Ferdinand Lot De l’Institut



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La musique instrumentale. — La musique instrumentale du Haut Moyen Age est la suite de l’antiquité, c’est-à-dire qu’elle comporte un assez grand nombre d’instruments. La plupart ont disparu de l’usage et ceux qui subsistent, se sont profondément transformés. Ne retenons que les plus usités au Moyen Age.
Instruments à cordes pincées. La harpe vient d’Angleterre et des pays scandinaves. Elle se substitue à la lyre et à la cithare antiques. La petite variété portative à sept cordes, sert au jongleur à soutenir un chant et même à jouer une mélodie.
Le psaltérion, de forme triangulaire, a la table de résonance non en bas, comme la harpe, et les cordes sont mises en vibration par les doigts alors que le plectre pouvait être employé pour la harpe.
Instruments à cordes frottées. La vièle et la rote. Celle-ci, venue de Bretagne insulaire, était à l’origine un instrument pincé, mais, dès le IXe siècle, elle apparaît comme un instrument à archet. Ancêtres du violon, ces instruments auront la plus belle destinée.
Instruments à vent. Les cors, faits de cornes de bélier ou de taureau, et les graisles (graciles) de moindres dimensions appartiennent à peine à la musique, ne donnant que des sons étendus, mais uniformes. Cependant, on les fait entendre dans les fêtes. De même la buisine (buccina) et l’araine (d’airain) métalliques, au corps droit, long et mince, instrument de guerre, rehaussant l’éclat d’une fête. De même les trompes.
La flûte droite à trois tons est rustique ; pour les fêtes on use d’une flûte à six tons. La flûte traversière, connue de toute antiquité en Orient, a dû se répandre en Occident dès cette époque. La juxtaposition de plusieurs flûtes de longueurs différentes, la flûte de Pan, la syrinx grecque, se perpétue dans le frestel, instrument des bergers.
La muse, orientale également, est un instrument dont une outre (en peau de chèvre) sert de réservoir d’air, dit forrel, avec un tube, le chalumeau, percé de trous que le joueur ouvre ou ferme avec les doigts.
Instruments à percussion. Pour accuser le rythme on use toujours des cymbales. Les castagnettes en os sont usitées pour la liturgie au IXe siècle.
Les cloches (campanae) sont connues de toute antiquité. Ce ne sont encore que des clochettes au faible tintement. Ce n’est que bien des siècles après, que les sons graves et puissants des grosses cloches, appelleront les fidèles à la messe ou à l’office. De même, l’accord de plusieurs clochettes pour former un carillon ne sera trouvé qu’au XIVe siècle.
Parmi les autres instruments à percussion, les tambours gardent les formes antiques. L’un d’eux, la symphonia, est une caisse cylindrique dont chaque extrémité est fermée par une peau tendue, qu’on frappe au moyen d’une baguette, ancêtre de notre tambour. Un autre, dit timbre (tympanum) n’a qu’une seule peau tendue. Si la caisse est mince, on aboutit à notre tambour dit de « basque », complété par des petites sonnettes.
La timbale est un instrument à une seule membrane, tendue sur une cuvette de cuivre ou de laiton, faisant table de résonance.
Mais quantité d’instruments comme la guitare, le luth, le rebec, la chifoine, le clavicorde, la trompette, le nacaire, etc... en partie d’origine arabe, semblent encore inconnus.
