Ferdinand Lot De l’Institut



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La peinture murale. — Cet art s’est poursuivi à l’époque mérovingienne. Nous en possédons des témoignages écrits, nombreux et assurés. On représentait des scènes tirées de l’Ecriture ou de la vie des saints. L’église des SS.-Apôtres, construite par Clovis et Clotilde sur la hauteur dite plus tard « Montagne Sainte-Geneviève », représentait l’histoire des patriarches, prophètes, martyrs et confesseurs. A la basilique de Saint-Martin de Tours, édifiée vers 470, étaient figurés au-dessus des trois portes l’histoire « peinte » du Denier de la Veuve, Christ marchant sur les eaux, Jérusalem, ainsi que les miracles de saint Martin. Les sujets à représenter étaient déterminés par les fondateurs ou les bienfaiteurs des édifices religieux. L’ex-épouse de Namatus, évêque de Clermont, bâtit la basilique de Saint-Etienne hors les murs et indiqué les sujets de l’ornementation picturale en tenant un livre à la main.
Malheureusement, rien ne subsiste de ces peintures qui ont dû être innombrables. On a un dessin, exécuté en 1731, d’une crypte funéraire qu’on détruisait. Outre une mosaïque on y trouvait une succession de tableaux d’environ deux mètres de haut représentant, outre des motifs orientaux (colombes perchées sur un vase, un paon) Abraham prêt à sacrifier Isaac, le Paralytique emportant son grabat, illustrations de l’antique prière mortuaire.
L’hypogée des Dames à Poitiers révèle la technique de cette peinture à fresque. Les murs étaient recouverts d’un enduit de chaux et de sable de trois centimètres d’épaisseur et sur cet enduit était posée une couche de chaux très fine épaisse d’un millimètre et parfaitement lissée. Toute la décoration avait été exécutée avec des peintures grasses qui semblaient être faites à la cire. Six couleurs différentes avaient été employées : le blanc et le bleu clair pour les fonds, l’ocre rouge, l’ocre jaune clair et le bleu de Prusse clair pour les filets, le rouge brique et le vermillon pour quelques filets et inscriptions. L’ornementation en elle-même était des plus simples.

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Vitraux. — L’art des vitraux était répandu en Gaule et même tellement célèbre qu’on en exportait à l’étranger, notamment en Angleterre. Nul spécimen n’est parvenu jusqu’à nous.

Tissus. — De même pour les tissus et voiles d’autel. On suspendait des voiles lors des grandes fêtes pour parer les églises et aussi autour de l’autel jusqu’au moment de la messe. Les églises de village pauvres n’avaient d’autre moyen de dissimuler la nudité des murs. II n’est pas douteux que les belles pièces furent importées d’Orient, comme au Ve siècle. Le trésor de la cathédrale de Sens a conservé des tissus byzantins qui peuvent avoir été importés à l’époque mérovingienne : ils représentent des lions affrontés. Le suaire de saint Siviard, abbé de Saint-Calais, dans le Maine (mort en 680), portait sur fond blanc des médaillons circulaires à bordure fleuronnée et à cordons de perle représentant un griffon ailé dont la tête et les membres sont brochés en soie violette et or.

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Orfèvrerie et joaillerie. — L’influence de l’Orient éclate dans les travaux des orfèvres et joailliers. Elle y est même prédominante et comme exclusive.
Sa manifestation essentielle est l’orfèvrerie cloisonnée.
« Cet art décoratif est un travail particulier de joaillerie qui consiste à incruster à froid dans des alvéoles d’or ou, par extension, dans une plaque de métal découpée à jour, soit des pâtes vitreuses, soit des lames de verre, soit des pierres précieuses, taillées en table, soit enfin des cabochons disposés de manière à former un ensemble décoratif, une sorte de mosaïque 1. »
Plusieurs techniques sont employées :
« incrustation dans des cavités creusées dans le métal ; découpage à jour, à l’emporte-pièce, d’une plaque métallique ; alvéoles ménagées en champlevé sur la plaque ; enfin cloisonnage mobile rapporté à la soudure ».
Les plus anciens spécimens conservés en Gaule, les objets trouvés dans le tombeau de Childéric (mort en 481) sous Tournai, appartiennent à ce dernier type. Ces objets comportaient épée et fourreau, un manteau semé d’abeilles dorées, un anneau, un bucrane servant de talisman.
