1847
[1] Nous avons dit que le Régime avait nommé des Visiteurs régionaires. Les Frères directeurs de Barjac, de Bouillarque et de Montdragon étaient nommés pour les deux Provinces du midi. Les deux premiers déclarèrent ne pouvoir joindre cet emploi à leur charge de directeur. Le fardeau retomba donc sur celui de Montdragon192. Ceux qui étaient désignés pour le centre et le nord firent les visites le mieux qu'ils purent, aidés par les C.F. Assistants pendant deux ans. En janvier, le C.F. Supérieur envoya la lettre qui va suivre à chacun des Directeurs-Visiteurs.
[2] "Mon T.C.F., Nos occupations ne nous permettant pas de visiter les établissements que nous avons de vos côtés aussi souvent que nous le désirerions et que le demandent les besoins des Frères et des écoles, nous avons résolu de nous reposer en partie de ce soin sur vous. La piété, le zèle, le bon esprit que nous vous connaissons nous donnent tout lieu de croire que vous vous acquitterez exactement et consciencieusement de cet office. Vous aurez donc à surveiller et à visiter les maisons de.......
[3] et vous ne négligerez rien pour y maintenir ou y établir la régularité, la piété, l'union entre les Frères, l'amour de l'étude et du silence. Vous aurez soin aussi de veiller sur le temporel de ces maisons, non seulement pour ce qui concerne la cuisine et les autres dépenses que peuvent faire les Frères, mais encore pour toutes les améliorations et réparations qui dépendent de la commune, ce qui vous obligera à voir les autorités communales et les bienfaiteurs de l'école et à vous entendre avec eux pour procurer aux Frères tout ce qui leur est nécessaire, soit à eux, soit à la prospérité de l'école.
[4] C'est sur vous, M.T.C.F., que je me repose de tous ces soins. C'est vous qui m'en rendrez compte, si quelqu'un n'allait pas selon la Règle, s'il s'introduisait des abus dans ces maisons, si la Règle n'était pas observée, si les Frères ne contentaient pas le public. Vous êtes tenu de m'en informer le plus tôt possible.
[5] Voici les instructions que vous suivrez dans vos visites. Veuillez les méditer attentivement et vous en bien pénétrer. Je suis convaincu que si vous vous y conformez fidèlement, vos visites auront tous les fruits que nous en attendons.
[6] Ne vous effrayez pas de cet emploi et n'allez pas croire que vous n'êtes pas capable de le remplir, qu'il est au-dessus de vos forces et que vous n'avez ni assez de science, ni assez de vertu pour vous en acquitter dignement. Si vous sentez votre faiblesse, c'est une raison de plus pour compter davantage sur la grâce et la protection de Dieu et non pas vous décourager. Souvenez-vous que l'homme obéissant est capable de tout. N'attendez le succès de votre visite que de Dieu et non de votre capacité et croyez bien que plus vous serez humble, simple, docile, plus vous vous mettrez de côté, plus vous vous viderez de vous-même, mieux vous réussirez."
[7] Suivaient les instructions que nous résumons ainsi:
1 ne rien entreprendre sans l'avoir auparavant recommandé à Dieu et à la sainte Vierge;
2 agir simplement, humblement et franchement avec les Frères, sans faire attention aux manques d'égards qui pourraient survenir;
3 gagner l'estime des Frères par une vie exemplaire et toujours digne;
4 être prudent, gai, ouvert, mais circonspect;
5 ne rien laisser changer dans l'ordre de la maison pendant la visite;
6 ne morigéner personne sans être bien certain qu'il le mérite et le faire avec douceur et fermeté;
7 être plein d'égards pour le F. directeur et soutenir son autorité devant les autres;
8 lui dire franchement en quoi il manque et le presser d'y mettre odre;
9 insister sur l'entière observance de la Règle;
10 reprendre fortement les insubordonnés et les mauvais esprits;
11 ne jamais reprendre les professeurs devant leurs élèves;
12 veiller sur les rapports avec le dehors et faire dire la coulpe à tous les Frères.