Un instrument destiné à un glorieux avenir, l’orgue, se répand en Occident. Il s’agit de l’orgue à soufflet, se substituant à l’orgue hydraulique inventé déjà au IIe siècle avant notre ère. Au VIe siècle, la description que donne Cassiodore, prouve incontestablement que l’orgue à soufflet est déjà connu en Italie. Il ne l’était pas en Gaule, car l’envoi d’un orgue de Constantinople à Pépin en 757, émerveilla la cour royale. Gerbert, quand il est abbé de Bobbie, construit des orgues pour être envoyées en Gaule. Les fidèles n’entendent pas encore l’orgue à l’église. Il est d’une exécution lente, car, avant le XIIIe siècle, l’orgue n’a ni clavier, ni touches, l’entrée ou l’arrêt de l’air dans les tuyaux s’opérant au moyen de baguettes tirées ou repoussées. Son emploi dans la liturgie ne se fera pas, du reste, sans protestation, les gens d’Eglise étant, par nature, ennemis des innovations. Dans les premiers siècles, l’Eglise avait repoussé de la liturgie tout instrument. Elle admit ensuite cithare et psaltérion, ce dernier surtout, parce que la résonance résidant dans la partie supérieure de l’instrument, il représente le spirituel, par opposition à la cithare, qui représente le temporel. Par sa résonance de la région supérieure, le psaltérion convient à la glorification du corps du Seigneur, on encore il symbolise l’obéissance de la chair au divin, alors que la cithare exprime la souffrance supportée avec patience. Les dix cordes du psaltérion, représentent les dix commandements de Dieu, etc... Telle est l’interprétation de Cassiodore. Pour saint Jean Chrysostome, la cithare représente l’Amour, puisque plusieurs sons se fondent en une seule consonance ; le musicien qui en joue, représente la force de l’Amour divin. Pour saint Augustin, les timbales (tympanae) sur peau tendue signifient la chair périssable, la trompe, par sa puissante sonorité, l’effet de la parole de Dieu.
Le symbolisme pour ces grands hommes est partout. Si proche de nous, en apparence, leur esprit se meut sur un autre plan, dans un autre monde.
Naturellement, l’orchestre qu’on définit

« le groupement d’après les lois d’esthétique d’un certain nombre d’instruments de timbre et de caractère différents formant un ensemble mélodieux »,

n’existe pas et ne pourra exister avant de longs siècles, quand la science musicale sera perfectionnée. Le groupement, qui se produit aux fêtes, de plusieurs instruments de même famille jouant simultanément, est tout autre chose : c’est simplement un renforcement du son.
En résumé, si l’art carolingien a été si longtemps méconnu, c’est précisément parce qu’il a ouvert des voies nouvelles. Forts de son exemple, les artistes de l’art roman se sont appliqués à perfectionner ses traditions. Ils ont bâti par-dessus lui. Il a fallu fouiller la terre et les textes, pour mettre à nu les fondations carolingiennes, et pour rendre justice aux précurseurs.
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CHAPITRE VII

La civilisation carolingienne :
La vie intellectuelle

La renaissance – Le but visé




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Au moment où les Carolingiens montèrent sur le trône, la vie intellectuelle était au plus bas en Gaule. C’est que, depuis longtemps, elle était liée à la vie de l’Eglise, et que l’Eglise était en pleine décadence. En sauvant son temporel, en la purifiant dans le recrutement de son clergé, Pépin et son frère Carloman, remplissaient les conditions nécessaires au redressement intellectuel de l’Etat franc et ce redressement intellectuel était inséparable de celui de l’Eglise. Ce que nous appelons la « Renaissance littéraire » carolingienne n’est pas autre chose que l’exécution d’un plan de perfectionnement du clergé et, par le clergé, des fidèles.
De quoi s’agit-il pour le fils de Pépin quand il fait venir les maîtres les plus renommés de l’Europe occidentale ? De ranimer la connaissance des lettres antiques, de faire des « humanistes » ? En aucune façon. Rien n’est plus loin du dessein premier de Charlemagne. Il s’agit de choses beaucoup plus humbles, beaucoup plus utiles, même indispensables. Le clergé est ignorant. Il ne comprend plus ou il comprend mal le latin. S’il continue, non sans assiduité, à copier les textes saints, les écrits des Pères et des docteurs, la transcription incorrecte, pleine de fautes d’orthographe qu’il en donne est une trahison. On craint même, que faute d’une base, solide, la connaissance grammaticale, faute de comprendre les tropes et les figures des mots, il perde l’intelligence des saintes Ecritures. Désarmé par son ignorance, comment pourrait-il soutenir la lutte contre les doctrines hétérodoxes ?