On a retrouvé, ornés de cloisonnés de tous types, des plaques fibules (servant à attacher le manteau sur l’épaule), agrafes, et, particuliers aux femmes, anneaux d’or et d’argent, boucles d’oreilles, épingles à cheveux, bracelets fermoirs, etc. Quantité de fibules sont terminées, par des oiseaux à gros œil et à bec crochu. D’autres sont en forme d’abeilles ou encore représentent, des animaux : écrevisses, hippocampes, canards, chevaux, griffons, serpents, ours.
Parfois le bijou ne comporte pas de cloisonné, mais, en léger relief, on traite des thèmes religieux en dessin stylisé, tel Daniel entre deux lions, thème imité d’étoffes persanes.
L’orfèvrerie cloisonnée n’est pas moins répandue pour l’ornementation des objets du culte : calice et plateau (celui de Gourdon, par exemple, qui peut être daté de 528), patènes, autels, châsses et reliquaires, etc... Enfin des couronnes votives avec gemmes, décoraient les grandes basiliques où elles étaient suspendues. Les seules conservées sont celles des rois visigoths retrouvées à Guarrazer, mais on sait que Clovis en avait offert une à Saint-Pierre de Rome.
Comme on rencontre des bijoux avec décorations similaires chez les Ostrogoths d’Italie et les Visigoths d’Espagne, on a cru longtemps que l’orfèvrerie cloisonnée avait été trouvée par les « Barbares ». Etonnante illusion que d’innombrables découvertes ont dissipée. On en retrouve les produits à Byzance, dans la Russie du Sud, au Kouban, en Asie centrale. Cet art a des précédents fabuleusement reculés, en Chaldée, à Suse, en Egypte. Mais la pénétration dans le monde gréco-romain n’apparaît que sous le Bas-Empire, après la rénovation iranienne opérée au IIIe siècle de notre ère par les Sassanides de Perse. Dans sa transmission à l’Occident, les Barbares ont dû jouer un rôle important. Les Goths notamment, après leur occupation de l’Ukraine actuelle aux dépens des Sarmates, des Iraniens comme les Perses, ont propagé cet art par leurs migrations et l’ont communiqué au monde germanique. Mais Byzance n’a pas pu ne pas y avoir sa part, puisque son architecture, sa sculpture, ses tissus, etc., ont été transformés par l’art oriental.
En Gaule, l’orfèvrerie nouvelle, sous tous ses aspects, n’a pas été simplement importée. Des artistes indigènes participent, à sa fabrication. Il en faut dire autant pour les Barbares installés sur son sol. Une châsse conservée au trésor de Saint-Maurice (Agaune) en Valais met la chose hors de doute. Non seulement les personnages qui en ont ordonné l’exécution, mais les deux artistes qui l’ont exécutée portent des noms burgondes, comme en témoigne une inscription gravée sur un des côtés. Il a dû en être de même des croix, couronnes votives, châsses, etc., œuvres d’artistes gallo-romains ou gallo-burgondes ou gallo-francs. On a découvert à Caulaincourt, près de Saint-Quentin, dans un tombeau, l’outillage d’un orfèvre avec ses matières premières, verroteries et pierres précieuses.
Ce qui distingue fâcheusement les pièces d’orfèvrerie cloisonnée attribuables à la Gaule des objets similaires de l’Orient, c’est moins l’habileté du travail, qui n’est guère moins remarquable en Occident qu’à Byzance et en Orient, que la pauvreté des matériaux : dans les bijoux d’or, le disque est d’argent ou de bronze, et si l’épingle est d’or, cet or est d’une extrême minceur. Point de pierreries, mais des cabochons de grenat, d’améthyste, de saphir et surtout des verroteries colorées.
Même parcimonie pour les bijoux de bronze où l’étain n’entre que pour un cinquième ; dans l’ornement en incrustation où l’argent est remplacé par l’étain. Il n’en pouvait être autrement, la Gaule n’ayant pas les ressources de l’Orient en or et métaux précieux et cette parcimonie elle-même plaide en faveur de l’origine indigène de cette bijouterie.
