, sans se préoccuper de refaire le cadastre et la liste des gens assujettis à la capitation. De là des injustices dans la perception, des scènes épouvantables dans la répression. Il laisse se multiplier indûment les péages et taxes aux marchés. L’or qu’il retire par des procédés tyranniques s’entasse stérilement dans ses coffres, saignant ainsi la vie économique de la Gaule. L’or n’en sort que comme instrument de corruption.
Il a tenté d’imiter, de contrefaire, la monnaie impériale, qui seule a cours dans les régions méditerranéennes ; mais il s’y est mal pris. Son administration monétaire apparaît ensuite en pleine décomposition. Evêchés et monastères battent des espèces d’or et d’argent à leur profit. Des monétaires frappent même en leur nom propre en circulant dans tout le royaume : on a calculé que plus de mille localités les ont vus exerçant leur métier.
Finalement l’impôt sous toutes ses formes en arrive à être considéré comme une spoliation odieuse.
Une anecdote tirée d’une vie de saint présente un tableau instructif et amusant des difficultés auxquelles se heurtait la levée de l’impôt. Garnier, maire du palais du roi de Bourgogne, Thierry II, se heurte à la résistance de l’épiscopat de Bourges quand il veut établir les bases d’une levée d’impôts.
« Alors vint du palais du roi Thierry et de sa part un homme très cruel, du nom de Garnier (Warnacharius), dévoré de la passion sordide de l’avarice, enflé d’orgueil, pour soumettre au tribut la ville et le pagus de Bourges, rapporter au roi l’or et l’argent que chacun devait, selon sa condition. La population que l’on veut rendre tributaire accourt auprès du saint évêque Outrille (Austregisilus) pour qu’il la délivre de la détestable coutume et lui vienne en aide par ses saintes prières. Alors le saint homme, voulant expier un si grand crime, s’abîme en oraisons jour et nuit, afin que la pitié divine daigne délivrer d’un ennemi féroce le peuple qui lui est confié. C’est ce qui arriva. Déjà Garnier approchait des portes de la cité de Bourges, lorsque le saint, intrépide, sortit à sa rencontre et se dressa devant lui comme un mur, résolu à combattre pour la justice, au nom du Seigneur. Il brûlait de lutter contre la mauvaise coutume, avec l’aide de Dieu, et jusqu’à la mort, pour la défense du peuple :« D’où viens-tu, où vas-tu, que veux-tu, méchant ? Le Seigneur fera obstacle à tes injustes desseins. Il ne permettra pas que tu franchisses les remparts de cette cité et de faire la « description ».Alors Garnier, rempli de fureur, voyant qu’il ne pouvait satisfaire la malice dont son cœur était rempli, retourna au Palais pour faire savoir au roi qu’Outrille l’avait empêché de remplir ses ordres. Sur ces entrefaites, Outrille mourut en pleine gloire et son peuple demeura indemne.
Saint Sulpice, son diacre, fut élu à l’unanimité. Peu après, le très cruel Garnier, revenant de la cour, se mit en demeure, à l’instigation de l’éternel et hideux ennemi (le démon), d’opérer l’œuvre d’iniquité, c’est-à-dire de rendre tributaires le pays et la ville de Bourges et tous leurs habitants, selon leur condition. Sulpice était un homme doux et simple, humble de cœur et il redoutait extrêmement la malice de cet homme. Il ne put que prier en pleurant Garnier de ne pas soumettre au tribut sous son pontificat les gens de Bourges qui ne l’avaient pas été au temps d’Outrille. Mais le cruel se refusa à accorder si peu que ce fût aux prières de l’oint du Seigneur. Alors le saint homme l’adjura au nom de son saint ministère de ne pas établir, lui vivant, une si abominable coutume. Le prélat lui fit accepter un présent et s’en réjouit (se crut quitte). Le fourbe se rendit à l’église de saint Outrille, comme pour y prier, et parvint au lieu où gisait le corps du saint que la piété des fidèles avait magnifiquement décoré. Parcourant du regard la crypte, il la voit resplendissante d’or et d’argent. Le cour plein d’envie, il ose dire : « Outrille eût dû léguer aux pauvres son or et son argent. Il