San Francisco
6 mois plus tard
Un cabriolet Mustang rouge baiser émergea dans la lumière pâle du petit
matin.
Le vieux coupé arriva devant le musée d’Art moderne au sud du Financial
District, à quelques pas des jardins printaniers et des jets d’eau du Yerba Buena
Center. Temple de l’art contemporain, le bâtiment à l’architecture innovante
ressemblait à un cylindre de verre qui, tel un puits de lumière, jaillissait d’un
empilage de cubes en briques orangées.
— Si c’est une fille, je trouve que « Emma » est très joli. Ou alors
« Léopoldine » si on veut être originaux… affirma Martin.
Assis sur le siège passager, il portait encore une minerve souple, séquelle de
son accident. C’était sa première escapade depuis sa sortie du coma, après six
mois d’hôpital et de rééducation.
— Léopoldine ! Mais tu vas bien, toi ? Je te rappelle qu’il faut
d’abord
faire
des enfants avant de choisir leur prénom. Et franchement, ce matin, nous avons
d’autres chats à fouetter…
Avec grâce et souplesse, Gabrielle bondit sur la chaussée. En ce dimanche
matin, la rue était déserte, encore baignée par la fraîcheur et le calme de l’aurore.
Martin s’extirpa de la voiture avec difficulté en s’appuyant sur sa canne en
noyer, à la poignée torsadée.
Gabrielle ne put s’empêcher de le taquiner :
— Tu es très sexy comme ça, chéri. On dirait Dr House !
Il haussa les épaules et se pencha à l’arrière du cabriolet pour détacher le
tendeur qui retenait trois caisses d’emballage en bois, serrées les unes contre les
autres.
— Laisse-moi faire, réclama Gabrielle en empoignant la première d’où
dépassait le visage déstructuré d’une toile de Picasso.
Ces caisses contenaient les trésors volés par Archibald au cours des vingt
dernières années. Ses peintures préférées pour lesquelles il n’avait jamais
demandé de rançon, des toiles mythiques d’Ingres, Matisse, Klimt ou Goya…
qui allaient bientôt réintégrer leur place dans les différents musées du monde.
En guise d’héritage, Archibald avait donné à sa fille l’adresse secrète où
étaient entreposés les tableaux, lors de leur discussion à la fois douloureuse et
salvatrice dans la petite crique San Simeon.
En trois allers-retours et moins de deux minutes, Gabrielle avait déposé toutes
les caisses devant l’entrée du célèbre musée.
Lorsqu’elle revint vers la voiture, elle remarqua qu’il restait une toile, à demi
camouflée derrière les sièges : l’autoportrait de Van Gogh avec, sur fond
turquoise, le regard halluciné du peintre, sa barbe et ses cheveux de feu.
— Celui-là, on pourrait peut-être le garder, hasarda Martin.
— Tu plaisantes, j’espère !
— Allez ! Juste un ! insista-t-il. En souvenir de ton père. Le tableau de notre
première rencontre sur le Pont-Neuf !
— Pas question ! On a choisi d’être honnêtes et on doit l’être jusqu’au bout !
Mais Martin n’était pas décidé à capituler :
— Admets que ça aurait de la gueule dans notre appartement ! Ça donnerait
un côté classieux à notre salon. Je n’ai rien contre tes meubles IKEA, mais…
— Ils sont très bien, mes meubles, le coupa-t-elle.
— Mouais, ça dépend des points de vue.
Avec une pointe de regret, il se résolut à restituer le chef-d’œuvre. En
claudiquant, il fit donc à son tour quelques pas vers le musée pour y déposer la
toile de « L’homme à l’oreille coupée ».
Puis il regagna le cabriolet qui démarra en trombe.
La Ford Mustang descendit l’avenue Van Ness puis tourna sur Lombard
Street.
Le soleil levant colorait la ville d’une intense lumière rosée qui changeait de
ton à chaque minute, tandis que le vent du large portait vers le sud une odeur
marine estivale.
Au loin, drapé d’une fine robe laiteuse, le Golden Gate détachait sa silhouette
immense et familière que saluait le concert incessant des cornes de brume des
ferries et des voiliers.
Gabrielle prit la bretelle pour rejoindre le pont et s’arrêta sur la file de droite à
l’endroit exact où Martin et Archibald avaient livré leur dernier duel.
— À toi de jouer ! dit-elle.
Comme six mois auparavant, Martin claqua la portière et enjamba les plots
qui balisaient la piste cyclable.
Il se pencha avec appréhension et aperçut les vagues écumantes qui
déferlaient contre les piliers solidement plantés dans l’océan. Le visage battu par
le vent, Martin mesurait pleinement la chance miraculeuse qu’il avait d’être
toujours en vie.
La main dans la poche, il sentait les facettes douces du diamant qui roulaient
entre ses doigts.
— Fais un vœu ! lui cria Gabrielle.
Il sortit le poing de sa veste et l’ouvrit au vent. Dans sa paume, la Clé du
paradis resplendissait comme mille soleils.
À la voir irradier ainsi, nul n’aurait pu se douter qu’elle avait porté malheur à
la plupart de ceux qui l’avaient possédée.
Hors de question de la garder ; hors de question de la rendre au groupe
financier à qui elle appartenait et qui d’ailleurs n’avait pas osé la réclamer.
Alors, Martin regarda la pierre précieuse une dernière fois et de toutes ses
forces la précipita dans le Pacifique
De la part du p’tit gars
, songea-t-il en adressant une pensée muette à
Archibald.
Antibes, 6 juin 2008
Montrouge, 16 mars 2009
Entre nous
On se croise tous les matins dans le métro et les bus parisiens.
On se croise l’après-midi, à la terrasse des cafés et sur les bancs des parcs
publics.
On se croise le week-end et lors des départs en vacances, dans les wagons du
TGV ou sur les sièges étroits des avions.
On se croise et parfois, j’ai la chance de vous regarder lire mes histoires et de
vous entendre discuter de mes personnages.
On se croise dans les milliers de courriers que vous me faites l’honneur de
m’envoyer et que je lis sans exception.
On se croise dans les librairies, lors de séances de dédicaces. Quelques mots
échangés, un sourire, un regard : pas besoin d’en dire ou d’en faire trop. Je
comprends et vous comprenez.
On se croise et ça me fait du bien.
Parce que ça me donne envie de continuer à vous raconter des histoires.
Pour perpétuer cette relation étrange et belle, nouée au fil des livres.
Pour prolonger ce lien particulier que les articles de presse ou les émissions
de télé ne traduiront jamais.
Mais ce n’est pas essentiel.
L’essentiel, pour moi, c’est juste de vous dire merci.
Merci d’attendre mes histoires.
Merci de les faire vivre.
Merci de les partager.
À bientôt, entre deux pages…
Guillaume, 24 mars 2009
ISBN : 9791091211758
© Editions de l’épée, 2018, pour cette version numérique
Couverture : © Rémi Pépin.
DU MÊME AUTEUR
chez XO Éditions et Pocket
Et après...
Sauve-moi
Seras-tu là ?
Parce que je t’aime
Je reviens te chercher
Que serais-je sans toi
La Fille de papier
L’Appel de l’Ange
7 ans après
Demain
Central Park
L’Instant présent
La Fille de Brooklyn
Un appartement à Paris
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