La vogue de cette orfèvrerie chatoyante, scintillante a été inouïe. Rois, reines, grands seigneurs, grandes dames se parent de ces bijoux et en font d’énormes collections. Folle de douleur de la mort d’un de ses fils, Frédégonde brûle ses bijoux et soieries : ils remplissaient quatre chars et l’enfant était en bas âge.
L’orfèvrerie sous toutes ses formes a passionné le monde mérovingien, les Barbares aussi bien que les indigènes. Le tarif de composition (le vergeld) de l’orfèvre est élevé dans la loi burgonde. A la manière dont ils parlent, les rois semblent s’attribuer l’honneur de la fabrication. Chilpéric montre avec orgueil un missorium (plateau) d’or, rehaussé de pierreries, du poids de 50 livres.
« Voilà ce que j’ai fait pour la gloire de la nation des Francs, et, si l’avenir m’est favorable, j’en ferai bien davantage. »
Au siècle suivant, Eloi, né en Aquitaine, élevé à Limoges, élève d’Abbon, orfèvre et monnayeur renommé, fut appelé à la cour de Clotaire II et de Dagobert. Son habileté, non moins que ses vertus et sa piété, lui valut le siège épiscopal double de Noyon et Tournai.
Le travail du fer tient une place considérable dans l’usage, car le fer se trouve en abondance en Gaule. Mais la vulgarité n’empêche pas ses applications de présenter un très réel intérêt artistique et quantité de pièces excitent l’admiration des spécialistes de nos jours.
Tout d’abord le travail de forge tel que nous le révèlent la micrographie, la lampe minoculaire, est excellent de structure. Les armes, défensives aussi bien qu’offensives, sont de bonne trempe. Pour l’ornementation des plaques et contre-plaques de ceinturon, on emploie les procédés du placage, de l’estampage, de l’incrustation. Les motifs décoratifs sont empruntés à l’art du tisserand ou du vannier, ou tirés des règnes végétal et animal, très rarement de symboles païens ou chrétiens. La figure humaine n’apparaît quasi point.
On peut saisir des écoles différentes. Les objets sortis des ateliers de Burgondie, de la région mosellane du Nord, présentent des divergences de style.
La damasquinerie du fer se rencontre également dans les armes, ainsi dans les poignées d’épées, l’umbo des boucliers, les casques, le harnachement des chevaux, les fibules servant à l’attache des vêtements féminins, etc.
Le procédé du cloisonnage, bien que le fer s’y prête mal, apparaît même parfois dans les fibules, fermoirs d’escarcelle, etc. Ces objets en fer, plaques, boucles, fibules, agrafes, fermoirs, etc., ayant été retrouvés dans les tombes, surtout à l’est de la Gaule, mêlés à des débris d’armes, on a pu croire qu’ils représentaient un art importé par les Barbares, Goths, Burgondes, Francs. Rien n’est moins fondé. Le décor, notamment le décor animalier, nous reporte vers l’est de l’Europe, dans la région des steppes où les Sarmates avaient succédé aux Scythes, des Iraniens comme eux. Quantité de colonies sarmatiques ayant été établies en Gaule et dans l’Italie du Nord par Rome, après la destruction de leur empire (au IIIe siècle), il est tentant de leur attribuer la diffusion de cet art de damasquinerie sur fer. Mais ils ont, en ce cas, trouvé des élèves chez les artisans gallo-romains et barbares.
Le seul sujet « humain » traité, celui de Daniel entre deux lions, amène à la même conclusion. C’est la très antique représentation du dieu-roi sumérien Gilgamech luttant contre les monstres. Biblisé, christianisé, son succès s’explique par la croyance qu’il est une amulette préservant des violences ou des accidents ou des maladies.

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L’écriture, la calligraphie et l’enluminure des manuscrits. — La belle écriture, la capitale dite « rustique », même la capitale carrée, l’onciale, la demi-onciale se poursuivent, mais leur emploi tend à être réservé, pour la capitale aux inscriptions, aux titres, incipits, explicits, et pour les onciales aux textes sacrés. Pour l’usage courant, même pour les diplômes des rois, même pour les œuvres historiques (tel les manuscrits de Grégoire de Tours, de Frédégaire), pour les hagiographies (Vie de saint Wandrille) on use de la minuscule. On ne saurait concevoir écriture plus repoussante : les lettres sont soudées, les mots liés ou séparés à tort et à travers, des traits de plume en haut ou en bas de la ligne achèvent d’en rendre la lecture difficile et lente. On a eu tort cependant de qualifier cette écriture de « mérovingienne » : c’est la simple continuation de l’abominable minuscule latine.