l’a fait mettre sur sa tombe par gloriole. Il se souciait peu des pauvres en réalité, mais, semblable à Judas Iscariote, il étouffait d’avarice. » Sorti du sépulcre il alla prier d’autel en autel. Pendant qu’il parcourait ainsi l’église, une poutre d’où pendaient des draperies, se détachant du toit, lui tomba sur la tête et lui fit une telle plaie que le sang coula par les yeux et la barbe jusqu’à terre. Alors Garnier s’écria, autant que ses forces lui permettaient : « Vivant, Outrille m’a toujours détesté et contrarié, mort il m’attire à la mort. » Ainsi ce misérable, frappé du bras de Dieu, ne reconnut pas son crime et ne demanda pas grâce. Au contraire, enflammé de malice, il se disposa à gagner rapidement la ville d’Autun pour abattre et condamner l’évêque du lieu. En route, il s’arrêta non loin du village d’Anlézy (Nièvre). La nuit, pris d’un flux de ventre, cet être féroce entra aux latrines et s’y endormit. A son réveil, il demanda à ses serviteurs debout devant lui : « Outrille et Sulpice viennent de me donner une aiguière avec une tasse d’or. Qui de vous les détient ? » Pendant que ses serviteurs déclaraient n’avoir rien vu et qu’il insistait, voilà que ses intestins sortirent du corps et qu’il exhala honteusement son dernier souffle sur son fumier. Après quoi nul, en ces temps, n’osa tenter un crime aussi perfide. »
Il y a dans ce pieux récit, rédigé deux ou trois générations plus tard, une erreur chronologique. Garnier n’opéra pas au nom du roi Thierry et la « bête féroce » ne fut pas lui, mais un de ses prédécesseurs à la mairie du palais de Bourgogne. Il n’importe. Ce qu’il faut en retenir c’est que l’opinion considérait comme un abus criminel, la levée de l’impôt, même les recherches pour son assiette.
Les rois eux-mêmes semblent considérer la levée de l’impôt comme un péché qui charge leur âme. Qu’un malheur s’abatte sur leur famille et les voilà prêts à annuler la perception, même à brûler les registres. Grégoire de Tours nous édifie à ce sujet. En menaçant Clotaire Ier de la colère de saint Martin, l’évêque Injuriosus écarte une levée sur les revenus des églises (livre IV, chap. ii). Une épidémie ayant mis en danger de mort deux enfants de Chilpéric et Frédégonde, la reine obtient de son mari qu’il jette au feu les « descriptions » (livre V, chap. xxvi). Il est vrai qu’il s’agissait d’une aggravation de taxes.
Cette condamnation morale de l’impôt s’explique. Le fisc des Mérovingiens était une pompe aspirante, mais jamais refoulante dans l’intérêt public. Grégoire de Tours prête à Frédégonde les paroles suivantes qu’elle n’a pas prononcées, mais qui traduisent l’opinion des contribuables :
« Nous thésaurisons et ne savons pour qui. Nos trésors sont fruits de rapines, chargés de malédictions. Nos celliers regorgent de vin, nos granges de froment, nos coffres d’or, d’argent, de pierres précieuses, de colliers et autres ornements impériaux » (sic).
Cette inquiétude sur la légitimité de l’impôt implantée au cœur des souverains explique que, de plus en plus, ils concèdent aux évêchés et monastères, des diplômes d’immunité. Un acte de ce genre dispense du paiement de l’impôt foncier et de la capitation, non seulement le clergé, mais l’ensemble des hommes de toute condition sociale vivant sur les domaines de l’immuniste, et ces domaines sont immenses et dispersés dans l’étendue du royaume. Le comte et ses agents n’ont même pas le droit de pénétrer sur le territoire immunisé sous prétexte d’y lever la part des amendes judiciaires dues au fisc. Les églises obtiennent même dispense de payer des taxes au passage des routes, ponts, ports, etc... sur l’ensemble ou une partie du royaume. De grands personnages bien en cour obtiennent également le privilège de l’immunité. Tant et si bien que, au cours des VIIe et VIIIe siècles l’impôt, sans avoir jamais été aboli par une mesure d’ordre général, voit se resserrer le territoire sur lequel il fonctionne et finira par se confondre avec des taxes locales, domaniales.

