Que serais-je sans toi



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Que serais je sans toi by Guillaume Musso Musso Guillaume z lib

J’espère qu’ils ne m’ont pas mis sous surveillance électronique
, pensa-t-il en
retournant à son téléphone pour pianoter sur les touches minuscules :
Arrête, je te dis !
L’amour, c’est toujours bien, c’était tendre, c’était doux. C’était toi…
À nouveau, il faillit lui demander d’arrêter, mais il n’en avait plus la moindre
envie. À la place, il attendit une bonne minute, les yeux rivés sur son petit écran,
en espérant un nouveau message qui ne mit pas longtemps à arriver :
Pour moi, ça n’a jamais été aussi bien, aussi fort, aussi sensuel.
Cette fois, il ne laissa pas passer :
Si c’était bien, pourquoi tu n’es pas venue au rendez-vous ?
Sans  répondre  à  sa  question,  Gabrielle  continua  d’évoquer  ses  souvenirs  à
travers un bouquet de textos enflammés :
Tu te souviens de nos baisers et de nos caresses ?
Tu te souviens de tes mains sur mes seins ?
Tu te souviens de mes seins dans ta bouche ?
Tu te souviens de ton corps dans le mien ?
Tu te souviens de ta tête dans mes mains, de ta langue dans ma…
Et brusquement, ce fut trop. Il arrêta de lire et lança de toutes ses forces son
téléphone qui se fracassa contre le mur du bureau.


 
Il  remonta  Market  Street,  dévala  Geary  Street  et  déboula  sur  Grant  Avenue
devant le 
Café des Anges
. Il était sûr de la trouver là !
À  l’entrée  du  quartier  chinois  et  à  quelques  rues  du  consulat  français,  la
brasserie  faisait  figure  de  petit  coin  de  France  au  cœur  de  San  Francisco.  Bien
que  l’endroit  ne  vende  pas  de  cigarettes,  le  café  arborait  une  enseigne  «  Bar-
tabac  »,  copie  conforme  de  la  façade  des  anciens  bistrots  parisiens  des  années
1950.
Martin poussa la porte et entra dans la brasserie.
Le lieu de leur premier rendez-vous en amoureux.
Le charme opérait à chaque fois : avec ses nappes à carreaux, son bar en zinc
et  ses  chaises  en  bois,  on  était  dans  un  vieux  film  français  et,  en  observant  les
clients, on s’attendait presque à voir surgir Lino Ventura ou Bernard Blier, on se
surprenait à guetter un dialogue à la Audiard !
Affiché  sur  l’ardoise,  le  menu  sentait  bon  la  France  d’avant  :  œuf
mayonnaise, harengs pommes de terre à l’huile, poireaux vinaigrette, blanquette
de veau, bœuf bourguignon, coq au vin, tripes à la mode de Caen…
Derrière  le  comptoir,  un  calendrier  des  PTT,  de  vieilles  cartes  postales  du
Tour  de  France  vantant  les  exploits  d’Anquetil  et  de  Poulidor.  Juste  à  côté,  un
vieux baby-foot Garlando aux joueurs bien fatigués. Même la musique collait à
l’atmosphère : Édith Piaf remixée, Renaud et ses 
p’tits bals du samedi soir
, Zaza
Fournier et 
son homme…
Après  s’être  renseigné  auprès  d’un  serveur,  Martin  retrouva  Gabrielle
installée à la table la plus romantique du restaurant, isolée par une petite tonnelle
où s’accrochaient les vrilles d’un plant de vigne.
— Tu veux jouer à ce jeu-là, très bien ! lança-t-il en s’asseyant devant elle.
— Tu prendras des rillettes en entrée ?
— Et d’abord, comment as-tu fait pour obtenir cette table ?
— Comme toi lors du premier soir : j’ai graissé la patte au garçon !
— Mais qu’est-ce que tu cherches au juste ?
— Je veux le retrouver, affirma-t-elle en fermant le menu.
— Qui ?
— Le Martin que j’ai connu : celui que j’ai aimé.
— Tu ne peux pas ressusciter le passé.
— Et toi, tu n’as pas le droit de le détruire !
— Je ne veux pas le détruire, je veux le 
comprendre
 : comprendre pourquoi tu
n’es pas venue à ce rendez-vous.