* * *
[8] Mgr. Bataillon, évêque d'Enos, in partibus infidelium, honora l'Hermitage de sa visite. Tout se passa le plus simplement du monde. C'était le successeur de Mgr. Epalle massacré par les cannibales de l'Océanie.
Les Frères de Provence
[9] Les Frères des Mées n'avaient pas décampé l'année précédente comme leurs confrères de Bargemont, de Lorgues et de Montdragon, mais leur directeur, F. André, avait insisté auprès du F. supérieur pour en obtenir des remplaçants le plus tôt possible. On lui répondit ainsi, le 14 février:
[10] "M.C. Frère, Il n'est pas très certain que nous puissions vous remplacer à Pâques. La mort vient de nous enlever une demi-douzaine de Frères, plusieurs autres sont gravement malades et ne peuvent de quelque temps nous servir, de sorte que nous sommes extrêmement gênés. Nous sommes bien disposés à faire tout ce que nous pourrons pour Mées, mais si ce poste vient à être abandonné, nous n'aurons rien à nous reprocher, attendu que personne n'est tenu à l'impossible.
[11] Il faut avouer que nous avons été curieusement joués dans toute cette affaire. A la demande de votre C.F. Supérieur, pour lui faire plaisir et pour le bien de la religion, nous consentîmes à vous remplacer dans les postes que vous occupiez dans la Provence, mais à la condition expresse que vos sujets resteraient jusqu'à ce que nous fussions à même de les remplacer. Nous avions pris cette précaution parce que nous avions déjà un grand nombre d'engagements pour la Toussaint de 1846. Or, vos Frères, sans nous avertir et je ne sais d'après quelque ordre, se sont retirés au milieu de l'été, nous laissant, nous et les communes, dans le plus grand embarras. Nous avons été obligés de nous gêner excessivement pour fournir des Frères à Montdragon, à Lorgues et à Bargemont, etc. ..."
Des Frères pour Digne
[12] M. le curé de Digne voulait remplacer les Frères des Ecoles Chrétiennes par les nôtres. Ne connaissant pas nos supérieurs il s'adressa à M. le curé de Saint-Pierre de Saint- Chamond. Celui-ci communiqua sa lettre au C.F. supérieur qui lui répondit comme il suit, le 28 février:
[13] "M. le Curé de Digne, Ayant l'avantage d'avoir les Frères des Ecoles Chrétiennes, nous ne pensons pas qu'il soit de l'intérêt de sa paroisse de les remplacer par des nôtres. D'ailleurs, je suis obligé de vous dire que des motifs de haute convenance ne nous permettent pas de nous prêter à ce projet. Depuis longtemps nous nous sommes imposés pour Règle de ne jamais accéder à aucune demande de ce genre et cela dans l'intérêt de la religion et des Congrégations de Frères quelles qu'elles soient. Je vous retourne donc, M. le Curé, la lettre de M. le Curé de Digne et vous prie d'avoir la bonté de lui répondre en conséquence."
[14] M. Meyrieux, vicaire générale de Digne, avait conçu l'idée de demander au gouvernement l'extension de l'autorisation des Frères de Saint-Paul dans le département des Basses-Alpes. Dans ce but il demanda l'appui du R.P. Colin qui était à Rome avec nos seigneurs Pompallier et Douarre.
[15] Le C.F. François répondit à M. l'abbé Meyrieux, le 17 avril, que le R. Père n'avait aucune qualité officielle pour l'appuyer, que néanmoins, il lui remettrait sa lettre à son retour. Le C. Frère ajouta: "La Congrégation des Frères de Marie n'est pas définitivement autorisée pour le diocèse de Lyon et n'y existe qu'en vertu d'un arrêté du Conseil Supérieur et d'un permis du ministre de l'Instruction publique pour le département de la Loire. Le R.P. ne pourrait donc demander une extension que comme Supérieur des Frères de Saint-Paul-3-Châteaux, mais on lui reconnaît pas ce titre et lui-même n'est pas d'avis de le prendre de si tôt, etc..."