Mais il est une calligraphie qui s’apparente à la peinture des livres. Il n’y a plus trace en Gaule des tableaux d’ensemble illustrant un texte sacré ou profane qu’on trouve à une époque contemporaine cependant (VIe siècle) dans les manuscrits byzantins et syriens. Dans cette nouvelle calligraphie, les lettres, surtout aux initiales des chapitres sont
« bordées de points ou ornées de zigzags, de cercles, de spirales, de nattes, d’entrelacs. Des animaux ou des hommes, plus ou moins déformés, se mêlent à ces éléments géométriques. Les titres sont encadrés d’une cordelette tressée. L’or, si abondant sur les œuvres byzantines, fait absolument défaut. Les couleurs, peu nombreuses, sont en teintes plates, vertes, rouges, jaunes, brunes. »
Dans un groupe de manuscrits auxquels on attribue, à tort ou à raison, une origine lombarde, les initiales sont ornées de feuilles d’acanthe et
« les lettres présentent l’aspect de mosaïques à imbrication de carrés, de losanges, de triangles, de roues qui rappellent l’orfèvrerie cloisonnée ».
Il est une série de manuscrits plus originale, mais d’importation, celle que les missionnaires scots ont amenée d’Irlande à la fin du VIe siècle. Ils représentent un art géométrique dont l’ornement végétal est absent. Il admet l’animal, l’homme, mais en le réduisant à de simples traits déformants. Comme couleurs, le vert, le violet, le jaune, le rouge. La sûreté de main de ces artistes scots, anglo-saxons aussi, est incomparable : l’examen le plus minutieux à la loupe n’y révèle ni repentirs ni même d’arrêt dans l’exécution du tracé.
La Gaule n’a donc pas cessé d’être un foyer d’art à l’époque mérovingienne. Mais si on la remet dans le cadre du monde européen, tant romain que barbare, sa place est honorable, mais non éminente. Partout, dans tous les domaines de l’art, on fait ailleurs aussi bien ou mieux. Il paraît certain que l’Orient l’a mieux inspirée que l’art gréco-romain sous la domination impériale, époque où, nous l’avons vu, la Gaule n’a rien ou presque rien, saut peut-être dans la céramique populaire, produit d’original.

C. La langue et les lettres
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Coup d’œil d’ensemble. — Si la littérature latine profane avait disparu il n’y aurait eu là rien de surprenant. Le monde nouveau, le monde chrétien, n’avait plus que faire des genres anciens. Au reste, bien avant même le triomphe du christianisme, les lettres latines étaient frappées de stérilité. Depuis la fin du IIe siècle jusqu’au milieu du IVe siècle, c’est le vide presque absolu. L’histoire, il est vrai, se poursuivit avec l’Historia Augusta, compilation mensongère, avec l’utile Ammien Marcellin. Le Ve siècle ne voit guère que de sèches chroniques. En Gaule, au Ve siècle, Sulpicius Alexander et Rendus Frigories avaient tenté de retracer l’Histoire de leur temps, mais leurs œuvres sont perdues et sans Grégoire de Tours le genre historique n’existerait plus. Encore faut-il remarquer que l’œuvre de Grégoire a un but plutôt parénétique qu’historique à proprement parler.
Ce qui subsiste c’est l’Epître avec tous ses défauts : antithèse, parallélisme, jeux de mots. Ce qui se poursuit et se multiplie c’est la Vie de Saint. Plus de poésies, sauf de très misérables essais, à l’exception de l’œuvre de Fortunat, qui est un étranger, un Italien.
La littérature chrétienne,, la seule digne d’attention, depuis le IIIe siècle, poursuit son existence, mais sans nouveautés, sans éclat. Avitus, évêque métropolitain de Vienne (mort en 518), en est le représentant en Gaule. Il a écrit contre les hérésies d’Eutychès et d’Arius. On lui doit aussi des sermons. Il compose des vers hexamètres à la louange de la Virginité adressés à sa sœur, une série de poèmes sur la Création du monde, le Péché originel, le Jugement de Dieu, le Déluge, le Passage de la mer Rouge : le tout va à 2.550 vers. On y retrouve les poncifs de l’école et cependant, en quelques passages, telle la tentation d’Eve par le démon, un filet de talent apparaît.
