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Chapitre VII
La Politique de Concurrence

La concurrence, dans une économie de marché libre, permet d’obtenir les trois bénéfices distincts suivants322:




    • le maintien d’une concurrence tarifaire et l’élimination des restrictions à l’entrée et à la sortie (élimination des pratiques de fixation de prix, des accords de répartition de marché, ainsi que des pratiques agressives). Seule la concurrence fait la promotion d’un meilleur service aux consommateurs en leur procurant davantage et souvent de meilleurs choix;




    • l’amélioration des normes de vie grâce à l’innovation. Il a été observé que les nations qui sont les leaders en compétitivité internationale sont celles qui affrontent le plus de concurrence pour les ventes d’un produit particulier dans leur propre marché domestique;




    • la mobilité et la cohésion sociales.

Il est intéressant de voir comment le Japon se situe sur la scène internationale en matière de droit de la concurrence et de politique concurrentielle, deux notions qui méritent en avant-propos d’être différenciées. Le droit de la concurrence s’entend généralement des lois qui régulent les pratiques anti-concurrentielles privées et visent à discipliner les acteurs économiques. Si les droits nationaux contiennent des dispositions singulières, ils s’intéressent tous à lutter contre les pratiques suivantes:




    • les cartels ou ententes prohibées (accords de fixation de prix ou de répartition de marché entre concurrents) ;




    • les sociétés en situation dominante adoptant des pratiques restrictives de concurrence ;




    • les fusions, quand elles réduisent de façon significative la concurrence.

Les contours et contenu du droit de la concurrence d’un pays dépendent, dans une large mesure, de la politique industrielle de ce pays, ainsi que de la jurisprudence de ses tribunaux. La plupart du temps, la politique industrielle s’appuie sur des règles et politiques qui déterminent les conditions de la concurrence dans un pays donné. Dans ce sens la politique industrielle inclut non seulement le droit de la concurrence, mais aussi la politique gouvernementale vis-à-vis de l’application de la loi (dérégulation, privatisation, investissements directs étrangers, aides étatiques, marchés publics).


Des pays peuvent paraître avoir une codification du droit de la concurrence sophistiquée mais faire preuve d’un certain laxisme quant à son application, parfois pour des raisons culturelles. Nous verrons à cet égard que le Japon, qui s’est très largement inspiré des règles du droit américain ou, plus modestement, de l’Union Européenne et dispose d’un arsenal législatif comparable à celui des grandes nations occidentales, n’a pourtant pas, jusqu’à récemment, manifesté un enthousiasme fervent ou unanime dans la promotion et l’application du droit de la concurrence. Les choses évoluent cependant et, depuis quelques années, apparaissent des signes précurseurs d’une déglaciation du droit de la concurrence dans son ensemble : modernisation des textes, renforcement des pouvoirs de la Japan Fair Trade Commission (FTC), synergies renforcées avec les autorités de la concurrence européenne et américaine, raids de plus en plus exercés par la FTC, répression plus systématique des comportements illicites, etc…
Les développements qui suivent portant sur l’historique de la construction du droit de la concurrence japonais (depuis la loi initiale de 1947 jusqu’à la fin du 20ème siècle) s’inspirent pour partie d’un récent ouvrage de SUZUKI Kenji.323

1) La période interventionniste du gouvernement aux fins d’industrialisation moderne du pays

