Édition numérique établie par Danielle Girard et Yvan Leclerc



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Bog'liq
Madame Bovary version el

poigne d'enfer

Enfin, 
pour se tenir au courant
, il prit un 
abonnement à la
Ruche médicale
, journal nouveau 
dont il ava
it reçu le prospectus. Il en lisait un peu 
après son dîner
; mais la chaleur de l'appartement, 
jointe à la digestion, faisait qu'au bout de cinq 
minutes il s'endormait 
; et il restait là, le menton sur 
ses deux mains, et les cheveux étalés comme une 
criniè
re jusqu'au pied de la lampe. Emma le 
regardait en haussant les épaules. Que n'avait
-elle, 
au moins, pour mari un de ces hommes d'ardeurs 
taciturnes qui travaillent la nuit dans les livres, et 
portent enfin, à soixante ans, quand vient l'âge des 
rhumatismes, une brochette de croix, sur leur habit 
noir, mal fait. Elle aurait voulu que ce nom de 
Bovary, qui était le sien, fût illustre, le voir étalé chez 
les libraires, répété dans les journaux, connu par 
toute la France. Mais Charles n'avait point 
d'ambition 
! Un médecin d'Yvetot, avec qui 


dernièrement il s'était trouvé en consultation, l'avait 
humilié quelque peu, au lit même du malade, devant 
les parents assemblés. Quand Charles lui raconta, le 
soir, cette anecdote, Emma s'emporta bien haut 
contre le confrèr
e. Charles en fut attendri. Il la baisa 
au front avec une larme. Mais elle était exaspérée 
de honte, elle avait envie de le battre, elle alla dans 
le corridor ouvrir la fenêtre et huma l'air frais pour 
se calmer. 

Quel pauvre homme ! quel pauvre homme ! 
disait-
elle tout bas, en se mordant les lèvres.
Elle se sentait, d'ailleurs, plus irritée de lui. Il 
prenait, avec l'âge, des allures épaisses
; il coupait, 
au dessert, le bouchon des bouteilles vides ; il se 
passait, après manger, la langue sur les dents
; il 
faisait, en avalant sa soupe, un gloussement à 
chaque gorgée, et, comme il commençait 
d'engraisser, ses yeux, déjà petits, semblaient 
remontés vers les tempes par la bouffissure de ses 
pommettes. 
Emma, quelquefois, lui rentrait dans son gilet la 
bordure rouge de ses tricots, rajustait sa cravate, ou 
jetait à l'écart les gants déteints qu'il se disposait à 
passer 
; et ce n'était pas, comme il croyait, pour lui

c'était pour elle
-
même, par expansion d'égoïsme, 
agacement nerveux. Quelquefois aussi, elle lui 
parlait des choses qu'elle avait lues, comme d'un 
passage de roman, d'une pièce nouvelle, ou de 
l'anecdote du 
grand monde
que l'on racontait dans 
le feuilleton 
; car, enfin, Charles était quelqu'un, une 
oreille toujours ouverte, une approbation toujours 
prête. Elle faisait bien des confidences à sa levrette



Elle en eût fait aux bûches de la cheminée et au 
balancier de la pendule. 
Au fond de son âme, cependant, elle attendait un 
événement. Comme les matelots en détresse, elle 
promenait sur la solitude de sa vie des yeux 
désespérés, cherchant au loin quelque voile blanche 
dans les brumes de l'horizon. Elle ne savait pas quel 
serait ce hasard, le vent qui le pousserait jusqu'à 
elle, vers quel rivage il la mènerait, s'il était chaloupe 
ou vaisseau à trois ponts, chargé d'angoisses ou 
plein de félicités jusqu'aux sabords. Mais, chaque 
matin, à son réveil, elle l'espérait pour la journée, et 
elle écoutait tous les bruits, se levait en sursaut, 
s'étonnait qu'il ne vînt pas
; puis, au coucher du 
soleil, toujour
s plus triste, désirait être au 
lendemain. 
Le printemps reparut. Elle eut des étouffements 
aux premières chaleurs, quand les poiriers 
fleurirent. 
Dès le commencement de juillet, elle compta sur 
ses doigts combien de semaines lui restaient pour 
arriver au mois d'octobre, pensant que le marquis 
d'Andervilliers, peut-
être, donnerait encore un bal à 
la Vaubyessard. Mais tout septembre s'écoula sans 
lettres ni visites. 
Après l'ennui de cette déception, son cœur de 
nouveau resta vide, et alors la série des même

