Ferdinand Lot De l’Institut



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La société et les mœurs

C’est déjà une grande prétention que de vouloir présenter le tableau d’une société, et encore plus de la juger dans une période où les documents abondent. Que dire quand ils sont aussi indigents, aussi sporadiques, aussi unilatéraux, donc aussi incontrôlables, que dans la période qui nous occupe !


Les généralisations reposant sur des bases aussi étroites sont-elles valables ? Elles ne sont recevables qu’en procédant avec précaution, sans tenter un approfondissement psychologique ici téméraire.

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Rois et reines. — Ce qui nous est le mieux connu, ou le moins mal connu, ce sont les rois, surtout ceux du VIe siècle, grâce à Grégoire de Tours. Encore faut-il se défier de ses partis pris. Mais les faits nous éclairent suffisamment pour que l’on puisse porter un jugement sur la dynastie mérovingienne. Ce qui frappe, c’est la médiocrité de ses représentants, à très peu d’exceptions près.
Le fondateur de l’Etat, Clovis, à travers la brume légendaire qui l’enveloppe, apparaît, dès sa jeunesse, comme un prince ambitieux, valeureux et rusé comme un vrai Germain, non dépourvu de sens politique. Mais l’histoire de tous les pays présente quantité de chefs doués des mêmes qualités. Les circonstances lui ont permis, non moins que ses talents, d’être une force historique. Il a empêché la Gaule de se décomposer, il a refait son unité autour d’un principe nouveau, mais, à coup sûr, sans le vouloir et le savoir. Personnalité effacée en comparaison de son contemporain l’Ostrogoth Théodoric, esprit politique aux prises avec le grave problème de la conciliation de deux mondes, lui cherchant d’ingénieuses solutions et se préoccupant de l’avenir.
Parmi les fils, l’aîné, de naissance inconnue, Thierry, semble avoir hérité d’une partie de sa force. Le fils de ce dernier Thiébert a roulé, dans son court passage, des desseins ambitieux et chimériques sur l’Italie, sur l’Orient même. Que dire des autres ? Trois des fils de Clovis, Clodomir, Childebert, Clotaire ne cherchent qu’à se débarrasser l’un de l’autre par le meurtre. Des fils de Clotaire Ier, Charibert, Sigebert, Gontran, Chilpéric, que savons-nous ? Ce dernier est haï de Grégoire de Tours et c’est peut-être le seul intéressant, ne fût-ce que par ses prétentions à la culture latine et son intérêt malheureux pour la théologie ; au reste un fourbe et un médiocre. Grégoire de Tours est plein d’indulgence pour Gontran, on a dit pourquoi. On trouve en Gontran ce mélange, très germanique, de bonhomie, de fourberie et de cruauté.
Les physionomies de Childebert II et de ses fils Thierry II et Thiébert II sont inconnues. Clotaire II, auquel la haine de l’aristocratie franco-burgonde à l’égard de la reine Brunehaut, valut de réunir l’ensemble du royaume, apparaît comme un faible, jouet de son entourage tout-puissant.
Dagobert, malgré la brume qui l’enveloppe, semble avoir eu une forte personnalité, la seule grande depuis Clovis. Il s’éteint jeune, comme son ancêtre. Après lui, les forces de dissolution qu’il a dominées se libèrent aussitôt. A partir de 639 et pour un siècle et davantage les Mérovingiens ne sont pour nous que des ombres. Impossible de pénétrer leur psychologie, en admettant qu’ils en aient une, présentant quelque intérêt.
Le contraste avec les dynasties royales germaniques des pays voisins est saisissant. Les Ostrogoths, puis les Lombards en Italie, les Visigoths en Espagne ont eu des princes plus ou moins heureux, mais souvent pleins d’énergie, et nul d’entre eux n’est tombé aussi bas dans l’insignifiance que le Mérovingien.
