Que serais-je sans toi



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Que serais je sans toi by Guillaume Musso Musso Guillaume z lib

Zone des départs
23 h 46
La Voûte Céleste
 était le restaurant le plus luxueux de la 
Zone des départs
.
Une trentaine de tables rondes recouvertes de nappes en tissu couleur crème
étaient  agencées  harmonieusement  dans  une  belle  salle  au  design  moderne  et
élégant.  Tendu  au  mur,  un  étonnant  rideau  luminescent  tissé  de  centaines  de
fibres optiques enveloppait la pièce d’une lumière tamisée, créant une ambiance
chaleureuse et raffinée.
Au centre de l’espace, une cheminée contemporaine ajoutait à l’ensemble une
touche de confort moelleux.
Même ici, aux portes du ciel, les clients étaient semblables à ceux de tous les
établissements  de  luxe  :  nouveaux  riches  russes  et  chinois,  magnats  du  pétrole
moyen-orientaux, élite mondialisée louis-vuittonisée…
Au milieu de cet aréopage, Martin et Archibald s’étaient installés à une table
près  des  grandes  baies  vitrées,  dans  lesquelles  se  reflétait  la  lumière  des  pistes
où, malgré l’heure tardive, les avions continuaient à décoller sans relâche.
—  Tu  n’as  pas  l’air  dans  ton  assiette,  p’tit  gars,  remarqua  Archibald  en  se
régalant copieusement  de  ris de  veau  rissolés accompagnés  de  pâtes artisanales
aux champignons des bois.
Martin n’avait pris que quelques bouchées de son agneau de l’Aveyron.
—  C’est  facile  de  se  remplir  le  ventre  quand  on  sait  qu’on  va  s’en  sortir
vivant ! Moi, je vous rappelle que je vais mourir.
— Nous allons tous mourir un jour ou l’autre, objecta Archibald.
— Oui, mais moi c’est demain matin !


— Tu as raison, c’est injuste, admit le voleur. J’ai le double de ton âge et je
reconnais que c’est moi qui t’ai entraîné dans cette galère…
Il  se  resservit  un  verre  de  vin  et  posa  la  bouteille  sur  la  petite  desserte  qui
jouxtait la table. Mouton-rothschild 1945, romanée-conti 1985 : les crus les plus
prestigieux pour une soirée pas comme les autres.
— Tu es certain que tu ne veux pas goûter le bourgogne ? insista Archibald.
Ce serait dommage de mourir sans avoir fait l’expérience de cette splendeur.
—  Allez  vous  faire  foutre  avec  votre  bourgogne  !  répondit  durement  Martin
d’une voix lasse.
La  tête  appuyée  contre  lui,  Lizzie  s’était  endormie  sur  la  banquette.  Devant
elle, les restes de son Burger Royal avec supplément chèvre et bacon.
Archibald tira de sa poche une boîte d’allumettes et se tailla un cure-dent avec
son couteau, une vieille habitude qui détonnait dans ce lieu discret et raffiné.
— Je me demande si avant les desserts, je ne vais pas me laisser tenter par le
pigeonneau  désossé  au  foie  gras,  dit-il  en  feuilletant  le  menu.  Qu’est-ce  que  tu
en penses ?
Cette fois, Martin préféra ne pas répondre à la provocation.
Par  la  fenêtre,  il  regarda  le  ciel  et  ses  étoiles.  Surtout,  il  était  fasciné  par
l’astre  brillant  qu’il  avait  d’abord  pris  pour  la  lune,  mais  qui  était  peut-être  la
terre  :  la  planète  bleue  qui  flottait,  lointaine,  avec  ses  habitants  qui  s’aimaient,
s’entre-tuaient et la détruisaient méthodiquement.
Cette planète sur laquelle il s’était toujours senti seul, mais qu’il n’arrivait pas
à quitter.
— Il faut qu’on parle, p’tit gars…
Martin  leva  les  yeux.  Au-dessus  des  verres  en  cristal,  le  regard  d’Archibald
brillait comme une flamme. Ses traits s’étaient durcis, et on pouvait lire sur son
visage émacié que l’heure n’était plus à la plaisanterie.
— Et de quoi voulez-vous qu’on parle ?
— De Gabrielle.
Martin soupira :
— Que voulez-vous savoir ? La nature de mes intentions ?
— Exactement.
— Mes intentions étaient les plus nobles qui soient, mais de toute façon c’est
terminé pour moi…
Il se décida à se servir un verre de vin avant de continuer :
—  Et  puis,  vous  savez  quoi  :  votre  fille  est  dangereuse.  Dangereuse  comme
vous  !  Une  cinglée  qui  s’empresse  de  détruire  le  bonheur  chaque  fois  qu’il


pointe son nez.
Un  serveur  vint  débarrasser  leurs  assiettes.  Archibald  fit  l’impasse  sur  le
dessert et commanda d’autorité deux cafés.
— Ce soir, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour toi, fiston.
Martin soupira :
— Au point où j’en suis, commencez par la bonne.
— La bonne, c’est que c’est toi, le seul homme qu’elle ait jamais aimé.
— Qu’est-ce que vous en savez ? Vous ne vous en êtes guère occupé de votre
fille en trente ans ! Vous ne la connaissez pas.
— C’est ce que tu crois. Mais je vais t’apprendre quelque chose.
— Allez-y…
—  Même  si  les  apparences  sont  contre  moi,  Gabrielle,  je  la  connais  mieux
que personne.
— Mieux que moi ?
— Oui, c’est sûr, mais ce n’est pas très compliqué.
Voyant  la  colère  dans  les  yeux  de  Martin,  Archie  leva  la  main  en  signe
d’apaisement :
—  Gabrielle  est  une  femme  extraordinaire.  Apparemment,  tu  as  su  le
remarquer très jeune et c’est tout à ton honneur…
Sachant que les compliments de son aîné étaient rares, Martin accepta celui-ci
avec satisfaction.
—  Gabrielle  est  entière,  sincère  et  généreuse,  continua  Archie.  Un  peu
compliquée parfois, comme toutes les femmes…
Martin approuva de la tête. Sur ce terrain, les hommes s’entendaient toujours.
—  Gabrielle,  poursuivit  Archie,  c’est  la  femme  d’une  vie,  c’est  une  pierre
précieuse unique, plus rare encore que ce diamant que je voulais voler.
On  leur  servit  les  expressos  accompagnés  d’un  petit  plateau  de  friandises.
Archie s’empara d’une pâte de fruits à la figue.
—  Gabrielle  a  du  caractère  et  de  la  personnalité,  mais  si  on  prend  le  temps
d’aller au-delà de l’apparence, on devine en elle les blessures laissées par la vie.
Et ça aussi, je sais que tu l’as compris tout de suite.
—  Bon,  où  voulez-vous  en  venir  ?  s’agaça  Martin  avant  d’avaler  d’un  trait
son café brûlant.
— Où je veux en venir, p’tit gars ? On ne peut pas dire que tu sois perspicace,
hein  ?  Gabrielle  n’a  pas  besoin  d’un  gugusse  immature  qui  reste  bloqué  sur  le
passé. Elle n’a pas besoin d’un mec supplémentaire qui la fasse souffrir encore
plus que les autres. Elle a besoin d’un homme qui soit tout pour elle : son ami,


son  amant,  son  confident,  son  amoureux  et  même  son  ennemi  parfois…  Tu
comprends ce que ça veut dire ?
— Cet homme, c’était moi, espèce de con, et ça le serait encore aujourd’hui si
vous n’étiez pas venu mettre votre grain de sel.
Excédé, Martin se leva de table et…

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