Il importe avant tout d’avoir de bons maîtres. A défaut de grands esprits possédant l’ensemble des « Sept Arts », le Trivium (grammaire, rhétorique, logique) et Quadrivium (arithmétique, géométrie, astronomie, musique), il convient de s’adresser à ceux qui connaissent une partie au moins de ces Arts, la grammaire surtout. La Gaule en possède-t-elle ? Charlemagne ne l’a pas cru et il a eu raison, plus peut-être qu’il ne pensait, de chercher ailleurs.
Tout d’abord, il fallait réformer la prononciation défectueuse et l’orthographe du latin, dont usait un clergé ignorant. Le malheur c’est que, au cours de la période comprise entre le Bas-Empire et le VIIIe siècle, la différence entre le latin écrit, traditionnel, quasi immuable, et le latin parlé, le « romain », s’était accrue au point que nul ne pouvait comprendre le latin écrit s’il n’avait passé de longues années à l’école. Autrement il lui était impossible de le prononcer et de l’écrire correctement. Et il n’y avait plus en Gaule d’école où l’on sût bien prononcer.
Avant la fin de l’Empire romain, la prononciation des voyelles avait éprouvé de grands changements, par suite du remplacement de la durée par le timbre, e long, i bref, oe avaient abouti à e fermé ; o long et u bref à o fermé. Même a long et a bref s’étaient confondus. A l’époque mérovingienne, les auteurs veulent toujours écrire un latin correct, mais, comme l’oreille, loin de les guider les égare, ils sont cruellement embarrassés. Comment savoir s’il faut écrire e ou i, o ou u puisque la prononciation les confond. Ils s’en tirent comme ils peuvent, au petit bonheur, et la malice des choses veut qu’ils se trompent plus souvent qu’ils ne tombent juste.
Dans le consonantisme, ils éprouvent également de grande difficultés. C’est ainsi que devant a ou e, le g avait pris le son du j français ou plutôt de dj, d’où la possibilité d’erreur dans la graphie. Comment savoir s’il faut écrire le nom d’homme Remigius ou Remedius, ces deux formes se prononçant également Remedje. Faut-il écrire Aredius ou Arigius, tous deux se prononçant Aredje ? Surtout la sonorisation des explosives sourdes dans la prononciation retentit sur la graphie : p tendant à être prononcé b, on se laisse aller à écrire probrium au lieu de proprium, et t passant à d on écrit mercadum au lieu de mercatum. C passe à g, d’où sagramentum au lieu de sacramentum. Le passage de la sonore b à v est bien plus grave encore, car il amène à confondre les futurs en bit (amabit) avec les parfaits en vit (amavit).
Quant aux lettres doubles, elles sont un casse-tête. La langue parlée ne les connaît plus, les ayant réduites au son simple. Faut-i1 écrire oppidum ou opidum, defensor ou deffensor ? L’écrivain ne sait trop et se trompe souvent.
Ce n’est là qu’un bref aperçu des difficultés au milieu desquelles se débat le malheureux scribe.
Toute réforme était donc subordonnée à la possession de la prononciation exacte du latin classique, tant sacré que profane.
S’il n’était pas facile, pour la raison qu’on vient de donner, d’avoir satisfaction en Gaule, n’était-il pas possible d’être plus heureux en Italie, où l’on peut espérer que l’écart entre le parler et l’écrit est moindre ? Ou encore en des régions où des savants religieux avaient conservé les secrets de la prononciation et de l’orthographe antiques, l’Irlande, l’Angleterre, et cela précisément parce que la population n’ayant jamais parlé latin, sa prononciation ne pouvait exercer une influence néfaste sur celle du latin classique, comme dans les pays romanisés. Au contraire, la prononciation traditionnelle pouvait s’y être transmise par les missionnaires qui avaient converti l’Irlande au milieu du Ve siècle, l’Angleterre au début du VIIe, et s’y conserver, comme en vase clos, dans les sanctuaires de ces pays ?

