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groupe similaire de l’Autre. Lorsque la rencontre est interculturelle, le risque d’interprétation
erronée est plus grand.
Le même acte de parole ou indice non-verbal est pour certains une expression d’appréciation,
d’intérêt ou
de respect, tandis que pour d’autres, il est perçu comme allant de la grossièreté à
l’étrangeté ou à l’agressivité (Hymes, 1972 ; Jackson, 2014, pp. 103-124 ; Kerbrat-
Orecchioni, 2010 ; Kohls, 1984 ; Matsumoto et al., 2013). Parmi de nombreux exemples
étudiés figurent les usages des pronoms et des termes d’adresse, le contact oculaire, la
distance physique, les interruptions, la conversation directe ou indirecte, les manifestations
d’émotions, etc. Ainsi, un compliment peut être perçu comme dévalorisant et une insulte
comme une expression d’amabilité ; la recherche sur la CI abonde de tels exemples.
Les conséquences peuvent être majeures. Bien plus de
décisions
qu’on
ne le pense, dans les
contextes officiels et privés, sont basées sur ce que nous appelons l’intuition (le réseau
neuronal nommé « System 1 »), fortement liée aux perceptions et aux émotions (au centre de
l’enseignement de la CI), au lieu de l’être sur la pensée rationnelle (« System 2 ») (Tversky &
Kahneman, 1981 ; Kahneman 2003). Les preuves apportées à cela ont valu à Kahneman,
psychologue, le prix de la Sveriges Riksbank en sciences économiques en mémoire d’Alfred
Nobel, et conduit à la fondation du domaine de recherche économie comportementale qui ne
cesse d’ajouter de nouvelles preuves (Heukelom, 2009). Dans les chaînes de communication
et de décisions, même un biais mineur peut avoir un grand impact.
Similairement aux icebergs arctiques, la plus grande partie des grilles interprétatives est donc
cachée et évolue avec le temps. Toute information statique « objective » n’est qu’un point de
départ pour une (ré)découverte ; en allégorie, la compétence interculturelle est le sonar. C’est
pourquoi la compétence interculturelle se base sur une conscience réflexive de soi et de
l’autre, du franchissement de frontières et ce qui se passe dans l’entre-deux, parfois nommé le
troisième espace
(Aden, 2012 ; Holliday, 2018 ; Kramsch, 2019). Puisque le succès dépend de
tous les interlocuteurs, la CI est aussi décrite comme « a dedicated
interpersonal engagement
to reinvent a new common culture that is mutually beneficial » (Piller, 2017, p. 204).
Toujours dans l’esprit des défis et des possibilités qui s’ouvrent par les rencontres de
l’altérité, nous rencontrons l’analogie du « soleil dans la porte ». En soutenant l’EPI avancée
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par le CoE, Aden (2012) propose le concept japonais « aïda » (dont la Figure 6 montre
l’idéogramme) pour définir la « médiation linguistique ».
[Aïda] désigne une philosophie qui attribue autant
d’importance aux objets (les battants de la porte) qu’à ce qui
les sépare et les réunit en même temps (le soleil). C’est dans
cet espace relationnel que le sujet peut se constituer dans la
rencontre avec l’autre. (…)
par aïda on entend à la fois et en
même temps l’espace relationnel, la relation et les pôles de
cette relation ; c’est plus un acte qu’un espace
» (
ibid.
, p.
276, emphase par l’auteur).
Pour Aden, la médiation linguistique est l’acte fondateur du sens partagé ; être médiateur ne
signifie pas transmettre, mais « créer de nouveaux réseaux de sens », ce qui s’aligne sur
l’approche interculturelle. Enfin, la médiation linguistique nous ramène à la notion de
langue
comme étant bien plus que des ensembles de mots, liés entre eux par des règles,
qui peuvent
être simplement traduits par des dictionnaires.
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