Bienveillances de l'extérieur
[16] M. le marquis de la Guiche était député de Saône et Loire. Sa soeur était mariée à M. le comte de Valens dont le château est à Saint-Didier-sur-Chalaronne. Son beau-frère le pria d'agir auprès du ministre pour en obtenir l'autorisation du pensionnat de cette commune. M. le marquis promit de s'en occuper ainsi que de l'autorisation du pensionnat de Digoin situé dans l'arrondissement qui l'avait nommé député.
[17] M. le curé de Robiac insistait depuis plusieurs années pour avoir des Frères. Au lieu de se décourager par les refus qu'il avait reçus, il fit intervenir Mgr. Cart, son évêque, qui insista lui-même auprèes du C.F. Supérieur. On lui répondit, le 7 juin, en ces termes:
[18] "Monseigneur, Je ne puis répondre autrement à la lettre toute paternelle que votre Grandeur veut bien m'adresser en faveur de l'établissement de Robiac qu'en vous faisant connaître avec la simplicité d'un enfant qui s'épanche dans le sein d'un bon Père, la position pénible dans laquelle je me trouve. Jamais nous ne nous sommes vus si gênés, si embarrassés. La mort, la maladie et quelques défections nous ont enlevé cette année douze Frères brevetés, tous directeurs ou chargés de classes supérieures. En conséquence à peu près autant de maisons sans titulaires et dont l'état provisoire et irrégulier ne peut être poussé plus loin que le mois de septembre prochain. Point de Frères brevetés supplémentaires pour les remplacer et très peu d'espoir d'avoir des brevets aux prochains examens. On devient si difficile, on élève tellement les programmes et presque partout il y a tant d'arbitraire qu'il est comme impossible à nos Frères de réussir. Pour avoir quatre brevets au mois de mars dernier, nous avons présenté de côté et d'autre, avec des frais énormes, 28 sujets...
[19] Jamais je n'ai éprouvé tant de peine, Mgr., à éloigner une demande que j'en éprouve en ce moment à ajourner celle de Robiac après les si présentes et si paternelles instances que vous voulez bien me faire. Cette peine m'est d'autant plus sensible que votre Grandeur a eu plus de bontés pour nous dans tous les temps et qu'elle nous témoigne encore en cette occasion plus d'intérêt et de bienveillance. Daignez..."
[20] Le F. Avit, Visiteur, comme nous l'avons dit, ayant besoin de voir Mgr. Cart, se présenta à l'évêché. Ce fut Sa Grandeur qui lui ouvrit la porte. Elle était momentanément seule dans le palais épiscopale. Après avoir reçu sa bénédiction, le Frère voulut lui exposer le motif de sa visite. "Avez-vous dîné, lui demanda sa Grandeur. - Non, Mgr., mais j'ai le temps d'y penser. - Si vous n'avez pas dîné, nous allons commencer par là, répliqua l'évêque." Il fit asseoir le Frère à sa table, alla fouiller dans les placards et posa tout ce qu'il put trouver sur la table. Il s'assit ensuite et causa avec le dîneur qui était tout confus.
Frères de Vendée à Mées
[21] Le Supérieur des Frères de la Vendée pria notre C.F. Directeur général de remplacer ceux de ses Frères qui étaient encore aux Mées. On lui répondit ainsi, le 29 juillet:
[22] "M.T.C. Frère, Je ne puis prendre l'engagement de donner un remplaçant à votre F. André aux vacances prochaines, vu l'état de gêne où nous nous trouvons dans ce moment. Pendant l'année scolaire que nous terminons la mort nous a enlevé dix-huit Frères dont la plupart étaient d'excellents sujets et que nous aurons de la peine à remplacer. La défection aussi nous en a ravi quelques-uns. Tout cela nous met dans l'embarras et nous empêchera probablement de nous charger, à la rentrée, de votre établissement des Mées.