La pré-renaissance – L’Appel aux étrangers
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Charlemagne n’a certainement pas compris les causes de l’abaissement des études en Gaule. Mais le fait était là. Pour restaurer l’instruction de son clergé, pour se cultiver lui-même, laissé sans instruction — on ne sait pourquoi par Pépin, force était de chercher les bons maîtres à l’étranger. L’idée lui en vint lors de ses premières expéditions en Italie. Pierre de Pise fut emmené par lui dès la ruine du royaume lombard (774) et lui servit de secrétaire. Pierre compose une grammaire latine qu’il dédie au roi. Il a pour successeur, trois ans après, un autre Italien, Paulin. Lui aussi fit une grammaire latine et composa des vers. Il en fut récompensé par l’archevêché d’Aquilée en 787. Le souverain ne cessa de correspondre avec lui et lui commanda un traité contre l’hérésie « adoptianiste » des Espagnols Elipand de Tolède et Félix d’Urgel.
Charles fait ensuite appel aux Scots, c’est-à-dire aux Irlandais, car l’appellation Scoti, Scotia ne s’est attachée exclusivement aux Ecossais et à l’Ecosse, colonisée par les Irlandais, qu’au cours du XIe siècle. Joseph compose des vers, Dungal de même et renseigne le maître sur des difficultés d’ordre astronomique ou philosophique. Clément écrit des vers et une grammaire. Lui aussi est employé à la réfutation des hérésies : il doit polémiquer contre Claude de Turin.
Mais le plus célèbre et le plus utile de tous, est l’Anglais Alcuin. Il a été formé à l’école d’York par Aelbert, qui en devint évêque. Bien que le disciple vante l’étendue des connaissances de son maître, et que lui-même donne une liste des auteurs profanes qu’il a pratiqués, Alcuin n’a rien d’un humaniste. Il appartient même à l’école hostile à la culture antique. On la tolère, on la pratique, s’autorisant d’une interprétation de trois passages de la Bible (Exode, iii, 22 ; xii, 35 ; Deutéronome, xx, 12), à l’exemple de saint Jérôme et de saint Augustin, parce que l’on se persuade que cette culture permet de mieux pénétrer dans les arcanes des Livres saints et des écrits des Pères.
Les écoles d’Angleterre enseignaient presque exclusivement la Grammaire, négligeant dans le Trivium la Rhétorique (sauf l’art oratoire) et la Logique. Elles étaient peu familières avec le Quadrivium. Alcuin a beaucoup étendu ce programme et la renommée de son savoir a gagné le continent. Après l’avoir rencontré une première fois en Italie, Charlemagne l’invite en 786, et se l’attache en 793. Ecolâtre de l’école épiscopale d’York, Alcuin est désormais fixé en France. Son savoir répond exactement à ce que réclamait Charlemagne. Alcuin peut le renseigner sur tout. L’ignorance illimitée d’un maître brûlant de s’instruire, rendait sa curiosité également illimitée. L’Anglais a donné tellement satisfaction que Charles le gratifie, en 796, d’un gros bénéfice, le plus gros peut-être de France, dans l’ordre ecclésiastique, l’abbaye de Saint-Martin de Tours. Alcuin s’y retire et y meurt en 804.
Il a beaucoup écrit et sur tous les sujets, d’une plume correcte, mais sans éclat. En théologie même, il n’est pas capable de donner l’œuvre qui manquait, puisque cette science ne s’enseignait pas ex professo : son traité n’est qu’une enfilade de textes sans tentative d’interprétation et de conciliation. Alcuin demeure, comme ses maîtres anglais, un grammairien. Son action la plus utile, la plus durable a été de tendre à la réforme de la prononciation, par suite de l’orthographe, et à la correction dans l’emploi du latin, tant en vers qu’en prose. Somme toute, Alcuin fut ce qu’on appelle au théâtre, une « grande utilité ». Mais il est des moments où les personnages de cet ordre rendent plus de services qu’un talent confiné en un seul genre.
Cette action, il l’a exercée par son exemple, par celui de ses disciples, non par un enseignement proprement dit à « l’Ecole du Palais ». Quoi qu’on répète, il n’y a jamais eu à Aix ou ailleurs, une école où de jeunes écoliers venaient apprendre les rudiments du savoir. La croyance à 1’« Ecole du palais », ne repose que sur l’assertion des Gesta Carole Magni composés en 884 par Notker le Bègue, abbé de Saint-Gall, écrit bourré d’inexactitudes, d’inventions cléricales et de légendes sans nul fondement populaire, quoi qu’on ait dit. Il s’agit, pour l’auteur, d’influencer l’empereur Charles le Gros, par des récits sur son arrière-grand-père. Dans la réalité, il n’a pas plus existé d’« école » (au sens moderne) du palais sous les Carolingiens que sous les Mérovingiens. Schola s’entend toujours de la garde du corps.
