non
, ça veut souvent dire
oui, mais j’ai peur
.
— Mouais, continuez.
— Quand elle te dit
peut-être
, ça veut souvent dire
non
.
— Et quand elle dit
oui ?
— Quand elle dit
oui
, ça veut dire
oui, peut-être
.
— Et pour dire
oui
tout court ?
Archie haussa les épaules.
—
Oui
tout court, ça n’existe pas en langage féminin.
Martin était dubitatif :
— À mon avis, vous êtes meilleur voleur que psychologue…
— Peut-être que je manque d’expérience récente, concéda Archibald.
— Et si on parlait plutôt de Gabrielle ?
— C’était d’elle qu’on parlait, p’tit gars, je croyais que tu l’avais compris…
— Pourquoi avez-vous cherché à nous séparer ?
Archie leva les yeux au ciel :
— Mais c’est tout le contraire, imbécile ! C’est moi qui suis venu te chercher,
moi qui ai tout fait pour que tu te lances à ma poursuite, moi qui t’ai attiré
jusqu’à San Francisco pour que tu la retrouves, parce que je savais qu’elle ne
t’avait pas oublié !
Le ton était monté.
— Et après ? demanda Martin.
— Après, c’est vrai que j’ai pris peur et que j’ai voulu te tester, admit
Archibald.
— Vous avez tout gâché !
— Non, parce que sans moi, tu n’aurais jamais eu le courage de venir la
retrouver ! Parce que c’est ça ton problème, Martin Beaumont : tu as peur !
Martin n’était pas certain de comprendre. Archie insista :
— Tu connais la phrase de Mandela :
c’est notre lumière, pas notre ombre,
qui nous effraie le plus
. Ce qui te fait peur, p’tit gars, ce ne sont pas tes
faiblesses, ce sont tes qualités. C’est flippant, n’est-ce pas, de se dire que l’on a
beaucoup d’atouts dans sa manche ? C’est tellement plus rassurant de baigner
dans sa médiocrité en maudissant la terre entière…
— Qu’est-ce que vous cherchez à me dire ?
— Je cherche à te donner un conseil : mets tes peurs entre parenthèses et
prends le risque d’être heureux.
Martin regarda Archibald. Sur son visage, nulle trace de menace ou
d’animosité. Seulement de la compréhension. Pour la deuxième fois, Martin se
sentit lié à lui par une drôle de fraternité.
— Tout à l’heure, vous m’avez dit que vous aviez deux nouvelles, une bonne
et une mauvaise.
— C’est justement là où je voulais en venir.
— Quelle est la mauvaise nouvelle ?
Archibald ménagea son effet puis annonça :
— La mauvaise nouvelle, c’est que c’est toi qui y retournes, p’tit gars ! lança-
t-il en posant devant lui sa carte d’embarquement comme on abat un carré d’as.
— Je ne comprends pas.
— Tu croyais en avoir fini avec les amours et les emmerdes ? Ben non, ce
n’est pas si simple : tu rentres à ma place.
— Un troc ?
— Oui. Les cartes d’embarquement ne sont pas nominatives. Rien ne nous
empêche de les échanger.
— Pourquoi vous faites ça ?
— Oh, ne va pas t’imaginer que je me sacrifie. Moi, de toute façon, je n’avais
plus la force ni la possibilité de réaliser mes rêves.
— Vous êtes souffrant ?
— Condamné serait plus juste : un sale cancer.
Martin hocha la tête, tandis qu’un voile de tristesse passait devant ses yeux.
— Et… pourquoi moi ?
À présent, le bar s’était vidé. Seul le barman continuait à essuyer ses verres
derrière le comptoir.
— Parce qu’il n’y a que toi, p’tit gars, qui as su résoudre l’équation. Qui as eu
le courage de me suivre jusqu’ici. Parce que tu as été plus malin que le FBI, les
mafieux russes et toutes les polices du monde réunies. Parce que tu réfléchis
avec ta tête, mais aussi avec ton cœur. Parce que tu as pris des coups dans la
gueule, mais que tu tiens toujours debout. Parce que, d’une certaine façon, toi
c’est moi, sauf que tu vas réussir là où j’ai échoué : tu vas savoir aimer…
McLean leur versa deux derniers verres qui asséchèrent la bouteille de
whisky. Ils levèrent leur godet et, tout en trinquant, procédèrent à l’échange de
leurs billets.
Puis Archie regarda sa montre et quitta sa chaise.
— Tu m’excuses, mais il ne me reste plus beaucoup de temps et j’ai une
dernière chose à faire avant demain matin.
Il enfila son manteau puis, après une hésitation :
— Tu sais, à propos de Gabrielle… Elle peut paraître compliquée, mais elle
est limpide en réalité. Ne la fais pas souffrir, pas même une seule minute.
— Promis, dit Martin.
— Bon, je ne suis pas très doué pour les adieux…
— Bonne chance.
— Bonne chance à toi, p’tit gars.
5
. Titre d’un roman de Dinaw Mengestu inspiré d’un vers de Dante.
27
Anywhere out of the world
6
Que me reste-t-il, de t’avoir aimée ?
Reste que ma voix, sans écho soudain
Restent que mes doigts, qui n’agrippent rien
Reste que ma peau, qui cherche tes mains
Et surtout la peur, de t’aimer encore
Demain presque mort.
Charles AZNAVOUR
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