bien amoché et plus vraiment en état de marche : traumatisme facial, contusion
pulmonaire, pneumo-thorax… Et au vu des résultats du scan, elle était prête à
parier qu’il allait leur faire un hématome cérébral dans la nuit. Dans ce cas, il
faudrait l’opérer à nouveau, et vu son état, il était probable qu’il ne tiendrait pas
le coup. Et même s’il revenait de son coma, comment croire qu’une telle chute
n’occasionnerait pas des lésions rachidiennes le rendant définitivement
paraplégique ?
En colère, elle arracha le patch de nicotine collé sur son bras puis fouilla dans
la boîte à gants de sa voiture pour retrouver un vieux paquet de clopes.
Appuyée contre le capot de son tas de ferraille – une Coccinelle repeinte à la
bombe d’une couleur mauve volontairement hideuse –, elle alluma sa première
cigarette depuis deux mois, avec un mélange de capitulation et de défi.
Viens, saloperie de nicotine, viens me faire la peau à petit feu…
Une clope dans la main droite, son téléphone dans la main gauche : la somme
de toutes ses addictions. Toute la journée, Claire avait jeté des coups d’œil
inquiets à son Blackberry, désespérant de voir clignoter la petite lumière rouge
indiquant la réception d’un mail ou d’un texto. Elle attendait l’appel ou le signe
d’un homme. Un homme qu’elle avait pourtant fui en quittant New York. Un
homme qui l’avait aimée, mais auquel elle n’avait jamais dit « je t’aime ». Un
homme avec qui elle s’était mal comportée. Un homme qu’elle avait trompé,
déçu, blessé. Juste pour voir s’il continuerait à l’aimer quand même. Juste pour
voir s’il était capable d’endurer le pire. Parce qu’elle ne savait pas aimer
autrement. Un jour peut-être, si l’homme était toujours là, s’il avait eu la
patience et l’obstination de l’attendre, arriverait-elle à lui ouvrir son cœur et à lui
dire les mots qui changeraient tout.
Elle tritura son appareil. Depuis une semaine, l’homme ne l’avait pas appelée.
Peut-être avait-il renoncé lui aussi, comme les autres. Elle essaya de le chasser
de son esprit et se connecta machinalement au serveur internet de l’hôpital. En
pianotant de lien en lien, elle tomba sur une thèse dirigée par Elliott Cooper,
consacrée aux accidents sur le Golden Gate. Là, elle apprit que depuis
l’ouverture du pont, en 1937, 1 219 personnes s’étaient suicidées en se jetant
dans l’océan : à peu près une vingtaine chaque année. Et sur ces
1 219 personnes, 27 seulement avaient survécu !
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