François Rabelais (1494-1553)


Et fut l’an mil quatre cent vingt



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Et fut l’an mil quatre cent vingt,
De la vérole qui lui vint.
Après lui, il eut un autre vieux tousseux, maître Jobelin Bride, qui lui lut Hugutio, Hebrard, le Doctrinal, les Pars, le Quid est, le Supplementum, Marmotret, De Moribus in mensa servandis, Seneca, de Quatuor Virtutibus cardinalibus, Passavantus cum commento, Dormi securo et quelques autres de semblable farine. A leur lecture il devint aussi sage que jamais on n’en mit au four un pareil. [...]


Chapitre XXIII
Comment Gargantua fut élevé par Ponocrates en telle discipline qu’il ne perdait pas une heure du jour
Quand Ponocrates connut la vicieuse manière de vivre de Gargantua, il décida de 1’instruire autrement ; toutefois, les premiers jours, il usa de tolérance, considérant que la nature ne supporte sans grande violence des changements aussi soudains. Donc, pour mieux commencer son œuvre, il supplia un savant médecin de ce temps, maître Théodore, d’étudier s’il était possible de remettre Gargantua en meilleure voie. Celui-ci le purgea canoniquement et le nettoya ainsi de l’altération et de la perverse habitude de son cerveau. Par ce moyen aussi, Ponocrates lui fit oublier tout ce qu’il avait appris de ses anciens précepteurs, ainsi que le faisait Timothée à ses disciples qui avaient été instruits par d’autres musiciens. Afin de mieux réussir, il l’introduisit dans la compagnie des savants qui étaient là et à l’exemple desquels se développa son esprit en même temps que son désir d’étudier différemment et de se faire valoir. Tout cela le mit en un tel train d’étude qu’il ne perdait aucune heure du jour et qu’il dépensait tout son temps à l’étude des lettres et de la science honnête. Gargantua s’éveillait donc à quatre heures du matin.
Pendant qu’on le frottait, il lui était lue quelque page de la divine Ecriture, hautement et clairement, avec prononciation appropriée à la matière. [...]Cela fait, il était habillé, peigné, coiffé, accoutré, parfumé ; durant ce temps, on lui rappelait les leçons du jour précédent. Lui-même les récitait par cœur et en déduisait quelque cas pratique concernant l’état humain. Parfois, il s’y étendait deux et trois heures, mais il cessait ordinairement lorsqu’il était complétement habillé, et pendant trois bonnes heures ensuite on lui faisait la lecture. Alors ils sortaient, conférant toujours du sujet de cette lecture et se rendaient au carrefour de Bracque ou aux prés, et jouaient à la balle, à la paume, s’exerçant galamment le corps puisqu’ ils avaient assoupli leurs âmes. Ils jouaient en toute liberté et abandonnaient la partie quand il leur plaisait ; ils la cessaient ordinairement quand ils suaient de tout le corps ou qu’ils étaient autrement las. Ils étaient alors bien essuyés et frottés, changeaient de chemise et, tout en se promenant, allaient voir si le dîner était prêt. Ils attendaient, récitant clairement et éloquemment quelques sentences retenues de la leçon.
Entre temps, M. l’Appétit venait et ils se mettaient à table au bon moment. Au début du repas, on lui lisait, jusqu’à ce qu’il eut pris son vin, quelque histoire plaisante des anciennes prouesses. Puis, si bon semblait, on continuait la lecture ; sinon ils commençaient tous à deviser joyeusement ensemble, parlant, les premiers mois, de la vertu, de la propriété, de 1’efficacité et de la nature de ce qui leur était servi à table : du pain, du vin, de l’eau, du sel, des viandes, des poissons, des fruits, des herbes, des racines et de leur apprêt. Ces propos tenus, pour plus d’assurance ils faisaient porter souvent ces livres à table. Et Gargantua se rappelait bien tout ce lui у était dit que nul médecin n’en savait la moitié comme lui. On apportait des cartes, non pour jouer, mais pour у apprendre mille petites gentillesses et inventions nouvelles, toutes inspirées de l’arithmétique. Gargantua affectionna cette science numérale ; tous les jours, après dîner et souper, il у passait son temps aussi agréablement qu’autrefois aux dés ou aux cartes. Après quoi, ils s’amusaient à chanter sur un thème à quatre ou cinq parties, à gorge déployée. Gargantua apprit ainsi à jouer du luth, de l’épinette, de la harpe, de la flute allemande et a neuf trous, de la viole et du trombone.