Au 19ème siècle, ainsi qu’au début du 20ème siècle, le gouvernement japonais, désireux de rentrer dans l’ère du capitalisme moderne entreprit des réformes économiques majeures, y compris le développement et la mise en service d’usines modernes. Cherchant à contrôler l’industrialisation du pays, dont les industries nécessaires au renforcement de sa puissance militaire, le gouvernement encouragea largement la formation de cartels. La Fédération de Fabrication du Papier apparut dans les années 1880 puis d’autres cartels organisés virent le jour au tout début du 20ème siècle, en particulier dans les domaines du sucre, de la farine, et des fertilisants. Pendant la période de dépression postérieure à la Première Guerre Mondiale, émergèrent d’autres cartels, notamment dans les industries du ciment, de l’acier, du cuivre, du bois et de la pâte à papier. Dès 1925, le gouvernement fut investi par deux textes324 du pouvoir de reconnaissance officielle de cartels et de contrôle des non adhérents à un cartel. Il en approuva 20 en 1925 et le nombre d’associations constitutives de cartels passa à 850 en 1936. La loi N°40 de 1931 sur le contrôle des industries importantes chercha à prévenir une concurrence excessive entre grandes entreprises et dota le Gouvernement du pouvoir de restreindre et de superviser les activités de marché des non-adhérents à des cartels. En 1933, des monopoles furent établis dans le secteur des industries du papier et de la brasserie. Des exonérations fiscales et d’autres avantages pour des concentrations de grande échelle dans les industries de l’acier et du fer furent accordés par la loi de Promotion de l’industrie du Fer et de l’Acier de 1917, suivie par la promulgation de la loi de 1933 sur la société japonaise de l’acier et du fer (issue de la fusion entre la Fonderie Yawata, contrôlée par l’Etat, avec 7 sociétés privées fabricantes d’acier), société qui vite représentera 95% de la production d’acier du pays.