Le roi n’admettait à la cour, dans son entourage, que des adolescents déjà formés ailleurs. A eux, s’ils le voulaient bien, ou s’ils en étaient capables, le soin de se perfectionner par des lectures, des entretiens avec les savants lettrés qui y résidaient. L’« école », c’est l’Académie du Palais. Le maître réunit, quand il en a le loisir, un certain nombre de lettrés de la cour et s’entretient avec eux de toutes choses. L’Académie tient du jeu de société. On se pare de pseudonymes. Si le maître lui-même est David, A1cuin est Flaccus (il n’a rien d’Horace cependant), Eginhard est Bezebeel (le constructeur de l’Arche) et Nardulus, Modoin est Naso (Ovide), Paulin est Timothée. Angilbert et Théodulf sont affublés des surnoms écrasants d’Homère et de Pindare. Jeux innocents et sans lendemain.
Si méritoire qu’ait été l’effort d’Alcuin et de ses disciples, pour revenir au latin classique, il n’a pas été sans inconvénients et sur le français et sur le latin. Sans doute, la graphie des mots est redevenue correcte, comme leur aspect extérieur, après la substitution de la belle écriture caroline à la déplorable cursive antérieure, mais, en ce qui concerne la prononciation, les réformateurs n’ont obtenu qu’un succès partiel. Un traité grammatical du Xe siècle, la Manière de lire, est significatif à cet égard. La lettre c devant e et i doit se prononcer comme s, g devant e et i comme j. Ne pas écrire avaritia, mais avaricia, speties mais species : ph se prononce comme f, etc... Ce que ne dit pas l’auteur, c’est que, devant a, le c, bien que toujours écrit de même, a depuis très longtemps pris le son ts, puis tch, puis ch et que si on écrivait encore caballum, on prononçait tchaballum, chavallum, d’où cheval. Pas davantage il ne parle de la distinction de u latin et de u français. Longtemps la graphie n’a su les distinguer jusqu’au moment où elle s’est décidée à employer u pour le son nouveau et à rendre, n’osant inventer un signe, le u latin par la juxtaposition o et u, procédé misérable dont nous usons encore aujourd’hui pulla = poule.
Chose plus grave, si la réforme a obligé à distinguer e de i, o de u, elle n’a pu parvenir à distinguer les voyelles longues des voyelles brèves, du moins pour le commun des clercs qui n’apprirent pas la prosodie classique. Et aujourd’hui encore, dans nos collèges et facultés, les jeunes Français ne sont pas exercés sérieusement à sentir la distinction des longues et des brèves, si bien que le rythme de la poésie latine leur échappe entièrement.
Pour les mots dits savants, que le français emprunte dès lors en quantité au latin, la réforme a un résultat absurde. Dans le latin parlé, les finales atones suivant la tonique avaient pris un son sourd, sorte de voyelle d’appui qu’on rendait parfois par la graphie e (notre soi-disant e muet), ainsi, utilis se prononçait utele (avec montée de la voix sur u), ou même utle. Rétabli, utilis, sera prononcé utile avec accent sur i, calicem deviendra calice, etc...
Les propaxytons latins deviendront des paroxytons, les paroxytons des oxytons. La langue française s’engorgera de mots hybrides, artificiels, qui ne sont conformes ni à la prononciation latine des temps classiques, ni à celle de la conversation usitée depuis le IIIe ou le IVe siècle.
De bien moindre importance, sinon par le talent du moins par l’influence, apparaît Paul Diacre, de son vrai nom Warnfrid. C’est un Lombard, et qui le restera toujours de cœur, mais entièrement romanisé de culture. Il avait déjà écrit pour une princesse lombarde une Histoire Romaine sans valeur, puis une précieuse Histoire des Lombards, quand un incident de famille, la révolte d’un frère contre l’autorité franque et son emprisonnement, l’amena à passer les Alpes pour implorer sa grâce. Bien qu’il eût reçu bon accueil, Paul Diacre demeura peu à la cour et, vers 786, regagna le monastère du Mont-Cassin.