[23] M.C.F., Dans la 1ière lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire je vous avais bien promis que nous ferions tout ce qui dépendrait de nous pour remplacer vos sujets, mais vous devez vous rappeler que je vous disais aussi que vous seriez obligé de les laisser jusqu'à ce que nous fussions en mesure de leur donner des successeurs. Vous avez accédé à cette condition que je mettais à me charger de vos postes de la Provence. J'aime à croire que vous l'accomplirez.
[24] Je ne dois pas vous laisser ignorer, M.T.C. Frère, que le départ subit et précipité de vos Frères de la Provence nous a beaucoup surpris et que de plus, il nous a fait un grand tort et voici comment. Vous deviez vous rappeler que je vous priais dans ma dernière lettre de me prévenir quand il serait temps de visiter les maisons que vous vouliez nous céder afin de nous entendre avec les fondateurs ou les autorités municipales sur le temporel de ces maisons. Vous eûtes la complaisance de me répondre que vous me préviendriez quand vous le croiriez convenable. Sur cette parole, je suis resté tranquille.
[25] L'été s'est passé, les vacances sont venues et voilà que vos Frères se retirent sans nous prévenir et sans nous donner le temps de prendre des arrangements avec les fondateurs de leurs écoles. Aussi nous avons trouvé des maisons délabrées avec quelque reste de mobilier et des traitements insuffisants. De plus nous nous sommes trouvés chargés de ces maisons sans avoir pu prendre les mesures nécessaires pour assurer leur avenir."
Convocation à la retraite
[26] Le 31 juillet, le C.F. supérieur appela les Frères à la retraite annuelle par cette circulaire:
[27] "Nos T.C. Frères, En vous annonçant l'époque des vacances, je me sens frappé de cette pensée: Oh! que le temps passe vite! Il me semble qu'il n'y a que quelques instants qu'à la suite de la retraite, nous nous sommes séparés pour travailler à l'œuvre de Dieu, chacun dans le poste et l'emploi qui lui étaient assignés par la divine Providence. Et voilà déjà une année qui s'est écoulée et de toute cette année il ne nous restera bientôt que les sacrifices que nous aurons faits pour Dieu et les fautes que nous aurons commises contre sa sainte loi. Encore quelques jours, quelques mois ou tout au plus quelques année, et nous arriverons tous au terme heureux de notre pèlerinage, à notre commune patrie. Oui, encore un peu de temps et pour nous seront passées les misères de la vie, les tribulations, en un mot tout ce que notre état a de pénible et de mortifiant pour la nature et il ne nous restera qu'à recevoir la couronne de justice, si nous avons été fidèles à Dieu et aux devoirs de notre vocation et si nous avons su profiter des moyens de salut que la divine Providence nous prodigue avec tant d'abondance.
[28] N.T.C. Frères, nous avons la consolation de vous dire que cette année a été une année de bénédictions pour la Société. Dieu nous a fait des grâces bien particulières et Marie, notre bonne Mère, ne nous avait peut-être jamais donné de marques si sensibles de sa puissante protection. Je n'entrerai présentement dans aucun détail, je me réserve le plaisir de vous faire connaître de vive voix, à l'époque de la retraite, tout ce que Marie a fait pour nous pendant cette année. Je me contente donc de vous dire que notre cœur est tout pénétré de reconnaissance, de joie et de confiance au souvenir des bienfaits et d'une protection si visible de notre auguste Mère et Patronne.
[29] Oh! N.T.C.F., que nous sommes heureux d'être les enfants de Marie, de porter son nom, d'être membres d'une Société pour laquelle elle montre tant de sollicitude! Aimons, honorons de toutes les puissances de notre âme cette bonne et tendre Mère, mais surtout efforçons-nous d'imiter ses vertus et de rendre notre vie conforme à la sienne, car c'est par la sainteté de notre vie que nous nous montrerons dignes d'être les membres de sa chère famille et que nous mériterons de plus en plus sa protection...