Ennodius, né probablement au pays d’Arles, vers 475, est pire. C’est un attardé qui use et abuse dans ses écrits de tous les procédés des écoles de rhétorique. Sa correspondance (300 lettres), ses panégyriques, même ses écrits hagiographiques, telle sa Vie d’Epiphane, évêque de Ticinum (Pavie), en sont infestés. Passé en Italie, promu à l’évêché de Ticinum depuis 513, il appartient à l’histoire littéraire de l’Italie, non de la Gaule.
Césaire, né en 470 à Chalon-sur-Saône, évêque d’Arles depuis 503, mort en 543, offre un contraste absolu avec les précédents. Un des premiers il dénonce la culture classique traditionnelle comme indigne d’un chrétien. Son œuvre principale consiste en sermons, peu originaux, mais d’un style simple, intelligible et d’une durée supportable. Ils eurent un grand succès et ses contemporains, même d’Italie et d’Espagne, en demandèrent des copies. En outre Césaire, célèbre aussi par sa règle monastique, a eu un rôle théologique important. A Valence, à Orange (529), son ascendant imposa aux évêques du sud-est de la Gaule un augustinisme mitigé, à propos des débats sur les rapports du libre arbitre et de la grâce. Les canons du concile d’Orange ratifiés par le pape Boniface II, sont demeurés à la base de la doctrine jugée orthodoxe pour l’Eglise catholique.
Les controverses théologiques s’apaisant ensuite, il n’y a plus lieu à polémique dogmatique, par suite à véritable littérature chrétienne en Gaule.

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La poésie classique. — Elle se résume en un seul nom, celui de Fortunat. Né près de Trévise, vers 530, Venantius Honorius Clementianus Fortunatus fit ses études à Ravenne. En 565, pour une raison mal connue, soi-disant pour aller prier à Tours au tombeau de saint Martin, il passe par les Alpes Juliennes, traversant le Norique, la Rhétie, l’Austrasie, avant de se rendre en Touraine. Il pousse jusqu’aux Pyrénées, puis, au retour, se fixe à Poitiers, retenu au service de la reine Radegonde, qui y fondait le monastère de Sainte-Croix. La reine admirait ses talents et il fut trop heureux de vivre dans une retraite honorée, alors que le retour en sa patrie était rendu impossible par l’invasion lombarde. Fortunat fut même appelé, vers 597, au siège épiscopal de Poitiers où il finit ses jours peu après.
Fortunat a joui d’une grande réputation chez ses contemporains et sa renommée s’est longtemps prolongée. Deux siècles après sa mort, le Lombard Paul Diacre composa en sa mémoire, une épitaphe où il le qualifie de
« génie brillant, esprit prompt, bouche harmonieuse dont les chants remplissent de leur mélodie tant de pages exquises, Fortunat, roi des poètes, modèle vénéré de toutes les vertus, illustre fils de l’Italie, repose dans ce tombeau... Heureuse terre des Gaules, parée de joyaux dont les feux mettent en fuite les ombres de la nuit, mes vers sans art, ô saint Fortunat, rappellent au monde tes mérites... ».
Depuis lors on en a rabattu. Fortunat pour nous n’a rien de vénérable et de saint. On est même pour lui d’une excessive sévérité. Il est bien vrai qu’il flatte éperdument les souverains et reines les moins recommandables. Mais, pauvre homme de lettres, sans ressources, sans appui en pays étranger, il eût été exposé à mourir de faim sans la faveur de puissants protecteurs. Sa vanité est puérile, agaçante, mais pas plus que celle des gens de lettres de tous les temps. Son œuvre n’est pas moins sévèrement appréciée que son caractère. Elle se compose de poésies de circonstance (épithalames, élégies, panégyriques, billets familiers, toasts), d’épitaphes, d’hymnes. L’ensemble ne forme pas moins de onze livres en vers élégiaques. Il y faut joindre quelques vies de saints. Le mauvais goût, appris à l’école de Ravenne, et l’insincérité sautent aux yeux. Le poète continue à recourir à la mythologie païenne, ce qui produit un effet de grotesque : Cupidon et Vénus dialoguent à propos des noces de Sigebert et de Brunehaut. Même quand il puise dans l’Ecriture sainte, il est maladroit : Frédégonde, pleurant ses enfants, trouvera-t-elle consolation dans l’énumération des rois et prophètes de la Bible qui ont subi l’épreuve de la mort ?
