L'orient et l'occident
Le Regard de Lyncée
Résumé :
Un commanditaire mystérieux réunit les pjs, afin qu'ils examinent le trésor du prince de l'Empereur, Chrysargiel, à Constantinople. Mais ils n'ont pas les moyens d'y parvenir, ce privilège étant réservé à de rares alliés de Chrysargiel. Cependant un vol survient, d'un baron croisé, Baudouin de Boulogne, qui est parvenu à entrer dans la salle au trésor. S'ils retrouvent le voleur et/ou la relique, ils auront certainement gagné la faveur du prince.
Mais tout se complique lorsqu'ils comprennent que la relique permet d'accomplir de réels prodiges. Et que ceux qui sont accusés du vol, les croisés, ont les moyens de piller la ville et de déposer l'empereur, si ce n'est de les capturer. Le véritable voleur compte là dessus, et déploie des trésors d'intrigue pour faire accuser d'autres que lui.
Mais un adopté de l'Ermite, le réel commanditaire, finit par être retrouvé par les pjs. Il ne savait pas réellement pourquoi il devait les réunir, mais il sait désormais. Et il se doit de le leur montrer.
Introduction : Constantinople
Les pjs parviennent aux portes de Constantinople, à la fin du printemps de l'année 1097. La vue de la Porte d'or, pour ceux arrivés par la terre, est gâchée par la présence de milliers de mendiants. Difficile d'appeler autrement ces croisés francs et allemands accompagnant les barons, ou les restes de la croisade populaire.
En effet, dès le printemps dernier, suite à l'appel du pape Urbain II, environ 30000 croyants ont tout laissé derrière eux, avec l'espoir naïf de reprendre Jérusalem, ou au moins de tuer quelques mécréants. Sur la route, ils ont déjà maltraité tous les juifs qu'ils ont pu trouver. L'armée de Gautier Sans-Avoir est arrivée à Constantinople le 20 juillet, puis celle de Pierre l’Ermite le 1er août 1096. Ces deux croisades sont composées de Français et d’Allemands et sont rejointes par des bandes de moindre importance, rescapés des croisades d’Emich et de Gottschalk, qui après avoir commis de nombreux massacres et pillages, se sont fait tailler en pièces par les armées du roi de Hongrie. A leur arrivée à Constantinople, Alexis Ier Comnène, dépassé par cette migration qui pourrait être dangereuse pour sa ville ou son titre, leur conseille tout d'abord d'attendre les barons. Mais comme leur fanatisme les rend intenables, et qu'il faut les nourrir, Alexis finit par leur permettre de traverser le Bosphore, pour qu'ils se rendent non loin de Nicée, à proximité de l'armée turque des seldjoukides de Rum. 25000 d'entre eux, dupés par les turcs, n'attendant aucun soutien et sûr de leurs forces, sont massacrés, dont Gautier sans avoir. Pierre l'ermite, capturé, a disparu. Les restes piteux de cette armée débraillée ont fait demi-tour, jusqu'à Nicomédie ou pour les mieux lotis, les portes de Constantinople.
Mais ils sont bientôt rejoints par les armées des barons : en novembre, Hugues comte de Vermandois, petit frère du roi de France Philippe, ses forces détruites par une tempête, a rejoint la ville, via Thessalonique ; le 23 décembre, Godefroy de Bouillon, duc de Lotharingie et ses hommes arrivent par la route de Belgrade ; début avril, la troupe de Bohémond prince de Tarente, fils ainé de Robert Guiscard, débarque ; puis fin avril, Robert de Flandre, de son côté, et, ensuite, l'armée méridionale de Raymond IV de Toulouse accompagné par le chef ecclésiastique de la croisade, le légat du pape, Adémar de Monteil, arrivent enfin.
