Ferdinand Lot De l’Institut


Continuation et extension



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Continuation et extension. — Ces pratiques de patronage et de « bienfait » par précaire se sont poursuivies à l’époque mérovingienne. Elles se sont même amplifiées en raison de l’affaiblissement de l’idée d’Etat et de la nécessité de plus en plus pressante de la protection du plus faible par un plus fort.
Les envahisseurs germaniques les ont adoptées et en ont rendu les termes latins en langue francique. Les termes tutela, tuitio, patrocinium, usités pour la protection du grand patron, sont rendus par mundeburdis (mainbour, mainbournie). A la fidelitas, répond trustis, à susceptus répond gazindus.
Nous possédons une formule d’entrée en patronage, rédigée à Tours. Sa rédaction ne date peut-être que du VIIIe siècle, mais elle reflète le passé. Elle s’opère sous forme de lettre du recommandé au patron. Elle a pour titre : « De celui qui se commende en puissance d’un autre » et est ainsi conçue :
« Au seigneur un tel, homme magnifique, je un tel. C’est chose avérée que je n’ai pas de quoi me nourrir et me vêtir. C’est pourquoi j’ai demandé à votre pitié de me commender à vous, et votre bon vouloir a accepté que je me livre en votre mainbour. C’est chose faite. Mais c’est à condition que vous me souteniez et consoliez tant de nourriture que de vêtement en échange de mon service et de mon zèle. Je n’aurai pas la faculté de me soustraire à votre autorité ou mainbour tant que je vivrai, mais demeurerai sous votre autorité et protection. Il est convenu que si l’un de nous deux manque au présent engagement, il paiera à l’autre tant de sous (d’or) et l’engagement demeurera valable. Il est convenu également qu’il sera rédigé du présent acte une double lettre identique, souscrite des deux parties. »
C’est un engagement « domestique » mais entre égaux. Patron et commendé sont envisagés comme des associés, ayant des intérêts communs, comme des « pairs » que sépare seulement l’inégalité de la fortune. La formule ne spécifie pas les services dus par le commendé, mais il ne peut s’agir que de services d’homme libre. Pas d’allusion à un service guerrier. L’obligé est seulement un commensal. D’autres formules, même simplement orales, ont pu coexister.
Comme à la fin des temps romains, l’entrée en patronage a été recherchée, même par des grands pour faciliter une carrière d’Etat pour eux, pour leurs enfants. Les jeunes nobles ou libres de bonne naissance qui, dès l’adolescence, entraient au « Palais » pour y faire leur apprentissage de la vie publique, pour attirer sur eux l’attention du roi, devaient se commender en des termes évidemment autres que ceux du pauvre diable de la formule de Tours. Ils devaient prendre comme patron un personnage bien en cour, évêque, fonctionnaire civil. Quantité de futurs saints ont commencé ainsi une carrière d’abord civile. Le maire du palais est le patron par excellence. Arnoul, le futur saint, l’ancêtre des Carolingiens, a commencé par se mettre sous le patronage du maire du palais d’Austrasie, Gondulf.
Les clercs suivent le mouvement. Dès le VIe siècle les conciles s’alarment de cette pratique qui ruine la discipline ecclésiastique et soustrait à l’autorité de l’évêque des prêtres et diacres ambitieux. Mais les évêques eux-mêmes pratiquent le patronage des clercs et aussi des laïques.
Quelle que soit la condition sociale du commendé et du patron, il est un trait commun. Tous deux vivent dans l’intimité. Les commendés sont des commensaux, des « nourris » et l’expression se poursuivra en plein Moyen Age. Le patron a un droit de correction, paternelle si l’on veut, sur le jeune commendé, sorte d’apprenti confié à ses soins. Quels sont les devoirs du commendé ? Les textes ne nous le disent pas explicitement ; ils usent des termes vagues obsequium et servitiam : sans doute se montrer « fidèle », obéissant, rendre des services du genre des futurs pages ou varlets nobles.
La pratique du bienfait se poursuit également et sous tous ses aspects. Le précaire ou la précaire (le mot passe au féminin sous l’influence de la formule epistola precatoria). Elle sert soit à rémunérer des services, à entretenir un malade, un infirme, à constituer la retraite d’un ecclésiastique âgé, mais aussi, comme dans le passé, à dissimuler un contrat. Seulement l’usage finit par déchirer le voile de fiction qui en faisait une pratique que la loi voulait ignorer comme échappant à ses formes. La précaire devient un substitut de la donation, de la vente, du bail à ferme.
Ce qui se pratique aussi c’est la donation post mortem. Le donateur, prudent ou pauvre, donne ses biens après sa mort, mais en spécifiant qu’il en jouira de son vivant. Ce procédé a l’avantage pour le donataire de lui éviter les contestations que peut soulever un testament. Ainsi la précaire est une forme de la rente viagère ou du placement à fonds perdus.