[30] Si nous voulons conserver l'honorable titre d'enfants de Marie et la regarder véritablement comme notre Mère, examinons quelles ont été ses principales vertus, voyons comme Elle a été humble, pure et obéissante, quel a été son amour pour la retraite et le silence et formons notre vie sur la sienne.
[31] Cette Vierge si humble qui a toujours aimé et recherché la dernière place, pourrait-elle regarder comme son enfant un Frère Mariste superbe qui tirerait vanité de ses talents et de ses vertus, qui chercherait à paraître devant les hommes, qui travaillerait à mériter leur estime, leur approbation et leurs louanges, qui désirerait des emplois honorables, qui voudrait être considéré, qui craindrait les humiliations, les mépris, les réprimandes, qui ne pourrait se souffrir dans des occupations basses et dans un établissement pauvre ou difficile. Si nous étions dans ces sentiments, nous ne serions pas les enfants de la plus humble des créatures...
[32] Comment Marie pourrait-elle compter comme son enfant un Frère qui profanerait en lui la plus belle de toutes les vertus, qui ne veillerait pas sur ses sens, qui conserverait dans son cœur quelque affection pour les créatures, qui s'arrêterait à des pensées criminelles, qui entretiendrait des rapports indiscrets ou des conversations dangereuses, qui violerait sans scrupule les articles de la Règle concernant les rapports avec les séculiers et les enfants et enfin qui ne s'éloignerait pas avec soin de tous les dangers et des plus légères apparences du mal.
[33] Oserions-nous bien croire qu'elle nous regarde, qu'elle nous protège comme ses enfants, cette auguste Reine du ciel et de la terre qui a porté l'obéissance au plus haut point de perfection, si elle nous voyait opposés à Dieu et à nos supérieurs, attachés à notre propre volonté et à nos sentiments, si elle nous voyait mépriser ou seulement négliger les avis, les ordres de ceux qu'elle a établis pour nous diriger et nous conduire, si au lieu d'obéir avec foi et simplicité à leurs commandements, comme à ceux de Dieu même, nous nous permettions de les critiquer, de les censurer et de les condamner."
[34] Cette circulaire, trop longue pour être insérée ici in extenso, était toute sur le même sujet: les vertus de Marie, le bonheur de lui appartenir, la nécessité de l'imiter, etc. ...
[35] Suivait le dispositif pour les vacances et les retraites. C'était le même que l'année précédente.
Nos défunts
[36] Le C.F. Supérieur terminait en donnant la liste des Frères défunts dont les noms suivent: Frères Philibert, Eligius, Damasse, Aunerise, Audifax, Adrianus, Achilée, Edouard, Rodolphe, Boniface, Aimé, Castorius, Simon et Louis.
[37] Jusqu'ici nous avons donné les noms des Frères défunts en suivant l'année civile et d'après le nécrologe de l'Hermitage qui devint incomplet. Nous les donnerons désormais d'après les circulaires du C.F. Supérieur.
Frère Castorius
[38] Le jeune Frère Castorius avait pris l'habit à l'Hermitage sous le nom de F. Castor. Après la cérémonie il alla trouver le C.F. Supérieur et lui dit en pleurant qu'il ne pouvait garder ce nom parce que c'était celui du chien de son père. On le lui latinisa donc. Envoyé à Montdragon, en octobre 1846, le climat trop différent de celui de la Haute-Loire, son pays natal, lui fut pénible. Dès les premiers beaux jours de 1847, il demanda à se mettre à l'eau. [Frère Avit] son directeur le lui défendit. Profitant de son absence, le premier juillet, le jeune Frère, malgré les prières du F. cuisinier, voulut aller nager dans une laune du Rhône dont le fond était bourbeux. N'en pouvant sortir les pieds propres, il alla se laver dans le fleuve et y resta: il ne savait pas nager.