Si bien que l'empereur byzantin se retrouve avec une armée d'environ 10 000 chevaliers et 150 000 fantassins qui campent sur le camp du Kosmidion ou à Galata, et qui veulent passer le Bosphore. Sauf qu'Alexis Comnène, tout d'abord inquiet, voit désormais ces trublions comme de futurs mercenaires, qu'il va pouvoir envoyer contre les turcs, moyennant quelque menue monnaie. Depuis longtemps, les slaves varangues ou les allemands nemitzes viennent s'engager dans sa garde personnelle, et des mercenaires normands, comme Roussel de Bailleul entre 1070 et 1078, ont servi régulièrement de troupes à vendre. Cependant, les normands ont aussi laissé des souvenirs cuisants aux byzantins, comme Robert Guiscard de Hauteville, qui, après Amalfi, la Sicile, et Corfou, possessions impériales, a souhaité aller directement attaquer Constantinople. Alors Alexis hésite. S'il négocie bien, il pourra obtenir une aide à un prix modique contre les turcs. S'il échoue, sa ville, riche et séduisante, risque un pillage en bonne et due forme. D'autant plus que des pressions occultes se sont vite concrétisées, des deux côtés. Débute alors un bras de fer entre les chefs croisés, qui refusent de travailler pour l'empereur, et Alexis, qui voit ses ressources baisser et les francs s'énerver, le temps jouant contre lui.
En avril, déjà, Godefroy de Bouillon a été forcé par les agissements de Baudouin, son frère cadet, d'assiéger directement le mur des Blachernes, sous les fenêtres d'Alexis, qui a fait charger ses propres troupes pour calmer les "latins". Dépourvus de vivres depuis longtemps, les armées croisées pillent les campagnes alentours, et l'ambiance est franchement morose. Pour entrer dans la ville, les pjs ont dû faire des pieds et des mains, ou montrer patte blanche.
Paul emploie
Un patron abstrait
Après avoir pris quelques précautions, sans doute plusieurs jours de villégiature dans cette cité immortelle, et le temps de nouer des contacts, les pjs peuvent se rendre à leur rendez-vous, dans le quartier des Manganes. Il est crédible que les pjs aient pris leurs précautions avant, pour arriver sur place avec des renseignements préparatoires concernant le contexte profane. En effet, ils proviennent tous d'horizons différents. Certains sont réveillés depuis un siècle, d'autres récemment, et tous ont dû voyager pour parvenir à Constantinople.
Le but de leur venue est une juteuse proposition, de la part d'un simple mortel, mais loin d'être un profane : Pietro Orio, un riche armateur vénitien, et savant amateur. Drapé dans ses riches robes et turban aux couleurs vives, Pietro Orio est âgé d'une quarantaine d'années, arborant des yeux malicieux et une barbiche pointue. Auteur de missives destinées à chaque pj, il a fait miroiter des foci rares, intéressants seulement pour les pjs. A tel point qu'ils ne peuvent douter que le marchand détienne des secrets sur eux. Lui, ou son commanditaire. Car la famille Orio dispose d'une entente avec les Comnène, qui favorise son commerce. A tel point que le neveu de l'empereur, Jean Tarônitès, duc de Skopje, a prêté le vieux manoir de famille à Pietro, pour sa réunion discrète. En 1082, un accord commercial incroyablement profitable a convaincu Venise d'intervenir contre les normands de Robert Guiscard, et c'est depuis un partenaire privilégié de Constantinople, au contraire de Pise, Gênes, ou évidemment d'Amalfi, et surtout aux dépens des marchands grecs eux-mêmes. Difficile de trouver un quelconque lien entre la famille Orio et une faction occulte, même en traçant de longues flèches alambiquées.
Néanmoins, Pietro ne représente pas Venise, si tant est que la ville puisse avoir une politique occulte unifiée. Pietro n'est que l'homme de paille de son commanditaire, dont il ignore lui-même l'identité, qui se fait appeler le Moine blanc. Pour un orthodoxe, c'est plutôt inhabituel. En occident, les cisterciens se vêtissent ainsi. Mais cet individu, à la voix grondante, au regard lumineux, au teint de plomb, et aux cheveux blancs crépus, portait un koukoulion blanc, un couvre chef commun aux moines orthodoxes, mais en général noir, en plus d'une robe blanche, toute aussi inhabituelle.