Ce dernier procédé trouve même un avantage, surtout quand on traite avec l’Eglise. Un propriétaire estimant que sa terre est d’une contenance insuffisante pour le faire vivre à son gré, en fait don post mortem à un évêché ou à un monastère qui lui en concède autant ou plus, mais seulement pour la durée de sa vie. A sa mort, l’ensemble de la terre reviendra à l’établissement ecclésiastique. Par précaution, le bénéficier viager de la convention doit verser chaque année, sa vie durant, au concédant un cens en argent. La somme est très faible, mais elle suffit pour attester que le bénéficier n’est plus propriétaire, mais tenancier.
Le bail à précaire comporte donc une redevance effective sous le nom de cens. La qualification précaire empêche de l’assimiler, par une entorse à la loi, au bail à ferme, et laisse au bailleur des prérogatives considérables, telles que la saisie privée. Aussi remplace-t-il totalement en Gaule le véritable contrat d’amodiation. Cependant, si le précariste est récalcitrant, il devient nécessaire de s’adresser pour l’expulser à la justice publique.
L’évolution de la précaire vers le pacte modifie le formalisme. La double lettre du concédant et du concessionnaire renferme désormais, la mention du prix du bail, plus une clause du renouvellement de cinq en cinq ans, sous l’influence évidente du bail romain des terres publiques. Mais le paiement annuel d’un cens, réel ou symbolique, fait concurrence à la double epistola praecatoria et praestaria, puis la remplace : son formalisme est plus saisissant, plus visible, plus pratique, car l’écrit peut se perdre ou être attaqué.
Enfin, la précaire est, un procédé commode, trop commode même, pour récompenser des services ou s’assurer des appuis. L’Eglise, qui a toujours besoin de protection, en use et en abuse : il lui permet de tourner les canons des conciles qui lui interdisent d’aliéner ses biens-fonds. Et nous avons vu que c’est par cette fiction juridique qu’on tentera d excuser les spoliations opérées par Charles Martel. En concédant en précaire l’Eglise conserva sa propriété, quoique trop souvent théoriquement : en effet un précariste puissant se laissera difficilement évincer et s’il a transmis sa jouissance à ses enfants et petits-enfants, il deviendra impossible de distinguer dans l’héritage les parts qui sont tenues en pleine propriété, en alleu (ce mot remplace le latin dominium) de la détention à titre précaire.
Si donc, par un côté, cette pratique enrichit l’Eglise, d’un autre elle l’appauvrit, car le cens qu’elle perçoit d’un précariste trop puissant, peut n’être plus que recognitif, sans valeur rentable.
Et c’est ce qui se produit souvent. L’obtention d’une précaire peut être si avantageuse en ce dernier cas que la noblesse assiège l’Eglise de ses demandes et l’Eglise cède. C’est ainsi que, en 689, un couple pieux, très richement possessionné dans tout le nord de la Gaule, reçoit de Saint-Germain-des-Prés le domaine (village) de Pressagny-en-Vexin. En 685 l’« homme illustre », c’est-à-dire le comte, Amaufroy, obtient du monastère de Saint-Bertin un domaine en Cambrésis. Au VIIIe siècle, on voit les ducs d’Alsace, Adalbert et Eberhard prenant en usufruit des biens concédés à l’abbaye de Wissembourg à charge de restitution. Les exemples sont innombrables. Ils se poursuivront jusqu’au XIe siècle. Alors seulement, sous l’influence du régime féodal, il semblera peu digne d’un seigneur de solliciter une tenure à charge d’un service autre que le service guerrier.
Ce service est en effet étranger à la concession en précaire. Le petit précariste qui cultive de ses bras est tenu au paiement d’un cens réel, éventuellement à des corvées et mains-d’œuvre au profit du bailleur ; le grand précariste fait exécuter les travaux des champs et corvées par les colons et serfs attachés aux domaines qu’il s’est fait concéder. Le cens qu’il doit est sans rapport avec la valeur des domaines reçus. C’est ainsi que, au VIIIe siècle, le comte Rathier verse soixante sous (or ou argent) pour les 28 villages qu’il s’est fait céder par l’abbaye de Saint-Wandrille. L’abbaye de Prüm, en échange de vingt domaines, perçoit une livre de cire.
Le concessionnaire est tenu moralement à un devoir de reconnaissance envers l’établissement auquel il doit ce « bienfait ». Il s’en acquitte fort mal. Même s’il consent longtemps à verser un cens récognitif, il dispose à son gré des domaines à lui cédés, ne les restituera jamais et, à partir du Xe siècle, y bâtira des châteaux, au grand dam de 1’Eglise bienfaitrice. Un exemple entre beaucoup : le célèbre château fort de Coucy, repaire d’une turbulente famille seigneuriale, est bâti sur une terre donnée en précaire à l’ancêtre de la dynastie par le monastère de Saint-Remy-de-Reims.