Après que le pays eut retrouvé sa souveraineté douanière avec le droit d’établir ses propres tarifs douaniers, le gouvernement japonais poursuivit une politique mercantile de tarifs élevés qui protégèrent les industries japonaises. Rapidement, le gouvernement adopta des droits à l’importation plus élevés, allant de 5 à 40%, dédiés aux produits tels que le coton, le fil de coton, les vêtements, le sucre, la farine, le verre, les équipements électriques, les montres…Avec une telle politique de droits à l’importation, qui culminèrent à 20% en 1911 (la fin de l’ère Taisho), les entreprises japonaises engrangèrent des profits importants.325Véritable catalyseur de l’industrialisation du pays, le gouvernement créa des sociétés sous contrôle gouvernemental dans des secteurs économiques clés comme la banque, les chemins de fer, les mines, l’acier, le textile, la construction maritime et les travaux publics. Mais, faute de capitaux et conscient que l’esprit d’entreprise serait plus bénéfique à ces secteurs, il se délesta progressivement de ses participations. En 1930, en pleine ère Showa, le gouvernement japonais ne détenait plus qu’un sixième du total de la richesse nationale concentrant son patrimoine dans les terrains, les forêts, le ferroviaire, le tabac, le sel, les télécommunications et l’immobilier.326
De nombreuses alliances furent nouées entre les zaibatsu et des sociétés étrangères permettant aux groupes japonais de souscrire des licences d’exploitation des technologies de leurs partenaires, mais ces derniers ne furent pas autorisés à mener des activités au Japon, sauf à constituer une joint-venture.
C’est par la loi N°54 de mars 1947 (Dokusen Kinshi - Hô), soit au début de la période d’occupation américaine après la fin de la Seconde Guerre mondiale, que le peuple japonais s’est doté, pour la première fois, d’un texte dédié au droit de la concurrence (loi sur l’interdiction des monopoles privés et la défense de la concurrence)327. A l’époque, le gouvernement a joué un rôle déterminant dans la promotion du développement économique du Japon. De nombreuses industries furent placées sous contrôle gouvernemental strict au travers de leurs groupements ou associations professionnels. Les industries du textile et de l’acier introduisirent de nombreuses technologies de l’Occident.
Ayant le soutien du gouvernement, de nouveaux acteurs arrivèrent sur le marché sans forcément avoir les compétences, ce qui conduisit à une concurrence excessive et découragea les nouveaux entrants. L’environnement réglementaire favorisa les acteurs existants plutôt que les nouveaux entrants et de nombreux marchés furent ainsi «compartimentalisés» ce qui produisit une concurrence excessive. C’est dans ce contexte qu’ont éclos les cartels alors considérés comme un bon moyen d’éviter une concurrence de marché indésirable. En outre, il existait d’importants conglomérats industriels dénommés «zaibatsu» (Mitsui, Mitsubishi, Sumitomo, Yasuda, Furukawa, Nissan - Nihon Sangyô -, Okûra, Nomura, Asano et Nakajima)328 dont l’expansion économique fut regardée comme une des causes importantes de la Guerre du Pacifique. Du fait que les zaibatsu et les cartels avaient des liens étroits avec la militarisation japonaise, une réforme radicale de telles traditions économiques fut justifiée une fois la guerre terminée. L’implantation d’une politique de concurrence saine et solide fut l’une des plus importantes tâches menée par les forces d’occupation américaines sous la bannière de la «démocratisation économique».
Le 6 janvier 1946, un groupe de travail formé de membres du Ministère de la Guerre et du Ministère d’Etat américains vint au Japon pour un séjour d’étude de deux mois et demi. Bien qu’intitulée formellement «La mission sur les conglomérats japonais» (autrement connue comme la «Mission Zaibatsu») cette mission sera par la suite citée dans tous les documents officiels comme la «Mission Edwards», une allusion au chef de la délégation Corwin Edwards (un professeur spécialisé en économie des organisations industrielles qui, à l’époque, travaillait au sein du Ministère d’Etat comme consultant sur les cartels). Le mandat de la Mission Edwards était de considérer «les voies et moyens qui permettraient effectivement de détruire la puissance des zaibatsu».
Le rapport de la Mission Edwards (rapport Edwards)329 commence par dresser une connexion entre la puissance économique concentrée et les problèmes de structure politique et sociale du Japon. Après avoir relevé qu’il n’y avait aucune classe moyenne indépendante ou de mouvement syndical vigoureux au Japon et aucune hausse significative du niveau de vie n’ayant accompagné le processus d’industrialisation, le rapport Edwards continue ainsi: «Sans doute il n’y a pas qu’une seule situation responsable de ces particularités. La concentration excessive de la puissance économique au Japon est, cependant, un des facteurs clés les plus importants. Au lieu d’une initiative commerciale diffuse qui donne naissance à une classe moyenne, l’industrie japonaise a largement été sous le contrôle de quelques grands conglomérats qui ont tous bénéficié d’un traitement préférentiel par le gouvernement japonais. Ce type d’organisation industrielle tend à maintenir vers le bas les salaires, à bloquer le développement des syndicats, à détruire les fondations d’une indépendance démocratique au sein des milieux politiques et à empêcher la montée des intérêts qui pourraient être utilisés comme contrepoids aux ambitions militaires de petits groupes d’individus ambitieux ».