Sa muse facile est qualifiée « décrépite et minaudière ». Ce n’est que trop vrai. On peut même lui reprocher des fautes de quantité et des solécismes. Cependant, il serait injuste de ne pas lui reconnaître quelques mérites. Il arrive que le sujet l’inspire et l’on a loué justement ses poèmes sur la mort tragique de la reine Galswinthe, sur la ruine de la Thuringe ; ils sont soulevés d’un véritable souffle. Il est possible aussi, pour cette dernière composition, que sainte Radegonde, princesse thuringienne, ait fait passer son émotion chez le dévoué qui chantait la triste destinée de sa patrie. Au reste, il ne faut pas oublier que la plupart de ces petites pièces sont des improvisations de circonstance, — du genre si bien appelé « fugitif ».Mais, ce qui conserve lu mémoire de Fortunat, ce sont ses hymnes dont plusieurs ont passé dans la liturgie : Agnoscat omne caelum et Vexilla regis prodeunt, en dimètres iambiques acatalectiques rimés, et Pange lingua gloriosi en tétramètres trochaïques catalectiques. Autant dire que la masse des fidèles n’y comprenait rien.

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L’histoire : Grégoire de Tours. — Le seul écrivain qui mérite d’arrêter le lecteur non spécialisé dans l’étude de ces temps est Grégoire de Tours.
Georgius Florentius appartenait du côté de son père et de sa mère à la noblesse gallo-romaine dite « sénatoriale », issue des « clarissimes » du Bas-Empire. Né le 30 novembre 538 ou 539, en Auvergne, il fut élevé par sa mère et son oncle Gallus, évêque d’Auvergne (Clermont). Il ne fit aucune carrière laïque avant d’être ordonné diacre. Tombé malade, il se rendit au tombeau de saint Martin, guérit et se fixa à Tours. A la mort de l’évêque Euphronius, il fut élu évêque (573) avec la faveur de Sigebert, roi d’Austrasie dont dépendait la Touraine, ce qui explique la partialité de Grégoire en faveur de ce Mérovingien et peut-être aussi son animosité contre Chilpéric, frère et ennemi de Sigebert. Il se montra un évêque dévoué, passionné pour le culte de saint Martin et en même temps mêlé aux affaires de son temps. Il mourut le 17 novembre 593 ou 594.
Sa piété et son admiration pour les martyrs et confesseurs de la foi le portèrent, malgré sa grande modestie, à écrire Sept livres de miracles, dont deux sur les Vertus (miraculeuses) de saint Martin et aussi son Histoire des Francs. Son œuvre historique est divisée en dix livres, dont les quatre premiers se terminant à 575. Les livres V et VI furent rendus publics peu après 587 avec additions pour les quatre premiers, opérées par l’auteur lui-même. La suite poursuit le récit jusqu’en 591. Le livre I va de l’origine du monde à la mort de saint Martin, simple compilation, sans intérêt. Le livre II (terminé à la mort de Clovis) offre l’avantage de reproduire quelques pages d’auteurs disparus, notamment de Renatus Profuturus Frigeridus et de Sulpitius Alexander, et de nous donner sur Clovis des renseignements, en grande partie fabuleux, il est vrai, arrivés à l’auteur par transmission orale. A partir du livre III on est sur un terrain plus solide et, depuis le livre IV (commençant à la mort de Clotilde en 544), l’auteur est contemporain.
Que vaut son histoire à partir de ce moment ? La bonne foi, la sincérité de l’auteur éclatent aux yeux de tous ceux qui l’ont lu. Mais est-il bien informé ? Sur ce qui se passe hors de Gaule, point du tout. Sur les Lombards d’Italie, sur les Visigoths d’Espagne, sur les Byzantins les bévues abondent. Sur la Gaule même on aimerait à savoir plus qu’il ne dit. On donnerait beaucoup d’anecdotes insipides ou niaises sur des événements sans importance ou des clercs obscurs, ses contemporains, pour des renseignements sur la vie politique des grands qu’il ne rapporte que sporadiquement, à l’occasion.
