Brendan Osswald
École française d’Athènes, Athens, Greece;
brendan.osswald@efa.gr
Nicéphore II, despote d’Épire, comte de Céphalonie et citoyen de Venise ?
À propos d’un document vénitien du 5 septembre 1357
On a longtemps cru que la Sérénissime avait officiellement accordé à Nicéphore II sa protection
le 5 septembre 1357, avec la confirmation de sa citoyenneté vénitienne ainsi que la reconnaissance
de son titre de comte de Céphalonie. Cette décision aurait été prise dans le cadre du règlement de
la révolte de Leucade, soutenue par Nicéphore, contre Graziano Zorzi, citoyen vénitien ayant loué
la seigneurie de l’île aux Angevins. Cette opinion, défendue notamment par Donald Nicol et Spyros
Asonitis, et à partir de laquelle ont été extrapolées diverses théories, doit cependant être abandonnée.
En effet, prétendûment basée sur une délibération du Sénat vénitien du 5 septembre 1357
(Misti, 28, fol. 13), elle repose en réalité sur le regeste que Freddy Thiriet en fait (Régestes des
délibérations du Sénat, t. I, n° 317, p. 86) : « Réponses à l’ambassadeur du despote Nicéphore II,
comte de Céphalonie : le despote doit accepter un noble vénitien comme recteur de ses domaines
(…) ; il peut lever la bannière de Saint-Marc à son gré puisqu’il est citoyen vénitien. » Or, l’examen
du texte original (éd. Valentini, AAV, t. I/1, n° 169, pp. 152-153) montre d’une part que le titre
de « comte de Céphalonie » n’y figure pas, d’autre part que le personnage en question n’est pas
explicitement désigné comme étant Nicéphore II, mais uniquement en tant que « despote ». Le
regeste de Thiriet, utilisé comme preuve, n’est donc en réalité qu’une hypothèse de lecture.
Or, la décision du 5 septembre fait écho à une décision du Conseil Majeur, prise le 31 août (AAV,
t. I/1, nos 167-168, pp. 151-152), soit moins d’une semaine plus tôt, et qui concerne explicitement le
despote de Valona Jean Comnène Asên, despote de Valona et citoyen vénitien depuis le 2 mai 1353
(AAV, t. I/1, n° 153, p. 141). D’autres savants considèrent depuis longtemps que le document du 5
septembre concerne Jean Comnène Asên. Les deux textes traitent en effet de la même question, à
savoir si ce dernier a le droit d’employer un recteur vénitien. Le document du 5 septembre n’ayant
aucun lien avec le despote d’Épire et en l’absence d’autre document, il faut donc se rendre à l’évidence :
Nicéphore II n’a jamais porté ni tenté de faire reconnaître le titre de comte de Céphalonie, de même
qu’il n’a jamais été citoyen vénitien.
Quelles conclusions tirer de cette rectification ? Pour ce qui est de Venise, cela signifie qu’elle ne
conclut aucune alliance avec Nicéphore. L’hypothèse selon laquelle Venise, déçue que les Angevins
aient refusé de lui vendre les îles Ioniennes, aurait envisagé de prêter main forte à Nicéphore afin que
les îles passent sous le contrôle d’un citoyen vénitien, supposé docile, s’effondre donc à son tour.
Pour ce qui est de Nicéphore, cela confirme le récit des sources grecques, qui mentionnent
toujours son projet de reconquérir son héritage épirote mais jamais celui de s’emparer du comté
de Céphalonie dont il aurait pourtant pu à bon droit se prétendre l’héritier. L’affaire de Leucade
doit d’ailleurs être interprêtée en ce sens puisque l’île appartenait théoriquement à l’Épire et non
au comté. Surtout, cela montre bien que Nicéphore se considéra tout au long de sa vie comme un
prince byzantin et jamais comme le rejeton d’une lignée italienne.
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