Il faut répéter que, à partir de 584, la minorité du souverain est comme l’état normal de la royauté. Les pères meurent dans la force de l’âge, tel Clovis, tel Thierry, tel Dagobert. Presque aucun n’atteint les abords de la vieillesse. Après Dagobert ce sont des jeunes qui disparaissent, ayant eu juste le temps de procréer. Cette brièveté de l’existence est-elle due à une tare congénitale de la race mérovingienne ? Ce n’est pas impossible. En tout cas, ce qui est assuré c’est que la débauche est pour beaucoup dans cette dégénérescence dès l’adolescence, le Mérovingien s’entoure d’un sérail. On ne distingue guère les concubines des épouses légitimes, car celles-ci sont répudiées selon le caprice du maître et l’on ne voit pas que l’Eglise ait la force d’intervenir, comme elle le fera à partir du IXe siècle.
Que dire des reines ? On sait d’elles encore moins que des rois. Quelques noms émergent de la nuit. Clotilde d’abord. Mais que savons-nous vraiment de sa vie morale ? Les renseignements de Grégoire de Tours sont contradictoires : tantôt c’est une pieuse et sainte femme, tantôt une reine vindicative et orgueilleuse. Des noms sont à retenir : d’abord deux saintes Radegonde au VIe siècle, Balthilde au VIIe, mais la première est thuringienne, la seconde anglaise. Selon le biographe de cette dernière elle aurait fait cesser la « coutume impie » pratiquée par certains parents qui laissaient périr leurs enfants plutôt que de payer pour eux au fisc l’impôt de capitation. D’autre part, elle est traitée de Jézabel parce qu’elle a laissé massacrer par ses officiers un personnage anglais qui voulait s’introduire sur le siège épiscopal de Lyon.
Frédégonde, si ce que l’on raconte sur elle ne relève pas en partie de l’imagination et de la calomnie des cours, présente un cas pathologique.
Il est inutile de revenir sur la seule grande personnalité, celle de Brunehaut, encore une étrangère. Quant à Nanthilde, une des nombreuses « reines » de Dagobert, mère et tutrice de Clovis II, ce n’est qu’une ombre. Les autres ne sont même pas des ombres, ce sont des noms.

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Les Grands. Les Maires du Palais. — Les nouveaux maîtres de l’Etat, les maires du palais, sont à peine entrevus. Que savons-nous de Bertrand, maire de Clotaire II, de Garnier (Warnacharius) qui trahit Brunehaut pour Clotaire II et que la Vie de saint Oustrille dépeint comme un monstre, parce qu’il veut faire rentrer l’impôt ? Que dire des « Romains » Protadius et Claude sous Brunehaut ? Frédégaire qui, d’ailleurs, n’a pu le connaître, accable ce dernier d’éloges parce qu’il laisse tout faire à l’aristocratie : il est prudent, enjoué, avisé, sage, versé dans les lettres, ami sûr, chéri de tous. Aega, maire et régent sous Clovis II, calme les grands en leur restituant leurs biens confisqués sous le règne de Dagobert. Il mérite des éloges. De même son successeur Archenaud (Erchinoaldus) dont la « sagesse » et la « douceur » sont vantées, par le même Frédégaire. Par contre, pour l’auteur de la Vie de saint Eloi, c’est une bête farouche, condamnée à l’impénitence finale. Le « Franc » Flaochat n’est accepté en Bourgogne que parce qu’il a promis par serment et par écrit de conserver à la double aristocratie ecclésiastique et laïque « l’honneur, leurs grades, leurs dignités, son amitié », ce qui n’empêche pas le patrice Guillebaud (Willibad), « fier de son titre et de ses immenses richesses », de se révolter, et d’engager une lutte où tous deux périssent, en 642.
Le seul qu’on puisse entrevoir est Evrouin (Ebroïnus). Sa cruauté a terrifié ses contemporains, exagérée peut-être parce que, contrairement à ses prédécesseurs, il a maté la double aristocratie. Dévot, au reste : il fonde le monastère de Notre-Dame de Soissons et le jour de son assassinat, un dimanche, il se rendait, dès le point du jour, à l’église pour assister à l’office du matin.