Les bas salaires et les bénéfices concentrés produits par une telle structure étaient incohérents avec le développement d’un marché domestique capable de maintenir la paix par une productivité croissante de l’industrie. En conséquence, le milieu des affaires japonais a ressenti le besoin de développer ses exportations pour compenser la faiblesse de la consommation domestique. Ce tournant vers les exportations et les importations de matières premières a été un motif déterminant de l’impérialisme japonais.
Les forces d’occupation américaines étaient persuadées que la concentration de la puissance économique et le bien-être des Japonais avaient pris une part essentielle dans la responsabilité de l’agression japonaise.
Le rapport Edwards observe que “la diffusion extrême des intérêts des larges zaibatsu constitue un moyen d’attaquer les petits concurrents depuis plusieurs directions simultanément et d’atteindre des points vulnérables d’un enjeu dans pratiquement n’importe quel secteur d’activité".
Ce même rapport catalogue les stratégies. Il relève que les zaibatsu
(1) contrôlaient les banques et pouvaient empêcher de nouveaux financements;
(2) avaient suffisamment de champs d’activités pour leur permettre d’interférer avec ou de stopper les livraisons en matières premières et approvisionnements «à un petit concurrent»;
(3) avaient de larges intérêts dans le négoce général, rendant la vente de produits hors marchés locaux «largement dépendante de la coopération avec les zaibatsu ou, à tout le moins de leur tolérance»; et enfin
(4) qu’ils utilisaient des contrats d’exclusivité pour «interférer avec ou empêcher les petits entrepreneurs de sécuriser leurs approvisionnements et de disposer de leurs produits finis».
Le rapport Edwards conclut que « tous les outils les mieux connus du pouvoir monopolistique sont disponibles pour usage contre les petits concurrents ou en tant que moyens permettant aux zaibatsu d’étendre leur emprise dans tous types d’activités commerciales».
Une des principales recommandations du rapport Edwards, tout en considérant que cette tâche s’avérait formidable, fut de dissoudre les zaibatsu. Puisque les zaibatsu concentraient la puissance économique, il fallait s’attaquer à eux et déconcentrer la puissance économique. De même, ce rapport recommandait la dissolution des groupements professionnels qui n’étaient pas seulement connectés à la puissance des zaibatsu mais exerçaient également la puissance économique de larges cartels industriels. «L’exercice de larges pouvoirs gouvernementaux par des groupes d’affaires privés est inconsistant avec la structure démocratique d’une société industrielle qui est le but que nous voulons atteindre».
Mais le rapport Edwards préconisa par ailleurs de s’attaquer à une seconde tâche, après la dissolution des zaibatsu, celle de «changer l’environnement juridique et l’opinion de la population»; autrement dit, élaborer tout un droit antitrust pour éliminer la résurgence des zaibatsu afin que les plus faibles disposent de moyens de défense encadrés par la loi.
La dissolution des zaibatsu, une des premières mesures adoptées conformément au rapport Edwards, entraîna la disparition de 1682 sociétés, le départ forcé à la retraite d’approximativement 2200 cadres des sociétés affiliées aux zaibatsu et une large dispersion des actions des principales sociétés holding.
En réalité, en mai 1948, plus de 210.000 individus identifiés comme ayant eu clairement des tendances militaristes ou ayant contribué à l’effort de guerre du Japon, et pas seulement d’anciens dirigeants ou cadres de sociétés membres de zaibatsu, furent destitués de leurs fonctions et interdits d’occuper des emplois similaires à l’avenir. Ces personnes physiques avaient été sélectionnées parmi une large catégorie d’emplois: industriels, officiers de l’armée, politiciens, enseignants, bureaucrates, journalistes, réalisateurs de films, etc… La purge se termina toutefois en octobre 1951.330
Aux Etats-Unis, la notion d’antitrust a été conçue et introduite dans un contexte réglementaire légalistique dont l’objet était de protéger ceux qui étaient victimes de conduites inadmissibles en affaires. L’antitrust au Japon s’inscrit dans une culture réglementaire très différente, cette notion ainsi que tout le droit économique étant plutôt vus comme un outil gouvernemental à la disposition des bureaucrates pour guider et gérer l’économie. Ces différences ont eu un effet retentissant sur la force de l’application effective de la lutte contre les monopoles au Japon. Ils nous rappellent également que le processus de transplantation d’une loi doit être à l’intersection des dispositions et des institutions juridiques.