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Le bénéfice.— En dehors de la précaire trouve-t-on un « bienfait » d’une autre nature ? On l’a soutenu. Il aurait existé, dès l’ère mérovingienne, des concessions qui seraient les prototypes du fief qu’on rencontre à la fin de l’ère carolingienne. A y regarder de près c’est une illusion. Les donations véritables sont en pleine propriété. Les rois le spécifient nettement : le donataire aura droit de vendre, échanger, léguer le bien concédé, d’en disposer à sa volonté. Objecter qu’on a des témoignages de reprises par le roi de biens concédés par lui à ses « leudes » (fidèles) est s’abuser. Il s’agit de confiscation pour délits de trahison, réels ou supposés. En ce dernier cas le souverain peut être trompé par un rival de la victime ou céder à un regret, comme enfantin, d’avoir été trop prodigue de ses dons. Il se peut même que le roi reprenne les biens fiscaux et laisse à la victime ses biens patrimoniaux, s’il éprouve des doutes sur sa culpabilité. C’est alors une cote mal taillée. Juridiquement, il n’y a pas de propriété limitée d’un bien royal. En cas de reprise on est en présence d’un abus, d’un arbitraire. C’est la manière du gouvernement mérovingien. C’est cet arbitraire même qui provoque les soulèvements de la noblesse, qui arrache à la royauté la promesse de ne plus recommencer, au traité d’Andelot en 587, et lors de l’assemblée de Paris de 614.
Est-ce à dire que les rois n’ont jamais concédé, eux aussi, à titre temporaire, précaire ? Il serait téméraire de le nier. Il suffit de dire que nous n’en avons pas conservé d’exemple.
Quant aux concessions faites par des particuliers, les formulaires nous montrent qu’elles s’opéraient sous la forme de donations pleines et entières ou sous celle d’une concession à charge de services. Mais, en ce dernier cas, il s’agit de services ruraux, nullement de service armé.
Ainsi, en dehors de la précaire, nul « bienfait » n’annonce le futur fief. Et si la précaire a une descendance, il faut la chercher dans la censiva, qui précisément, jusqu’en 1789, s’opposera au fief.
Mais voici que, au VIIIe siècle, apparaissent des concessions usufructuaires en faveur de « fidèles » qu’on commence à appeler des vassaux. Il est temps de rechercher l’origine de ces fidèles.