journées recommença.
Elles allaient donc maintenant se suivre ainsi à la 
file, toujours pareilles, innombrables, et n'apportant 
rien ! Les autres existences, si plates qu'elles 
fussent, avaient du moins la chance d'un 


événement. Une aventure amenait parf
ois des 
péripéties à l'infini, et le décor changeait. Mais, pour 
elle, rien n'arrivait, Dieu l'avait voulu 
! L'avenir était 
un corridor tout noir, et qui avait au fond sa porte 
bien fermée.
Elle abandonna la musique. Pourquoi jouer ? qui 
l'entendrait ? Puisqu'elle ne pourrait jamais, en robe 
de velours à manches courtes, sur un piano d'Érard, 
dans un concert, battant de ses doigts légers les 
touches d'ivoire, sentir, comme une brise, circuler 
autour d'elle un murmure d'extase, ce n'était pas la 
peine de s'e
nnuyer à étudier. Elle laissa dans 
l'armoire ses cartons à dessin et la tapisserie. À quoi 
bon 
? à quoi bon
? La couture l'irritait. 

J'ai tout lu, se disait-elle. 
Et elle restait à faire rougir les pincettes, ou 
regardant la pluie tomber. 
Comme elle étai
t triste le dimanche, quand on 
sonnait les vêpres
! Elle écoutait, dans un 
hébétement attentif, tinter un à un les coups fêlés 
de la cloche. Quelque chat sur les toits, marchant 
lentement, bombait son dos aux rayons pâles du 
soleil. Le vent, sur la grande route, soufflait des 
traînées de poussière. Au loin, parfois, un chien 
hurlait 
: et la cloche, à temps égaux, continuait sa 
sonnerie monotone qui se perdait dans la campagne. 
Cependant on sortait de l'église. Les femmes en 
sabots cirés, les paysans en blou
se neuve, les petits 
enfants qui sautillaient nu-
tête devant eux, tout 
rentrait chez soi. Et, jusqu'à la nuit, cinq ou six 
hommes, toujours les mêmes, restaient à jouer au 
bouchon, devant la grande porte de l'auberge. 


L'hiver fut froid. Les carreaux, chaque matin, 
étaient chargés de givre, et la lumière, blanchâtre à 
travers eux, comme par des verres dépolis, 
quelquefois ne variait pas de la journée. Dès quatre 
heures du soir, il fallait allumer la lampe. 
Les jours qu'il faisait beau, elle descendait dans le 
jardin. La rosée avait laissé sur les choux des 
guipures d'argent avec de longs fils clairs qui 
s'étendaient de l'un à l'autre. On n'entendait pas 
d'oiseaux, tout semblait dormir, l'espalier couvert de 
paille et la vigne comme un grand serpent malade 
sou
s le chaperon du mur, où l'on voyait, en 
s'approchant, se traîner des cloportes à pattes 
nombreuses. Dans les sapinettes, près de la haie, le 
curé en tricorne qui lisait son bréviaire avait perdu 
le pied droit et même le plâtre, s'écaillant à la gelée, 
avait fait des gales blanches sur sa figure. 
Puis elle remontait, fermait la porte, étalait les 
charbons, et, défaillant à la chaleur du foyer, sentait 
l'ennui plus lourd qui retombait sur elle. Elle serait 
bien descendue causer avec la bonne, mais une 
pudeur la retenait. 
Tous les jours, à la même heure, le maître d'école, 
en bonnet de soie noire, ouvrait les auvents de sa 
maison, et le garde-
champêtre passait, portant son 
sabre sur sa blouse. Soir et matin, les chevaux de la 
poste, trois par trois, traversaient la rue pour aller 
boire à la mare. De temps à autre, la porte d'un 
cabaret faisait tinter sa sonnette, et, quand il y avait 
du vent, l'on entendait grincer sur leurs deux tringles 
les petites cuvettes en cuivre du perruquier, qui 
servaient d'enseigne à 
sa boutique. Elle avait pour 
décoration une vieille gravure de modes collée 