Le Japon a défendu avec vigueur l’idée que la mise en oeuvre de la loi anti-monopole devait rester l’apanage de la bureaucratie et que le droit privatif d’action en justice devait être restreint. Il n’a pas fait le choix de renforcer l’agence de lutte contre les monopoles d’un personnel juridique investi du droit indépendant de saisir la justice aux fins de condamnation.


En complément de la loi anti-monopole, et compte tenu de leur rôle majeur dans le phénomène de concentration de diverses industries, le 29 juillet 1947, la loi sur les groupements et associations professionnels fut promulguée331. Cette loi, abolie en 1953, définissait le champ légitime d’intervention de tels organismes et prévoyait un système de notification à la Japan Fair Trade Commission (littéralement Commission Japonaise du Commerce Loyal, équivalent du Conseil de la Concurrence français), très souvent identifiée sous le sigle « FTC » ou « JFTC ». Elle interdisait aux groupements et associations professionnels de se livrer à des restrictions au commerce, à des contrôles tarifaires, à des fraudes aux marchés publics et autres catégories de pratiques restrictives de concurrence.

2) La loi anti-monopole de 1947, socle du droit de la concurrence japonais

La loi de 1947, entrée en vigueur le 20 juillet 1947, était une compilation de nombreux textes américains du droit antitrust, y inclus le Sherman Act, le Clayton Act et le Federal Trade Commission Act. Elle se distinguait de son modèle américain en ce sens qu’elle contenait des dispositions organisant l’approbation préalable des fusions et acquisitions (donc bien avant l’adoption par le Congrès américain du Hart-Scott-Rodino Antitrust Improvements Act de 1976).


Les buts de la loi anti-monopole japonaise, déclinés sous son article 1, consistent à :


    • promouvoir une concurrence libre et loyale;




    • stimuler les initiatives des entrepreneurs;




    • encourager les activités commerciales des entreprises;




    • accroître le niveau d’embauche et le revenu réel des individus;




    • promouvoir un développement global et démocratique de l’économie nationale en évitant une excessive concentration de puissance économique, de même que servir les intérêts des consommateurs en général.

Comme l’a souligné un ancien dirigeant de la JFTC, ce texte ne fait pas de la promotion de la concurrence une fin en soi; il est dit plutôt que la concurrence à laquelle il faut parvenir doit être «libre et loyale» et qu’il faut éviter les distorsions de concurrence. L’objectif politique était de démocratiser les marchés, accroître leur accès et fournir à tous, surtout aux petites entreprises, l‘opportunité de se concurrencer.332 N’oublions pas en effet qu’à la fin de la guerre, le Japon perdait ses colonies, soit 44% de son territoire, donc une grande partie de son approvisionnement en matières premières et autres produits ou équipements, mais aussi près de la moitié de ses exportations à destination de ces colonies (80% des importations coréennes et taiwanaises provenaient du Japon à l’époque). Il lui fallait donc en priorité se concentrer sur l’assainissement de son marché domestique.


Dans sa rédaction initiale la loi anti-monopole prohibait quatre catégories générales de comportements anticoncurrentiels:


    • les monopoles d’entreprises privées (shiteki dokusen),




    • les restrictions excessives à la concurrence (futo na torihiki seigen),




    • les pratiques de concurrence déloyales (fukoseina torihikihoho)




    • les concentrations excessives du pouvoir de contrôle du marché ou oligopoles (dokusenteki jotai).

La disposition relative aux monopoles privés (art. 3) interdit ceux qui ont pour objet de contrôler ou d’éliminer des entreprises. Elle s’applique aussi bien à un entrepreneur individuel qu’à un groupe de sociétés cherchant une collusion ou toute autre forme d’activité concertée afin d’exclure ou de contrôler les activités d’une autre entreprise et ayant un impact anticoncurrentiel significatif.