Les maires du palais d’Austrasie, Pépin l’Ancien, Grimaud l’usurpateur, Pépin de Herstall semblent bien avoir été des hommes remarquables. L’autre ancêtre des Carolingiens, Arnoul de Metz, est mieux connu parce que, dégoûté du monde, il s’en est retiré, a fini ses jours comme évêque et a laissé le renom d’un saint, ce qui nous a valu de lui une bonne hagiographie.
Les ducs qui se multiplient depuis le milieu du VIe siècle sont, avant tout, des guerriers. Ce que rapporte Grégoire de Tours de ceux qui gouvernent l’Austrasie pendant la minorité de Childebert II, Berthefried, Ursion, Rauching, nous montre un trio de bêtes fauves. Gontran-Boson a une physionomie plus nuancée : on lui reconnaît des talents, seulement il lui est impossible de ne pas convoiter le bien d’autrui et de manquer à sa parole. Les ducs et patrices dont nous entretient Frédégaire, au siècle suivant, ne valent pas mieux. Est-il besoin d’ajouter que ces personnages se trahissent mutuellement et se battent les uns contre les autres ?
Des cinquante-cinq comtes dont Grégoire de Tours a l’occasion de parler, il en est peu qui ne soient, selon lui, des tyrans et des voleurs. Abaissement de la morale avec l’occupation de la Gaule par les Francs ? Pas nécessairement, car sur ces cinquante-cinq, la majorité (quarante-deux) est composée de Gallo-Romains. Et puis il faut faire la part des choses. Ces méchants comtes sont flétris le plus souvent parce qu’ils ont l’outrecuidante prétention de faire payer l’impôt aux populations placées sous l’autorité ecclésiastique.De même le texte hagiographique cité plus haut décrivant le châtiment de Garnier qui veut recenser la « cité » de Bourges, le traite pour cet acte ou plutôt cette tentative, de bête féroce.
Il est curieux de retrouver cette même épithète sous la plume élégante de Sulpice Sévère, environ trois siècles auparavant (403) lorsque, dans ses Dialogues sur saint Martin (liv. III, chap. iv), il en vient à parler d’un comte de Tours, Avitien : « Du feu comte Avitien vous connaissez la férocité barbare, extraordinairement sanguinaire (Avitiani quondam comitis noveratis barbaram nimis et ultra omnia cruentam feritatem). Un jour, la rage au cœur, il entre dans la cité des Turons, suivi d’un cortège lamentable, de files de gens enchaînés. Il ordonne de préparer pour leur supplice divers genres de tortures et décide de procéder le lendemain dans la ville en stupeur à ces lamentables exécutions. Dès que Martin en fut informé, il se rendit seul, un peu avant minuit, au palais de cette bête féroce. Mais, dans le silence profond de la nuit, tous dormaient ; les portes étaient fermées, impossible d’entrer. Alors Martin se prosterna devant le seuil du palais de sang. Heureusement un ange avertit Avitien endormi que Martin est à la porte. Les serviteurs refusent d’ouvrir. Nouvel avertissement de l’ange. Avitien s’engage enfin à relâcher les prisonniers, puis il quitte Tours, au milieu de l’allégresse de la cité délivrée.
Ainsi, en 403, Sulpice Sévère a déjà une conception mérovingienne de la levée de l’impôt, car il n’est pas douteux que les malheureux enchaînés que traînait le comte Avitien, fussent des récalcitrants qu’il se proposait de faire fouetter le lendemain, selon les procédés expéditifs du fisc romain. Ou, ce qui revient au même, les comtes mérovingiens conservaient de leur mieux les traditions impériales et on ne peut guère leur en faire un grief. Ne prenons pas pour argent comptant les imputations et invectives intéressées du monde du clergé.
Il va de soi que ces comtes, étant revêtus de pouvoirs excessifs, en abusaient. Faisaient-ils régner « l’ordre » ? Comme leur traitement était pour une bonne part, fait d’un prélèvement sur les amendes judiciaires tarifiées minutieusement, ils avaient intérêt à réprimer crimes et délits. Mais leur intérêt et celui de leurs agents, était aussi de grossir l’importance des infractions à la loi, d’en inventer au besoin, pour extorquer des « compositions » à de prétendus coupables. C’est ce dont nous sommes assurés pour les âges suivants et il n’y a pas de raison pour qu’il n’en fût pas de même aux temps mérovingiens et antérieurement.
