Filippo Ronconi
École des hautes études en sciences sociales, Paris, France;
ronconi@ehess.fr
Les lunettes de Photius :
un savant byzantin et ses livres entre ‘ancienne’ et ‘nouvelle’ histoire
La
Bibliothèque
de Photius reflète un moment de la vie politique byzantine caractérisé par des
oppositions violentes à l’intérieur de l’Eglise et du pouvoir impérial en général. Dans ce cadre, Photius
paya le prix fort de la déposition et de l’exil : privé de ses livres, il décida, vers 867, de sauvegarder la
mémoire des lectures qui avaient constitué le noyau identitaire de son cercle, un groupe d’élèves et de
camarades, transformé en
lobby
du pouvoir à l’époque de son premier patriarcat. A la réception du
petit ouvrage, composé par Photius à partir de ses souvenirs et de quelques notes, son frère Taraise
et ce qui restait du cercle, sous la pression de délibérations conciliaires ordonnant la destruction de
tous les matériaux photiens, y ajoutèrent les notes d’enseignement et de recherche en leur possession.
C’est ainsi que naquit un grand dossier, point de départ de la tradition manuscrite de la
Bibliothèque
que nous lisons aujourd’hui. L’étude stratigraphique de certains chapitres de l’ouvrage permet de
comprendre les logiques d’utilisation des sources et en particulier des découpages dont elles furent
l’objet : il est par exemple possible de démontrer que les textes historiographiques de l’Antiquité
furent choisis sur le critère de leur cohérence avec les racines judéo-chrétiennes et romaines qui
constituaient les paramètres identitaires des élites dont Photius faisait partie. A l’intérieur de chacun
de ces ouvrages, en outre, une sélection de passages a été opérée, sur des critères érudits (comme
le démontrent les cas d’Hérodote et de Thucydide), mais aussi politiques (c’est le cas de Diodore de
Sicile). Ce n’est qu’au vu de ces éléments de contexte, à la fois culturel et conjoncturel, qu’on peut saisir
la dynamique de création des différents chapitres de la
Myriobiblos
. J’examinerai donc les chapitres
de la
Bibliothèque
portant sur les ouvrages des historiens anciens les plus importants. J’utiliserai
à cette fin, pour ainsi dire, les lunettes de Photius, en mettant en valeur –
via
l’analyse littéraire,
structurelle et philologique des dits chapitres – la manière avec laquelle les élites intellectuelles
du « premier humanisme byzantin » interrogeaient les « temps révolus au nom des problèmes et
curiosités - et même des inquiétudes et des angoisses – de leur temps présent » (Braudel). Une telle
lecture de cet ouvrage démontrera que, loin d’être l’expression d’une dimension stérilement érudite,
il résume les dynamiques intellectuelles et culturelles d’une époque difficile.
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