Annick Peters-Custot
Université de Nantes, Nantes, France;
annick@peters-custot.fr
Empire et romanité d’après la documentation grecque
de l’Italie méridionale byzantine
Cette contribution vise à reprendre des considérations souvent éparses, relatives aux
populations grecques de l’Italie méridionale byzantine, telles qu’elles sont documentées par des
sources écrites, aux X
e
et XI
e
siècle. Il s’agit là de reformuler l’appréciation de l’appartenance de
ces populations à l’Empire byzantin, dans les hagiographies et les actes de la pratique, comme
« identité souterraine », c’est-à-dire le plus souvent non-explicitée. En effet, la « romanité » des
Italo-Grecs est le plus souvent masquée, mais pour autant n’est pas inexistante. Elle se combine sans
contradiction à un lien profond avec la région d’origine ou d’existence, appelée « patrie » et à ceux
qui l’habitent, mais aussi aux notions de
génos
, que rend assez bien, dans diverses sources latines
hors de toute polémique, la dénomination de
gens Graecorum
. On se demandera donc si le lien avec
l’Empire byzantin est structurant ou seulement superficiel, légitimant et obéissant à des canons de
présentation des auteurs des sources. La question est de savoir si,
in fine
, ces populations ne sont
pas moins attachées à l’Empire byzantin, qu’à l’Empire tout court, ce qui pourrait constituer une des
clefs d’interprétation possible des mouvements de ces populations vers le Nord.
Filippo Ronconi
École des hautes études en sciences sociales, Paris, France;
ronconi@ehess.fr
Manuscrits et identités culturelles en l’Italie méridionale (VII
e
-XI
e
s.).
L’apport de l’Orient
Parmi les flux de populations qui ont traversé la Méditerranée entre le VII
e
et le IX
e
s., on
attribua une importance culturelle particulière aux migrations provoquées par les invasions persane
de la Syrie-Palestine (au cours des trente premières années du VII
e
s.) et arabe de l’Egypte (années
quarante du même siècle). Ces invasions (la première en particulier), faisant entre autres éclater des
contrastes violents entre les différentes ethnies locales, auraient engendré le déplacement de groupes
de chrétiens chalcédoniens hellénophones notamment vers l’Italie méridionale, où l’éphémère
reconquête justinienne avait revitalisé le substrat grec de la Sicile, de la Calabre, de la Basilicate
et des Pouilles, sans entraîner pour autant une véritable immigration byzantine. Ces flux humains
auraient provoqué le déplacement de livres, au bénéfice d’une influence importante sur le tissu
socioculturel d’arrivée. Mais cette reconstruction est loin de faire l’unanimité, car des historiens de
la culture italo-grecque ont minimisé les relations entre l’Italie byzantine et le Levant, pour souligner
le contrôle toujours profond de Constantinople sur la région, aussi bien sur le plan politique que
314
religieux et culturel (p. ex. F. Burgarella). Mais une telle conception semble démentie par certaines
observations – en vrai plutôt sporadiques jusque-là – sur des analogies évidentes entre certains
styles graphiques italo-grecs et syro-palestiniens (cf. G. Cavallo, L. Perria, S. Lucà par exemple).
J’essayerai donc de revenir sur la question, en présentant les résultats préliminaires d’une
enquête que je compte poursuivre dans les années à venir, en m’appuyant sur un protocole d’analyse
des livres italogrecs conçus comme les preuves d’un contact culturel entre les différentes régions de
la Méditerranée, entre l’Antiquité tardive et l’époque méso-byzantine. Il s’agira d’établir une série de
paramètres, comme les caractéristiques graphiques, matérielles, iconographiques et textuelles des
livres concernés, pour vérifier dans quelle mesure l’Italie centro-méridionale byzantine fut influencée
par des styles graphiques et des pratiques bibliologiques/codicologiques spécifiques de l’Egypte et
de la Syrie-Palestine. Je me concentrerai, en particulier, sur les manuscrits italogrecs des X
e
-XI
e
s.,
qui se distinguent nettement, sur le plan matériel et graphique, des livres constantinopolitains
contemporains et qui semblent être le fruit de réélaborations locales relevant d’influences levantines.
Ma démarche comprendra aussi une dimension historico-textuelle et conjuguera des
études bibliométriques et quantitatives avec l’analyse philologique traditionnelle, afin de vérifier
l’importance de la présence de textes patristiques syro-palestiniens et égyptiens dans les manuscrits
italogrecs, ainsi que la diffusion, en Italie du Sud, de lignes de tradition textuelle orientales
extra-constantinopolitaines.
J’essayerai, somme toute, de dessiner le processus de constitution de l’ « identité libraire » italo-
grecque de l’époque moyenne, à la lumière de l’ « identité libraire » levantine de la fin de l’Antiquité tardive.
Dans ce cadre, des questions plus larges se poseront : la réception des textes dans une nouvelle
région géographique est-elle active ou passive ? La présence massive d’ouvrages et de lignes de
tradition syro-palestinienne et égyptienne dans l’Italie méridionale byzantine, si elle est avérée,
serait-elle à interpréter comme la conséquence mécanique de migrations, ou plutôt comme la
preuve d’une affinité culturelle plus forte avec le Levant qu’avec les Balkans et Constantinople ? Et si
une telle contiguïté existe, sur quelles valeurs partagées se fonde-t-elle ?
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