Dans cette société troublée, peu de sécurité. Ce ne sont pas seulement les rois et les grands officiers qui ont une troupe armée pour les garder. Les grands propriétaires ruraux commencent à s’entourer de « satellites ». De même, évêques, abbés, abbesses entretiennent des commensaux armés pour se protéger. Les voyages sont dangereux. Quelques anecdotes nous montrent qu’un négociant qui part pour ses affaires a besoin d’une escorte. Les pèlerins, les faibles doivent rechercher la protection toute spéciale du roi, se mettre sous sa « mainbour ». Les lettres de sauvegarde devaient rarement être gratuites.
Le fléau des populations, c’est le passage des armées gallo-franques. On a vu qu’elles pillaient, incendiaient, massacraient sur leur passage, n’épargnant même pas gens d’Eglise et sanctuaires. Somme toute, la société à l’époque mérovingienne apparaît troublée par des violences continues et de tout ordre. Grégoire de Tours a voulu écrire l’Histoire ecclésiastique des Francs et il nous donne l’« Histoire criminelle des Francs ».

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Le Clergé. — Il n’y a pas à revenir sur le clergé, tant régulier que séculier. Grégoire de Tours dit à la fois du mal, beaucoup de mal, et du bien de ses confrères en épiscopat. Si le niveau moral, aussi bien qu’intellectuel, baisse très sensiblement vers la fin de l’ère mérovingienne, on a dit que la faute n’incombe pas seulement à l’Eglise. L’opinion ne paraît nullement s’en alarmer, ni même s’en apercevoir. Jamais, on l’a dit, il n’y a eu tant d’évêques, d’abbés, d’abbesses, de prêtres, d’ermites sanctifiés par elle qu’aux VIIe et VIIIe siècles. Il y a là un fait à retenir, car la sanctification était le fait des populations et celles-ci attribuaient la prospérité ou les fléaux du pays à la bonne ou mauvaise conduite du clergé, notamment de l’épiscopat. Pour avoir considéré comme de bienheureux intercesseurs auprès de la Divinité un si grand nombre d’ecclésiastiques, il faut nécessairement que le peuple n’ait pas été mécontent de son clergé.
Contre l’insécurité générale, contre les violences et les caprices des souverains et des grands, 1’Eglise a institué le droit d’asile. Quelques sanctuaires, notamment l’enceinte du monastère de Saint-Martin de Tours offrent à des infortunés un asile, parfois incertain et temporaire. Malheureusement la paresse, le crime y élisent aussi domicile.
Il est un autre asile, plus beau, et définitif, le cloître. Ce ne sont pas seulement de grands personnages, hommes et femmes fatigués qui y cherchent une retraite plus douce et plus sûre que la vie du monde. Quantité d’âmes blessées par le « siècle » vont s’y préparer à la vie éternelle. Même aux temps mérovingiens il y a eu de belles âmes religieuses, soyons-en sûrs.
A la cour même, au « palais », où l’on s’attendrait à voir un cloaque de vices, tout n’était pas mauvais. On ne s’expliquerait pas autrement comment tant de personnages qui y ont vécu longtemps, dès l’adolescence, dès l’enfance, ont pu puiser ces principes religieux qui par la suite ont fait d’eux des saints : Didier, Ouen, Eloi, Wandrille, Philibert, quantité d’autres, enfin celui qui est la souche des très pieux Carolingiens, Arnoul.

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Le Peuple. — Et le peuple ? On ne peut pas en dire grand-chose, faute de textes.Les masses paysannes semblent aussi passives que sous l’Empire romain. Pas de révoltes contre les rois. Des émeutes et seulement lors de la levée des impôts, lorsqu’elle est exécutée d’après des registres vieillis, non mis à jour, et aussi dans les parties franques, lorsqu’un haut fonctionnaire mal avisé veut soumettre les hommes libres à la « capitation », taxe jugée dégradante pour un « franc », le mot a déjà à la fin du VIe siècle le sens de « libre » en même temps qu’il est un terme ethnique.