Sa production en Gaule, outre un abrégé (compendium) des commentaires de Festus sur Virgile et des remarques sur le grammairien latin Donat, livres scolaires qui furent certainement utiles, consiste dans une double Vie des évêques de Metz en prose, puis en vers, et surtout dans un recueil d’homélies faites d’emprunts à saint Jérôme, à saint Augustin, aux papes Léon Ier et Grégoire le Grand, à d’autres encore. Sans originalité, mais commode, ce recueil devait avoir une longue vogue. L’Eglise doit à Paul Diacre, l’hymne célèbre Ut queant laxis.
Plus intéressante est la physionomie du Goth, c’est-à-dire Romain d’Espagne, Théodulf. Exilé de son pays, il conquit la faveur de Charlemagne qui le gratifia de l’évêché d’Orléans et l’utilisa, comme bien d’autres prélats, pour des missions importantes. Pratique non sans danger, car ces ecclésiastiques prenaient goût aux affaires politiques et aux intrigues qu’elles suscitent. Après la mort de l’empereur, Théodulf fut accusé de tremper dans la rébellion de Bernard, roi d’Italie, contre son oncle Louis le Pieux. Peut-être les soupçons étaient-ils insuffisamment fondés, car s’il fut privé de son évêché, on se contenta de l’envoyer à Angers dans un monastère, où il mourut en 821.
L’œuvre en vers de Théodulf a été considérable. Il a composé sur tous les sujets, sur la Bible, sur des événements de son temps, même de minime importance. Il a écrit des épitaphes, des billets de circonstance. Il va sans dire qu’il puise son inspiration et sa métrique chez les Anciens, Ovide surtout pour les profanes, et, pour les sacrés, les écrits de ses compatriotes, Prudence et Eugène de Tolède, et d’autres encore. Les connaisseurs de vers latins le considèrent comme le meilleur poète de ces temps, en un genre qui nous semble artificiel. Enquêteur (missus) en Septimanie, il nous laisse un tableau peu édifiant des pratiques judiciaires en cette région dans sa Paraenesis ad judices. Charlemagne l’apprécie surtout comme théologien : en 809 il lui commande contre les Grecs un De spiritu sancto, en 812 un De ordine baptismi. L’Eglise d’Orléans lui doit l’hymne Gloria laus et honor pour le dimanche des Rameaux.
Théodulf n’est pas seulement un lettré instruit, il a du goût pour les arts. Il a fait construire comme oratoire Germigny-les-Prés, charmante église voûtée, malheureusement trop restaurée, pour ne pas dire reconstruite en 1869. L’atelier (scriptorium) de copies de manuscrits d’Orléans l’a certainement intéressé. Somme toute, Théodulf est le seul de cette première période de la Renaissance carolingienne qui donne l’impression d’un « humaniste ». Sa formation en Espagne l’a soustrait à l’influence de l’Académie du Palais.
Par contre, les écrivains en vers du Palais, demeurent médiocres. Parmi eux, Angilbert, conseiller et gendre — de la main gauche — de Charlemagne (il était l’amant de sa fille Berthe), chante le souverain et sa famille. L’abbaye de Saint-Riquier, très importante, récompense ses services de tout genre. Modoin célèbre le bonheur du monde sous le grand Charles dans un dialogue à la manière d’une célèbre églogue de Virgile.
Somme toute, le « Palais » sous Charlemagne, est une préparation à la Renaissance des lettres, plutôt que cette Renaissance. Il préfigure l’éclosion des générations suivantes, notamment la floraison du règne de Charles le Chauve.

Intensité de la production littéraire
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L’immense majorité des écrits n’a aucune valeur littéraire, mais la restriction du mot « littérature » aux produits visant à l’esthétique, est un phénomène récent, inconnu encore au XVIIIe siècle, inconnu encore aujourd’hui à notre Académie des Inscriptions et Belles-Lettres dont l’Histoire littéraire de la France ne dédaigne pas les plus humbles écrits.