contre un carreau et un buste de femme en cire, 
dont les cheveux étaient jaunes. Lui aussi, le 
perruquier, il se lamentait de sa vocation arrêtée, de 
son avenir perdu, et, rêvant q
uelque boutique dans 
une grande ville, comme à Rouen par exemple, sur 
le port, près du théâtre, il restait toute la journée à 
se promener en long, depuis la mairie jusqu'à 
l'église, sombre, et attendant la clientèle. Lorsque 
madame Bovary levait les yeux, elle le voyait 
toujours là, comme une sentinelle en faction, avec 
son bonnet grec sur l'oreille et sa veste de lasting. 
Dans l'après
-
midi, quelquefois, une tête d'homme 
apparaissait derrière les vitres de la salle, tête hâlée, 
à favoris noirs, et qui souriait lentement d'un large 
sourire doux à dents blanches. Une valse aussitôt 
commençait, et, sur l'orgue, dans un petit sa
lon, des 
danseurs hauts comme le doigt, femmes en turban 
rose, Tyroliens en jaquette, singes en habit noir, 
messieurs en culotte courte, tournaient, tournaient 
entre les fauteuils, les canapés, les consoles, se 
répétant dans les morceaux de miroir que racc
ordait 
à leurs angles un filet de papier doré. L'homme 
faisait aller sa manivelle, regardant à droite, à 
gauche et vers les fenêtres. De temps à autre, tout 
en lançant contre la borne un long jet de salive 
brune, il soulevait du genou son instrument, dont la 
bretelle dure lui fatiguait l'épaule
; et, tantôt dolente 
et traînarde, ou joyeuse et précipitée, la musique de 
la boîte s'échappait en bourdonnant à travers un 
rideau de taffetas rose, sous une grille de cuivre en 
arabesque. C'étaient des airs que l'on
jouait ailleurs 
sur les théâtres, que l'on chantait dans les salons, 


que l'on dansait le soir sous des lustres éclairés, 
échos du monde qui arrivaient jusqu'à Emma. Des 
sarabandes à n'en plus finir se déroulaient dans sa 
tête, et, comme une bayadère sur l
es fleurs d'un 
tapis, sa pensée bondissait avec les notes, se 
balançait de rêve en rêve, de tristesse en tristesse. 
Quand l'homme avait reçu l'aumône dans sa 
casquette, il rabattait une vieille couverture de laine 
bleue, passait son orgue sur son dos et s'
éloignait 
d'un pas lourd. Elle le regardait partir. 
Mais c'était surtout aux heures des repas qu'elle 
n'en pouvait plus, dans cette petite salle au rez-de-
chaussée, avec le poêle qui fumait, la porte qui 
criait, les murs qui suintaient, les pavés humides

toute l'amertume de l'existence, lui semblait servie 
sur son assiette, et, à la fumée du bouilli, il montait 
du fond de son âme comme d'autres bouffées 
d'affadissement. Charles était long à manger
; elle 
grignotait quelques noisettes, ou bien, appuyée du 
coude, s'amusait, avec la pointe de son couteau, à 
faire des raies sur la toile cirée.
Elle laissait maintenant tout aller dans son 
ménage, et madame Bovary mère, lorsqu'elle vint 
passer à Tostes une partie du carême, s'étonna fort 
de ce changement. Elle, en effet, si soigneuse 
autrefois et délicate, elle restait à présent des 
journées entières sans s'habiller, portait des bas de 
coton gris, s'éclairait à la chandelle. Elle répétait qu'il 
fallait économiser, puisqu'ils n'étaient pas riches, 
ajoutant qu'elle 
était très contente, très heureuse, 
que Tostes lui plaisait beaucoup, et autres discours 
nouveaux qui fermaient la bouche à la belle
-
mère. 
Du reste, Emma ne semblait plus disposée à suivre 