Il n’est plus question de la « bagaude », cette jacquerie qui a miné le monde occidental de la fin du IIIe siècle au milieu du Ve siècle.
Le peuple n’est mentionné dans les textes qu’aux jours de fêtes, parce qu’il se livre alors à des ébats jugés inconvenants, des danses, des chants « honteux, obscènes », que l’Eglise réprouve. Il n’y a rien là qui distingue cette époque des précédentes et des suivantes. La joie grossière, licencieuse, quelques jours par an, est une revanche d’une vie quotidienne fort dure, une détente indispensable. La gaieté dans ses manifestations débordantes baisse avec le bien-être.

Les superstitions et les vices. — Ce que l’Eglise ne condamne pas moins ce sont les « superstitions ». A dire vrai, elles caractérisent l’ensemble de la société ; il n’est pas sans intérêt d’en donner un aperçu d’après les sermons de saint Césaire d’Arles et les actes des conciles.
La réprobation se porte sur ce qui se passe au « calendes de janvier » (1er janvier). Des misérables, même ayant reçu le baptême, se déguisent en bêtes (cerfs, chèvres) ou prennent des vêtements de femmes. Ils échangent des étrennes (strenas) « diaboliques ». Les paysans entassent de nuit des victuailles sur table (ils font ce que nous appelons le réveillon), persuadés que par ce l’abondance régnera chez eux toute l’année, ils refusent le feu en ce jour aux voisins et aux pèlerins.
La croyance aux augures n’est pas moins détestable. On prédit l’avenir d’après le chant des oiseaux, chose diabolique, ou, ce qui est ridicule, d’après l’éternuement. On croit au démon du midi, qu’on appelle Diane : on l’entend même à l’église, il fatigue, il estropie, il prédit.
On se livre au démon en consultant devins, augures, sorciers, pour guérir d’une maladie ou de la morsure d’un serpent. C’est un grave péché de porter sur soi des phylactères, « caractères », herbes et succin (ambre).
Il est diabolique de rendre un culte à des arbres, de prier près d’une fontaine, d’y banqueter.
Ne pas travailler le jeudi, c’est honorer le démon Jupiter. Il est mal de subordonner un voyage au nom du jour du départ : les noms des jours de la semaine sont ceux de scélérats divinisés par les païens.
Il ne faut pas pousser des cris au déclin de la lune. C’est un sacrilège de se plonger dans une fontaine, une mare, un cours d’eau à la Saint-Jean, et aussi d’y chanter des chansons honteuses, ennemies de la chasteté.
Ce sont de sottes réjouissances, sous l’influence de l’ivresse, que de danser et sauter à la sortie de l’église : entré chrétien on en sort païen. Quantité de paysans (rustici) et de paysannes apprennent par cœur de vilaines chansons d’amour et les débitent, etc...
Ces superstitions ne sont pas propres à la région arlésienne dont Césaire était évêque. La preuve en est que, outre les proscriptions des conciles d’Auxerre, Tours, etc..., celles de Césaire inspirent dans la Gaule du Nord le traité de saint Eloi « de la bonne conduite du catholique », au milieu du VIIe siècle, les « dits » de saint Pirmin, évêque de Meaux, au milieu du VIIIe, un « Tableau des superstitions et païenneries » (Indiculus superstitionum et paganiarum) de 743, et, hors de la Gaule, les homélies de Burchard évêque de Wurzburg (mort en 754), etc... Ces relevés de superstitions et leur condamnation se poursuivent bien longtemps encore en tous pays, preuve de l’inefficacité des foudres de l’Eglise en cette matière. Le besoin de distraction était plus fort que tout et le bon sens faisait justice des allégations taxant de paganisme des habitudes auxquelles les populations avaient cessé d’attacher pareil sens. Un certain nombre de ces « superstitions » continuent de nos jours, tels les étrennes et le réveillon.
Pour le chapitre des mœurs, on peut dire de cette époque que la violence, allant jusqu’aux coups, blessures, meurtres, est comme organique dans l’ensemble de la population. Mais ne l’était-elle pas déjà auparavant ? En tout cas, elle le sera toujours au cours de très longs siècles, redoublant à partir de la Guerre de Cent ans et au XVIe siècle, à cause des guerres de religion, et même pendant la première partie du XVIIe siècle.