A plus forte raison, n’avons-nous pas le droit de négliger tout ce qui ne témoigne pas d’un certain talent de plume. Il s’agit de mettre en évidence la prodigieuse activité écrite du IXe siècle, phénomène psychologique encore plus que littéraire. Dans tous les domaines, les gens de l’Occident, en Gaule particulièrement, puis en Allemagne, ont cru qu’ils avaient quelque chose à dire, bien ou mal. Ils ont senti qu’ils participaient à une grande œuvre et ils en ont été fiers, à tort ou à raison, peu importe ici.
Le procédé le plus saisissant, celui qui accuse le mieux le contraste entre le IXe siècle et les siècles précédents et subséquents, consiste à évaluer la masse de sa production. Pour ce faire, prenons le recueil de l’abbé Migne, la Patrologie latine, où les textes sont rangés par ordre chronologique, et relevons le nombre de colonnes qu’y occupe chaque siècle. Nous trouvons : pour le VIe siècle 23.968 colonnes, pour le VIIe 11.602 ; pour le VIIIe 10.532 ; pour le IXe 44.664 ; pour le Xe 9.412. Ainsi sur un total de 100.178 colonnes que remplissent les ouvrages de tout genre, composés en latin entre les années 500 et 1000, le IXe siècle occupe près de la moitié, autant que les trois siècles précédents.

Apogée de la renaissance sous Charles le Chauve
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La vraie Renaissance commence lorsque les écrivains ne sont plus des étrangers attirés à la cour de Charlemagne, Italiens, Irlandais, Anglais, Espagnols, mais des sujets directs du roi des Francs, en majorité, sinon exclusivement. Tel est le cas pour Eginhard, pour Ruban Maur, pour Walahfrid Strabo, pour Hincmar, pour Loup de Ferrières, pour Paschau Radbert, pour Ratrand, pour Jonas, pour Florus, pour Amalaire, pour Micon, pour Heiric et bien d’autres encore. On remarquera en même temps que cette Renaissance excède les limites de la France actuelle et même de la Gaule, et intéresse la Germanie et au premier chef les monastères. Fulda en Franconie, Corvey en Saxe, Richenau et Saint-Gail en Alemanie, sont des foyers de culture au moins aussi intenses que ceux des parties occidentales de l’Empire. Par contre, l’Aquitaine et le sud-est de la Gaule n’y prennent aucune part. L’Italie elle-même est pauvre, au moins numériquement, en écrivains. Il semble que les parties éloignées de la présence ordinaire de la cour demeurent dans l’ombre par cela même et c’est un fait à relever. Nombre de ces auteurs sont des Francs de l’Est, ainsi Raban, Eginhard, peut-être Loup et d’autres ; Wahlafrid, précepteur de Charles le Chauve est un Souabe, Gottescalck, un Saxon.
Mais presque tous ceux qui comptent ont vécu en Gaule, à la cour du premier roi de France, Charles le Chauve, cour qui fut le centre intellectuel de l’Europe occidentale, pendant une trentaine d’années, et leur activité ainsi que celle des Irlandais, tel Jean Scot, des Espagnols, tels Agobard de Lyon ou Prudence de Troyes, Claude dit de Turin, intéresse au premier chef l’histoire de la vie intellectuelle en France. Laissons à l’Allemagne Raban Maur, abbé de Fulda, puis archevêque de Mayence (mort en 856), un autre Alcuin, écrivain sans originalité, mais esprit encyclopédique, le premier en date des grands érudits allemands, à l’Italie Anastase, bibliothécaire du Saint-Siège sous trois pontificats (mort en 897). Sa connaissance du grec fait de ce dernier l’intermédiaire le mieux informé entre la littérature grecque et la littérature latine.
Les autres appartiennent à l’histoire de la France. Impossible ici de consacrer à chacun d’eux une notice, si succincte soit-elle. Mieux vaut signaler les principaux apports qu’ils ont fournis aux divers genres de la littérature envisagée au sens large du terme.

Les genres littéraires : les œuvres en prose


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