C. Indiscipline et ruine de l’armée


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Les armées mérovingiennes sont de mauvaises armées, indisciplinées, pillardes, sujettes à des paniques, plus redoutables à leurs compatriotes qu’à l’ennemi. L’armée envoyée par Gontran en 586 pour conquérir sur les Visigoths la Septimanie est composée des « nations qui habitent au delà (au sud) de la Saône et du Rhône, et des Burgondes. Ces gens ravagèrent les bords de la Saône et du Rhône d’où ils enlevèrent récoltes et troupeaux. Ils commirent dans leur propre pays beaucoup de meurtres, d’incendies, de pillages et s’avancèrent jusqu’à Nîmes en dépouillant les églises, en tuant les clercs, les prêtres et le peuple jusque sur les autels consacrés à Dieu. Semblablement ceux de Bourges, de Saintes, de Périgueux, d’Angoulême et d’autres « cités » soumises audit roi arrivèrent, commettant les mêmes atrocités, jusqu’à la cité de Carcassonne. L’expédition se termina par un désastre. Le comte de Limoges ayant péri sous Carcassonne, il s’ensuivit une panique et tout le monde prit le chemin du retour. Les Goths poursuivirent ces fuyards et les Toulousains qu’ils avaient foulés à l’aller les dépouillèrent et les tuèrent. L’autre bande, celle qui assiégeait Nîmes ne put s’en emparer, pas plus que des autres places de Septimanie. Le duc d’Auvergne, arrivé à a rescousse, ne réussit pas davantage. Alors ce fut la retraite, marquée des mêmes excès que l’aller.
« En passant par la Provence par eux dévastée à l’aller, ces misérables moururent de faim, se noyèrent ou furent massacrés par la population au nombre de cinq mille » (Grégoire de Tours, livre VIII, chap. xxxvi).
Le roi Gontran voulut s’en prendre du désastre aux chefs de l’expédition. Ceux-ci se justifièrent :
« nul ne craint le roi, nul ne respecte le duc ou le comte, et si l’un de nous fait une réprimande ou veut punir pour le service du roi, aussitôt l’agitation commence : on se précipite sur le supérieur (senior) avec de dispositions si menaçantes qu’il est obligé de fuir pour échapper à leur fureur ».
De même l’armée envoyée en Bretagne sous la conduite d’Ebracharius, en très triste état, n’osa repasser par les mêmes pays qu’à l’aller. Une partie n’en fut pas moins « depouillée, battue, réduite à la dernière ignominie » (ibid., livre IX, chap. ix).
Dira-t-on qu’il s’agit d’armées composées de Gallo-Romains et de Burgondes en majorité ?Mais les bandes qui envahissent l’Italie sous les règnes de Thibert, Thibaud, Childebert II, finissent par être exterminées et elles sont composées, elles, en majorité de Francs d’Austrasie et d’Alamans. Austrasiennes également les armées qui succombent sous les coups des Avars et laissent prendre le roi Sigebert (568). Deux ans après il faut acheter à prix d’argent la retraite de cette horde turque. Dagobert lui-même, même en faisant appel au concours des Bavarois et des Lombards, ne peut venir à bout de l’empire slave constitué par Samo au cour de l’Europe. Sous son fils Sigebert III, roi d’Austrasie, les Francs perdent la Thuringe, puis les liens de subordination de l’Alamanie et de la Souabe se relâchent. A la fin du siècle l’Aquitaine se constitue en principauté autonome. De même la Bretagne.
Les causes de l’affaiblissement rapide des armées franques ne sont pas difficiles à déterminer. Ce sont moins des armées que des milices confuses, composées de propriétaires ruraux. Leur brutalité, leur goût du pillage, leur ardeur guerrière même ne remplacent pas l’instruction militaire. Quant au commandement, il est impuissant, faute de cadres, en admettant même que ducs et comtes possèdent quelques éléments de science de la guerre, ce qui est douteux. Les scènes atroces de pillage et de meurtre en cours de route sont inévitables, faute d’un service de ravitaillement. Les débandades trouvent en partie leur explication dans le besoin de ces propriétaires ruraux, petits et grands, de regagner leur foyer pour surveiller leurs terres.
Ces gardes nationales rurales sont dangereuses non seulement pour la population, mais pour le souverain lui-même auquel, à l’occasion, elles imposent leur volonté ou qu’elles soumettent à leur caprice. Déjà Thierry Ier, vers 525, pour calmer la fureur de ses guerriers qui veulent participer au pillage de la Bourgogne n’a d’autre ressource que de les emmener dévaster l’Auvergne. A travers le siècle, l’ost impose sa volonté, soit pour combattre, soit pour se dérober. Finalement, c’est le refus des Bourguignons, des Neustriens, des Austrasiens de se battre les uns contre les autres qui amène la ruine de Brunehaut et de ses petits-fils (613). Des scènes analogues se produisent au cours du VIIe siècle. Le Mérovingien n’est jamais si faible que lorsqu’il a convoqué l’armée.