Frère Edouard
[39] Le F. Edouard était dauphinois, des environs de Champier. Ses parents étaient religieux, mais pauvres. Dès l'âge de 12 ans il avait été conducteur de voitures publiques. Il avait gagné 10.000 fr. dans cette occupation qui ne l'empêchait pas d'être pieux. Arrivé à l'âge de 32 ans et ayant entendu parler du P. Champagnat et de sa Congrégation, il se rendit auprès de lui à l'Hermitage, lui offrit ses 10.000 fr. et demanda à être reçu dans la maison comme domestique, ce qui lui fut accordé. Le P. Champagnat ayant reconnu ses belles qualités, lui proposa de prendre la soutane. Le bon jeune homme n'avait pas osé la demander, s'en jugeant humblement indigne. Il accepta la proposition avec reconnaissance et abandonna ses 10.000 fr. de grand cœur. Il reçut le nom de F. Edouard. C'était vers 1839.
[40] A la fin de 1842, il fut envoyé à Saint-Paul-3-Châteaux. Il y fit la cuisine avec plus de dévouement que de science culinière, jusqu'en juillet 1846. A cette date, il fut envoyé à Lorgues pour y soigner l'enclos et les bâtiments après le départ des Frères de la Vendée et avant l'arrivée des nôtres. Il remplit son emploi avec un dévouement, une mortification, une piété et un esprit de famille très rare dans un homme sans instruction. L'enclos était rempli de figues, d'oranges, de raisins et autres fruits délicieux. Il les soignait et les vendait scrupuleusement, se contentant d'un peu de pain, de fromage et d'eau. La maison avait de bons lits. Il couchait sur la dure, bien que son travail fut très pénible.
[41] Après l'arrivée des Frères, il continua ainsi jusqu'en mai 1847. Il fut alors saisi d'une maladie qui devint bientôt mortelle. Au lieu de s'en affliger, il riait de toutes ses forces en répétant aux Frères qui le soignaient: "Nous y sommes, C.F., nous y sommes! Nous allons voir Celui qui est là haut!" et il indiquait un crucifix placé au pied de son lit. Il mourut avec toutes les marques d'un prédestiné, à l'âge de 50 ans.
Frère Louis
[42] La mère du F. Louis l'avait consacré à la Sainte Vierge dès sa naissance. Il fit sa première communion avec une grande piété. La lecture du Pensez-y-bien fut le moyen dont Dieu se servit pour l'attirer à l'état religieux. Nous avons déjà dit comment le P. Champagnat le choisit comme le second membre de sa Congrégation naissante, en 1816, comment il en devint le premier, F. Jean-Marie Granjon n'ayant pas persévéré. Ce fut lui qui fonda l'école de Marlhes, en 1818, et qui sut résister aux avantages que lui offrait M. le curé pour l'engager à quitter sa soutane. Les grands traits de la vie de ce bon Frère avaient été: l'esprit de foi, la parfaite docilité aux avis de ses supérieurs et aux inspirations d'une conscience très délicate, la fuite des plus petits péchés et un amour toujours croissant pour Jésus et Marie. Au reste, le C.F. Jean-Baptiste a écrit longuement sa biographie. Les Frères peuvent la lire et s'en édifier tout à leur aise.
Les retraites
[43] Le R.P. Cholleton présida les retraites de l'Hermitage et de La Bégude, M. Mazelier celle de Saint-Paul et le R.P. Bourdin celle de Beaucamps.
[44] A l'issue de ces retraites les Frères dont les noms vont suivre, firent profession, savoir: Frères Angilbert, Basin, Dosithée, Faustin, Chrysogone, futur Assistant, puis procureur général, Gervais, Gratien, Marie-Protais, Protolique, Philogone, futur Assistant, Sylvain, Simplice, Vital, à l'Hermitage; Frères Fabien, Flamidien, Gabriel-Marie, Herménilde, à Saint- Paul; Frères Abel, futur maître des novices, Josué, Marie-Ferdinand, Ribier, à La Bégude; et Frères Onésime, Epiphane, Constance, dans le Nord.