Un autre trait, peut-être plus accentué en cette ère, c’est l’ébriété. Rois, grands, clercs de tout grade se livrent à des excès de boisson, constamment. On en parle en toute simplicité, comme d’une pratique naturelle.
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CHAPITRE V

Transformation des rapports sociaux –
Préparation à l’ère vassalique et féodale


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Patronage et bienfait dans le passé. — La société mérovingienne n’est pas « féodale » au sens spécifique de ce terme et elle ne présage ce système que de loin. Mais elle est la préparation très poussée au régime à proprement parler « vassalique » des temps carolingiens.
Toujours, la classe dominante en Gaule a été l’aristocratie foncière, et cela dès l’époque celtique, ainsi qu’on a vu. La conquête romaine, loin de contrarier cet état de choses le consolida. Sous l’empire romain toute démocratie disparaît, car la plèbe de Rome, nourrie et amusée pour qu’elle fasse symboliquement figure de « peuple romain », n’a aucun pouvoir de direction. Sous l’autorité de l’empereur despotique, mais aussi autorité de façade, le monde romain est dominé par l’aristocratie à la fois politique et foncière.
Les origines remontent jusqu’aux temps de la République, alors que le peuple se laissait en fait conduire par les classes nobles des sénateurs et des chevaliers. Déjà le patronage d’un puissant personnage était recherché du plébéien : il votait pour lui en échange de sa protection, manifestée notamment devant les tribunaux.
Quand toute liberté politique eut disparu, la pratique ne s’en poursuivit pas moins. A Rome quantité de gens, même de bonne famille, ne trouvaient pas de moyens d’existence suffisants. Ils devenaient les clients d’un riche patron, lui faisaient la cour, l’escortaient. En revanche, ils étaient admis dans sa société, à sa table. Les plus humbles trouvaient chaque matin à l’entrée de la demeure patronale le petit panier à provisions, la sportula, qui leur permettait de ne pas mourir de faim. Le client de ce type est un parasite et le parasitisme est accepté comme une chose naturelle dans la société tant romaine qu’hellénique.
A ce stade, le patronage est une forme de bienfaisance, d’altruisme. Il ne menace pas l’Etat, d’autant moins que le patron le plus recherché est l’empereur. Par politesse, ses obligés sont qualifiés amis. Et ils sont si nombreux que le maître les divise en trois catégories : il a des amis des 1er, 2e, 3e degrés.
Ce qu’il faut retenir de cette pratique, c’est que l’entrée en clientèle n’est pas jugée défavorablement. Elle est tenue même à honneur quand le protecteur, le patron, est très riche et très influent. Quelque chose de son prestige se déverse sur ses clients.
Sous le Bas-Empire, la terminologie change ; cliens, amicus sont des mots usés. On remplace le premier par susceptus (recueilli, accueilli), le second, quand le patron est l’empereur, par comes (compagnon), mais le fond des choses ne change pas. Il semble, au contraire, que l’idée s’enracine que pour faire une carrière, et non pas seulement pour recevoir une pitance, il est indispensable d’avoir un patron, même pour des jeunes hommes de haute famille.
Le vocabulaire traduit bien les rapports entre patrons et clients. L’entrée en clientèle est désignée par des termes techniques et forts : se commendare, se tradere, se dedere. L’engagement qu’implique cette subordination est dit commendatio. Il ne s’agit pas d’une « recommandation » à la moderne. Le rapport créé entre « commendé » et patron est marqué par un terme très fort, à la fois moral et religieux : la foi (fides), d’autant plus assujettissant que n’étant pas défini il peut être sans limites. En échange de la protection du puissant, le client, l’obligé, le commendé doit colere, observare ce patron, expressions vagues, donc dangereuses. Toutefois, il importe de remarquer que nul service armé n’est compris dans la commendatio.
La protection du puissant est naturellement multiforme ; elle s’accorde au rang social du susceptus.