Le Moine blanc a donné tous les détails sur les pjs nécessaires à l'entrevue, afin de les embaucher pour une tâche précise : évaluer la véritable valeur du trésor de l'empereur d'or et d'argent, réellement à la tête de Constantinople. Pietro ignore totalement de quoi voulait parler son commanditaire, même s'il a ouï quelques rumeurs sur le compte d'un empereur caché, voilé, derrière le trône, qui siègerait depuis des siècles à Byzance. Pour Pietro, il s'agit seulement d'une formule allégorique pour viser Alexis Comnène, et cela lui semblerait totalement cohérent. Beaucoup de gens aimeraient savoir ce qu'il y a réellement dans les coffres impériaux. Toutefois, le Moine blanc a expressément exigé de connaître la valeur spirituelle, plus que matérielle, de ce trésor. En particulier l'authenticité des reliques christiques en possession de l'empereur : "valent-elles leur poids en kas ?" Quoi que cela puisse dire pour eux, car Pietro n'en a aucune idée, et ne le cache pas.
La mission est claire, mais néanmoins recèle un obstacle de choix. Au cas où les pjs parviennent à trouver cet empereur voilé d'or et d'argent, comment accéder à son trésor ? C'est une question pertinente, pour laquelle Pietro n'a pas de réponse. Mais selon le Moine blanc, il en sera question dès qu'ils auront accepté de travailler pour lui. Ils seront payés intégralement à livraison des renseignements, mais quelques babioles occultes provenant de sa bibliothèque personnelle permettraient aux pjs de s'assurer au moins du sérieux de leur interlocuteur. Si Pietro a bien eu une entrevue avec le Moine blanc, il doit confesser ne pas être capable de le localiser, ou de donner un moyen de le contacter. Pietro a été payé, et a pu constater des talents remarquables de son commanditaire pour passer inaperçu. A croire même qu'il n'était pas réellement là. Il peut leur assurer que selon le Moine blanc, il les rencontrera bientôt. Quand et où, Pietro n'en a aucune idée.
Un invité surprise
Que les pjs acceptent, ou pas, la mission du commanditaire, des soldats investissent la villa. Simples gardes de la ville, ils sont sous les ordres d'un vestiaritès (garde impérial du palais), Théophilos, qui porte un médaillon d'orichalque. Ils cherchent un espion, ou un terroriste, qui a interrompu la réunion stratégique du Domestique des Scholes d'orient, Isaac Comnène, avec plusieurs capitaines et stratèges, dans la villa voisine. Isaac est le grand frère d'Alexis ; prévu à la base pour être empereur, il a été refusé par les principaux soutiens des Comnène, les Doukas. Depuis, il fait contre mauvaise fortune bon cœur. L'espion, qui était sur le toit, aurait sauté dans la propriété des Tarônitès. Théophilos est un manteau noir de l'ordre des Héliophores, l'obédience templière byzantine presque "officiellement" autorisée par l'arcane de l'Empereur à officier en ville. Il n'a aucune envie de s'attirer les foudres de ses maîtres, même s'il a bien conscience d'être tombé sur une réunion inhabituelle, et comportant plusieurs espions potentiels. Sa première tâche est de retrouver l'indiscret monte en l'air.