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La Commendatio guerrière. — Si un service à main armée n’est pas plus exigible qu’à l’époque romaine, non seulement du précariste de toute condition sociale, mais de l’homme en service (in obsequio), du susceptus, ce n’est pas à dire que, en dehors du temps de guerre, il n’y eut pas une classe de gens voués aux armes.
Le roi ne dispose pas, on l’a dit, d’une armée permanente, mais il lui faut une garde, comme dans tous les Etats monarchiques. Seulement cette pratique revêt un caractère particulier qu’elle doit à ses origines germaniques plutôt que romaines. A Rome, à Constantinople, le prince a une garde, une double garde, la schola des cavaliers, la schola des fantassins. Elle peut se composer d’une élite d’officiers et de soldats de l’armée, mais aussi on peut trouver avantage à employer des mercenaires, des étrangers, moins faciles que les indigènes à se laisser suborner. Déjà Auguste avait pris une garde germaine dont il ne se sépara qu’après le désastre éprouvé par Varus.
Chez les Germains, comme les Gaulois, comme chez les Ibères et certainement plus d’un peuple asiatique, le lien qui unit les défenseurs à leur chef revêt un caractère affectif. Ils sont réputés des compagnons, des amis, qui lui doivent un dévouement à toute épreuve, allant jusqu’au sacrifice de la vie. S’il est prisonnier, il faut le rejoindre dans sa captivité. S’il succombe à la guerre, il faut le venger. Il est même vraisemblable que, à un stade plus antique, chez les Celtes, les dévoués se suicidaient à la mort du chef.
Nous savons par Tacite que dans le monde germanique les dévoués étaient recrutés parmi les gens les plus vaillants et les plus robustes. L’entrée dans cette garde était si considérée que la noblesse même tenait à grand honneur que le prince y admit ses fils dès l’adolescence. Ils faisaient leur apprentissage des vertus guerrières dans cette troupe de compagnons. Ce compagnonnage (comitatus) était essentiellement composé de guerriers dans la force de l’âge et qui n’étaient pas tous de haute naissance.
L’institution se poursuit sous les Mérovingiens. Cette garde s’appelle truste (fidélité) et ses membres antrustions (ceux qui sont dans la truste). La truste est une charge d’Etat et nous avons même conservé le brevet de nomination : le fidèle se présente armé devant le roi, jure truste et fidélité (termes synonymes) en donnant la main. Après quoi, il est admis dans le corps pour jouir de ses prérogatives aussi bien que pour en remplir les devoirs.
L’antrustion devient un grand personnage jouit d’un triple vergeld (prix de l’homme). Le roi l’emploie non seulement pour son service particulier, mais pour des missions de confiance.
L’antrustionat n’est pas réservé aux seuls Francs de race. Le « Romain » y est admis : la qualification de conviva regis qu’il reçoit indique qu’il est bien, lui aussi, un « nourri », un commensal.
A l’époque mérovingienne, la composition du compagnonnage est modifiée. Le monde de la noblesse semble bien en avoir expulsé les « compains » de petite naissance, même braves et robustes, pour se réserver les avantages qui découlent de la présence continuelle auprès du souverain.
Que les ducs et comtes aient aussi des gardes, cela va de soi. Il leur serait impossible autrement d’exercer leurs fonctions dans une société si troublée.
Le problème c’est de savoir si des particuliers, même riches et puissants, ont le droit d’entretenir une force armée autour d’eux. La loi romaine le leur refuse expressément et il en allait de même implicitement de la coutume germanique, puisque seul le prince peut avoir un compagnonnage. Cependant nous voyons même des ecclésiastiques, évêques, abbés, abbesses entourés de gens qualifiés satellites, sicaires, enfants (dans le sens d’enfants « perdus »), hommes forts (viri fortes). Mais on doit observer que l’Etat considère le haut clergé comme étant à son service et aussi tout homme auquel sa richesse foncière confère une grosse influence sur la population.
Cependant la véritable interprétation de cette coutume, c’est que le service armé de l’« homme en service » n’est pas à proprement parler un service militaire, ce dernier demeurant dû au roi et au roi seul. C’est un secours éventuel : il est tout naturel que les bons serviteurs défendent la personne de leur patron et bienfaiteur en voyage ou en sa demeure contre les voleurs, brigands et malveillants.
Est-il besoin de dire qu’il viendra vite le jour où la royauté n’ayant plus la force d’empêcher la guerre privée, les fidèles en contestation se livreront de véritables batailles ?
Une dernière question, la question essentielle. Récompense-t-on les services de ces dévoués par une concession de terre ou tout autre avantage, soit en pleine possession, soit à un autre titre ? Pour les concessions des souverains, on a vu plus haut que seules les donations en pleine propriété nous sont connues, ce qui n’exclut pas l’existence d’autres formes de faveur. L’absence de documentation interdit de l’affirmer ou de le nier, en ce qui concerne les riches particuliers, laïques ou ecclésiastiques.
Cependant on est en droit de penser que ce cas a dû être encore très rare. L’homme in obsequio, le susceptus ou gazindus est toujours un commensal, un « domestique » au sens premier du terme. On peut lui faire des cadeaux pour récompenser ses services, mais lui concéder une terre, même rapprochée, serait l’enlever à ses fonctions propres. On n’est pas encore au stade où l’entrée en vasselage sera une formalité en vue d’obtenir un fief.