ses conseils 
; une fois même, madame Bovary 
s'étant avisée de prétendre que les maîtres devaient 
surveiller la religion de leurs domestiques, elle lui 
avait répondu d'un œil si colère et avec un sourire 
tellement froid, que la bonne femme ne s'y frotta 
plus. 
Emma devenait difficile, capricieuse. Elle se 
commandait des plats pour elle, n'y touchait point, 
un jour ne buvait que du lait pur, et, le lendemain, 
des tasses de thé à la douzaine. Souvent elle 
s'obstinait à ne pas sortir, puis elle suffoquait, 
ouvrait les fenêtres, s'habillait en robe légère. 
Lorsqu'elle avait bie
n rudoyé sa servante, elle lui 
faisait des cadeaux ou l'envoyait se promener chez 
les voisines, de même qu'elle jetait parfois aux 
pauvres toutes les pièces blanches de sa bourse, 
quoiqu'elle ne fût guère tendre cependant, ni 
facilement accessible à l'émot
ion d'autrui, comme la 
plupart des gens issus de campagnards, qui gardent 
toujours à l'âme quelque chose de la callosité des 
mains paternelles. 
Vers la fin de février, le père Rouault, en souvenir 
de sa guérison, apporta lui
-
même à son gendre une 
dinde sup
erbe, et il resta trois jours à Tostes. 
Charles étant à ses malades, Emma lui tint 
compagnie. Il fuma dans la chambre, cracha sur les 
chenets, causa culture, veaux, vaches, volailles et 
conseil municipal ; si bien qu'elle referma la porte, 
quand il fut parti, avec un sentiment de satisfaction 
qui la surprit elle-
même. D'ailleurs, elle ne cachait 
plus son mépris pour rien, ni pour personne
; et elle 
se mettait quelquefois à exprimer des opinions 
singulières, blâmant ce que l'on approuvait, et 


approuvant des choses perverses ou immorales : ce 
qui faisait ouvrir de grands yeux à son mari.
Est-
ce que cette misère durerait toujours
? est-ce 
qu'elle n'en sortirait pas ? Elle valait bien cependant 
toutes celles qui vivaient heureuses ! Elle avait vu 
des duchesses à
la Vaubyessard qui avaient la taille 
plus lourde et les façons plus communes, et elle 
exécrait l'injustice de Dieu
; elle s'appuyait la tête 
aux murs pour pleurer ; elle enviait les existences 
tumultueuses, les nuits masquées, les insolents 
plaisirs avec 
tous les éperduments qu'elle ne 
connaissait pas et qu'ils devaient donner. 
Elle pâlissait et avait des battements de cœur. 
Charles lui administra de la valériane et des bains de 
camphre. Tout ce que l'on essayait semblait l'irriter 
davantage. 
En de certains jours, elle bavardait avec une 
abondance fébrile
; à ces exaltations succédaient 
tout à coup des torpeurs où elle restait sans parler, 
sans bouger. Ce qui la ranimait alors, c'était de se 
répandre sur les bras un flacon d'eau de Cologne.
Comme 
elle 
se 
plaignait 
de 
Tostes 
continuellement, Charles imagina que la cause de sa 
maladie était sans doute dans quelque influence 
locale, et, s'arrêtant à cette idée, il songea 
sérieusement à aller s'établir ailleurs.
Dès lors, elle but du vinaigre pour se faire maigr
ir, 
contracta une petite toux sèche et perdit 
complètement l'appétit.
Il en coûtait à Charles d'abandonner Tostes après 
quatre ans de séjour et au moment

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