L’article 2(6) de la loi anti-monopole définit les restrictions excessives à la concurrence comme toutes activités commerciales par lesquelles un entrepreneur quelconque, de concert avec d’autres entrepreneurs, par contrat, convention ou toute autre action concertée entre eux, restreint ou conduit ses activités commerciales de telle manière qu’il établisse, maintienne ou augmente leurs tarifs, ou encore limite la production, la technologie, les produits, les aménagements, clients ou fournisseurs, ce qui aboutit à causer une restriction substantielle à la concurrence dans un quelconque domaine particulier du commerce. Les accords de fixation de prix, de limitations de production ou de collusion dans le cadre de marchés publics («dango» en japonais) sont des exemples typiques de telles restrictions excessives au commerce.
Ces deux premières catégories sont inspirées du modèle de l’art. 2 du Sherman Act.333
La troisième catégorie (pratiques de concurrence déloyale), prévue par l’article 19 de la loi, provient indirectement de l’art. 5 du Federal Trade Commission Act334; elle avait été adoptée pour compléter les deux premières interdictions. Elle forme la base des cinq catégories de pratiques anticoncurrentielles retenues par la JFTC, à savoir: (1) le refus collectif de négocier (boycott groupé); (2) les autres refus de négocier; (3) discrimination tarifaire; (4) transaction discriminatoire; (5) discrimination au sein d’une organisation professionnelle.335
En sus des articles 8 et 9 de la loi, qui visent les concentrations économiques (4ème catégorie), la JFTC a publié en 1995 des Recommandations concernant les activités des organisations professionnelles ainsi que des notes d’interprétation complémentaires. Par la suite elle publia, en 2002, la Directive relative aux sociétés constituant une concentration excessive de puissance économique.336 Le professeur TAKIGAWA Toshiaki 337 souligne, à juste titre, que l’intérêt principal de l’article 8 est qu’il condamne une concentration excessive de pouvoir par les groupements et associations professionnels même si ceux-ci ne constituent pas une «restriction substantielle au commerce». La notion de concentration excessive de pouvoir économique s’analyse au regard de la proportion d’actions détenues dans d’autres sociétés japonaises, le cas échéant par transformation ainsi que le degré d’influence que peut exercer un groupe sur d’autres sociétés ou même l’économie nationale. Mais il relève également que cette disposition spéciale sur les groupements d’entreprises produit des normes contradictoires parmi diverses formes de collaborations et des co-entreprises. L’article 2(1) de la loi anti-monopole prévoit certaines conditions pour les associations pour accéder au statut d’associations professionnelles. D’autres associations, consortium, joint ventures ou regroupements, très fréquents dans le contexte économique actuel, tombent en dehors de l’emprise de l’article 8. Il finit son propos en préconisant l’abrogation de cet article 8 afin d’aboutir à un traitement équitable des situations et simultanément l’instauration d’une norme standard d’illégalité pour tous ces types de regroupements.
La loi anti-monopole restreint par ailleurs les sociétés holding, les directions générales croisées, les prises de participation et la fusion ou l’acquisition d’un patrimoine commercial susceptible de restreindre sensiblement la concurrence.
La loi anti-monopole de 1947 n’avait pas l’adhésion des milieux commerciaux à l’époque de sa promulgation. Par exemple, l’article 4 prévoyait que les contrats entre entreprises en situation de concurrence sur les prix, territoires des activités, quantité de production et autres termes commerciaux, étaient prohibés, sauf à ce que l’effet de tels contrats sur la concurrence soit regardé comme négligeable. Les Japonais n’étaient absolument pas familiers d’un tel type de prohibition per se. En outre, la version initiale de la loi anti-monopole japonaise contenait quelques règles apparemment plus sévères que celles inscrites dans la législation US. Par exemple, l’article 8 prévoyait que le simple fait de détenir une position dominante était, en soi, illégal. L’article 9 prohibait la création de sociétés holding (le but était d’empêcher la constitution de nouveaux conglomérats de grande taille; les américains étaient encore marqués par le rôle déterminant joué par les zaibatsu pendant la période de pré-guerre ou les conglomérats de même type qui avaient aidé à la militarisation de l’Allemagne338); l’article 10 prohibait la détention par des sociétés non-financières des actions normales d’autres sociétés et l’article 11 interdisait aux entreprises financières d’acquérir des actions de sociétés concurrentes conduisant le même type d’activités. Ces textes ne dérangeaient pas que les Japonais. Ils gênaient l’action des investisseurs américains potentiels qui se sont empressés de faire voter une série d’amendements par le législateur japonais. Un amendement de 1949339 a ainsi


  1. d’une part assoupli l’interdiction de détention d’actions dans d’autres sociétés ne visant dans son champ de prohibition que les détentions d’actions ou de participations restrictifs de concurrence (art. 10 (1));




  1. d’autre part modifié l’exigence d’approbation préalable par la JFTC de tout projet d’acquisition ou de fusion en une exigence de notification préalable à cette autorité;




  1. il a aussi autorisé le cumul de mandats d’administrateurs au-delà de quatre sociétés dès lors que ces sociétés n’étaient pas concurrentes entre elles (modification de l’ art.13 de la loi)340;




  1. il a par ailleurs supprimé la prohibition de créer des sociétés holding (rétablie en 1997);




  1. la conclusion des contrats internationaux a été également rendue moins contraignante, en ce sens que le système correspondant d’approbation préalable par le gouvernement a été remplacé par une procédure de notification a posteriori et les accords de transferts de technologie ont été autorisés;




  1. enfin, devenait désormais licite la détention d’obligations d’une autre société, sous réserve que celle-ci ne réduise pas sensiblement la concurrence.