Il est assez aisé, pour les pjs, de mettre la main sur celui-ci, un mercenaire arménien borgne, nommé Thoros. Thoros a été embauché par Kılıç Arslan, le jeune sultan seldjoukide de Rum, qui n'est pas du tout l'allié des byzantins, mais qui ne les combat pas actuellement. Kiliç Arslan est cependant responsable de la fin piteuse de la croisade de Pierre l'ermite, et du massacre de ces "bons" chrétiens. Les renseignements que Thoros a obtenus, des indications stratégiques sur le front oriental, n'auraient d'intérêt que pour des guerriers turcs. Mais ils pourraient causer la mort de dizaines de soldats byzantins s'ils parvenaient aux oreilles informées, ce que Théophilos ne peut accepter. En aucun cas le Templier ne peut renoncer à sa recherche, et s'il ne met pas la main sur l'espion, il va surveiller les allers et venues de Pietro. Dans tous les cas, Thoros n'a rien à voir avec leur affaire. Sa présence dans la villa des Tarônitès est due au hasard : l'échelle qu'il avait placée entre deux murs pour filer rapidement est tombée pendant son infiltration. Thoros n'a pas intérêt à mentir, mais sait qu'il n'évitera pas la torture s'il est livré aux hommes d'Alexis. Si les pjs s'en débarrassent, ils se font un allié de Théophilos, mais sinon, ils obtiennent un œil extérieur bien informé sur la ville (et sont suivis par des manteaux noirs des Héliophores). Dans tous les cas, qu'ils livrent ou pas Thoros, Pietro est embarqué par les gardes, pour être entendu par un juge, au palais impérial, en privé. Les pjs vont devoir se débrouiller sans lui jusqu'à ce qu'il revienne.
Toute cette affaire nécessite un éclaircissement. Tout d'abord, le Moine blanc est en réalité un anemoï, nommé Habacuq, grand méditant de l'arcane de l'Ermite. Habacuq maîtrise comme ses frères une science occulte bien dangereuse, la Prévision des possibles. En méditant sur leur essence interne, les grands méditant peuvent percevoir les fils de la destinée, courants magiques poussés dans le Carrefour du devenir par le ka soleil, pour valider ce qui doit advenir. Mais cette divination n'est possible que dans le plus absolu éloignement du monde ; d'où le comportement des adoptés de l'Ermite. Dès qu'ils entrent en contact avec d'autres acteurs, a fortiori occultes, ils ont toutes les chances de brouiller leur vision et de fausser leurs calculs. Ils essaient donc au maximum de rester éloignés de la vie terrestre, quitte à agir en cas de puissant anaphé, où leur intervention serait indispensable. C'est pour cela qu'Habacuq est resté pour le moment très élusif. Il mise sur la curiosité des pjs, pour obtenir le temps nécessaire à leur compréhension du problème, sans qu'il ait à se manifester directement.
Là où cela se complique vraiment, c'est que le bouleversement d'un possible par un des grands méditant a toutes les chances d'invalider les calculs des possibles de tout un tas d'autres prévisions, des autres grands méditant. Intervenir pour une vétille est donc cause d'expulsion de l'arcane, associée d'une amnésie concernant leurs techniques de méditation. Et les ingérences sont soumises au regard du prince de l'Ermite, le Grand Rayon, surtout si elles visent des évènements considérés comme indispensables à l'histoire. Hors le Grand rayon est un conservateur. Pour lui, l'Apocalypse doit avoir lieu, et rien d'autre n'a d'intérêt. Se manifester avant est presque toujours contre-productif, sauf si cela vise la sécurité de l'Ermite. C'est pourquoi il a personnellement interdit à Habacuq de modifier quoi que ce soit, directement ou non, aux évènements en cours. Et l'anemoï n'en a eu cure. Alors s'en est suivi un engrenage pernicieux, puisque le Grand rayon use lui aussi de la Prévision des possibles pour contrecarrer Habacuq : c'est lui qui a fait tomber Thoros dans le jardin des Tarônitès, espérant que la venue d'un Templier disperserait les pjs avant que quoi que ce soit ne puisse naître. Il y a pire que d'être aidé par un devin énigmatique : être pris dans une lutte entre plusieurs devins incompréhensibles...
Do'stlaringiz bilan baham: |