D. La royauté déconsidérée – Sa ruine
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Cette monarchie sans frein légal, despotique et capricieuse, n’est pas aimée. De temps à autre sa tyrannie suscite un assassinat. Tels sont les cas de Sigebert Ier, de Chilpéric au VIe siècle, de Childéric II, de Dagobert II au siècle suivant. Au lendemain du meurtre de Chilpéric, son frère Gontran accourt à Paris, entouré d’une escorte et sa frayeur se manifeste dans l’exhortation tragi-comique qu’il prononce devant la population réunie un dimanche dans la cathédrale, reproduite plus haut.
Seul Gontran paraît avoir manifesté quelque bonhomie, une bonhomie de Géronte, avec des retours imprévus de férocité.Les autres ne pouvaient s’attirer aucun dévouement. Le sentiment affectif, ciment obligé de toute société qui veut durer, fait défaut à l’Etat mérovingien. Les rois vantent la fidélité, ils l’imposent, mais en même temps, leur politique consiste à débaucher les fidèles d’un frère, d’un oncle ou d’un neveu. Ce faisant ils mettent à prix la « fidélité » et ce prix est élevé. L’exutoire du « trésor », qui autrement se grossirait sans cesse, c’est l’achat du dévouement. Comme la fortune et la considération sont attachées à la terre, les rois se voient obligés de concéder des domaines royaux dits villas ou fiscs à leurs leudes, à leurs prétendus fidèles. De règne en règne la fortune territoriale des souverains diminue pour se réduire à rien à la fin de la dynastie. Pour régner, il leur a fallu constamment donner, donner en toute propriété, car le fief n’apparaît pas encore de façon sûre. Cette monarchie cupide, avaricieuse est donc en même temps horriblement gaspilleuse.
E. Tyrannie du Maire du Palais
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Maître effectif du pouvoir, le maire du palais se montre au début prudent vis-à-vis du « Palais » qui est son soutien. Mais assez vite l’aristocratie palatine ne tarde pas à se rendre compte que le gouvernement d’un chef dont l’autorité embrasse toutes les parties de l’administration du « Palais », et, par le « Palais » du royaume, est plus lourd que celui du roi affaibli. En 627 mourut Garnier. Il s’était fait garantir à vie le majorat de Bourgogne par Clotaire II dont il avait assuré le triomphe en 613 sur les petits-fils de Brunehaut. Le roi réunit à Troyes les « farons » de Bourgogne et leur demanda s’ils voulaient que Garnier fut remplacé. Tous protestèrent qu’ils préféraient que le roi eût des rapports directs avec eux. Sans doute Clotaire II manœuvra pour écarter du majorat le fils du défunt, ce qui eût tendu à rendre la charge héréditaire, mais, de leur côté, les grands de Bourgogne préféraient l’autorité lointaine et intermittente du souverain à celle, proche et continue, du maire.
Cependant, quinze ans plus tard, la Bourgogne réclama un maire en voyant Neustrie et Austrasie pourvues d’un personnel nouveau. La régente, Nanthilde, proposa aux grands, réunis à Orléans, un Franc, Flaochat auquel elle avait fait épouser sa nièce. La proposition fut acceptée, mais le nouveau maire dut prendre l’engagement oral et écrit envers les grands, tant ecclésiastiques que laïques, de leur conserver « l’honneur de leur rang, de leurs dignités et son amitié » (642).
En Austrasie, l’ascendant du maire est tel que Grimaud tente de mettre la main sur le trône par un ingénieux procédé : Sigebert III, qui n’a pas d’enfant, adopte le fils du maire qui prend le nom mérovingien de Childebert. La tentative échoua (662), mais elle est significative.
En Neustrie et en Bourgogne, les grands écartent la régente Balthilde et choisissent comme maire, Ebroïn. Choix inconsidéré. Le nouveau maire est un despote redoutable. Les grands ne peuvent en venir à bout qu’en faisant appel au roi d’Austrasie, Childéric II. Mais ils prennent leurs précautions contre le majorat. Le jeune roi s’engage à ne pas nommer de « recteur » étranger dans chacun des trois royaumes, dont on respectera les lois et coutumes, « de manière que nul, à l’instar d’Ebroïn, ne se pose en tyran et ne se place au-dessus des autres ».
Ebroïn reprit le pouvoir, mais fut assassiné (680 ou 683). Les Neustriens ne furent pas heureux dans le choix de son second successeur et le maire d’Austrasie, Pépin II, put facilement en venir à bout à la rencontre de Tertry (687). Malgré le faux départ de Grimaud la descendance de saint Arnoul de Metz avait conservé son prestige et sa force en Austrasie. A partir de cette date le majorat d’Austrasie réduit à néant le pouvoir du Mérovingien en même temps qu’il domine la Neustrie et la Bourgogne.
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CHAPITRE II
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