Port-au-Prince, j’ai travaillé comme journaliste, puis j’ai dû quitté mon pays, exilé, pour venir à
C’est au Carré Saint-Louis que j’ai commencé écrire. Pour moi, Montréal,
c’est la machine écrire. C’est la modernité. Je n’ai jamais cru que je pourrais
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practice makes perfect Complete French All-in-One
écrire la main Montréal. Montréal, c’est aussi la distance.
Je suis cette petite chambre et j’écris Petit-Goâve, Port-au-Prince
tout en sachant que les gens qui vont me lire, pour la plupart, ne connaissent pas ces villes. Ça
me donne une certaine liberté. Je n’ai pas fictionaliser ces villes. Elles sont déjà
fictions pour mes lecteurs.
Ville en images
Quand j’ai fait un film Montréal, j’ai voulu que ce soit hiver.
Un hiver aussi fort que l’été du tournage de Comment faire l’amour. Parce que je trouvais que
c’était comme si je regardais Montréal cette fois-ci pour lui-même, pour elle-même. Et
Montréal, il y a un hiver. Je ne peux pas passer ma vie croire que
Montréal est une ville du Sud. Montréal, c’est aussi une ville nordique. J’ai voulu m’approcher
cet hiver-là et essayer l’apprivoiser, essayer sentir cela parce que
je crois que c’est l’image fondamentale de Montréal et du Québec. D’ailleurs Gilles Vigneault, le
grand poète québécois, a dit: « D’un glaçon, j’ai fait l’hiver. Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est
l’hiver ». Je ne peux pas continuer ne pas voir qu’il y a un hiver dans ce pays, et
j’ai voulu qu’il soit le plus fort. Et dans « Comment conquérir l’Amérique une nuit »,
il me semblait que je devais faire quelque chose qui réconcilie les deux villes et
Montréal et Port-au-Prince, deux villes qui m’habitent. J’ai pensé qu’il faudrait qu’un film
montre un peu les passages successifs entre les deux villes comme s’il n’y avait même pas
d’espace. Je parle l’espace tendre Montréal et Port-au-Prince.
Donc c’était un plaisir que je voulais me faire, de faire ce film. J’ai pas été surpris
la ville. Je voulais que l’image me fasse voir la ville sous un autre angle, d’une autre manière, et
ça je l’ai voulu. Oui, tout à fait. Et je l’ai eu. J’ai voulu aussi qu’il y ait des choses que l’être
humain ne peut pas voir. C’est trop minuscule, on y passe . . . On voit la ville
tellement avec nos émotions quand on y passe et que je me suis dit que peut-être je, en
regardant le film, je regarderai les choses que je n’ai pas vues
parce que je les avais tellement absorbées rapidement en émotion et non en images.
Un petit tour de ville et puis s’ennuie
Je ne regarde pas les villes précisément. Une grande majorité de mes
chroniques à l’étranger se passent une salle de bain ou une
chambre d’hôtel. Mon rêve, c’est de ne jamais être un touriste. Le touriste pour moi, c’est celui
qui regarde, qui cherche à savoir. Moi, je ne cherche pas savoir. Je cherche à
sentir. Il me faut un but. Je marche, je vais un copain dans une ville que je viens
à peine connaître. C’est le trajet qui m’intéresse et le désir être
chez le copain. C’est beaucoup plus les intérieurs qui me plaisent, être un bar,
être une libraire, être un ami, être un peu partout. Le trajet,
quand je vais dans une ville généralement—comme j’y vais comme conférencier et pour mes
livres—je suis reçu par quelqu’un et qui me fait toujours faire un petit tour de la ville. C’est la
partie la moins agréable pour moi parce que je n’aime pas qu’on me raconte une ville et son
histoire. Et je n’aime pas qu’on me montre surtout les monuments ou les endroits importants.
Ce qui m’intéresse, c’est juste marcher et voir le peu possible qui
arrive attirer ma rétine. Et finalement—incubation, finir—sentir la
ville. Je veux que la ville s’amène moi. Je ne veux pas la découvrir. Je veux
qu’elle me découvre.
Extrait d’un entretien de Dany Laferrière réalisé par Annie Heminway à Montréal en février
2009, pour blog La ville est ailleurs, aubepine.blog.lemonde.fr de Frédéric Antoine Brosson et
Annie Heminway.
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