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Conclusion. — Ainsi, si l’enquête ne révèle rien qui ressemble déjà au fief ou même qui l’annonce sûrement à l’époque mérovingienne, il en va autrement de la vassalité. Et même, à dire vrai, le « nourri », le susceptus, le gazindus, est déjà un vassal, mais un vassal des premiers temps, non encore « chasé ». Si l’union du bénéfice propre et de la vassalité n’est pas encore effectuée, ni même amorcée, pour la bonne raison que le bénéfice au sens de fief n’est pas sûrement attesté, le régime vassalique de la période suivante, voit ses germes, remontant aux temps romains et germains, déjà à demi, plus qu’à demi, éclos.
DEUXIÈME PARTIE

PÉRIODE CAROLINGIENNE


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LIVRE PREMIER

Les événements

CHAPITRE PREMIER



Carloman et Pépin

A. Jusqu’à la retraite de Carloman


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Charles Martel disparu, tout fut à recommencer. Rien de plus monotone, de plus insipide que l’histoire de ces temps. Guerres perpétuelles et sans résultats. Aucune soumission n’est effective, aucun succès durable, Cependant les armées franques sont constamment victorieuses, mais elles ne sont pas assez nombreuses et leur temps de service suffisamment prolongé pour occuper le pays vaincu. Les propriétaires fonciers qui les composent veulent rentrer surveiller la moisson et la vendange de leurs terres. L’ennemi sait qu’ils ne resteront pas longtemps sur son sol. S’il a le dessous, il offre vite une soumission qu’on est heureux d’accepter parce qu’elle permet de rentrer chez soi. Les Francs partis, leurs adversaires refont leurs forces au cours de l’hiver et, au printemps suivant, se révoltent de nouveau. Et tout est à reprendre.
Au lendemain de la mort de Charles, Carloman et Pépin ont d’abord à réprimer des séditions dans leur propre famille. Leur sœur Hiltrude s’enfuit en Bavière et, contre leur volonté, épouse le duc Odilon. Ils mettent la main sur Grifon, mécontent de sa part de succession et l’enferment à Neufchâteau (en Luxembourg), en 741. Comme Hunaud (Hunaldus), fils d’Eudes, s’est révolté, ils passent la Loire à Orléans, brûlent Bourges et les environs, mettent en fuite le prince d’Aquitaine et, après, avoir défait les « Romains », — c’est la dernière fois que les Aquitains sont ainsi désignés —, s’arrêtent à Vieux-Poitiers, au confluent de la Vienne et du Clain, et prennent de nouvelles dispositions pour le partage du Regnum. Par Loches, ils rentrent en « France » pour apprendre le soulèvement des Alamans. Il leur faut, par extraordinaire, entreprendre une campagne d’automne contre ce peuple. Ils poussent jusqu’au Danube. Vaincus, les Alamans offrent des présents et se soumettent.
L’année suivante, c’est contre Odilon de Bavière qu’il faut marcher. Sur l’Inn les deux armées s’observent quinze jours, puis Odilon s’enfuit. Carloman lui laissera le duché, mais amputé de Nordgau annexé à l’Etat franc.
Les deux frères comprennent que ces troubles s’autorisent de la vacance de la royauté. Ils cherchent un Mérovingien et le mettent sur le trône : ce sera Childéric III, encore plus impuissant, plus nul, s’il est possible, que ses prédécesseurs (743).
En même temps, les Saxons bougent. Carloman dirige contre eux deux campagnes et en baptise un certain nombre.
Ce n’est pas tout. Nouvelle révolte des Alamans, sous Teutbald, fils du duc Gotfrid. Pépin le chasse des « Alpes » — entendons le Jura souabe — et révoque le duc. L’insurrection ne sera étouffée par Carloman qu’en 746, à Canstatt (en Wurtemberg), à la suite d’une répression sanglante.
Les deux frères se rendent compte, comme leur père, que pour dompter et civiliser les gens d’Outre-Rhin il faut les christianiser. Un seul homme a le prestige nécessaire, Boniface. On négocie avec le pape Zacharie son élévation à la tête d’un archidiocèse austrasien. Après avoir hésité entre Cologne et Mayence, on se décide pour cette dernière cité comme siège (745). Les Francs de la Hesse, eux-mêmes, ont besoin d’un pieux sanctuaire. Carloman fait don à Sturm, disciple de Boniface, du grand domaine où il fondera la célèbre abbaye de Fulda.
Entre temps, ira fallu mener une expédition en Aquitaine, expédition victorieuse comme toujours, sans résultat aussi, comme toujours.
Un événement imprévu se produit en 747. Jusqu’alors les deux frères avaient marché d’accord, chose qui ne s’était encore jamais vue depuis la fondation de l’Etat franc. Cet accord aurait-il duré ? La question fut tranchée par la volonté même de l’aîné, Carloman. Il renonça au pouvoir spontanément. e guerrier vaillant, impitoyable à l’occasion, était travaillé par le sentiment religieux. Le monde lui fit horreur. Confiant son fils, Drogon, à Pépin, il gagna Rome, se fit conférer la cléricature par le pape Zacharie et reçut de lui le monastère du Mont-Soraete. Puis, s’y sentant encore trop près des agitations du siècle, il se rendit moine au célèbre monastère bénédictin du Mont-Cassin (750). Pépin désormais avait les mains libres pour exécuter le grand dessein qu’on prévoyait depuis longtemps.

