Le cogito
Mais il reste, dans ce néant universel où nous nous sommes placés en doutant méthodiquement, quelque chose dont nous ne saurions jamais douter : nous savons que nous doutons, et le sachant, nous avons l'intuition immédiate et claire que nous ne sommes pas rien : tandis que je doute, je sais que j'existe, car s'il y a un doute, c'est qu'il y a nécessairement quelqu'un qui est là pour douter : cogito, ergo sum, « je pense donc je suis » (Les Principes de la philosophie, §7). Cette intuition n'est pas conçue comme un raisonnement (penser est ici davantage une intuition, une expérience) ; le cogito ne doit pas être confondu avec un syllogisme incomplet auquel manquerait la majeure (par exemple : « Tout ce qui pense existe/or je pense/Donc je suis »). Le « donc » (ergo) disparaît d'ailleurs du texte des méditations, lequel insiste d'abord sur le « je suis, j'existe » (ego sum, ego existo). Le sum précède le cogito, nous sommes d'abord dans une métaphysique du sujet :
« Après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : « Je suis, j'existe », est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit. […] Je ne suis donc, précisément parlant, qu'une chose qui pense […] C'est-à-dire une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi et qui sent. »
Cette certitude étant mise au jour, il apparaît néanmoins qu'elle n'est pas une connaissance comme les autres. En effet, savoir et conscience ne sont pas exactement la même chose : je sais que j'existe, mais je ne sais pas ce que je suis. Je sais seulement que je pense, c'est-à-dire que je doute, que je sens, que je veux, etc. Je suis donc une chose qui pense, c'est-à-dire une réalité pensante (ou une substance mais, cette notion de substance sera introduite par Descartes dans les Principes de la philosophie). Tout part donc pour moi de ma pensée : ma réalité la plus certaine et la plus immédiate consiste dans cette conscience de ma réalité pensante.
Par cette remarque d'apparence anodine, Descartes évacue « l'essentialisme » traditionnel de la nature humaine : il est faux d'affirmer que je suis un animal rationale (un animal raisonnable), comme le dit une définition classique de l'homme, car je ne sais ni ce qu'est un animal, ni ce qu'est la raison, ni encore moins comment elle se trouve en l'homme.
Descartes est donc parvenu à une certitude première, mais il apparaît pour le moins difficile d'en déduire une connaissance quelconque. Descartes semble maintenant s'être enfermé dans ce que l'on nomme le « solipsisme ». La question est alors de savoir si nous pouvons donner un fondement réel, objectif à notre connaissance, ce que Descartes affirme :
« Prêtez-moi seulement votre attention ; je vais vous conduire plus loin que vous ne pensez. En effet, c'est de ce doute universel que, comme d'un point fixe et immuable, j'ai résolu de dériver la connaissance de Dieu, de vous-même, et de tout ce que renferme le monde. »
— Recherche de la vérité par les lumières naturelles
Do'stlaringiz bilan baham: |