Leur ton avait monté. Elle se radoucit pour proposer :
— Tu ne veux pas, plutôt, regarder en avant ?
Il détourna le regard. Elle poursuivit sur sa lancée :
— On dit souvent que le bonheur ne repasse jamais les plats, mais nous, on a
droit  à  cette  deuxième  chance,  Martin  !  Ne  la  gâchons  pas  !  On  est  encore
jeunes, mais plus tellement. On a davantage de temps devant nous que derrière,
mais  à  peine.  On  peut  encore  faire  des  enfants,  mais  il  faudrait  commencer
maintenant…
Elle  rougit  jusqu’aux  oreilles,  terrorisée  par  l’audace  de  sa  déclaration  qui
semblait le laisser de marbre.
Elle ne se découragea pas pour autant :
— Je n’étais pas prête, il y a quinze ans. Je n’étais pas à la hauteur, je n’étais
pas assez forte, je doutais de tout. Et toi non plus, tu n’étais peut-être pas prêt,
malgré ce que tu veux te faire croire…
Il eut une moue dubitative. Elle continua :
— À présent, je suis prête. L’amour, tu vois, c’est comme l’oxygène, si on en
manque  trop  longtemps  on  finit  par  en  mourir.  Tu  m’as  tellement  aimée  en
quelques  mois  que  j’ai  eu  des  réserves  d’amour  pendant  des  années.  Grâce  à
elles, j’ai pu affronter beaucoup de choses, mais j’arrive au bout de mes réserves,
Martin.
Elle se passa la main derrière le cou, se caressant les cheveux à la base de la
nuque, comme un signe d’encouragement qu’elle était obligée de se prodiguer à
elle-même puisque personne n’avait jamais été là pour le faire à sa place.
— Je t’ai fait du mal, je sais. Excuse-moi, termina-t-elle.
Enfin, Martin ouvrit la bouche pour dire ce qu’il avait sur le cœur :
— Le problème, ce n’est pas la douleur. La douleur, ça te fait souffrir, mais ça
ne te détruit pas. Le problème, c’est la solitude engendrée par la douleur. C’est
elle qui te tue à petit feu, qui te coupe des autres et du monde. Et qui réveille ce
qu’il y a de pire en toi.
Elle ne chercha pas à fuir le débat :
— Aimer, c’est toujours dangereux, Martin ! Aimer, c’est espérer tout gagner
en  risquant  de  tout  perdre,  et  c’est  aussi  parfois  accepter  de  prendre  le  risque
d’être moins aimé que l’on n’aime.
—  Eh  bien,  tu  vois,  dit-il  en  se  levant  de  table,  ce  risque,  je  crois  que  je  ne
suis plus prêt à le prendre.
 


Martin  rentra  au  QG  de  sécurité  de  l’hôtel  et  passa  une  bonne  partie  de
l’après-midi  à  travailler  sur  les  plans  de  la  Garden  Court.  Il  devait  participer
ensuite à une réunion avec le chef de l’escouade de vigiles engagée par Lloyd’s
Brothers et les quelques agents du FBI qui avaient investi le lieu.
Le soleil commençait à décliner lorsqu’il rédigea un long mémo à l’intention
de  Mademoiselle  Ho  :  une  liste  de  mesures  visant  à  renforcer  la  sécurité  du
diamant.  Il  essaya  de  contacter  la  Coréenne,  mais  aucun  de  ses  numéros  ne
répondait.  Il  lui  envoya  un  mail  qu’il  doubla  d’un  texto  puis  descendit  vers  la
salle d’exposition.
Dans la Garden Court, c’était la bousculade. Depuis quelques jours, la vente
du  diamant  faisait  la  une  de  la  presse  et  les  médias  s’étaient  chargés  de
transformer son exposition en sortie touristique incontournable pour les vacances
de Noël. Une telle affluence inquiétait Martin, car elle rendait sa tâche beaucoup
plus compliquée.
Mêlé  à  la  foule,  il  ferma  brièvement  les  yeux,  comme  pour  mieux  se
concentrer. Il fallait qu’il parvienne à se mettre dans la tête du voleur. 

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