Maison des adolescents
Boulevard de Port-Royal
15 h 30
De la rue, la Maison de Solenn ressemblait à un immense paquebot de verre
avec ses deux bras tendus vers la ville, comme une invitation à entrer. Martin
traversa une esplanade verdoyante et emprunta les allées d’un petit jardin qui
menait au bâtiment hospitalier. Il venait ici une fois par semaine depuis trois ans.
Le hall de l’hôpital était vaste et clair : 600 m
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inondés de lumière, avec un
sol recouvert de parquet blond et une hauteur de plafond immense d’où
pendaient de grandes affiches traduisant le mal-être adolescent.
Martin se sentait étrangement bien dans cet endroit qui faisait penser à tout
sauf à un hôpital : les grands espaces, les façades entièrement transparentes et
l’environnement paysager bannissaient tout sentiment d’enfermement.
Il monta directement au troisième étage, celui des soins culturels où l’on
trouvait en enfilade une médiathèque, une cuisine, une salle de danse et de
musique, un studio radio…
Martin ne croyait pas en grand-chose, mais il croyait aux vertus
médicamenteuses de l’art, à la culture comme moyen de restaurer l’image de soi,
au pouvoir résilient de la création.
Il passa une tête à travers la porte de l’atelier de peinture.
— Bonjour Sonia.
— Salut Martin, tu es en avance ! répondit la jeune femme en blouse blanche.
Elle lui plaqua familièrement un baiser sur la joue et lui fit signe d’entrer dans
la pièce qui regorgeait de productions des pensionnaires. Chaque fois, Martin
était impressionné par la force de ces œuvres : tableaux tourmentés où planait
l’ombre de la mort, anges en plâtre consolateurs, démons exterminateurs,
moulages de corps décharnés de jeunes patientes anorexiques au moment de leur
hospitalisation, puis les mêmes corps six mois plus tard ayant retrouvé formes et
kilos. Au sein de cette salle, l’ange et le démon donnaient l’impression de
s’affronter âprement dans un combat dont l’issue était incertaine.
Comme dans toute vie…
— Tiens, Martin, aide-moi à déplacer les tréteaux, tu veux ?
Le jeune flic se prêta de bonne grâce à cette demande tout en se renseignant :
— Elle est sortie de sa consultation ?
— Oui, je lui ai dit que tu la rejoindrais là-haut.
— Tu m’accompagnes ?
— Martin, t’es un grand garçon !
— J’ai un truc à te dire, Sonia…
Elle le suivit dans le couloir et, alors qu’il attendait l’ascenseur, elle lui lança
un défi :
— On prend l’escalier, gros feignant ! Le dernier arrivé invite l’autre au
restau.
Avant même d’avoir terminé sa phrase, elle partit en courant, grimpant quatre
à quatre les marches qui menaient au toit.
Martin la rejoignit avec peine et l’immobilisa contre le mur.
— Il faut que je te dise quelque chose.
— Que tu m’aimes ? Mais c’est impossible, tu sais bien que j’ai déjà un
chéri…
— Sois un peu sérieuse, réclama-t-il, en relâchant son étreinte.
— Qu’est-ce que tu veux me dire ? Que tu vas partir ? Mais c’est pas à moi
qu’il faut le dire, c’est à elle. C’est à Camille…
Martin avait rencontré le docteur Sonia Hajeb, chef de clinique et
pédopsychiatre, trois ans plus tôt, lorsqu’elle s’était présentée à son bureau, au
siège de l’OCBC.
C’était une femme mince, à l’allure juvénile et aux cheveux noir corbeau
retenus en arrière par un élastique. À peine plus âgée que lui, elle portait un jean
et un blouson de cuir, vivait à Saint-Denis et aurait pu être la sœur qu’il n’avait
jamais eue.
Dans son travail, elle combattait au quotidien l’anorexie, la boulimie, la
dépression et les conduites dévastatrices qui conduisaient les adolescents au
suicide.
Dès ses premiers mots, il avait senti que Sonia était quelqu’un de bien.
— Ce que je m’apprête à révéler est totalement interdit par la loi et par ma
profession.
Il avait aimé cette entrée en matière qui supposait une forte personnalité et
une détermination farouche.
— Et pour tout vous dire, je risque ma place…
— Pourquoi vous le faites, alors ?
— Parce que je pense que ça pourrait aider une petite fille à aller mieux.
Martin avait froncé les sourcils. Il ne comprenait pas en quoi ça le concernait.
— Est-ce que vous vous souvenez de Camille ?
Il avait haussé les épaules.
— Des Camille, j’en connais plein.
— Des femmes, peut-être, Casanova, mais pas des petites filles de cinq ans…
Martin avait fermé les yeux une demi-seconde.
Une demi-seconde pendant laquelle il avait senti l’adrénaline pulser dans ses
veines.
Une demi-seconde pendant laquelle tout lui était revenu violemment en
mémoire.
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