[45] Le C.F. Jean-Baptiste étant malade, le C.F. Supérieur était descendu seul à Saint-Paul pour la retraite. "Je connais peu les Frères et les postes de cette province, avait-il dit au Fr. [Avit] Visiteur, en vous entendant avec le Fr. Jean-Marie, chargez-vous des placements et du règlement de toutes les questions matérielles. - Donnerons-nous des Frères aux Mées? avait demandé F. Avit. - Non, avait répondu le C.F. Supérieur, à moins que vous n'en puissiez trouver trois dans vos combinaisons pour les placements." Les 3 Frères furent trouvés.
Fondation de Camaret
[46] Le F. Visiteur partit, voyagea tout un jour à jeun et arriva aux Mées à 9 heures du soir. Les Frères de la Vendée en étaient partie depuis quelques semaines. Le F. Visiteur soupa avec appétit pendant que M. le curé lui racontait que le conseil municipal avait voté pour un laïque, le dimanche précédent. Le bon curé s'en lamentait.
[47] Le F. Avit partit le lendemain et passa à Camaret dont les autorités avaient demandé des Frères et n'avaient reçu que des réponses négatives. Trouvant les conditions avantageuses, le F. Visiteur accepta le poste et prit sur lui d'y envoyer les trois Frères destinés aux Mées. Il rendit ainsi heureux un bon curé, un brave maire et toute une population.
[48] Mais le C.F. Supérieur ne fut pas content. Il écrivit une lettre sévère au prétentieux Visiteur et lui déclara qu'il serait responsable de tout le mal que les Frères feraient à Camaret. Le F. Avit s'excusa de son mieux de l'échec des Mées, accepta la responsabilité dont on le chargeait et réclama pour lui seul le mérite du bien que les Frères allaient faire dans ce nouveau poste. "J'espère, disait-il, qu'ils feront beaucoup plus de bien que de mal."
[49] Camaret fut la seule fondation de cette année. On fit très bien de reprendre un peu haleine. Il y avait eu 61 demandes appuyées, pour la plupart, par les évêques d'Autun, de Digne, de Beauvais, par les vicaires généraux de Moulins, pour Arfeuilles et la Prugne, (par celui) de Marseille et par le P. Poupinel.
Paris: Petit-Bourg
[50] Le 4 novembre, le C.F. Supérieur écrivit ce qui suit au P. Bourdin:
"M.R.P., Le C.F. Louis-Marie vous avait promis, pour le mois d'octobre dernier, une réponse au sujet de la colonie agricole du Petit-Bourg, près Paris, dont vous lui avez parlé. Mais j'ai cru pouvoir attendre l'occasion présente de vous la faire parvenir, d'autant plus qu'il nous est impossible de nous en charger dans ce moment. Tous nos sujets disponibles sont placés ou promis. Je crois même qu'avant trois ans au moins, il nous sera guère possible de faire aucune nouvelle promesse.
[51] D'ailleurs, je n'ai pas assez de renseignements sur l'objet, la constitution et l'état actuel de la maison du Petit-Bourg pour pouvoir vous dire même s'il nous sera possible de l'accepter. Il faudrait que vous eussiez la bonté de revoir ces Messieurs et de nous donner plus de détails sur l'organisation et le but de cet établissement, sur ses ressources et sur les fonctions que les Frères auraient à y remplir. etc..."
Inondation à l'Hermitage
[52] Le premier dimanche de l'Avent, 28 novembre, le Gier grossit considérablement. La pluie qui avait commencé la veille ne cessa que vers les 7 heures du soir. Le pont de bois de la cour Sainte-Marie fut emporté, les pierres et la terre qui garantissaient la maison du côté de la rivière furent entraînées, l'eau qui avait fait crouler une grande partie du mur soutenant le jardin, passa par la cour extérieure, entra par le portail dans la cour intérieure et dans le réfectoire.