Postérieurement à la signature du Traité de Paix de San Francisco du 8 septembre 1951, qui accordera l’indépendance au Japon (entré en vigueur le 28 avril 1952), sous la pression des membres du Keidanren, de nouvelles mesures d’assouplissement vont être adoptées dès 1953 341:




    • d’abord, l’article 4 qui condamnait la formation de cartels et autres accords inter-entreprises est abandonné. Le nouveau texte interdisait les accords inter-entreprises seulement si de tels accords causaient des restrictions substantielles à la concurrence de marché dans un domaine particulier du commerce. Le nouveau système va autoriser deux catégories de cartels: les cartels de dépression (ceux permettant de surmonter des dépressions économiques) et les cartels de rationalisation (visant à une rationalisation opérationnelle).




    • Ensuite, c’est l’article 8, relatif pour mémoire à l’illégalité de situations de position dominante, qui va être supprimé. De même, l’interdiction des fusions acquisitions était levée, en l’absence de distorsion de concurrence dans un marché donné (articles 10 – 16). Ces changements eurent pour effet de tracer la voie à la réorganisation des larges groupes économiques, les keiretsu. Ces keiretsu n’étaient pas identiques, mais fonctionnaient pareillement aux vieux zaibatsu.




    • Troisièmement, l’amendement de 1953 introduisit la dispense de contrôle du niveau du prix de revente que la loi de 1947 dans sa version initiale avait interdite. Le niveau du prix de revente était admis principalement pour les produits faisant l’objet de publication (c’est-à-dire les livres) et les produits couverts par le copyright (c’est-à-dire les disques), les produits cosmétiques, médicaments et détergents.




    • En outre, la liste des interdictions de l’article 2 fut complétée et la portion de phrase «pratiques déloyales de concurrence» utilisée dans cet article remplacée par «pratiques commerciales déloyales», ce qui permit de faire tomber sous son chapeau les pratiques des grands groupes faisant un usage abusif de leur puissance de négociation à l’égard des petites entreprises que le texte initial n’avait pas englobées puisqu’elles n’affectaient pas directement la concurrence de marché.




    • Enfin, la JFTC, l’organisme responsable de la promotion d’une politique de concurrence au Japon, ayant un statut d’autorité administrative indépendante, fut réorganisée342 et son personnel considérablement réduit au début des années 1950 (de 305 personnes en avril 1952, le registre du personnel est passé à 237 l’année suivante).

L’assouplissement de la loi anti-monopole et la baisse d’effectifs de la JFTC vont donner du répit aux entreprises. Beaucoup d’industries vont se dispenser de solliciter une autorisation expresse pour la formation de cartels. Il fut observé que ces cartels, formés de facto, jouèrent un rôle plus important que les cartels autorisés par la JFTC dans les secteurs industriels principaux tels que la fabrication de fibres, d’acier, de métaux sans acier, de produits chimiques et du papier. A cette époque, l’argument essentiel affiché était que les cartels de ce type amélioraient la santé économique puisqu’ils évitaient une concurrence excessive et sécurisaient une production régulière. Les industries japonaises vont même opérer sous le regard et les orientations du MITI343 (cartels kankoku-sotan / réductions simultanées de production sous orientations administratives). N’oublions pas qu’à l’origine les cartels ont été développés au Japon comme outils de l’intervention étatique. Les entreprises ont développé des accords entre elles (accords horizontaux) au travers des organismes professionnels sous le regard indulgent du gouvernement qui trouvait qu’elles servaient de voie de contrôle industriel. Les hommes d’affaires ont souvent fait appel au gouvernement pour les aider à traiter les problèmes qui ne pouvaient être solutionnés que par une approche collective. De manière générale, les coopérations horizontales pouvaient être encore plus efficaces si elles étaient un véhicule de médiation pour une coopération et une communication mutuelles. C’est pourquoi l’intervention gouvernementale a donné autorité aux cartels, de sorte que les sociétés dans un même marché se sentirent obligées d’y participer.