Mais il faut comprendre le but que se proposait l’auteur. Ce but, c’est moins de nous donner une histoire politique de son temps que de nous édifier, d’avertir les rois et les grands. Les malheurs du siècle sont dus à l’inobservance des lois divines. Que l’on cesse de pécher et le bonheur viendra. Ses mérites sont avant tout la foi et la piété, même extérieures. Clovis s’étant converti, ses succès sont légitimes, même acquis par des crimes. L’auteur a un faible pour Gontran, sorte de Géronte à la fois débonnaire et cruel, à cause de sa dévotion, et il va jusqu’à lui attribuer le don des miracles. Sa crédulité est sans bornes. Le plus petit fait, un champ épargné par la pluie, une lampe d’église tombant sans se casser, sont pour lui des miracles. A vrai dire il vit dans le miracle ; pour lui le surnaturel est le naturel. Il ramène tout à l’Eglise. Aussi est-ce avec raison que certains manuscrits portent comme titre : Histoire ecclésiastique des Francs.
Grégoire de Tours est une âme candide et c’est précisément ce qui donne un charme exceptionnel à son œuvre. Ce prix est doublé par son style, pour mieux dire son absence de savoir-faire. Il s’en excuse avec une humilité touchante : il se qualifie lui-même de sot (stultus), de borné (idiota), d’ignorant (inops litteris), Il déplore la rusticité de sa langue (sermonis rusticitas). Et il ne se doute pas que ces prétendus défauts sont pour nous ce qui fait sa valeur : il est le seul qui soit purgé de l’intolérable rhétorique qui empoisonne les écrits de ces siècles, même ceux d’un saint Augustin et en rendent la lecture fatigante, exaspérante.
Longtemps, depuis la Renaissance du XVIe siècle, on lui a reproché l’incorrection de sa langue. Elle est très éloignée du latin classique, à coup sûr. Avouons que les fautes fourmillent. La plupart, il est vrai, ne sont qu’apparentes ; elles tiennent à la prononciation du latin même classique. Depuis longtemps l’i bref et l’e long s’étaient confondus dans la prononciation, et aussi u bref et o long, même dans le débit des gens cultivés. Grégoire dictait ses écrits comme il prononçait, comme prononçaient ses contemporains les plus instruits aussi bien en Italie et en Espagne que dans les Gaules.
Par réaction contre des appréciations trop sévères, on a voulu, de nos jours, faire de Grégoire, un homme instruit. On a relevé les passages où il se réfère à des auteurs classiques, Salluste, Justin, Pline, Aulu-Gelle, etc. En réalité, il n’a pas eu de commerce direct avec ces auteurs ; il ne les connaît que par des fragments lus ou cités à l’école. Le seul classique qu’il ait vraiment pratiqué, c’est Virgile.
Il ne faudrait pas s’imaginer que Grégoire écrive en langue « vulgaire ». Rien ne serait plus faux.Grégoire écrit en latin, dans un latin que le peuple ne comprenait plus, mais comme il est dénué de toute prétention littéraire, sans préciosité, il est lui-même, il est vivant. Il a une vision directe des hommes qu’il a fréquentés et les peint d’un trait sobre et juste.
En dépit de ses lacunes, de sa naïveté, allant parfois jusqu’à la simplicité d’esprit, soyons reconnaissants au bon évêque de Tours. Sans lui, nous ne saurions rien de l’histoire du VIe siècle. C’est à juste titre que, au XVIe siècle, Fauchet l’a qualifié « père de l’histoire de France ».
Quelle chute quand on passe à la continuation, allant jusqu’à 642, due à un inconnu, attribuée au XVIe siècle à un certain Fredegarius, peut-être d’après un manuscrit perdu aujourd’hui ! L’auteur, bien plus incorrect que Grégoire, est partial, mal informé, dénué de tout talent. Avec les Gesta regnum Francorum, rédigés à Saint-Denis en 727, sèche et peu exacte notation de quelques faits, on sort de la littérature comme de l’ère mérovingienne.

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