Déjà avant ce tournant décisif dans les destinées de la Maison des Carolingiens, les deux frères avaient pris leurs dispositions pour apaiser leur conscience et se faire bien voir de l’Eglise des Gaules et, par elle, de la papauté.


Revenir totalement sur les confiscations de leur père était impossible : l’Etat franc, attaqué de toutes parts, aurait croulé. On chercha une transaction et voici ce qu’on trouva. Carloman, qui en fut l’instigateur, après une assemblée et un synode, tenus dans sa portion de « France », aux Estinnes (Belgique, Hainaut), en 743, fit reconnaître aux établissements ecclésiastiques spoliés leur droit de propriété. Ce principe acquis, évêchés et monastères concèdent aux guerriers, vassaux du prince les domaines enlevés et cela à titre de « précaire », moyennant un cens annuel, fixé à un sol (le sol d’or sans doute) par manse ou tenure de paysan. A la mort du précariste, le bien reviendra à l’église propriétaire, à moins que la nécessité du service d’Etat, n’oblige à renouveler la précaire au bénéfice d’un autre titulaire. Pépin suit l’exemple de son frère au synode neustrien de Soissons l’année suivante (2 mars 744). Mais il évite de parler de spoliation. Il s’engage à « consoler » moines et religieux, en leur assurant de quoi vivre, conformément à leurs besoins. Pour le reste, la grosse partie du temporel, le détenteur paiera un cens. On ne parle pas des églises épiscopales. Cependant, il est certain qu’une « consolation » analogue leur fut offerte lors du synode général tenu par les deux frères en 745. On laissait espérer que ce modus vivendi était provisoire. A la paix, on restituerait tout. Mais la paix ne vint jamais et la satisfaction juridique accordée à l’Eglise justifiera des spoliations futures voilées par l’expédient de la précaire. Sous les règnes de Pépin, de Charlemagne, de Louis le Pieux, de Charles le Chauve, les restitutions partielles seront largement compensées par de nouvelles spoliations auxquelles le clergé ne peut se soustraire dès qu’il a reçu l’ordre du roi (verbum regis). Par la force même des choses, jamais l’Eglise de Gaule ne pourra retrouver la fortune dont elle jouissait avant les mesures radicales de Charles Martel. Elle n’a même pas la satisfaction, le plus souvent, de soumettre les précaristes à son autorité temporelle. C’est grâce à l’obtention d’un acte de précaire précisément que le guerrier est devenu le vassal du souverain. Cet acte est comme un billet de logement et d’entretien à vie, un droit d’occupation et de jouissance. Il ne manquera pas de devenir un jour héréditaire.

B. Pépin roi

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