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INTELLIGENCE
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Intelligence et apprentissage
Je définirais l’intelligence comme la capacité de casser les règles,
d’innover, de s’intéresser à ce qui est différent, à ce que l’on ne connaît pas.
Pour moi, être intelligent, c’est avoir de la curiosité, des curiosités diverses.
Mais je la vois aussi dynamique, globale, capable d’abstractions et susceptible
d’évoluer au cours du temps. Ce qui est considéré aujourd’hui comme de
l’intelligence peut ensuite être vu comme de la simple connaissance. J’ignore
si elle ne concerne que les humains, mais je pense qu’elle est réservée au
vivant. Est-ce que les fourmis innovent ? Est-ce que le chien est intelligent ?
L’innovation est l’un des marqueurs de l’intelligence, car elle permet
d’aller au-delà de ce qu’on pense possible ou connu, en cassant les règles et
les croyances du moment. Comme je l’ai dit plus haut, que ce soit pour Deep
Blue, Watson ou AlphaGo, on a donné à la machine des règles qu’elle a
suivies ou des faits qu’elle a « recrachés », en utilisant des stratégies, des
raisonnements et des chemins bien différents de ceux qu’un cerveau humain
aurait emprunté, le tout d’une manière bien peu économe en ressources. L’IA
classique des systèmes experts est fondée sur des règles, auxquelles on a
parfois ajouté des statistiques. Il s’agit en général de règles rigides, de choses
connues, définies et balisées, que l’on modélise. Dans les méthodes de
Machine Learning ou de Deep Learning, il s’agit d’engranger le maximum
d’exemples et de situations représentés mathématiquement et qui vont être
retrouvés ou classifiés statistiquement avec une probabilité lorsqu’un
événement similaire se présente au système. Il n’y a là aucune innovation.
Innover, c’est faire quelque chose que personne n’a fait avant, en repoussant
les barrières de la connaissance. Innover, c’est se mettre dans une situation
d’inconfort, en parlant à des gens d’un domaine complètement différent du
nôtre par exemple, en appliquant les règles connues dans un domaine à un
autre, en remettant notre savoir en question, et en faisant preuve d’esprit
critique. Peut-être que l’innovation prend sa source dans le doute, dans la
remise en cause. La machine ne doute pas, elle fait ce qu’elle est censée faire.
Quand on écoute quelqu’un d’un tout autre domaine, il nous apporte un
éclairage différent qui change notre manière de voir les choses. L’intelligence,
c’est avoir la capacité de créer quelque chose qui n’existe pas. Or, un
ordinateur ne créé rien tout seul. On nous dit qu’il compose des morceaux de
musique, peint des tableaux ou écrit des livres. Mais il le fait avec des
logiciels à qui on a fourni des codes et fait ingurgiter des tas de données qu’il
recrache. L’idée originale, intelligente, vient du programmeur qui a pensé à
mélanger les tableaux de Van Gogh avec des photos d’aujourd’hui. De celui
qui a su découvrir les thèmes musicaux de Mozart pour les appliquer à des
musiques qu’il n’a jamais écrites. Le résultat est de la copie, pas de la
création. La véritable création, c’est d’avoir pensé à utiliser des choses qui
existent déjà, pour recréer artificiellement les émotions qui se dégagent des
œuvres originales. Dans ce cas, l’intelligence c’est la multidisciplinarité,
l’idée d’avoir mélangé les domaines. En matière de technologie, je pense que
je n’invente pas grand-chose, mais je me donne l’opportunité de regarder à
côté, vers d’autres univers. La machine, aujourd’hui, n’a pas cette capacité,
elle est cantonnée à son domaine de spécialisation. L’intelligence, c’est peut-
être la faculté de comprendre, d’expliquer et de mettre ensemble des choses
très différentes, d’effacer la complexité. Dans mon cas, je cherche à simplifier
l’accès à la technologie, j’essaie de faire en sorte que le maximum de
sciences, d’outils, soient à la portée de tous et qu’ils communiquent entre eux
pour que le plus grand nombre de personnes puissent les appréhender et les
utiliser. Je sais que si c’est trop compliqué à faire marcher, elles ne les
utiliseront pas. Même un téléphone, dont on se sert pourtant tous les jours, est
compliqué. En revanche, si on ajoute des couches qui permettent de dépasser
les barrières cognitives, ça simplifie tout. Il est, par exemple, beaucoup plus
facile de cliquer sur un nom écrit sur l’écran de mon portable, que de
composer le numéro d’un correspondant sur le cadran. Mais si je peux dire à
mon téléphone « Appelle Adam » au lieu de cliquer sur son nom, c’est encore
plus simple. Et si je n’ai même plus besoin de téléphone et que je dis, ou
même pense, simplement « Appelle Adam » en portant juste ma main à mon
oreille, j’enlève encore des barrières. Technologiquement, tout cela est
compliqué et requiert de mélanger beaucoup de disciplines, mais à la fin, ce
qui intéresse les gens ce n’est pas la technologie en elle-même, mais ce
qu’elle permet, à savoir l’accès à des services de façon simple et naturelle. En
réalité, notre rôle à nous, qui fabriquons des objets, des applications et des
services, c’est d’utiliser la technologie pour la faire disparaître. Le but ultime
est de créer des interfaces naturelles qui soient tellement naturelles qu’elles
deviennent transparentes, invisibles. Elles abolissent ainsi les barrières qui
nous séparent des bénéfices apportés par ces technologies pour que
l’expérience de l’utilisateur soit immédiate, intégrée à son quotidien. La
personnalisation et la contextualisation au moment de la prise en main d’un
nouvel objet ou d’un service, que nous appelons le «
on boarding
», sont
certainement l’étape la plus importante pour assurer le succès d’un produit.
C’est pour ça que nous travaillons avec des psychologues et des ergonomes
qui nous donnent leur point de vue sur la meilleure façon dont ces interfaces
peuvent être vécues et appréhendées le mieux possible.
L’ampleur de l’intelligence augmentée est évidemment limitée par rapport
à l’intelligence humaine. Si j’avais à représenter l’intelligence humaine par un
graphique, qui comporterait en abscisse tous les domaines théoriques de
compétences, il montrerait une courbe médiane vallonnée mais continue. La
représentation de l’IA montrerait, quant à elle, une suite de pics disparates,
beaucoup plus hauts, mais ne recouvrant qu’une infime surface de l’axe des
abscisses. De la même manière que la plupart d’entre nous comprenons
aujourd’hui que la Terre est ronde et nous n’avons plus une peur irrationnelle
de tomber dans un trou au bout du monde, l’intelligence augmentée doit être
comprise par le plus grand nombre pour cerner ses limites et ne pas en avoir
peur. Nous devons nous éduquer et éduquer la jeunesse, afin d’acquérir un
esprit critique et de disposer de suffisamment d’éléments pour remettre en
question ce que nous entendons, que ce soit optimiste ou pessimiste. Il est
fondamental que nous puissions exprimer une opinion quand on nous dit que
des robots dotés d’intelligence artificielle vont prendre le pouvoir.
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