Cette heure ainsi employée et sa digestion terminée, il se remettait à l’étude, tant à répéter la lecture du matin qu’à poursuivre le livre entrepris, écrire, bien tracer et former les antiques lettres romaines.
Ils sortaient alors de leur hôtel. Avec eux était un jeune gentilhomme de Touraine, l’écuyer Gymnaste, qui montrait à Gargantua l’art de la chevalerie.
Un autre jour, il s’exerçait supérieurement à la hache, à l’épée, à la dague, au poignard.
II courrait le cerf, le chevreuil, l’ours, le daim, le sanglier, le lièvre, la perdrix, le faisan.
II jouait à la grosse balle qu’il faisait rebondir en 1’air tant du pied que du poing.
I I luttait, courait, sautait[...] il nageait en eau profonde, sur le dos, sur le ventre, sur le côté, de tout le corps, des pieds seuls, une main hors de l’eau tenant un livre qu’il ne mouillait pas en traversant la Seine et, comme le faisait Jules César, il tirait par les dents son manteau ; puis, d’une main et d ‘un coup de force, entrait dans un bateau, se jetait de nouveau dans l’eau, la tête la première, en sondait la profondeur, creusait les roches, plongeait dans les abimes et les gouffres. II menait le bateau de toutes les façons.
Sortant de l’eau, il gravissait rapidement la montagne et la descendait allégrement, grimpait aux arbres comme un chat, sautait d’une branche à 1’autre comme un écureuil[...]
Pour fortifier ses nerfs, on lui avait fabrique deux gros haltères de plomb pesant chacun huit mille sept cents quintaux. Il les prenait à terre de chaque main et les élevait au-dessus de sa tête, les tenant ainsi trois quarts d’heure et davantage, sans bouger, ce qui était d’une force inimitable.
Le temps ainsi employé, après s’être frotté, nettoyé et vêtu d’habillements frais, il s’en retournait lentement, suivi de ses serviteurs. Passant par quelque pré ou autre lieu herbeux, ils visitaient les arbres et les plantes, s’en rapportant aux livres que les anciens ont écrits sur eux. Pendant qu’on apprêtait le souper, ils répétaient, assis à la table, quelques passages de ce qui avait été lu. Notez que le dîner de Gargantua était sobre et frugal : il mangeait seulement pour calmer les tiraillements de son estomac ; mais le souper était large et copieux, et il en prenait tant qu’il en avait besoin pour s’entretenir et se nourrir : ce qui est le vrai régime prescrit par l’art de bonne et sure médecine, quoiqu’un tas de sots médecins harcelés en l’officine des Arabes conseillent le contraire.
Durant ce repas, on continuait, tant que bon semblait, la leçon du dîner ; le reste du temps se passait en bons propos aussi utiles qu’agréables. Après avoir fait leurs prières, ils chantaient, jouaient d’instruments harmonieux ou se livraient à quelque passe-temps amusant, comme le jeu de cartes, les dés, les gobelets. Tout en faisant bonne chère, ils jouaient parfois jusqu’à l ‘heure du coucher ; quelquefois ils allaient visiter les compagnies de lettres ou de gens qui avaient beaucoup vu de pays étrangers.
En pleine nuit, avant de se retirer ils se rendaient а l’endroit du logis le plus écarté et le plus découvert pour voir la face du ciel, et la notaient les comètes s’il у en avait, les figures, situations, oppositions et conjonctions des astres. Puis avec son précepteur, Gargantua récapitulait, brièvement, comme les Pythagoriciens, tout ce qu’il avait lu, vu, appris, fait et entendu durant le cours de la journée.
Et ils priaient Dieu le créateur, l’adorant, l’assurant de leur foi envers lui, le glorifiant de sa bonté immense, lui rendant grâces de tout le passe, se recommandant à sa divine clémence pour l’avenir.
Cela fait, ils s’abandonnaient au sommeil.

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