Paris
Match
en jean et perfecto, entourée du Van Gogh et de flics taillés comme des
dieux du stade.
Cette idée séduisante fut soudain réduite à néant lorsque le directeur du musée
déclara d’un ton consterné :
— Désolé, Beaumont, mais vous vous êtes fait avoir dans les grandes
largeurs.
— Comment ça ? s’inquiéta Martin.
— Le tableau est bien imité, mais c’est un faux.
— C’est impossible. Je l’ai vu le sortir de son sac et je ne l’ai pas quitté des
yeux.
— Regardez vous-même : la signature.
— La signature ? Mais quelle…
Van Gogh n’avait signé aucun de ses autoportraits.
Martin se pencha vers la toile posée à plat sur un tréteau. Vincent Van Gogh
avait signé très peu d’œuvres – pas même une sur sept – et lorsqu’il le faisait,
par exemple pour
Les Tournesols
, c’était toujours par son prénom. Or, sur le
tableau qu’il avait devant les yeux, ce n’était pas le prénom
Vincent
qui se
détachait en petites lettres disjointes, mais une autre griffe rédigée dans un
alphabet rieur :
Archibald
L’Aston Martin quitta l’autoroute en direction de Fontainebleau et s’engagea
sur la départementale qui menait à Barbizon. Archibald regarda sa montre et ne
put s’empêcher de sourire en imaginant la tête que ferait le p’tit gars lorsqu’il
s’apercevrait de la supercherie. Avec précaution, il ouvrit le grand sac en toile
posé à côté de lui pour faire émerger un bout de l’autoportrait – le vrai cette fois
– et poursuivre son dialogue imaginaire avec le peintre.
— Alors Vincent, pas mal notre petite plaisanterie, non ?
L’éclairage des réverbères faisait briller le regard tourmenté du peintre.
Archibald entretenait une relation compliquée avec les chefs-d’œuvre qu’il
dérobait. Jamais il ne s’était senti réellement propriétaire d’une œuvre. À vrai
dire, ce n’étaient pas les tableaux qui lui appartenaient, mais lui qui appartenait
aux tableaux. Même s’il avait de la difficulté à l’admettre, il savait pertinemment
que le vol était devenu une drogue. À intervalles réguliers, il était en manque.
Son corps et son cerveau réclamaient une nouvelle œuvre, une nouvelle
aventure, un nouveau danger.
Dans le poste de radio, une station classique diffusait un enregistrement de
Glenn Gould qui égrenait les
Variations Goldberg
. Le voleur se força à ralentir
pour ne pas arriver trop vite à sa destination et briser le moment magique qu’il
était en train de vivre. Une promenade au clair de lune avec Van Gogh et Bach :
pouvait-il exister meilleure compagnie ?
Pour que le plaisir soit complet, il attrapa dans la poche intérieure de son
imperméable une flasque argentée contenant un whisky écossais de quarante ans
d’âge.
— À la tienne, Vincent ! dit-il en buvant une gorgée du nectar cuivré.
L’alcool lui brûla délicieusement l’œsophage. Sa gorge s’emplit d’une
multitude de parfums : amande grillée, chocolat noir, cardamome…
Puis il se concentra sur sa conduite, quittant la départementale à hauteur du
Bois-Dormant pour s’enfoncer dans une petite route de campagne. Au bout de
quelques kilomètres, il atteignit une propriété clôturée d’un mur d’enceinte, en
limite de la forêt de Fontainebleau et de Malesherbes. D’un clic sur la
télécommande, Archibald ouvrit le portail électrique et la voiture s’avança dans
l’allée qui traversait le parc et menait à une belle demeure en pierre du début du
XIX
e
siècle, mangée par le lierre et entourée de marronniers centenaires. Tous
les volets de la maison étaient clos, mais l’endroit n’était pas laissé à l’abandon :
les haies étaient taillées et la pelouse venait d’être tondue.
Il gara l’Aston Martin dans les anciennes écuries transformées en immense
entrepôt à l’intérieur duquel on trouvait à la fois une moto tout-terrain, une
vieille Jeep de l’armée, un side-car d’avant-guerre, ainsi qu’une vieille Bugatti
entièrement désossée. Mais l’essentiel de la place était occupé par un hélicoptère
Colibri dernier cri, couleur bordeaux et noir. Archibald inspecta l’appareil,
vérifia le niveau de carburant et le sortit du hangar grâce au chariot de guidage.
Une fois dans le cockpit, il se coiffa d’un casque, mit en marche la turbine et
augmenta progressivement les gaz. Il avait placé l’hélico face au vent et n’eut
plus qu’à tirer sur le pas général pour le faire décoller.
— Ouvre grands les yeux, Vincent ! Je suis sûr que tu vas adorer le monde vu
d’en haut.
6
Paris s’éveille
La tour Eiffel a froid aux pieds
L’Arc de triomphe est ranimé […]
Les gens se lèvent, ils sont brimés
C’est l’heure où je vais me coucher
Il est cinq heures
Paris se lève
Il est cinq heures
Je n’ai pas sommeil.
Musique de Jacques DUTRONC
Paroles de Jacques LANZMANN
et Anne SÉGALEN
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