[53] Pendant le chant de vêpres, comme la pluie était très forte, le C.F. Louis-Marie, premier Assistant, avec quelques Frères qui étaient restés pour surveiller l'inondation, voyant l'eau envahir le réfectoire et la souillarde, entra à la chapelle et fit sortir quelques postulants des plus forts, pour enlever la vaisselle et retirer les tables du réfectoire dont le bitume était déjà soulevé par l'eau en plusieurs endroits. A peine avait-on fait cela que l'eau envahit tout. Et comme on craignait pour la partie de la maison sur la rivière, le C.F. Louis-Marie fit retirer les livres de la bibliothèque de l'antichambre du F. Jean-Baptiste laquelle, étant à l'angle sud du côté de la rivière, était l'une des parties les plus exposées.
[54] Le C.F. Jean-Baptiste ne paraissait pas s'effrayer de ce qui arrivait. Il comptait sur la protection de la Sainte Vierge dont il avait mis une statue sur sa fenêtre, du côté de la rivière. Il dit à ceux qui retiraient les livres: "La Sainte Vierge ne laissera pas emporter la maison puisque nous n'avons que celle-ci. Où irions-nous loger? Si vous enlevez les livres aujourd'hui, demain vous les rapporterez." C'est ce qui arriva effectivement, car la pluie s'arrêta peu après.
Entrées et défunts
[55] Soixante-dix postulants avaient revêtu l'habit religieux, savoir: 31 à l'Hermitage, 10 à Saint-Paul, 25 à La Bégude, 3 à Vauban et un dans le Nord.
[56] Au 14 noms déjà nommés des défunts de cette année, il faut joindre les 9 que voici: Frères Octave, Aristée, Raymond, David, Styriaque, Héraclius, Gérard, Hyacinthe, Attale. Les trois derniers étaient morts en Océanie. Le F. Hyacinthe avait été massacré et mangé avec deux Pères Maristes, par les cannibales de l'Ile Saint-Chistoval. C'était donc un martyr de l'Institut.
[57] Ces trois victimes avaient été mises à mort le 20 avril par des cannibales de la tribu des Toros. Le P. Paget avait reçu un coup de lance dans la poitrine. Le P. Jacquet avait eu la tête abattue d'un coup de hache. Le F. Hyacinthe, frappé d'abord d'un coup de lance qui avait glissé sur la peau, avait été achevé à coups de hache. Leurs corps avaient été mangés ensuite par ces anthropophages. Le P. Paget était né dans le diocèse de Chambery et le P. Jacquet dans celui de Lyon, il avait été vicaire à Montbrison. Le F. Hyacinthe était né à Brandon, canton de Matour, diocèse d'Autun, et avait été un des premiers sujets du noviciat de Vauban où il avait reçu les leçons du pieux F. Cassien. Il y avait pris l'habit en 1840. Il avait 31 ans lorsque les Toros le mangèrent.
[58] Le F. Attale était l'unique héritier d'une famille bien à l'aise. Il était entré dans l'Institut à l'âge mûr et n'y avait exercé que des emplois temporels avant son départ pour les missions. Etant cuisinier à La Côte-Saint-André, son père alla le voir et fit tout ce qu'il put pour lui faire abandonner sa vocation. F. Attale lui répondit vivement: "Je préfère mon tablier de cusinier à tous les avantages que vous faites miroiter à mes yeux. Je ne l'échangerais pas contre 25 fortunes comme la vôtre!"
Etat financier
[59] Le C.F. Louis-Marie avait reçu cette année 59.946 fr. des établissements, 22.761 fr. 25 du noviciat, 1.400 fr. à fonds perdu et 1.433 fr. de purs dons. Il avait payé 17.901 fr. 75 pour le vestiaire des Frères, 5.512 fr. pour boucherie, 2.203 fr. pour vin et 6.153 fr. pour les réparations.
[60] On voit que les dépenses pour viande et vin, bien qu'elles allassent en augmentant, étaient encore faibles, si l'on considère que la maison avait été nombreuse, surtout pendant la retraite.
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