Un autre facteur qui contribua à une préférence pour les cartels d’après guerre fut la déconcentration de la puissance économique menée par les forces d’occupation américaines. Les cartels furent principalement formés entre les sociétés dissoutes. Pour prendre l’exemple de la dissolution de la Shin Nihon Seitetsu (Japan Steel Corporation)344, la société dominante, Japan Steel Corporation, joua un rôle moteur dans la formation des prix de l’industrie et sa dissolution fut source de grandes difficultés dans la stabilisation des prix dans le secteur de l’acier. Par conséquent, les sociétés issues de la dissolution de la Japan Steel Corporation, comme d’autres sociétés du même secteur, formèrent divers cartels dans le secteur de l’acier.
Le 3ème facteur résida dans la fermeture du marché japonais. Il est évident que l’ajustement industriel horizontal put gagner en efficacité grâce à un contrôle de l’entrée de nouveaux concurrents. Inversement, une coopération inter - entreprises efficace permit de bloquer les nouveaux entrants et servit à maintenir le marché fermé.
Des tentatives de nouvelles réformes ont successivement échoué en 1958 et dans les années 1960. Les fonctionnaires du MITI souhaitaient abandonner la pratique des «gyosei shido» ou orientations administratives345 et la remplacer par des mesures législatives formelles mais des groupes de pression, bancaires notamment, les ont poussé à abandonner ce projet. Ces derniers s’inquiétaient en effet d’un accroissement excessif des pouvoirs des fonctionnaires du MITI.
Le 3 juin 1977, était votée une nouvelle réforme de la loi anti – monopole (loi N°63) concernant la société holding dans un contexte économique international mouvementé: embargo pétrolier de l’OPEC, rupture des accords de Bretton Woods de 1971 par le Président Nixon avec, par contre-coup augmentation de 30% du cours de change du Yen face au dollar, le tout rendant les exportations nippones bien plus onéreuses346. Au niveau domestique le marché avait été marqué par la multiplicité des participations croisées (keiretsu horizontaux et verticaux) et le rapprochement entre entreprises de large échelle parmi les anciens zaibatsu, comme par exemple les fusions Snow Brand et Clover ou encore celle des trois sociétés Mitsubishi Heavy Industries qui furent dissoutes durant la purge des zaibatsu. Plus spectaculaire encore fut la fusion entre les sociétés Yawata et Fuji, respectivement N°1 et N°2 du secteur de l’acier japonais. Cet amendement à la loi anti-monopole visa à renforcer le contrôle d’une concentration de la puissance économique devenue parfois excessive. Les sanctions pécuniaires furent renforcées; la JFTC allait – en théorie - pouvoir restaurer des conditions de concurrence dans un marché de monopole et rendre plus strictes les limitations de détention d’actions par des grands groupes et institutions financières. Elle allait aussi pouvoir ordonner à une entité impliquée dans un cartel la cession d’une partie de son patrimoine. En outre, pour s’attaquer au problème des prix parallèles, cette loi N°63 instaurait un système de reporting tarifaire pour les industries oligopolistiques.
Puis, le droit de la concurrence est resté relativement stagnant jusque dans les années 1990, période au cours de laquelle, d’une part, le pays fut frappé de récession économique; d’autre part, les Japonais prirent conscience de la nécessité de s’aligner sur les normes internationales en matière de droit antitrust.

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'aliyyil a'ziym
billahil 'aliyyil
illaa billahil
quvvata illaa
falah' deganida
Kompyuter savodxonligi
bo’yicha mustaqil
'alal falah'
Hayya 'alal
'alas soloh
Hayya 'alas
mavsum boyicha


yuklab olish