Tatiana Sénina (nonne Kassia)
St. Petersburg, Russian Federation;
mon.kassia@gmail.com
Les conceptions anthropologiques de Saint Grégoire Palamas
et de George Gémiste Pléthon : un débat sur le rôle de l’homme dans l’univers
Le débat entre Grégoire Palamas et Barlaam le Calabrais n’était pas une discussion purement
théologique. Palamas polémisait aussi avec les intellectuels byzantins qui tentaient d’exprimer une
conception du monde plus humaniste et moins surchargée de dogmatisme que celle de l’Église
orthodoxe. Les recherches récentes montrent que la querelle hésychaste était une collision de
paradigmes entre le christianisme et la philosophie séculaire, et cette polémique n’a pas cessé
après la victoire officielle des palamites. Cent ans passés, George Gémiste Pléthon s’est montré
représentant de l’hellénisme philosophique contre la doctrine chrétienne : sa philosophie était une
réponse à la patristique et tout d’abord à Palamas. La conception d’un homme « christocentrique »
chez S. Grégoire était le comble de l’anthropologie chrétienne orthodoxe, mais elle n’était pas attrayante
pour une assez grande partie des intellectuels byzantins qui avaient leurs propres idées à propos de
l’homme et de son rôle dans l’univers. L’anthropologie élaborée par Pléthon représente un développement
des vues des humanistes byzantins du XIV
e
siècle, c’est pourquoi il est intéressant de comparer les idées
anthropologiques de Palamas et de Pléthon, bien qu’ils ne fussent pas des contemporains.
La conception de Palamas est traditionnellement chrétienne : l’homme créé par Dieu à son
image et à sa ressemblance était la meilleure création divine, mais il a perdu sa participation à la vie
divine à cause du péché. Les conséquences du péché originel étaient la mort de l’âme, la mortalité
du corps et la corruption qui se transmet par voie héréditaire ; la conséquence de la mortalité et
de la corruption est l’inclination au péché. L’homme ne peut regagner la ressemblance divine et
se débarrasser de la mort que par la grâce divine, en participant à la vie de Dieu. Le but de la vie
humaine est la déification et la contemplation de Dieu. Ce but ne saurait être atteint que par la
prière et la pratique des vertus, ainsi que par la grâce divine. L’homme privé de cette grâce ne peut
pas accéder à Dieu par ses propres forces : il ne peut recevoir la grâce divine et la perfection que du
Christ dans l’Église orthodoxe.
La conception de Pléthon est tout autre. Le christianisme n’est pour lui qu’une des conceptions
religieuses possibles. La religion chez Pléthon est très utilitaire : les cérémonies religieuses sont
importantes non parce qu’elles relient l’homme avec Dieu par les sacrements, mais parce que elles
peuvent affirmer les vraies notions des dieux dont dépend le succès de toutes nos actions. L’homme
n’est pas la meilleure création de Dieu, mais il n’est point impuissant sans la grâce divine. Il est créé
pour être le lien de l’univers, pour unir les mortels aux immortels, c’est pourquoi la procréation
importe et non pas la virginité. Le péché originel et la pénitence, l’incarnation de Dieu et le salut
par la grâce divine sont des notions étrangères à Pléthon. L’homme imite Dieu quand il le suit et
devient bon, mais il ne peut le faire que « dans la mesure où cela est possible à l’homme » : dans cette
conception il n’y aucune déification. L’homme peut connaître Dieu « par la fleur de l’intellect », mais
θεωρία chez Pléthon n’est pas la contemplation de Dieu en prière, mais l’étude de l’ordre de l’univers
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et des affaires humaines que le philosophe considère comme « la plus agréable » pour l’homme
« conduit dans l’univers comme quelqu’un qui assiste à une fête ».
Dans l’ensemble, l’anthropologie de Pléthon préférant la vie intellectuelle d’un savant et
philosophe à la vie contemplative d’un hésychaste orthodoxe peut, à ce qu’il semble, paraître plus
attrayante à l’homme d’aujourd’hui que celle de Palamas.
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