La « foi » du commendé ne suffit pas toujours pour rassurer le patron sur sa reconnaissance. Il exige une garantie matérielle en échange de ses bons offices. Le petit propriétaire engage sa terre au patron, l’ambitieux recherchant de hautes fonctions publiques lui confie la gérance de sa fortune.
Une pratique en rapport étroit avec le patronat est celle du « bienfait » (beneficium). En droit romain, ce terme s’entend d’une libéralité pure, sans le moindre engagement aussi bien du côté de l’obligé que du bienfaiteur. Le beneficium n’étant pas un contrat, échappe à la loi, est hors la loi.
Le « bienfait » n’est pas nécessairement perpétuel. Il peut être temporaire et c’est même son caractère spécifique, car le dessaisissement d’un objet, ou d’une terre serait une donation. Dans le cas qui a dû être le plus fréquent, celui où un propriétaire cède la jouissance d’une terre à un obligé, ce ne peut être qu’à titre précaire et, dans la pureté de l’institution, sans indication de durée ou de redevance, ce qui eût transformé le « bienfait » en « pacte ».
Pour éviter que la jouissance (possessio) d’un tenancier de mauvaise foi ne se change en propriété (dominium), le concédant, le bienfaiteur, prend la précaution de faire précéder l’octroi de son « bienfait » d’un écrit du futur obligé, epistola precatoria : rédigé sous forme d’une prière, il atteste par là-même que l’obligé n’a aucun droit sur la chose concédée, laquelle, par suite, peut lui être retirée à volonté (ad nutum) sans contestation ni indemnité. De son côté le bienfaiteur remet une epistola praestaria, non pas pour garantir l’obligé vis-à-vis de lui, son bienfaiteur, ce qui serait un pacte, mais comme sauvegarde vis-à-vis d’un tiers qui voudrait troubler le précariste dans sa jouissance. L’ensemble de ces opérations est ce qu’on appelle le précaire (praecarium), terme significatif.
Le précaire peut représenter un bienfait véritable une manière de récompenser des services passés ou de constituer une sorte de retraite, etc... Mais il a aussi un tout autre but de la part du « bienfaiteur » : il lui permet de tourner la loi. Il faut dire que le droit romain imposait des conditions propres et des effets particuliers à chaque contrat et il n’admettait ni assouplissement des vieux contrats, ni création de nouveaux pactes. C’était un instrument imparfait, mal adapté aux transformations inévitables d’une société. En bien des cas, il fallut donc agir en dehors de la loi, sinon contre la loi. Le précaire servit à déguiser des contrats, tels l’amodiation, le fermage, un fermage permettant au propriétaire l’éviction sans forme de procès, par voie de saisie privée, d’un fermier dont il était mécontent.
Le précaire servait de garantie à un prêt d’argent. Un endetté remettait sa terre à un prêteur comme si elle était tenue de lui en précaire, jusqu’à remboursement ; s’il ne pouvait s’acquitter, il cessait alors d’en être propriétaire pour n’être plus que précariste.
Enfin la grande propriété dans le désordre du Bas-Empire trouva dans le précaire un procédé commode pour s’étendre indéfiniment. Pour échapper aux rigueurs du fisc ou à l’animosité d’un ennemi, un petit propriétaire feignait d’être précariste, de tenir par bienfait, sa propre terre. Précariste, il se sentait protégé par la toute-puissance du grand. patron qui interdisait l’entrée de ses domaines, même pour la répartition et la perception des impôts, aux délégués de la curie de la civitas.
Le « bienfait » par voie de précaire n’avait donc le plus souvent que l’apparence du bienfait.
Si ce procédé de spoliation a pu être toléré des populations, c’est sans doute que, dans la pratique, le précariste n’était ni chargé de redevances secrètes, ni évincé par caprice. De tout temps l’agriculture a eu besoin de bras. Il n’était pas de l’intérêt du « bienfaiteur » de se priver de ceux du précariste et de sa famille. Au reste, le précariste n’était pas tenu envers son bienfaiteur à des services personnels, encore moins à un service armé. La victime de cette combinaison, fiscalement et politiquement, c’était surtout l’Etat.

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